Le Rimbaud sur l’herbe que Max Rouquette* nous invite à quitter regarde loin dans la vallée, le chemin blanc. Le chemin , longue couleuvre endormie au beau milieu du songe des rouvières. Ces mots du grand poète occitan sont emprunts d’une grande force qui plonge dans le crépuscule d’une époque. Ils sonnent comme un adieu au monde rural d’autrefois. On les retrouve dans le beau coffret intitulé Rasim de Luna (Raisin de Lune) que vient d’éditer l’association Amistats Max Rouquette. Sous la houlette du clarinettiste Laurent Audemard qui avait rendu il y a deux ans à l’Opéra Comédie un vibrant hommage à l’écrivain, la célébration musicale de l’œuvre de Rouquette en occitan prend une nouvelle forme.
Ce ne sont pas moins de vingt et un poèmes qui viennent d’être mis en musique avec la participation des Manufactures Verbales, Jakès Aymonino, Jean-François Tisner, Nadine Gabrard, Marie-Anne Mazeau, le saxophoniste et flûtiste Henri Donnadieu, la contrebasse de Guillaume Séguron et le batteur percussionniste Denis Fournier. Un voyage plein d’émotion entre musique traditionnelle, jazz et poésie.
Aux antipodes d’une approche folklorique figée, les artistes qui ne renient aucunement leurs racines semblent s’être laissés entraîner. Portés par l’envoûtement des mots, (récités par Roland Pécout et François Fava) de la mélodie préexistante propre à la langue de Rouquette, faites d’évocations, d’odeurs naturelles, et de rites mystérieux, ils en restituent une création moderne et soutenue.
Jean-Marie Dinh
* Max Rouquette (1908-2005), est né à Argelliers, petit village des garrigues languedociennes, dans l’arrière pays montpelliérain dont il a célébré la splendeur solaire et douloureuse.
Rasims de Luna, Buda Music disponible chez les disquaires.
Film Documentaire: « Ici finit l’Italie » le belge Gilles Coton sur les traces de Pasolini
A partir du carnet de voyage « La longue route de sable » tenu par Pasolini lors de ses observations quotidiennes l’été 1959, Gilles Coton se lance sur les traces du poète et réalisateur en signant un éclairant road movie. Le film est une sorte de grand travelling sur la péninsule partant de Vintimille pour rejoindre Trieste par les côtes. D’étape en étape, Gilles Coton esquisse un portrait de l’Italie contemporaine ponctué de rencontres. Les perceptions d’artistes, de penseurs comme l’ancien maire-philosophe de Venise, Massimo Cacciari ou de gens du peuple viennent nourrir le voyage tout au long du périple. Le réalisateur nous entraîne jusqu’aux villages de bandits les plus reculés du Sud. Et les paysages de l’Italie d’aujourd’hui se révèlent toujours à la lumière des réflexions poético-philosophiques de Pasolini. Un parcours sensible, et critique sur la société d’un pays en pleine déliquescence morale.
C’est à l’écrivain Claudio Magris qui évoque notre incapacité à nous trouver dans le réel, et d’échanger naturellement avec l’autre, que revient le mot de la fin.
Michel Houellebecq a reçu lundi le Goncourt, le plus prestigieux des prix littéraires français pour lequel il était régulièrement cité depuis dix ans, pour son roman La carte et le territoire (Flammarion). «C’est une sensation bizarre mais je suis profondément heureux», a déclaré à la presse l’écrivain, attablé avec le jury du Goncourt dans une petite salle au 1er étage du restaurant Chez Drouant, à Paris, où le nom du lauréat est annoncé chaque année. «Il y a des gens qui ne sont au courant de la littérature contemporaine que grâce au Goncourt, et la littérature n’est pas au centre des préoccupations des Français, donc c’est intéressant.»
Mondialement célèbre et chef de file d’une nouvelle génération d’auteurs, Michel Houellebecq a toujours déchaîné les passions : vain provocateur névrosé pour les uns, génie absolu pour les autres. Depuis Extension du domaine de la lutte en 1994, l’auteur quinquagénaire, souvent qualifié de professeur de désespoir, décrit avec une froideur clinique la misère affective et sexuelle de l’homme moderne, sa solitude absolue. Mutique et dérangeant, il avait jusqu’ici habilement entretenu l’amour-haine des médias, avec un don inaltérable pour les polémiques.
Mais l’écrivain semble aujourd’hui assagi, mûri, moins provocateur, sans toutefois perdre sa vision acide du monde ni son ironie. Dans La carte et le territoire, salué par une critique quasi-unanime, Houellebecq éreinte l’art, l’amour, l’argent, les «people» et met en scène son assassinat, particulièrement sanglant. Il se caricature avec jubilation : il «pue un peu moins qu’un cadavre» et ressemble «à une vieille tortue malade», écrit-il de son double littéraire.
Don pour les polémiques
Pour Bernard-Henri Lévy, dont la correspondance avec Houellebecq a été publiée en 2008, «c’est quelqu’un de beaucoup moins mélancolique qu’on ne le croit, avec qui, moi, en tout cas, je ris beaucoup», affirme le philosophe. «Je m’inscris en faux contre son image de misanthrope. Il aime manger, il aime boire, il aime les femmes», assure BHL. «C’est un très grand écrivain qui veut juste avoir la paix», ajoute-t-il.
Né Michel Thomas le 26 février 1958 à La Réunion, selon sa biographie officielle, en 1956, selon d’autres sources, d’un père guide de haute montagne et d’une mère médecin, Michel Houellebecq est confié à six ans à sa grand-mère paternelle, dont il a adopté le nom. Il entretient un temps la fable de la mort de sa mère, Lucie Ceccaldi, qui, en 2008 dans L’Innocente (Scali), règle ses comptes avec lui. «Mon fils, qu’il aille se faire foutre par qui il veut, avec qui il veut, je n’en ai rien à cirer», écrivait cette femme à 83 ans. On comprend pourquoi les mères, et les femmes, n’ont jamais le beau rôle dans ses romans.
Traduit en 25 langues
En revanche, le père revient en force dans La carte et le territoire. «Il a voulu faire de sa vie un roman, une construction qu’il a magistralement réussie», explique Denis Demonpion, auteur d’une biographie non autorisée de Houellebecq. En 1980, le jeune Michel décroche son diplôme d’ingénieur agronome et se marie. Son fils Etienne naît en 1981. A la suite de son divorce, il fait une dépression nerveuse. Suivent le chômage, un job dans l’informatique, à l’assemblée nationale… En 1985, il publie des poèmes, puis une biographie de Lovecraft. Mais tout commence en 1994. Maurice Nadeau édite son premier roman Extension du domaine de la lutte, devenu un livre culte.
Le deuxième, Les Particules élémentaires, publié en 1998, est traduit en plus de 25 langues. Il se remarie la même année. Il a divorcé il y a quelques mois. Houellebecq se réfugie en Irlande où il rédige Plateforme (Flammarion 2001), consacré au tourisme sexuel. Il vit aujourd’hui entre ce pays et l’Espagne mais voyage beaucoup. La même année, il affirme dans une interview (tronquée, selon lui) au magazine Lire : «La religion la plus con, c’est quand même l’Islam». Scandale, procès, relaxe. Suit La Possibilité d’une île(Fayard, prix Interallié), autour du mouvement raélien, qui paraît en août 2005.
D’aucuns reprochent à Houellebecq de ne pas avoir de style. Mais «il y a une confusion entre style et hystérie verbale», assène l’écrivain. Le sien se veut celui de l’aveu, volontairement froid et objectif. Il goûte les descriptions encyclopédiques, piquées ça et là. Dans son dernier livre, il emprunte à Wikipédia, ce qui le fait suspecter de plagiat, critique qu’il juge ridicule, citant d’illustres prédécesseurs, Perec ou Borges.
Le nouveau roman de l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, lauréat du prix Nobel de littérature 2010 , sort opportunément en librairie dans les pays de langue espagnole le 3 novembre. Son titre : El Sueño del Celta (Le Rêve du Celte). Son héros : Roger Casement, un personnage (réel) exceptionnel. Consul britannique en Afrique, il fut le premier à dénoncer, dès 1908, les atrocités du colonialisme d’extermination (dix millions de morts) pratiqué au Congo par Léopold II, le roi belge qui avait fait de cet immense pays et de ses populations sa propriété personnelle… Dans un autre rapport, Casement révéla l’abominable détresse des Indiens de l’Amazonie péruvienne. Pionnier de la défense des droits humains, Casement, né près de Dublin, s’engagea par la suite dans les rangs des indépendantistes irlandais. En pleine Grande Guerre, partant du principe que « les difficultés de l’Angleterre sont une chance pour l’Irlande », il rechercha l’alliance de l’Allemagne pour lutter contre les Britanniques. Il fut inculpé pour haute trahison. Les autorités l’accusèrent aussi de « pratiques homosexuelles » sur la base d’un prétendu journal intime dont l’authenticité est contestée. Il fut pendu le 3 août 1916.
Le roman n’étant pas encore disponible, on ignore comment Vargas Llosa en a construit l’architecture. Mais nous pouvons lui faire confiance. Nul autre romancier de langue espagnole ne possède comme lui l’art de captiver le lecteur, de le ferrer dès les premières lignes et de le plonger dans des trames haletantes où les intrigues se succèdent, pleines de passions, d’humour, de cruauté et d’érotisme. Ce roman a déjà un mérite : tirer de l’oubli Casement, « l’un des premiers Européens à avoir eu une idée très claire de la nature du colonialisme et de ses abominations ». Idée que l’écrivain péruvien (pourtant hostile aux mouvements indigénistes en Amérique latine) partage : « Nulle barbarie n’est comparable au colonialisme, tranche-t-il dans le débat sur les prétendus “bienfaits” de la colonisation. (…)
D’origine camarguaise, Pierre Torreilles (1921-2005) est un résistant dans tous les sens du terme. Durant la guerre, il participe au maquis du Vercors. A la Libération, il s’installe à Montpellier où il crée la librairie Sauramps, du nom de son beau-père Henri Sauramps. Il se fonde une réputation internationale en tant que défenseur du livre. Ce poète du Sud poursuit le combat dans son œuvre avec la même exigence. Il attribue à la poésie une responsabilité ontologique que défendent aussi des poètes comme Reverdy, Salah Stétié, ou Yves Bonnefoy avec qui il entretient d’étroites relations tout comme avec les peintres Olivier Debré, Tal Coat, Louis Cordesse… Dans son travail, l’artiste traque la lumière et partage les recherches sur l’espace comme ses amis peintres. D’où cette écriture où l’espacement entre les mots, le silence des blancs fournissent les respirations du poème. Pour cette périlleuse recherche de vérité, l’œuvre de Torreilles sera comme celle de son ami René Char qualifié d’hermétique. « J’ai choisi le plus difficile. J’ai choisi de n’être pas compris. J’ai choisi d’être entendu seulement. »
« Heurtant l’être de l’apparence
Quelle innocence nous convie ?
Quand n’est plus ce que nous savions ?
Temps ouvert à l’éternité
Pur éveil sans mémoire (…)
Que veille cette enfance ? »
Paule Plouvier souligne la radicalité avec laquelle l’homme et le poète s’attache aux voies qu’il explore : « La poésie comme poésie de la poésie, critique du langage conceptuel, méfiance vis-à-vis de l’image, adhésion à une philosophie de l’origine. » En adepte de l’expérience extrême, Torreilles tente de s’approcher au plus près d’une vision absolue. Vision que Paule Plouvier situe chez lui « au confluent de deux courants de pensée dont la constance traverse l’œuvre, le courant hellénique et le courant judaïque. »
Jean-Marie Dinh
Pierre Toreilles Poète, édition L’Harmattan 17,5 euros