Avec « Human Flow », Ai Weiwei questionne notre regard sur les migrants

Une image du film Human Flow.

Une image du film Human Flow.

Le capitalisme a besoin de surfaces lisses pour se répandre, tel un liquide qui coulerait sur une toile cirée à dimension mondiale : fluidité des marchandises, des capitaux, des savoirs, des hommes. S’agissant de la fluidité des hommes, elle peut être contrôlée, voire stoppée par des murs au nom d’une protection des travailleurs sur un marché du travail national ; mais la fluidité des hommes peut avoir une tout autre cause.

Les hommes fuient non seulement pour chercher du travail dans les pays où ils espèrent en trouver, mais aussi parce qu’ils ne peuvent plus vivre dans leurs pays qui ne reconnaissent pas les droits de l’homme, ou parce que leurs pays sont en guerre ; des pays qui sont d’ailleurs en guerre pour des questions de fluidité, quand le pétrole ne peut plus couler selon un débit fixé par les pays qui en ont crucialement besoin pour assurer et maintenir un certain style de vie. Fluidité du pétrole à tout prix : le président Bush décidera d’envahir l’Irak, déclenchant du même coup une dislocation sans précédent des frontières du Moyen-Orient et provoquant un flux continu de migrants.

Avec le film Human Flow, Ai Weiwei veut nous faire prendre conscience de cette fluidité humaine à l’échelle mondiale. Il poursuit ainsi sa réflexion sur la crise migratoire. Ai Weiwei est un artiste plasticien, non un moraliste ni un démographe spécialiste des migrations. Son film nous épargne une voix off où, souvent, une leçon géopolitique est délivrée au spectateur sur fond d’images « parlantes ». Rien de tel ici. Les seuls commentaires se réduisent à des incrustations de texte qui fournissent des données sur les lieux de tournage, sur les chiffres des flux de réfugiés de par le monde et cela depuis la Seconde Guerre mondiale. La parole est aux poètes qui, à l’instar du syrien Nizar Quabbani, énoncent la condition humaine :

Nos cris sont plus forts que nos actes
Nos épées sont plus grandes que nous
Telle est notre tragédie

 

Adopter le regard de l’artiste

Si l’artiste, véritable colosse hirsute, est présent physiquement, sa présence est muette, comme pour nous dire de regarder son œil, un œil d’artiste. Lorsqu’il filme avec son téléphone portable son cameraman en train de filmer, il nous double. Il semble nous dire : regardez ce flux ininterrompu de personnes fuyant sur les routes boueuses à la frontière hongroise, regardez cette marche sans répit de ceux qui fuient sans savoir où aller, regardez le visage satisfait du général hongrois qui s’inquiète des conditions de vie de ses soldats en charge de contrôler la frontière infranchissable, regardez ces canots pneumatiques qui échouent chaque nuit sur les plages grecques avec des centaines de personnes hagardes secourues par des ONG bienveillantes, regardez les centaines de tentes alignées au carré abritant les réfugiés en plein désert jordanien.

 

Filmer la vie

Ce ne sont pas des injonctions culpabilisantes : l’artiste filme la vie en filmant des visages, des visages à saisir comme les détails d’un tableau vivant.

Dans un camp en Jordanie, les visages d’hommes et de femmes sont filmés sur fond de toile de tente dans le silence d’un long plan fixe.

Dans la bande de Gaza, face à la mer, des jeunes filles palestiniennes sourient devant la caméra et évoquent leur rêve de quitter un jour leur pays qu’elles qualifient de prison en plein air.

Sur le pont d’un bateau, une famille se photographie, se prenant pour des touristes en croisière sur la Méditerranée devenue le plus grand cimetière de migrants.

Dans la cale d’un bateau, des Érythréens dansent et chantent comme pour saluer leur salut.

Dans un jardin d’Athènes, une fillette souffle dans un ballon pendant que sa mère, face caméra, dit son angoisse quant au futur qui l’attend.

À l’aéroport désaffecté de Berlin-Tempelhof où les architectes ont rationnellement aménagé des alvéoles pour assurer à chaque famille une intimité, une petite fille déclare, droit dans nos yeux, son envie de sortir du hangar.

Sur un fond verdoyant, un musulman birman en exil raconte doucement la destruction de son village.

Sur fond de camp de réfugiés, assise dans un fauteuil de salon, une élégante femme jordanienne trouve les mots justes pour dire qu’ accueillir des réfugiés relève d’un devoir d’hospitalité.

 

Rendre le monde lisible

À nous de comprendre ces visages, et, à ce titre, Ai Weiwei est un artiste que l’on pourrait qualifier de brechtien : il ne joue pas avec nos émotions et lorsqu’il s’allonge sur la plage pour prendre la place d’Alan Kurdi, ce petit garçon de trois ans dont le corps a été retrouvé sur une plage turque et dont l’image insupportable a fait le tour du monde, il rejoint un autre grand artiste, Alejandro Jaar, pour dénoncer l’exploitation émotionnelle d’images horribles qui peuvent à jamais fixer la mémoire si personne ne vient poser la question du pourquoi. Pourquoi ce Human Flow aujourd’hui ? Ces questions, Ai Weiwei ne les pose pas directement dans son film, mais il nous force à nous les poser. Lorsqu’il nous montre depuis un drone une image qui ressemble à une toile de Klee pour finir le plan sur des enfants qui jouent au football dans un camp de réfugiés, ce n’est pas pour faire beau.

Il ne cherche pas à montrer de belles images de la terre vue du ciel, mais à rendre le monde lisible. Lorsqu’il couvre la façade du Haus der Kunst de Munich de 9 000 cartables pour rappeler les enfants ensevelis sous les décombres d’une école du Sichuan, école effondrée faute de bonnes règles de construction anti- sismique, c’est un artiste en colère qui interpelle son gouvernement en donnant une autre visibilité à la façade d’un musée, ce n’est pas non plus un artiste qui sent le grisou pour nous dire la catastrophe à venir. La catastrophe est déjà là.

 

Que faire ?

Nos yeux largement fermés, l’artiste nous les ouvre. Que faire ? Ce n’est pas à Ai Weiwei de répondre. La réponse est affaire d’échelles. À l’échelle individuelle, des initiatives d’hospitalité sont prises mais semblent bien vaines, l’échelle des États semble la plus pertinente pour faire face aux flux des migrants mais les États sont à la peine pour aborder la question de l’hospitalité des migrants sous la pression du populisme, reste alors l’échelle mondiale.

Dans une vibrante tribune, Mireille Delmas-Marty appelle de ses vœux, dans le prolongement du rapport du secrétaire général de l’ONU de décembre 2017, « Making migrations work for all », la négociation d’un pacte mondial pour une migration « sûre, ordonnée et régulière ». Pour Mireille Delmas-Marty, les migrations humaines, tout comme le dérèglement climatique, doivent faire l’objet d’une gouvernance mondiale guidée par des règles d’action :

« À l’image du principe de développement durable qui a permis de pondérer innovation et conservation, le principe d’hospitalité permettrait de pondérer exclusion et intégration, et d’équilibrer ainsi les droits et devoirs respectifs des habitants humains de la Maison commune. »

Ai Weiwei a fait sa part de travail en rendant ce débat sur les migrations humaines possible.

Source : The Conversation 02/05/2018

GB: Démission de la ministre de l’Intérieur, coup dur pour Theresa May

© AFP/Archives / Par Florence BIEDERMANN | Amber Rudd le 25 avril 2018 à 10 Downing Street, à Londres

© AFP/Archives / Par Florence BIEDERMANN | Amber Rudd le 25 avril 2018 à 10 Downing Street, à Londres

La ministre britannique de l’Intérieur Amber Rudd a démissionné dimanche après plusieurs scandales entourant le traitement des immigrés par ses services, laissant la Première ministre conservatrice Theresa May en position de fragilité à quelques jours d’élections locales.

« La Première ministre a accepté ce soir la démission de la ministre de l’Intérieur », a déclaré un porte-parole de Downing street.

Amber Rudd, 54 ans, était sur la sellette depuis plusieurs jours après la révélation que ses services avaient des objectifs chiffrés pour expulser les immigrés clandestins. Elle avait tout d’abord nié être au courant de l’existence de tels objectifs devant une commission parlementaire.

« J’ai involontairement trompé la commission parlementaire des affaires intérieures sur les objectifs de déplacement des immigrés clandestins pendant leurs questions sur Windrush », a reconnu Amber Rudd dans sa lettre de démission à Theresa May.

Amber Rudd paie également pour le scandale dit de Windrush – le traitement des immigrés d’origine caribéenne arrivés au Royaume-Uni après la seconde guerre mondiale – qui a suscité une vague de colère dans le pays.

Les milliers d’immigrés venus des pays du Commonwealth entre 1948 – quand le Windrush, premier bateau transportant des migrants depuis les Caraïbes, a débarqué près de Londres – et le début des années 1970, pour reconstruire le pays après la Seconde guerre mondiale, avaient obtenu le droit de rester indéfiniment.

Mais ceux qui n’ont jamais réclamé de papiers d’identité en bonne et due forme se sont retrouvés traités comme des immigrés illégaux, courant le risque d’être expulsés s’ils ne fournissaient pas de preuve pour chaque année de présence au Royaume-Uni.

 

– « Situation inexcusable » –

Face au tollé soulevé par ces menaces d’expulsion, Theresa May avait été contrainte de s’excuser auprès des dirigeants de ces pays lors d’un sommet du Commonwealth à Londres du 16 au 18 avril dernier.

Lundi dernier, Amber Rudd avait dit « profondément regretter » cette situation, soulignant « l’importante contribution de la génération Windrush » au Royaume-Uni, et avait annoncé devant le parlement qu’ils pourraient obtenir la nationalité gratuitement.

Mais cette figure importante du gouvernement s’est à nouveau retrouvée en difficulté lorsqu’il est apparu que ses services avaient des objectifs chiffrés sur le nombre d’immigrés clandestins à refouler. La ministre avait dans un premier temps nié l’existence de tels objectifs ni en avoir connaissance, devant une commission parlementaire qui l’interrogeait mercredi dernier.

De nouvelles révélations, notamment dans le quotidien Guardian, sur l’existence d’un document intérieur semblant prouver qu’elle était au courant, ont rendu sa position intenable.

« L’architecte de cette crise, Theresa May, doit maintenant venir expliquer de façon honnête et détaillée comment cette situation inexcusable a pu se créer sous son ministère », a réagi sur Twitter la députée travailliste Diane Abbott, laissant ainsi entendre que Mme Rudd avait servi de fusible à Theresa May, ministre de l’Intérieur avant elle.

Le chef de la diplomatie Boris Johnson, chef de file des partisans du Brexit au sein du gouvernement, a rendu hommage dans un tweet à une « collègue de valeur qui a accompli un travail remarquable pendant les attentats de l’an dernier ».

La démission de cette fidèle, qui avait succédé à Theresa May à l’Intérieur en 2016, est un coup dur pour la Première ministre, qui va affronter le 3 mai des élections locales à valeur de test pour son gouvernement, déjà déchiré par le Brexit et qui dispose d’une très mince majorité au Parlement.

C’est aussi la quatrième démission d’un membre du gouvernement en six mois, après celles du ministre de la Défense Michael Fallon et du vice-Premier ministre Damian Green pour harcèlement sexuel, ainsi que de la secrétaire d’Etat au développement Priti Patel.

Theresa May doit aussi gérer la profonde division de son parti conservateur sur le Brexit. Amber Rudd faisait partie du camp des ministres europhiles partisans du maintien de liens étroits avec l’UE après le départ de l’Union, prévu en mars 2019, et son départ modifie aussi l’équilibre au sein du gouvernement.

 Florence Biedermann
Source AFP 30/04/2018

Droit d’asile Vous avez dit « submergés » ?

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« Certaines régions sont en train de se déconstruire parce qu’elles sont submergées par les flux de demandeurs d’asile » affirmait récemment Gérard Collomb, ministre de l’intérieur, au cours de la discussion du projet de loi asile-immigration qu’il défendait et qui a été adopté hier en première lecture par l’Assemblée nationale.

Pourtant, depuis le démarrage de la vague de réfugiés causée par la guerre en Syrie en 2015, et jusqu’à la fin de l’année 2017, la France n’a enregistré que 239 325 demandes d’asiles, soit moins de 8 % du total des demandes déposées dans l’Union, pour un pays qui pèse 13 % de sa population. Autrement dit, le nombre de demandeurs d’asile en France équivalait à 0,36 % de la population de l’Hexagone. Cette proportion est 6 fois inférieure à celle observée en Hongrie ou en Suède et cinq fois à celle constatée en Autriche ou en Allemagne…

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De plus, du fait d’un taux de décision favorables nettement plus bas que la moyenne européenne, la France n’a finalement accepté au cours de ces trois années, que 81 950 demandeurs d’asile (octroi du statut de réfugié ou bénéfice de la protection subsidiaire) soit 0,12 % de sa population. C’est 10 fois moins que la Suède, 8 fois moins que l’Allemagne, 3 fois moins que le Danemark et la Belgique ! Un chiffre qui rappelle toute l’absurdité du système actuel marqué notamment par des taux d’acceptation extrêmement variables d’un pays à l’autre…

Il y a certes sur le vieux continent encore pire que nous en matière de refus d’accueillir des réfugiés qui tentent leur chance en Europe pour échapper à la guerre et/ou à la misère, notamment au Royaume Uni et en Europe centrale et orientale. Mais il faut quand même faire appel à une bonne dose de mauvaise foi pour considérer que nous serions « submergés » par les demandes d’asile. Quand on écoute les discours de nos dirigeants actuels sur ce sujet, il n’y a vraiment pas de quoi être fier du « pays des droits de l’homme »…

Guillaume Duval

Source Alternatives Economiques 24/04/2018

Italie : fusillade raciste en pleine campagne électorale

picture alliance dpa

picture alliance dpa

Samedi à Macerata, dans la région des Marches, un homme a tiré 30 coups de feu sur des personnes noires, faisant six blessés, graves pour certains. Lors de son arrestation, le membre du parti Lega Nord a fait le salut fasciste. Un mois avant des législatives que les partis nationalistes et d’extrême droite risquent de remporter, cet attentat revêt une importance particulière.

La disparition du centre politique, un facteur de risque

L’immigration est désormais un thème majeur de la campagne :

«La Lega Nord xénophobe va faire monter les enchères sur les thèmes de la politique migratoire et de la prise en charge des réfugiés. Lors de la dernière participation au pouvoir de la Lega Nord aux côtés du parti de Silvio Berlusconi, la politique de la coalition dans ce domaine portait la signature brutale du petit partenaire. Il n’est pas exclu que l’alliance de centre-droit forme à nouveau un gouvernement début mars, à l’issue des législatives. L’Italie, qui a vu ses grands partis traditionnels se déliter bien avant ceux des autres pays d’Europe de l’Ouest, illustre le pouvoir que peuvent exercer les partis xénophobes si on leur laisse carte blanche et s’il n’y a plus de centre politique. Ils constituent un danger pour la démocratie.»

Source Frankfurter Rundschau 04/02/2018

 

 L’Italie se sent abandonnée par l’Europe

A l’approche de l’échéance électorale, tous les partis exploiteront l’attentat, redoute Delo :

 

«Actuellement, il n’existe aucun parti qui ne soit pas populiste. Certains observateurs redoutent que la fusillade, perpétrée devant un monument aux morts, soit un coup de pouce pour la Lega Nord – une formation comparée en Europe au parti de Marine Le Pen en France. A une époque où une partie croissante de la population, surtout dans la partie sud du pays, souffre de privations, l’Italie cultive le souvenir de temps ‘plus glorieux’. La crise économique et l’arrivée en masse de personnes en provenance d’Afrique rendent les évènements de Macerata d’autant plus inquiétants. Car l’Italie se sent abandonnée, négligée et sous-estimée par l’Europe.»

Source : Delo , quotidien Slovène 05/02/2018

 

La militante espagnole de l’aide aux migrants Helena Maleno jugée au Maroc : “Un moyen d’intimider les défenseurs des droits humains”

Capture d'écran d'un entretien avec Helena Maleno mené par Javier Sánchez Salcedo pour le site d'information Mundo Negro. Visible sur YouTube et sur le site web.

Capture d’écran d’un entretien avec Helena Maleno mené par Javier Sánchez Salcedo pour le site d’information Mundo Negro. Visible sur YouTube et sur le site web.

Le 31 janvier, la militante des droits humains et chercheuse espagnole Helena Maleno devait comparaître en justice au Maroc pour la deuxième fois, accusée de participation à un réseau de  traite des êtres humains du fait de son activité d’aide aux migrants qui se retrouvent à la dérive en Méditerranée.

Helena Maleno fait partie de l’organisation non gouvernementale Caminando Fronteras (Marcher les Frontières), qui défend les groupes de migrants surtout en provenance d’Afrique sub-saharienne. L’accusation portée contre elle est basée sur ses appels téléphoniques aux services de sauvetage maritime pour les alerter sur la présence de canots en perdition.

Les multiples organes de médias qui l’ont interviewée ces derniers jours soulignent souvent que Maleno a toujours son téléphone à la main, et reçoit constamment des appels de personnes en danger en mer. “Mon téléphone leur est accessible. Je ne sais pas qui sont la plupart des gens qui m’appellent. Ils se donnent mon numéro les uns aux autres et m’appellent quand il y a une urgence”, a dit Maleno au quotidien espagnol El País.

Les ennuis judiciaires de Maleno ont commencé en Espagne, où un tribunal a conclu en 2017 qu’ il n’y avait aucun caractère délictuel dans le travail de Maleno. En revanche, les autorités du Maroc, pays où elle a travaillé pendant 16 ans, a rouvert l’affaire en réponse à la plainte d’un service de la police espagnole appelé Unité centrale contre les réseaux d’immigration et de faux papiers (UCRIF, en espagnol), le même qui avait saisi la justice espagnole.

Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi la police espagnole a envoyé au Maroc un dossier où on m’accuse de trafic d’êtres humains, alors qu’un procureur en Espagne a déjà déclaré l’affaire close. Nous ne pouvons pas établir un précédent où l’on poursuit ceux qui font un travail humanitaire.

 

Criminaliser la migration et le travail humanitaire

La même inquiétude est partagée par les divers militants et organisations qui soutiennent le travail de Maleno, comme l’équipe de direction de la Fondation porCausa, un collectif de journalistes et de chercheurs dédié à représentation du phénomène migratoire dans les médias.

[…] la personnalisation d’une offensive politique comme celle qu’exécute le Maroc contre Helena Maleno est une façon d’intimider ceux qui veulent faire quelque chose de semblable. Cela affaiblira encore plus les déjà rares réseaux de protection des migrants utilisant cette route […] La possibilité que le Ministère de l’Intérieur espagnol — ou certains de ses agents — transfère au Maroc l’attaque qui n’a pas abouti ici [en Espagne] revêt une gravité si extraordinaire qu’elle doit être clarifiée au plus tôt.

[…] La frontière sud de l’Espagne est le théâtre de nombreuses illégalités, dont aucune n’est en relation avec l’activité de Maleno : renvois immédiats (sanctionnés par la Cour de Strasbourg), violation d’autres garanties de protection internationale, détentions arbitraires, maltraitance et mépris des droits des enfants, pour ne citer que les violations les plus criantes. S’embarquer dans un harcèlement aussi féroce des défenseurs des droits humains serait franchir un point de non-retour.

Les expulsions collectives, ou renvois imméediats, mentionnés ci-dessus font référence à l’expulsion sous la contrainte de migrants arrivés sur le sol espagnol, une pratique au mépris des protections établies par le droit international.

Le cas de Maleno n’a rien d’exceptionnel. Selon des signalements d’Amnesty International, José Palazón, le président de l’ONG Pro Derechos de la Infancia (Pour les droits de l’enfance), a été attaqué injustement par plusieurs organes de médias dans la ville de Melilla, une enclave espagnole sur la côte nord du Maroc, ainsi que par le Conseiller au Bien-être social. Les attaques verbales prétendaient disqualifier le travail de Palazón en prétendant qu’il ne s’agissait que d’une “bataille personnelle” ne bénéficiant à personne.

Ceci coïncide avec l’attitude générale de rejet des migrants arrivant en Europe qui se banalise à travers l’Union européenne, tandis que les périls demeurent pour ceux qui y cherchent refuge en traversant la Méditerranée : depuis le début de 2014, 14.000 personnes sont mortes en mer.

#DéfendreCeuxQuiDéfendent

Maleno a reçu un soutien résolu du monde entier, et les témoignages de solidarité sont visibles sur les médias sociaux.

Une pétition, créé sur la plate-forme Intermón d’Oxfam et diffusée sous le mot-clé #DefenderAQuienDefiende (#DéfendreCeuxQuiDéfendent), exige que le gouvernement espagnol intervienne pour aider Maleno.

Dans le même temps, en Espagne, les membres de plus de 20 organisations ont manifesté leur soutien dans les rues de Grenade :

Hier, par accionenred Granada [Action sur le net Grenade], avec plus de 20 organisations sociales et partis politiques, nous avons voulu montrer notre solidarité et soutien à Helena Maleno et au travail solidaire qu’elle effectue.

 

Avec leur système d’alerte, Maleno and Caminando Fronteras ont contribué au sauvetage de centaines de personnes qui se sont embarquées dans des conditions précaires pour des traversées incroyablement périlleuses. Maleno aide aussi à donner aux migrants une meilleure qualité de vie et se bat pour la reconnaissance de leurs droits humains de base.

Son activité de militante et sa dénonciation des injustices sociales ont valu à Maleno d’être distinguée par le Conseil général des avocats espagnols en 2015.

Le fondement du travail de Maleno et de Caminando Fronteras est aussi d’humaniser ceux qui s’embarquent pour l’Europe. Une partie de cet effort se voit dans leur travail de sensibilisation pour essayer de faire comprendre aux citoyens européens les circonstances et la résilience des populations qui arrivent à leurs frontières. Elle l’explique dans la vidéo ci-dessous :

https://www.youtube.com/watch?v=5efK7gugYag

« Je ne veux pas qu’il y ait des renvois immédiats. […] Ce n’est pas parce que tu es de Guinée-Bissau, pas parce que tu es noir, mais parce que je veux un monde sans renvois immédiats. […] c’est parce que aujourd’hui c’est toi et demain ça sera nous […] Ça peut changer à tout moment. […] Nous sommes tous dans le même bateau […] s’il coule nous coulerons tous. »

Source : Global Voices 01/02/2017

Voir aussi : Actualité internationale, Rubrique Société citoyenneté, Justice, rubrique Politique, politique de l’immigration,