Ayana
Le premier roman de Ayana Mathis aurait pu être un recueil de nouvelles, mais les personnages de ses courtes histoires d’inspiration autobiographique ont finalement trouvé une mère commune en la personne de Hattie. La jeune Hattie débarque à la gare de Philadelphie avec sa mère et ses soeurs en 1923. Elles fuient le Sud où sévit la ségrégation raciale en espérant profiter d’un bout d’horizon en Pennsylvanie.
L’histoire court sur plus d’un demi-siècle et trois générations. Hattie aura douze enfants. Ses deux premiers, des jumeaux, meurent dans ses bras d’une pneumonie, ce qui la marque en profondeur, mais Hattie poursuit sa vie. Elle va de l’avant, car elle n’a rien à voir ni à attendre. Toujours sollicitée, elle ne se retourne jamais.
Ce roman est empli d’amour. Il est aussi dur parce que cet amour s’éparpille face aux difficultés de la vie au point où l’on pense parfois qu’il a disparu. Mathis est une mère froide qui ne se fait pas d’illusion. Elle est comme une montagne, ou une île qui résiste aux tempêtes. Ses enfants en souffrent tout en sachant saisir le peu d’affection qu’elle préserve pour survivre dans un monde très imparfait.
« Aimer Hattie n’avait jamais été chose aisée. Elle était trop silencieuse, on ne savait jamais ce qu’elle pensait. Elle était constamment en colère et si dédaigneuse lorsque ses grandes espérance étaient déçues. »
La langue d’Ayana Mathis est poétique. L’auteur s’est inspirée de la vie de sa grand-mère. Elle a travaillé la prose et les nuances d’un parcours qui ne va pas de soi. Celui d’une femme noire et pauvre qui puise dans ses ultimes ressources et parfois dans la Bible. Le décompte des douze tribus d‘Hattie trouve ainsi une correspondance avec les douze fils de Jacob dans une version raciale toute américaine. Mathis s’est sans doute inspirée des allégories du Cantique de Salomon pour évoquer le rêve éveillé d’amour dans lequel elle baigne ses personnages.
« Peut-être n’avons nous qu’une certaine quantité d’amour à donner. Nous venons au monde avec notre portion, et si nous aimons sans être suffisamment aimés en retour, elle s’épuise. »
Les enfants d’Hattie comme Floyd ou Alice sont sentimentaux, très conscients d’eux-même et donnent parfois dans l’auto-sabotage, ou l’humour sardonique. Ils savent aussi sortir les griffes et puisent dans le parcours de leur mère comme dans un réservoir pour triompher de la souffrance endurée.
L’ombre de Toni Morrison dont l’œuvre (Nobel de littérature 1995) a marquée la communauté noire américaine, plane. Ayama Mathis signe une parabole saisissante qui évoque les failles traumatiques toujours présentes dans son pays.
Son livre fait entendre la voie de femmes blessées par les tensions raciales en Amérique.
Elle était invitée chez Sauramps fin janvier pour présenter et dédicacer son roman sans pathos et sans concession.
Jean-Marie Dinh
Les douze tribus d’Hattie Ayana Mathis, éd Gallmeister 23, 4 euros.
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