Brassens maître de la world

Compile. « Echos du monde » le poète chanteur essaime à travers le monde.

Où l’on découvre qu’en dépit de conditions climatiques détestables, les amoureux nippon se bécotent sur les bancs publics, qu’à Cuba comme à Sète on songe avec la même envie aux passantes aperçues au détour d’un chemin… Où l’on constate que la mauvaise réputation peut vous coller à la peau de Panam à la Réunion. Brassens, Echos du monde * nous fait traverser les frontières et les époques en compagnie de l’artiste.

L’éclectisme de cette compile procure beaucoup de plaisir, poétique et moqueur. Les mots de Georges passe de bouche en bouche, Nina Simone, Danyel Waro, Carina Iglecias… on les retrouvent dans la clarinette de Sydney Bechet, ou dans la version trash des impénitents Tueurs de la lune de miel. Du rétro à l’electro, passée à la moulinette de la grande sono mondiale, l’œuvre universelle offre à la jeune génération, l’occasion d’y accéder. Conçu par Emile Omar, programmateur de Radio Nova, le CD se présente sous forme d’un digipack où est inséré une affiche, dont est inspiré la pochette, illustrée par Lewis Heriz.

On n’a pas fini de disserter savamment sur le sens d’une œuvre qui a marquée le XXe siècle. Ce disque propose une simple contribution, juste  un bout d’histoire musicale « pour donner envie aux néophytes de  passer  la barrière en se replongeant dans l’œuvre incroyable de Brassens, et notamment de ses textes. »

Quand l’on sait mourir pour des idées, on la trouve  excellente celle de cette compilation qui rappelle l’envergure internationale du bonhomme trente ans après sa mort. On aurait pu mourir de ne l’avoir pas eue cette galette, alors quand on la tient, on y plonge, heureux comme Ulysse.

Jean-Marie Dinh

Brassens, Echos du Monde, Fanon Records, distribué par l’autre distribution. Présentation de l’album aujourd’hui à 18h Hôtel de Paris à Sète.

Voir aussi : Rubrique Musique, carton plein de sons, rubrique Poésie,

Adaptation de l’œuvre de Lobo Antunes. Demande de mutation

Madame monsieur,

nous vous invitons à porter une attention particulière à la présente note interne qui s’avère importante pour le bon fonctionnement de nos services en vertu de l’application des dernières circulaires ministérielles destinées à guider le débat sur l’identité nationale. L’affaire concerne la transcription des actes d’état civil du célèbre écrivains portugais Lobo Antunes.

L’agent en charge de ce dossier, un certain Georges Lavaudant, n’a visiblement pas respecté son contrat ni les règles d’usage les plus élémentaires. Est-il pensable de ne pas valoriser la nationalité portugaise de l’artiste ? Dans cette pièce incompréhensible, on entend même Antunes dire qu’il se sent angolais, vous imaginez ?

Cette pièce ne veut rien dire. Elle traverse sans respect chronologique, ni esprit de contradiction l’œuvre subversive de l’auteur, et  rend compte à l’aide de tableaux fort suggestifs de son univers malsain.

Tout cela manque vraiment d’ordre et le texte est bourré de contradictions. On parle de nos colonies, de la femme de l’auteur, on excuse les disfonctionnements mentaux de toute une génération. Il y a des scènes où l’honneur de nos glorieux soldats envoyés en Angola en prend un coup.

D’autres où l’on valorise la divagation des soldats livrés à eux-mêmes. Je ne m’explique pas  comment un médecin comme Antunes n’a pas compris qu’il devait soigner au lieu de perdre son temps à écouter les divagations de ses patients.

Le travail de cet homme qui se dit metteur en scène nuit gravement à l’efficacité de nos services administratifs et plus encore à l’intérêt général de notre nation. D’autant qu’il a fait appel à de jeunes comédiens du conservatoire de Montpellier auxquels il semble avoir injecté tout le poison de son âme.

Il faut voir sur scène la gravité de cette jeunesse. Les postures lascives des jeunes filles ne sont vraiment pas un exemple à suivre. L’effet s’intensifie encore avec la présence d’une voix puissamment évocatrice d’un activiste culturel dénommé Gabriel Monnet, encore un Français.

Nous étions déjà défavorable au montage de ce projet de spectacle pour aborder l’œuvre de Lobo Antunes. Malgré ses  origines bourgeoises, cet auteur s’applique à noircir tout ce qui fait l’honneur de notre beau pays, en dénonçant l’hypocrisie et le mensonge à l’endroit où se niche notre fierté historique.

Ce Lavaudant a beaucoup de peine à rétablir la réalité. Il se permet de prolonger les thèses d’Antunes en donnant un écho nouveau à son œuvre. C’est intolérable et véritablement dangereux dans un cadre de crise comme celle qui traverse actuellement notre nation.

En conséquence, nous vous demandons de prendre les mesures nécessaires pour le suspendre de ses fonctions dans les plus brefs délais. Une mutation au service des espaces verts pourrait être envisagée. Nous avons en ville de nombreux ronds-points où l’herbe folle et les œillets reprennent du terrain.

Jean-Marie Dinh

 

Il faut voir sur scène la gravité de cette jeunesse et les postures lascives des filles.


Etat civil : spectacle donné dans le cadre du Printemps des comédiens.

Antonio Lobo Abtune dernier ouvrage paru : Mon nom est légion , janvier 2011, éditions Bourgeois

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Festival,  Jean Varela « rassembler autour d’un projet artistique », rubrique Rencontre Gabriel Monnet,

Festival Voix vives : Le grand brassage poétique

 

Pour sa seconde édition sétoise, le festival Voix Vives tisse les passerelles entre le port languedocien et l’ensemble du pourtour méditerranéen. Cette liaison éphémère empruntée par les poètes de 33 pays provoque une confrontation avec les musiciens, acteurs et poètes français conviés à ce rendez-vous où l’art se décline en transversale. Le festival reçoit cette année Carole Bouquet, Marie Rouanet, Fanny Ardant, Marie-Christine Barrault, Arthur H, Juliette, Michel Bismut, Sapho, Combas…

Neuf jours durant, Voix Vives réinstalle l’échange entre la population sètoise et le vaste monde bleu qui la berce. L’espace qui s’ouvre revient aux origines. De tous temps, les terres du Mont St Clair ont servi de refuge aux navigateurs et d’inspiration aux artistes. Le festival  investit le quartier haut des pêcheurs et la proximité des côtes maritimes via une flotte de voiliers et de barques à rames où cohabiteront  poètes et passagers d’imaginaire. Il va sans dire que ce bouillonnement de sens et de lumière ravit les visiteurs de passage.

Les bouleversements à l’œuvre dans le monde arabe donnent à l’édition un attrait particulier. « Que signifie être poète aujourd’hui au cœur d’une géographie en mouvement ? », questionne Maïthé Vallès Bled. Une autre interrogation, plus pratique, occupe l’esprit de la directrice du festival : elle concerne l’obtention des visas de ses invités. On attend l’arrivée de 99 poètes étrangers, parmi lesquels la Palestinienne  Salma Khadra Jayyusi, le Syrien  Nourri Al Jarrah, l’Irakien  Salah Falk, l’Egyptien  Fathi Abdallah. L’Espagnol Antonio Gamoneda, la Portugaise Maria Joào Cantinho ou le Grec Georges Veltos feront résonner l’âme des poètes de l’Europe du sud sous le signe de la rigueur.

En 2011, il sera assurément moins question de la sempiternelle crise de la poésie que de la situation des poètes en temps de crise.

Jean-Marie Dinh

Voix vives Rens : 04 99 04 72 51

Voir aussi : Rubrique Poésie , rubrique Festival, Voix de la Méditerranée le contenu d’une union , Les mille feux d’une conviction poétique, rubrique Rencontre, Sapho, Amin Maalouf, Salah Stétié,

Yishaï Sarid : « J’ai pu voir à travers les yeux du héros »

 

Yishaï Sarid : « En Israël la politique est une histoire sans fin ». Photo Rachel Sion

 

Rencontre avec l’auteur israélien Yishaï Sarid au Festival international du roman noir à Frontignan.

Né en 1956 à Tel-Aviv, Yishaï  Sarid est le fils d’un député de gauche militant pour la paix. Son deuxième roman, « Le poète de Gaza » traduit de l’hébreu au printemps a été salué par la presse israélienne. Un ouvrage captivant qui  évoque la vie d’un agent israélien de la sécurité intérieure dont l’engagement contre les attentats terroristes le conduit régulièrement à s’exonérer les droits de l’homme. A l’occasion d’une mission, il croise le chemin d’une romancière israélienne et d’un poète palestinien. L’humanité de ces rencontres vient perturber son sens aveugle du devoir.

On est saisi par le rythme de votre thriller qui joue finement sur l’intensité émotive du personnage et on adhère tout de suite à votre style épuré. Quelle a été votre démarche du point de vue de l’écriture ?

« Je voulais me garder de l’émotion facile, éviter les stéréotype de situation. J’ai beaucoup travaillé pour épurer le style sans endommager le sentiment. Je me suis efforcé de restituer la façon dont mon héros parle et pense en restant proche de lui à un point où j’ai pu voir à travers les yeux du héros.

On suit cet homme dans sa vie de tous les jours avec ses difficultés familiales et professionnelles. Ce personnage n’a rien d’une brute. Il est cultivé, sensible et en même temps, il est animé d’un sentiment patriotique très fort qui joue presque contre lui…

En Israël la famille est très importante. Dans cette histoire, le personnage n’arrive pas à gérer cette situation. Quand il a fini son travail, il rentre chez lui mais ne parvient pas à s’adapter à une situation normale. Il est aspiré par son engagement qui lui fait perdre le contrôle de sa propre vie.

Le livre fait état d’une situation politique à l’égard de laquelle vous prenez une distance très mesurée.

Je ne voulais vraiment pas faire du roman un thème politique. Ce n’est pas intéressant, ce qui présente de l’intérêt c’est la dimension humaine. A travers les yeux du personnage principal, je regarde ce qui se passe en essayant de ne pas le juger parce que je pourrais très bien me trouver à sa place. En Israël, la politique est une histoire sans fin. Ce sont toujours les mêmes situations qui se répètent. Traiter de politique à travers la littérature ne sert ni la littérature ni la politique. Ce qui m’intéresse ce sont les conséquences d’une situation politique sur les gens. Cela peut d’ailleurs avoir un impact profond sur la conscience du lecteur.

Comment vivez-vous votre condition d’artiste israélien lorsque vous êtes à l’étranger ?

C’est assez variable. La situation diffère entre les Etats-Unis et l’Europe où la question palestinienne est posée de manière plus exacerbée. Moi je suis un homme de gauche, mais je me sens aussi patriote. De manière générale, quand on sort d’Israël on est considéré comme des ambassadeurs du gouvernement et quand on revient dans le pays on nous considère comme des opposants critiques… »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

 

« Le poète de Gaza », Actes-Sud, 20 euros.

 

Voir aussi : Rubrique LittératureAharon Appelfeld, rubrique Roman noir, les rendez-vous du FIRN, rubrique Israël, théâtre Karski mon nom est une fiction

Radio Clandestine :Quand le théâtre révèle un récit clandestin

Richard Mitou éclaire ceux à qui il s'adresse. Photo Marie Clauzade.

Printemps des Comédiens. La pièce d’Ascanio Celestini « Radio Clandestine » porte la mémoire d’une tragédie qui nous fait grandir.

En Italie le massacre des fosses ardéatines perpétré par les nazis à la fin de la seconde guerre mondiale est resté dans la mémoire des Romains comme l’événement le plus tragique de l’occupation allemande. Il peut se résumer ainsi :  le 24 mars 1944, en représailles à un attentat du mouvement des partisans en plein cœur de Rome, les Allemands ont exécuté 335 Italiens, résistants, Juifs communistes et simple passants.

L’œuvre qu’en a tirée Celestini s’inscrit dans le  théâtro-narrazione qui émerge au milieu des années 1990 comme une forme nouvelle de dramaturgie. Le théâtre récit emprunte la forme de narration aux monologues de  Dario Fo et l’engagement civique et politique à Pasolini.

Ainsi ce n’est plus le strict récit de l’événement, ni l’émulsion émotive et éphémère sur laquelle se fonde le commerce des gazettes qui retient l’attention. Mais l’invisible mémoire des gens simples. La partie orale de l’histoire que l’on découvre dans un théâtre sans  revers de manche. Un théâtre qui sortirait du spectacle pour venir taper sur votre épaule. Alors voilà, dirait-il : j’aimerais vous raconter quelque chose mais il faut que vous m’écoutiez un peu mieux. Dans cette version, l’histoire du massacre des fosses ardéatines arrive par le souffle du saxophoniste  ténor Gérard Chevillon. Un souffle qui traverse le temps qui nous sépare du 24 mars 1944 et efface l’espace symbolique entre scène et salle.

Autre version de l’histoire

L’acteur (Richard Mitou) entre seul sur scène. Il porte en lui le texte qui relate l’histoire collective et complexe d’une ville et de sa population. Cette histoire-là commence par le déplacement de la capitale à Rome. Elle explique comment les ouvriers sont venus du sud pour construire la ville. Elle conte leur relation au fascisme. Evoque l’occupation de Rome et la résistance confuse aux Allemands. Cette histoire passe par les fosses de l’ardéatines  mais ne finit pas au même endroit. Elle finit par le souvenir d’une radio gravée dans la mémoire d’une vieille femme toute petite qui incarne le peuple romain d’autrefois. Cette petite femme à qui l’acteur s’adresse est comme nous. Elle a survécu au drame et continue de vivre avec ses idées à elle.

Ce n’est plus la même histoire parce que l’acteur qui la raconte éclaire ceux à qui elle s’adresse. Le comédien les concerne. Son corps donne corps au récit, dans un espace urbain vidé par une averse. Cet espace d’après la pluie s’avère propice aux rencontres fortuites qui n’ont pas de place dans la grande Histoire.

Dag  Jeanneret signe une mise en scène dont la sobriété n’a d’égal que l’efficacité. Une élégante manière de s’émanciper du conflit dépassé qui occupe les esprits à chercher une hiérarchie entre la force d’un texte et celle d’une mise en scène. En pensant autrement le processus de création et en œuvrant pour un théâtre politique dépoussiéré, créatif, porteur d’espérance dans la capacité qu’il déploie à modifier notre regard et à trouver du sens.

Jean-Marie Dinh

Le texte est publié aux éditions Espaces 34

Voir aussi : Rubrique Festival, rubrique Théâtre, rubrique Italie, Portrait d’Italie, Draquila, l’Italie qui tremble , rubrique Histoire,