Dans le procès Vatileaks, l’Etat italien muré dans son silence

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Les deux journalistes italiens, Gianluigi Nuzzi (à droite) and Emiliano Fittipaldi (à gauche) sont jugés depuis le 24 novembre, avec trois autres personnes, pour « vol et divulgation d’informations confidentielles » devant le tribunal du Vatican. ALESSANDRO BIANCHI / REUTERS

Cela commence à s’entendre. Alors que deux journalistes, ressortissants italiens, sont jugés depuis le 24 novembre pour « vol et divulgation d’informations confidentielles » devant le tribunal du Vatican – dont la législation ne contient aucun article sur la liberté de la presse –, ni le premier ministre, Matteo Renzi, ni le Président de la république, Sergio Mattarella, ni aucun ministre n’ont émis à cette heure la plus petite protestation.

Les deux journalistes, Gianluigi Nuzzi et Emiliano Fittipaldi sont poursuivis pour avoir révélé, dans deux livres sortis le même jour (Chemin de croix, éd. Flammarion, et Avarizia, éd. Feltrinelli), les dessous pas très nets des finances en « quasi-faillite » du plus petit Etat du monde. Des informations obtenues par des sources internes au Saint-Siège, et non démenties.

Mercredi matin, au lendemain de la première audience, Gianluigi Nuzzi a envoyé un SMS ainsi rédigé au chef du gouvernement : « Président, le silence de tout le gouvernement sur un procès attenté à deux journalistes italiens dans un Etat étranger est surprenant ». « J’ai peut-être été arrogant, explique-t-il au Monde, mais j’ai senti que je devais le faire ». Aucune réponse ne lui était parvenue mercredi. « Ici, ce n’est pas comme en France, nous avait-il expliqué lors d’un précédent entretien. L’Etat n’est pas véritablement laïque. Nous avons le Vatican dans notre ADN. »

Dans un article publié par le quotidien La Stampa, Luigi La Spina trace un parallèle, « douteux » précise-t-il, avec la situation de deux fusiliers marins retenus depuis 2012 en Inde pour meurtre, et pour lesquels tous les gouvernements se sont démenés afin d’obtenir leur libération. « Pourtant, écrit-il, le sort de deux journalistes devrait alerter le gouvernement. » Cet appel aussi est resté vain, comme si personne au sein des institutions de la République italienne n’avait le courage de demander ne serait-ce qu’une explication pour ne pas froisser le Saint-Siège.

À ce jour, seuls les associations de journalistes, ou les directeurs de grands médias ont affiché leur solidarité avec leurs confrères poursuivis comme s’il ne s’agissait que d’une affaire interne à la profession. Mais à leur protestation s’ajoutent désormais celles des avocats italiens. En effet, Gianluigi Nuzzi et Emiliano Fittipaldi n’ont pu se faire assister par leurs défenseurs de confiance. Ils ont été contraints d’en choisir un parmi la petite liste des avocats autorisés à plaider devant les juridictions ecclésiastiques. Précision : ces derniers doivent être rigoureusement catholiques et de bonne réputation. Pour autant, ils n’ont pu avoir accès au dossier de leurs clients qu’à la veille de la première audience. « Nous avons épluché les pièces jusqu’à deux heures du matin », écrit Emiliano Fittipaldi dans le quotidien La Repubblica, où il tient la chronique de son procès.

On peut aussi lire dans son compte rendu ce petit aparté entre l’auteur de Avarizia et un de ses rares confrères accrédités, pendant une interruption d’audience : « Alors que je m’étonnais que, ici, les droits de la défense n’étaient pas respectés, un vaticaniste m’a remis en place : “Tu te trompes Fittipaldi, c’est un procès NORMALISSIMO !” Peut-être, mais je peux lire cependant un peu d’inquiétude sur le visage de mon avocat, habitué à ferrailler avec les juges de la Rote romaine pour faire annuler des mariages et défendre les auteurs de larcins dans le supermarché du Vatican. Cette fois, il s’agit d’une situation inouïe. »

Le procès reprendra lundi au rythme de deux audiences par jour s’il le faut. Tout doit être terminé quand commencera, le 8 décembre, le jubilé de la Miséricorde afin de ne pas brouiller le message du pape François. « Je me dis que si la justice italienne était aussi expéditive, écrit encore Emiliano Fittipaldi, il y aurait moins de procédures enlisées. Mais à tout prendre, je me demande si je ne la préfère pas encore à celle du Vatican. » Gianluigi Nuzzi et Emiliano Fittipaldi encourent une peine de quatre à huit ans de prison.

Philippe Ridet

Source Le Monde.fr

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Le Goncourt sacre Michel Houellebecq

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"La carte et le territoire"

Michel Houellebecq a reçu lundi le Goncourt, le plus prestigieux des prix littéraires français pour lequel il était régulièrement cité depuis dix ans, pour son roman La carte et le territoire (Flammarion). «C’est une sensation bizarre mais je suis profondément heureux», a déclaré à la presse l’écrivain, attablé avec le jury du Goncourt dans une petite salle au 1er étage du restaurant Chez Drouant, à Paris, où le nom du lauréat est annoncé chaque année. «Il y a des gens qui ne sont au courant de la littérature contemporaine que grâce au Goncourt, et la littérature n’est pas au centre des préoccupations des Français, donc c’est intéressant.»

Mondialement célèbre et chef de file d’une nouvelle génération d’auteurs, Michel Houellebecq a toujours déchaîné les passions : vain provocateur névrosé pour les uns, génie absolu pour les autres. Depuis Extension du domaine de la lutte en 1994, l’auteur quinquagénaire, souvent qualifié de professeur de désespoir, décrit avec une froideur clinique la misère affective et sexuelle de l’homme moderne, sa solitude absolue. Mutique et dérangeant, il avait jusqu’ici habilement entretenu l’amour-haine des médias, avec un don inaltérable pour les polémiques.

Mais l’écrivain semble aujourd’hui assagi, mûri, moins provocateur, sans toutefois perdre sa vision acide du monde ni son ironie. Dans La carte et le territoire, salué par une critique quasi-unanime, Houellebecq éreinte l’art, l’amour, l’argent, les «people» et met en scène son assassinat, particulièrement sanglant. Il se caricature avec jubilation : il «pue un peu moins qu’un cadavre» et ressemble «à une vieille tortue malade», écrit-il de son double littéraire.

Don pour les polémiques

Pour Bernard-Henri Lévy, dont la correspondance avec Houellebecq a été publiée en 2008, «c’est quelqu’un de beaucoup moins mélancolique qu’on ne le croit, avec qui, moi, en tout cas, je ris beaucoup», affirme le philosophe. «Je m’inscris en faux contre son image de misanthrope. Il aime manger, il aime boire, il aime les femmes», assure BHL. «C’est un très grand écrivain qui veut juste avoir la paix», ajoute-t-il.

Né Michel Thomas le 26 février 1958 à La Réunion, selon sa biographie officielle, en 1956, selon d’autres sources, d’un père guide de haute montagne et d’une mère médecin, Michel Houellebecq est confié à six ans à sa grand-mère paternelle, dont il a adopté le nom. Il entretient un temps la fable de la mort de sa mère, Lucie Ceccaldi, qui, en 2008 dans L’Innocente (Scali), règle ses comptes avec lui. «Mon fils, qu’il aille se faire foutre par qui il veut, avec qui il veut, je n’en ai rien à cirer», écrivait cette femme à 83 ans. On comprend pourquoi les mères, et les femmes, n’ont jamais le beau rôle dans ses romans.

Traduit en 25 langues

En revanche, le père revient en force dans La carte et le territoire. «Il a voulu faire de sa vie un roman, une construction qu’il a magistralement réussie», explique Denis Demonpion, auteur d’une biographie non autorisée de Houellebecq. En 1980, le jeune Michel décroche son diplôme d’ingénieur agronome et se marie. Son fils Etienne naît en 1981. A la suite de son divorce, il fait une dépression nerveuse. Suivent le chômage, un job dans l’informatique, à l’assemblée nationale… En 1985, il publie des poèmes, puis une biographie de Lovecraft. Mais tout commence en 1994. Maurice Nadeau édite son premier roman Extension du domaine de la lutte, devenu un livre culte.

Le deuxième, Les Particules élémentaires, publié en 1998, est traduit en plus de 25 langues. Il se remarie la même année. Il a divorcé il y a quelques mois. Houellebecq se réfugie en Irlande où il rédige Plateforme (Flammarion 2001), consacré au tourisme sexuel. Il vit aujourd’hui entre ce pays et l’Espagne mais voyage beaucoup. La même année, il affirme dans une interview (tronquée, selon lui) au magazine Lire : «La religion la plus con, c’est quand même l’Islam». Scandale, procès, relaxe. Suit La Possibilité d’une île (Fayard, prix Interallié), autour du mouvement raélien, qui paraît en août 2005.

D’aucuns reprochent à Houellebecq de ne pas avoir de style. Mais «il y a une confusion entre style et hystérie verbale», assène l’écrivain. Le sien se veut celui de l’aveu, volontairement froid et objectif. Il goûte les descriptions encyclopédiques, piquées ça et là. Dans son dernier livre, il emprunte à Wikipédia, ce qui le fait suspecter de plagiat, critique qu’il juge ridicule, citant d’illustres prédécesseurs, Perec ou Borges.

AFP

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La Candeur de Cheng

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« Une œuvre d'art demande toujours à être révélée. » dr

Le petit homme subtil qui se fraye un passage dans un auditorium bondé à craquer a gardé toute sa candeur. Ce qui est assez rare pour un académicien. Il vient pour parler de son dernier livre « Pèlerinage au Louvre ». Au premier abord on se dit que cet ouvrage occupe une place un peu particulière dans l’œuvre de cet l’écrivain né en Chine en 1929, arrivé en France en 1948 et naturalisé en 1971. Peut-être est-ce lié aux origines de l’auteur, à son statut d’amoureux des lettres… à son regard singulier sur l’art.

Il explique sans ambages comment lui est venu le goût pour l’art occidental. Un choc au contact des œuvres de la Renaissance, lors d’un voyage en Italie dans les années 60. Cela l’a conduit dit-il, à devenir un pèlerin de l’Occident, à courir les musées d’Europe et d’Amérique dans une quête spirituelle. Car la peinture est à ses yeux un volet des plus incarnés des arts spirituels. C’est pour cela qu’il a accepté de constituer son propre parcours au sein de qu’il nomme le sanctuaire du Louvre. « On dit que la peinture est un art visuel. En réalité non, c’est un art du temps. Un tableau contient le temps vécu du peintre qui y a mis son âme. » Le livre nous invite à redécouvrir les différentes écoles européennes de la peinture sous son éclairage sensible. Ce spécialiste de l’esthétique chinoise révèle notamment des ponts insoupçonnés entre l’orient et l’occident dans son approche des peintres de la Renaissance. Il rappelle aussi que loin des stéréotypes, la beauté demeure une conquête de l’esprit. « Il faut toujours regarder un tableau comme si on était au matin du monde. »

Pèlerinage au Louvre, édition Flammarion 25 euros

« Une œuvre d’art demande toujours à être révélée. »

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