Pharmakos. Jouer du caractère informe du réel

Le thème du bouc-émissaire a servi de point de départ à cette étonnante création sensorielle. DR

Le thème du bouc-émissaire a servi de point de départ à cette étonnante création sensorielle. DR

Réjouissant goût du risque et de la création collective… Pharmakos par le Cie Moebius au Théâtre La Vignette

Le tragique est à notre portée. Pour l’appréhender, il suffit parfois de tendre la main. C’est l’expérience dans laquelle se lance la compagnie Moebius avec Pharmakos qui désigne aussi bien le remède que le poison. L’autre sens du terme renvoie à un rite de la Grèce antique au cours duquel on lapidait une victime humaine, après l’avoir promenée dans toute la cité, afin d’exorciser une menace.

Après s’être frottée aux mythes avec les Atrides et à Tchekhov, la jeune compagnie se lance dans l’écriture. Elle revendique un « non-théâtre », ce qui parait être un bon début bien que quelque peu insécurisant.

Cela commence par une fuite d’eau, qui a tout d’originelle. Autour de l’eau qui goutte s’agence un monde. Et le récit débute, distribuant les rôles à partir des identités en présence. La théâtralité minimum questionne la place des spectateurs dans l’affaire. Mais l’on se rassure en reprenant pied au fur et à mesure que l’organisation sociale se met en place.

Qu’importe après tout, si le modèle qui se dessine aboutit à des rapports interpersonnels violents. Il faut bien payer son accès au sens des choses. N’est-ce pas ce que nous ont enseignés les textes bibliques et avant eux les mythes ? On remercie secrètement la voix-off qui éclaire l’action et la souffrance des comédiens pour le secours spirituel qu’ils nous portent.

L’histoire prend enfin forme de manière intelligible dans le cadre d’un scandale politico-financier ourdi par une famille industrielle dont les membres répondent aux curieux nom d’Hérode, Salomé, et Hérodiade. On est dans un drame moderne… Mais à la fin, les choses déraillent à nouveau…

JMDH

Pharmakos sera donné au Théâtre  SortieOest le 13 et 14 avril prochain.

Source : La Marseillaise 02 01 2016

Voir aussi : Rubrique  Théâtre, rubrique Montpellier, rubrique Société,

Rodrigo Garcia : «Vivre joyeusement dans un monde détestable»

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Rodrigo Garcia : « Je suis profondément athée mais je pense que Dieu existe pour nous emmerder» Photo Marc Ginot

 

Deux ans après sa nomination à la direction du Centre dramatique national de Montpellier, l’auteur-metteur en scène hispano-argentin inscrit une ligne artistique qui renouvelle le paysage et les publics.

Réputé provocateur, Rodrigo Garcia considère aujourd’hui les controverses autour de son projet comme naturelles. Il évoque les fondements de son travail artistique qui bouscule la tradition du théâtre français, particulièrement «texto-centré», pour introduire une coexistence de formes et de pratiques qui se déploient sur le plateau. Un espace dans lequel l’esprit du spectateur serait l’ultime atelier dramatique.

A la mi-parcours de votre mission à la tête du CDN de Montpellier, on observe votre projet de manière contrastée. Le bon côté d’avoir nommé un artiste à cette fonction, c’est qu’il est contraint de rester fidèle à sa vision, contrairement à un directeur culturel qui sera par nature, plus poreux aux demandes de l’institution…

Cette porosité que vous évoquez est importante. Je dois tenir compte des attentes et en même temps, il m’est impossible de renoncer à mes idées. Je dois trouver un équilibre avec çà. Je ne peux pas être autiste. Ou du moins, je peux l’être dans ma création, mais pas dans ma programmation. Mes choix artistiques peuvent paraître radicaux si on les compare aux autres. Moi, je n’ai pas ce sentiment. La majorité de ce qui est programmé dans les CDN est radicalement conservateur, dans ce contexte, ma propre radicalité ouvre une fenêtre pour l’expression plurielle.

 

Quelle place occupe l’écriture dans votre quotidien ?

Je suis attentif à ce qui se passe, aux artistes. Mon écriture est liée à la littérature du corps qui n’est pas toujours ce que l’on croit qu’il est. Le corps et le texte sont sujets à d’infinis avatars. Dans la pièce de Marija Ferlin donnée ce soir *, on voit bien comment le chorégraphe est imprégné de la matière textuel.

 

Pouvez-vous évoquer la nature du jeu que vous entretenez avec vos comédiens, et l’importance qu’ils occupent pour monter le texte à la scène ? Ce ne sont plus vraiment des interprètes mais des créateurs…

Je connais mes comédiens depuis longtemps. Nous sommes ensemble depuis quinze ans. Cela facilite les choses et ça les complique aussi, parce qu’à un moment ma difficulté est de savoir comment je vais les surprendre. Je cherche à conserver une partie secrète. Lorsque nous travaillons, personne ne sait comment les choses vont finir ni où nous allons arriver. C’est un processus organique. J’injecte dans les corps et les corps absorbent, assimilent. Au fil des représentations le texte et la pièce prennent de l’épaisseur. Dans ma dernière création 4, en deux mois tout a changé alors que techniquement rien n’a bougé.

 

Le statut du texte se transforme sur le plateau…

Le texte est un problème fondamental du théâtre. Parce qu’il faut que les comédiens s’approprient des mots qui ne sont pas les leurs. Je rêve d’un théâtre complètement libéré. Ce ne serait sans doute pas la meilleure des choses… a minima, il faut que les comédiens soient d’accord. On travaille à tâtons.

 

Revendiquez-vous, comme Pasolini, le statut d’amateur ?

Amateur… Oui, ou plutôt chercheur. Pour moi, le mot professionnel est horrible. Cela signifie que tu détiens la règle. Moi je veux déconstruire pour découvrir ce que l’on peut faire avec nos limites. Et pourtant, je me répète. D’une pièce à l’autre les éléments sont les mêmes, je m’en rend compte avec le temps. C’est fatiguant de faire la même pièce depuis 27 ans.

 

Quand vous dites « Je ne supporte pas que l’on parle au public » cela lui confère de fait, une place active. Quelle rôle lui accordez-vous ?

Si vous m’aviez demandé cela avant la première de 4, je vous aurais répondu que cette place n’est pas majeure. Mais maintenant, j’ai conscience que cette place est très importante. La pièce provoque beaucoup de réactions auxquelles je n’avais pas pensé. Freud ou Lacan me diraient « tu le savais. Tu montres la folie .» Mais cela relève totalement de l’inconscient chez moi, comme la manière dont on vit sa vie quotidienne. Il y a des moments où les réactions des gens t’énervent. Parce que c’est toi qui t’exposes et que tu as peur. C’est normal. Le paradoxe c’est que quand les comédiens jouent mal, tu existes parce que c’est ton travail qui est en cause et quand ils sont dedans, tu ne sers plus à rien et tu disparais.

 

Vous n’attachez pas d’importance à la mise en scène de vos textes. Quel rapport entretenez-vous avec la notion d’oeuvre ?

Ce qui est écrit dans le livre m’appartient. La littérature est un récit de la pièce. Un metteur en scène qui travaille avec mon texte, pour moi, c’est un peu comme s’il le récupérait dans une poubelle. C’est étrange, mais je n’ai aucune curiosité pour les pièces auxquelles cela peut donner lieu.

 

Quel regard portez-vous sur cette première expérience à la tête du CDN de Montpellier ?

C’est une chose très importante dans ma vie. En tant qu’artiste on se regarde souvent soi-même. Cette fonction m’a ouvert à la société. Je regarde les autres artistes d’une autre façon. Je suis très attentif à la valeur de l’accueil. J’ai dans l’idée que cela relève de ma responsabilité. Pour moi, c’est une leçon d’humanité. Je suis heureux de voir les autres bien, et cela me fait plaisir. Au début ce n’était pas facile. Maintenant, je suis plus tranquille. J’accepte la controverse autour de mon projet et la conçois comme une chose naturelle.

 

Vous êtes vous fixé des perspectives d’ici 2017 ?

Rien de formel, je n’ai pas d’objectif précis. Je veux continuer à faire des propositions en relation avec les acteurs et les publics. Je conçois l’évolution dans un rapport dialectique.

 

Faire du théâtre au présent, est-ce travailler dans l’incertitude ?

Faire du théâtre aujourd’hui, c’est trouver la matière et l’envie de vivre joyeusement dans un monde détestable et difficile. Je suis profondément athée mais je pense que Dieu existe pour nous emmerder. Grâce à ces problèmes, je fais le théâtre que je fais.

 

Recueillli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 25/01/2016

Voir aussi : Rubrique Théâtre, Des idées pour renouveler le théâtre à Montpellier, rubrique Politique culturelle, rubrique Danse,  rubrique Montpellier, rubrique Rencontre,

Festival Actoral. La révolution par l’écriture

Grinshorn & Wespenmaler

Grinshorn & Wespenmaler. Photo Mezli Vega Osorno

Actoral. Le festival des écritures contemporaines se clôture ce soir. Les blessures intimes deviennent des langues à hTh.

L’escale montpelliéraine du Festival Marseillais Actoral dédié aux écritures contemporaines se conclut ce soir à hTh avec le poète sonore Anne-James Chaton et l’artiste de musique électronique Alva Noto dans le cadre de Analogie / digital. Flaubert, Jules Verne, mais aussi Descartes, Napoléon, Freud… sont convoqués à prendre un sacré coup de jeune.

Cette soirée clôture un festival captivant que l’on doit à la passion tenace d’Hubert Colas pour les écritures contemporaines. Depuis le 14 janvier le CDN est une terre d’aventure où se croisent des artistes d’horizons différents qui ont pour point commun d’être en prise avec de nouvelles formes de langage. « Ce ne sont pas des artistes doucereux qui viennent à Actoral », avait prévenu Hubert Colas. Il n’a pas menti.

A l’instar du drame patriotique international Grinshorn & Wespenmaler de l’autrichienne Margret Kreidl mis en espace par Marlène Saldana et Jonathan Drillet qui rend un vibrant et décalé hommage à l’Autriche d’Haider, le leader bronzé de l’extrême droite autrichienne, qui trouva la mort en sortant d’un club gay, ivre au volant de sa Volkswagen Phaeton.Le public qui est venu pour découvrir, perçoit et participe au rapport délicat entre la création et le monde insensé dans lequel il vit. En pleine dérive extrémiste, l’absurde reprend du poil de la bête.

L’inhumanité ordinaire

La société hyper sécurisée et tellement insécurisante inspire les artistes d’aujourd’hui qui baignent dans cette inhumanité ordinaire. Tous les domaines artistiques, sont concernés et notamment la littérature contemporaine. On a goûté au rationalisme irrationnel de Thomas Clec qui met trois ans à parcourir les 50 m2 de son appart parisien pour faire de l’autofiction un inventaire politique (Intérieur ed. L’arbalète/Gallimard).

On a zoomé avec Camera (ed, Pol) d’Edith Azam et sa véhémence nerveuse qui se rend à l’évidence du désespoir et n’existe que par la résistance du langage. On a entendu par les yeux et l’émotion le manifeste physique et tragique du jeune danseur chorégraphe croate Matija Ferlin. Ces rencontres surprenantes entre auteurs, metteurs en scène, chorégraphes, et publics se sont croisés dans l’espace de manière inédite, inspirant d’innombrables prises de positions.

Elles sont ce qui émerge. L’exceptionnelle tension et la passion qui en découlent demeurent le champ des appropriations de la langue. Cette approche des écritures semble découler de l’exploration de cet univers polémique dans lequel chacun se sent investi d’une mission, celle du CDN semble en tout cas bien ravivée.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 22/01/2016

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Politique culturelle, rubrique Livre Littérature française, rubrique Danse,  rubrique Montpellier,

God save Bernhard

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Théâtre. Elisabeth II, le comique cruel mis en scène par Aurore Fattier.

Le souffle inépuisable de l’increvable Herrenstein, un richissime marchand d’armes à la retraite sied merveilleusement à Denis Lavant qui ne révèle sa souplesse physique qu’au salut final. Le reste du temps, il use de son agilité verbale pour exprimer dans une langue concise et un corps estropié, le monde du récit de Thomas Bernhard, c’est-à-dire le pire des mondes possible, où la vie n’est qu’une maladie mortelle.

Aurore Fattier livre une mise en scène aussi dépouillée qu’efficace en tirant parti de la dimension éminemment comique de la situation à partir d’un travail corporel singulier. Le couple masochiste Herrenstein/Richard (son majordome) est captivant et très drôle.

Le vieil homme qui conserve sa vitalité en crachant son venin sur ses congénères n’est pas sans rappeler notre génération botox. Et le gratin viennois qui doit débouler chez lui pour assister de son balcon à l’événement « people » du jour, reste totalement d’actualité.

Ecrite en 1987, Elisabeth II est l’avant-dernière pièce de Thomas Bernhard. Dans La Place des Héros, qu’il écrit l’année suivante on entend qu’« il y a aujourd’hui plus de nazis à Vienne qu’en 1938 » ce qui fit évidemment scandale.

Mais qu’est-ce d’autre que cet impérieux besoin de dire la réalité que l’on aime chez Bernhard ? D’une certaine façon, rien n’a vraiment changé entre 1938 et aujourd’hui. Et ce n’est pas les marchands de canons qui peuvent dire le contraire…

JMDH

Source La Marseillaise 13/01/2016

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Le théâtre de la Vignette affirme son identité artistique

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Politique culturelle. Le théâtre universitaire devient Scène Conventionnée pour l’émergence et la diversité. L’Université Montpellier 3 s’affirme lieu de culture.

L’année 2016 débute bien au Théâtre de la Vignette qui vient d’obtenir le titre de Scène Conventionnée via la direction des affaires culturelles. « Les conventionnements correspondent à un programme spécifique, ils contribuent comme les CDN et les Scènes nationales à l’aménagement culturel du territoire explique François Duval, le conseiller Drac Languedoc-Roussillon Midi Pyrénées qui travaille désormais de concert avec son homologue à Toulouse.

« La Drac accompagne le Théâtre de la Vignette depuis sa phase d’étude en 2002. Elle a soutenu la transversalité entre la culture et l’Enseignement supérieur et la Recherche. Ce conventionnement consacre l’attention que porte le théâtre à la création en région et l’exigence de ses choix.» Cette identification s’attache au projet et à la programmation qui ont permis l’émergence d’artiste comme Marie- José Malis qui dirige le CDN La Commune à Aubervilier au côte de Fréderic Sacard, ou la metteur en scène Marie Lamachère.

Le directeur de La Vignette Nicolas Dubourg identifie pour sa part «l’émergence » à une double notion. « Celle de la confiance que l’on doit apporter aux jeunes créateurs en terme de co-production, de programmation et de suivi, et celle de l’attention portée aux nouvelles formes et aux nouveaux langages du théâtre contemporain.» Concernant la diversité, il évoque « l’élargissement des horizons à l’échelle nationale, internationale et notamment européenne », ainsi que l’ouverture artistique à des formations issues de différents parcours.» La Vignette qui doit beaucoup aux deux mandats non reconductibles de la Présidente Anne Fraïsse, tient à être un lieu de formation et de mise en réseau par son inscription dans les réseaux professionnels.

Si le conventionnement est pluriannuel, la dotation de l’Etat n’évolue que très sensiblement. Mais l’affirmation de cette identité artistique et du projet dans sa cohérence, inscrit durablement le théâtre dans le paysage du spectacle vivant. Il se prépare ainsi à renforcer et développer les coopérations dans le cadre de la nouvelle région.

JMDH

Source La Marseillaise

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