Tardi en colère contre le festival d’Angouleme

Photo Jacques Demarthon AFP

Tardi Photo Jacques Demarthon AFP

Jacques Tardi est en colère contre le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD) qui l’a exposé cette année. Alors que la 41e édition de la manifestation s’est achevée dimanche soir 2 février, le dessinateur et scénariste français s’offusque, à son tour, que celle-ci ait été sponsorisée par l’entreprise israélienne de gazéification de boissons SodaStream, installée dans les territoires occupés.

Consacrée au travail de l’auteur sur la première guerre mondiale, Tardi et la Grande Guerre était l’exposition phare du FIBD cette année. « Si j’avais su au départ que le festival était financé par cette marque, jamais je n’aurais donné mon accord pour que mes planches soient accrochées à Angoulême. Je me serais abstenu », a-t-il indiqué au Monde.

Jacques Tardi ajoute en fait sa voix à celle d’un groupe d’auteurs de BD de plusieurs nationalités, parmi lesquels l’Américain Joe Sacco, qui avait envoyé une lettre ouverte, vendredi, à l’organisation du festival pour protester contre ce partenariat. Le père d’Adèle Blanc-Sec et son épouse, la chanteuse Dominique Grange, ont à leur tour écrit une lettre ouverte pour s’opposer à la présence de SodaStream sur les affiches du FIBD : « Une vaste exposition « Tardi et la Grande Guerre » présente, dans le cadre du festival, l’intégralité de son travail sur la guerre de 14-18, accompagnée le long de ce parcours par une bande-son des chansons de notre album CD Des lendemains qui saignent. Nous estimons donc, en tant qu’artistes participant à ce Festival (auquel toutefois nous n’assistions pas), avoir été pris en otages par ceux qui le dirigent et n’ont pas estimé nécessaire de nous informer que l’édition de cette année était en partie financée par une entreprise installée dans les Territoires palestiniens occupés, cautionnant ainsi la politique de colonisation de l’Etat d’Israël, le blocus de Gaza et les violations récurrentes des droits du peuple palestinien ! »

« PAS UNE ENTREPRISE HONTEUSE »

Interrogé par Le Monde pendant le festival, son délégué général, Franck Bondoux, s’était dit « particulièrement gêné » par la première lettre ouverte des dessinateurs. « Quand le festival s’engage avec un partenaire, il regarde naturellement qui il est », indiquait-il.

« Concernant SodaStream, je ne vois pas en quoi cette entreprise est honteuse. Elle est implantée dans une colonie ancienne, en zone C, qui est née des accords d’Oslo entre Israël et l’OLP. Rien n’interdit à une entreprise de s’installer là dans l’attente d’un accord entre les deux parties, quand bien même celui-ci tarde particulièrement. SodaStream crée plutôt des passerelles. Elle emploie 500 travailleurs palestiniens qui travaillent dans de bonnes conditions. Cette entreprise n’a jamais été condamnée en France. Parler de “crime” à son encontre, comme le font ces auteurs, est une prise de position partisane. La rejeter reviendrait à la condamner : ce serait une injustice à l’envers », ajoutait-il.

Installé dans la zone industrielle de Michor Adoumim, dans la colonie de Maalé Adoumim, à une dizaine de kilomètres de Jérusalem, SodaStream est dénoncée par les militants pour les droits des Palestiniens menacés par l’occupation israélienne.

Avant le neuvième art, le septième avait déjà été secoué par une polémique liée à SodaStream. Le partenariat publicitaire entre l’actrice américaine Scarlett Johansson et la marque israélienne a provoqué un tollé médiatique.

Plus de 80 auteurs de bande dessinée ont ajouté leur signature à celles de Jacques Tardi et Joe Sacco, parmi lesquels Baru et François Schuiten.

Frederic Polet

Source Le Monde 3/02/2014

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Angoulême couronne l’Américain Bill Watterson, auteur de «Calvin et Hobbes»

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Le 41ème festival d’Angoulême s’est achevé ce dimanche 3 février, se projetant déjà sur l’an prochain. L’Américain Bill Watterson est le Grand Prix de cette édition 2014. Il devient donc de fait le président du festival l’an prochain. Pour la première fois, tous les auteurs de BD pouvaient voter pour désigner l’un des leurs. C’est l’Américain Bill Watterson, auteur de « Calvin et Hobbes » qui a été choisi. Un auteur aussi culte que mystérieux.

Bill Watterson c’est le J. D. Salinger de la BD. Un auteur, dessinateur humoristique, âgé de 55 ans, qui s’est arrêté de publier des bandes dessinées en 1995, dix ans seulement après la parution de ses premières cases.

Mais en dix ans, les aventures du petit garçon Calvin, et de Hobbes, son tigre en peluche philosophe, ont fait le tour du monde. Quelque 2 400 journaux et 30 millions d’albums ont été vendus dans le monde entier.

Calvin et Hobbes, ce sont des aventures publiées sous forme de strips, des historiettes tenant sur quatre cases. Aussi célèbre aux Etats-Unis que Charlie et les Peanuts, Snoopy ou Garfield, l’œuvre de Bill Watterson se distingue aussi par l’absence de produits dérivés.

L’auteur a en effet, toujours refusé toute commercialisation de ses personnages. On ne connaît de lui qu’une photographie de 1974, le montrant tout sourire devant sa planche à dessin.

Retraité depuis vingt ans, refusant toute apparition publique… Viendra-t-il l’an prochain à Angoulême ? Rien n’est moins sûr. Mais au moins les planches originales de sa bande dessinée culte, devraient être présentées dans la cité charentaise, ce qui constituera en soi un événement.

Sophie Torlotin

Source RFI 03/02/14

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Ayana Mathis. Une portion d’amour pour le peuple noir

BOOK_MATHIS_1Ayana Mathis présente son saisissant roman « Les douze tribus d’Hattie » à Montpellier.

Le premier roman de Ayana Mathis aurait pu être un recueil de nouvelles, mais les personnages de ses courtes histoires d’inspiration autobiographique ont finalement trouvé une mère commune en la personne de Hattie. La jeune Hattie débarque à la gare de Philadelphie avec sa mère et ses soeurs en 1923. Elles fuient le Sud où sévit la ségrégation raciale en espérant profiter d’un bout d’horizon en Pennsylvanie.

L’histoire court sur plus d’un demi-siècle et trois générations. Hattie aura douze enfants. Ses deux premiers, des jumeaux, meurent dans ses bras d’une pneumonie, ce qui la marque en profondeur, mais Hattie poursuit sa vie. Elle va de l’avant, car elle n’a rien à voir ni à attendre. Toujours sollicitée, elle ne se retourne jamais.

Ce roman est empli d’amour. Il est aussi dur parce que cet amour s’éparpille face aux difficultés de la vie au point où l’on pense parfois qu’il a disparu. Mathis est une mère froide qui ne se fait pas d’illusion. Elle est comme une montagne, ou une île qui résiste aux tempêtes. Ses enfants en souffrent tout en sachant saisir le peu d’affection qu’elle préserve pour survivre dans un monde très imparfait.

« Aimer Hattie n’avait jamais été chose aisée. Elle était trop silencieuse, on ne savait jamais ce qu’elle pensait. Elle était constamment en colère et si dédaigneuse lorsque ses grandes espérance étaient déçues. »

La langue d’Ayana Mathis est poétique. L’auteur s’est inspirée de la vie de sa grand-mère. Elle a travaillé la prose et les nuances d’un parcours qui ne va pas de soi. Celui d’une femme noire et pauvre qui puise dans ses ultimes ressources et parfois dans la Bible. Le décompte des douze tribus d‘Hattie trouve ainsi une correspondance avec les douze fils de Jacob dans une version raciale toute américaine. Mathis s’est sans doute inspirée des allégories du Cantique de Salomon pour évoquer le rêve éveillé d’amour dans lequel elle baigne ses personnages.

« Peut-être n’avons nous qu’une certaine quantité d’amour à donner. Nous venons au monde avec notre portion, et si nous aimons sans être suffisamment aimés en retour, elle s’épuise. »

Les enfants d’Hattie comme Floyd ou Alice sont sentimentaux, très conscients d’eux-même et donnent parfois dans l’auto-sabotage, ou l’humour sardonique. Ils savent aussi sortir les griffes et puisent dans le parcours de leur mère comme dans un réservoir pour triompher de la souffrance endurée.

L’ombre de Toni Morrison dont l’œuvre (Nobel de littérature 1995) a marquée la communauté noire américaine, plane. Ayama Mathis signe une parabole saisissante qui évoque les failles traumatiques toujours présentes dans son pays.
Son livre fait entendre la voie de femmes blessées par les tensions raciales en Amérique.

Elle était invitée chez Sauramps fin janvier pour présenter et dédicacer son roman sans pathos et sans concession.

Jean-Marie Dinh

Les douze tribus d’Hattie Ayana Mathis, éd Gallmeister 23, 4 euros.

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« La Révolte ». L’ambivalence du réel perdu

DownloadThéâtre. La Révolte de Villiers de L’Isle-Adam ce week-end à Montpellier.

Fidèle à sa passion pour le  XIXe siècle transposée avec un goût certain dans le monde d’aujourd’hui, Lydie Parisse monte actuellement La Révolte de Villiers de L’Isle-Adam au Théâtre Pierre Tabard. Créée en 1870, cette oeuvre majeure pour la clarté de la langue l’est aussi pour la révolte qu’elle exprime contre le mariage bourgeois et la société capitaliste. « A la fin de la pièce, Félix conclut sur la dangerosité de la poésie qui détourne les honnêtes gens de l’usage ordinaire du langage », souligne Lydie Parisse.

Dans le climat houleux de 1870 l’avant-gardiste Villiers de L’Isle plonge son propos théâtral dans le réalisme extralucide. Félix dirige une banque, sa jeune femme Elisabeth s’occupe des placements aux détriments de l’équilibre social et de sa nature. Un soir elle décide de partir. La confrontation domestique s’atomise ouvrant sur des questions éthiques, politiques, féminines et spirituelles.

Habitué aux vaudevilles, la pièce heurte le public de l’époque. Dans notre monde où la déshumanisation s’accélère, l’opposition et l’incompréhension entre matérialisme et spiritualisme résonne puissamment. Yves Gourmelon et Julie Pichavant s’adonnent à ce dialogue de sourds avec une intensité remarquable. Pour Elisabeth, le conflit n’est pas une fin, mais une étape du dépassement, «L’abandon provisoire d’une révolte possible

JMDH

 Au Théâtre Pierre Tabard 04 99 62 83 13.

Source : L’Hérault du jour : 18/01/2014

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Y. Gourmelon et J. Pichavant, un affrontement dans la complicité . dr

Le nom de gauche mis en question

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Le philosophe politique Jean-Claude Michéa à la recherche d’un nouveau langage commun.

Dans son nouvel opus «Les mystères de la gauche» Jean-Claude Michéa tire les leçons de notre temps politique.

Les mystères de la gauche*. Avec un titre inspiré de l’auteur des Mystères de Paris, Eugène Sue, le philosophe Jean-Claude Michéa commet un nouvel essai pour expliciter à des lecteurs engagés pourquoi il refuse de rassembler sous le vocable générique de la gauche «l’indignation grandissante des gens ordinaires» devant une société de plus en plus amorale, inégalitaire, et aliénante.

«Je comprends l’attachement sentimental qu’éprouvent les militants de gauche pour un nom chargé d’une aussi glorieuse histoire», précise Michéa dans son propos introductif, mais il est selon lui «plus que temps de s’interroger sur ce que peut signifier concrètement le vieux clivage droite/gauche.»

Dans Le Complexe d’Orphée (Ed, Climat 2012), l’auteur rappelait que le terme de gauche a véritablement pris naissance dans le cadre du compromis historique scellé lors de l’affaire Dreyfus entre les principaux représentants du mouvement ouvrier socialiste et ceux de la bourgeoisie républicaine et libérale. Compromis politique, qui visait à dresser un «front républicain» contre la droite de l’époque (cléricale et monarchiste) qui constituait une menace pour un système républicain encore fragile. Ce pacte défensif explique que la gauche du XXème siècle ait pu longtemps reprendre à son compte une partie importante des revendications ouvrières et syndicales, mais une alliance aussi ambiguë entre partisans de la démocratie libérale et défenseurs de l’autonomie de la classe ouvrière ne pouvait pas se prolonger éternellement.

Vision juridique du monde
L’auteur fait à nouveau appel à l’histoire du XIXème pour éclairer le lecteur de gauche contemporain «trop souvent conditionné par un siècle de rhétorique progressiste» en rappelant que les deux répressions de classe les plus féroces qui se sont abattues sur le mouvement ouvrier ont été le fait d’un gouvernement libéral ou républicain (donc de gauche au sens premier du terme). Lors des journées de juin 1848 et durant la répression sanglante de la Commune de Paris dirigé par Thiers en mai 1871.

La protestation morale des premiers penseurs socialistes du XIXème contestait l’émancipation libérale portée par la Révolution française, «l’idée que l’égalité des droits constitue l’énigme résolue de l’histoire». Au nouveau cadre juridique de la condition prolétarienne, ils opposaient celui d’une communauté libre et égalitaire susceptible de prendre en charge la cause de l’humanité tout entière.

«C’est seulement si l’idéal moderne de liberté et d’égalité parvient à prendre ses racines dans le fait communautaire que le développement concret de cet idéal pourra espérer dépasser le plan des formes pures et recevoir un contenu véritablement humain et socialement émancipateur», soutient Michéa. Le philosophe, dont l’oeuvre interpelle autant les bien-pensants du socialisme libéral que les militants du Front de gauche aurait aussi pu intituler son livre les sept pêchés capitaux de la gauche.

JMDH

 * Ed. champs essai Flammarion.

La Marseillaise : 20/01/2014

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