Angoulême 2015: «L’arabe du futur» de Sattouf obtient le Fauve d’or du meilleur album

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Tout à Charlie, l’ambiance n’était pas vraiment à la remise de prix au Festival international d’Angoulême, ce dimanche après-midi. Mais les phylactères ne s’arrêtant jamais, elle a finalement eu lieu, avec en ouverture un discours de Fleur Pellerin. Sans surprise, la ministre de la Culture a annoncé qu’il fallait se battre pour la culture, la BD, la liberté d’expression, le dessin de presse, les gens, la vie et les Lumières, mais elle s’est bien gardée de prendre position sur la question de la réforme inquiétante des retraites des auteurs.

La remise des prix a consacré une nouvelle fois Riad Sattouf. Déja récompensé en 2010, il a obtenu le Fauve d’or du meilleur album pour l’Arabe du futur, tome 1 (Allary Editions). Le réalisateur et dessinateur de Charlie Hebdo, notamment, y raconte sa jeunesse, en Libye, en Syrie et en France. Comme toujours avec Riad Sattouf, c’est extrêmement bien raconté, actuel, et souvent drôle. A travers la figure de son père, professeur, il se demande, en creux, qu’est-ce qui a échoué pour que la construction optimiste de «l’arabe du futur» se termine, 35 ans plus tard, en guerres sanglantes.

Pour le jury d’Angoulême, c’est un choix sans risque, porté par l’actualité nationale et internationale, ainsi que par la personnalité médiatique et sympathique de l’auteur. Il y avait, peut-être, dans la sélection, des albums plus intrigants, perturbants, changeant notre manière de voir la BD, comme Panthère de Brech Evens, Calavera de Charles Burns, ou évidemment, Building Stories de Chris Ware. Le récit à tiroirs et multisupports a reçu le prix «Spécial du jury», aka «c’est toi qui méritait le Fauve d’or mais c’est vraiment un peu trop bizarre et compliqué ton truc».

Les vieux fourneaux, Dargaud

Les vieux fourneaux, Dargaud

Le prix du Public a été décerné aux Vieux fourneaux (Dargaud) de Wilfrid Lupano et Paul Caueet, l’histoire amusante et attachante d’un trio de septuagénaires qui se lance dans un dernier road trip sur fond de lutte des classes et vieilles blessures intimes. Très émus, Bastien Vivès, Balak et Mickaël Sanlaville ont reçu le prix de la série pour Lastman.

A signaler, la chouette revue sociale et utopiste Dérive urbaine qui a reçu le prix de la Bd alternative.

Jeudi avait déjà été remis le Grand Prix à Otomo, le créateur d’Akira, ainsi que des prix découvertes pour des jeunes auteurs. Un Grand Prix spécial a été décerné à Charlie Hebdo pour l’ensemble de son œuvre, et, dimanche, dans la foulée, le premier prix de la liberté d’expression a été remis aux dessinateurs assassinés. Le dessinateur Blutch, venu sur scène récupérer le prix, a rappelé que «nous la bourgeoisie éclairée, on a beau marcher en chœur, il s’est passé quelque chose de grave. Le mal est fait. Je m’excuse mes chers collègues, mais il n’y a pas de paradis. Vous êtes tous seuls. Il n’y a que ce que vous faites, que ce que vous dites.»

Quentin Girard

Toutes les récompenses sur le site officiel du festival.  

Source Libération 1/02/2015

Voir aussi : Rubrique Livres, BDEdition, rubrique Festival, Tardi en colère contre le festival d’Angouleme , Angoulême couronne l’Américain Bill Watterson,

 

 

Cinemed. Les courts témoignent de leur époque.

1101 PAGE13 104B P1 culture cinemed« Drag me » de Nikos Kellis 2014, 5,46mn. Photo dr.

Festival. La sélection de quarante courts métrages et d’une dizaine de films documentaires séduit le public très assidu du Cinemed.

Salle comble à l’Utopia pour le programme des six court métrages grecs. Jeudi, plusieurs dizaines de spectateurs n’ont pu assister à la soirée faute de places. Ils pourront se rattraper aujourd’hui : la programmation est rediffusée à midi salle Einstein.

Cet engouement pour les courts et moyens métrages ne se dément pas au Cinemed qui présente cette année une sélection de quarante films en provenance de tout le bassin méditerranéen sur les six cents reçus.

La sélection s’opère sur la qualité des images, celle du scénario et sur l’intention qui anime les réalisateurs. Pour beaucoup des élus sélectionnés au festival, la programmation à Montpellier leur permettra de poursuivre leur travail avec un soutien à la production pour leur futur film, court, moyen voire long métrage.

L’engouement du public cinéphile de Montpellier pour le court et les films documentaires (un peu sous représentés cette année) répond à plusieurs paramètres, à commencer par celui d’être informé. Les médias français, sont, on le sait, très sélectifs, dans le traitement  de l’information internationale, cela tant au niveau des zones géographiques prises en compte, que des angles choisis pour aborder les sujets, souvent limités et ethnocentrés.

Un regard comme celui du réalisateur égyptien Ahmed Nour, qui présente le documentaire très abouti Vagues dont le sujet questionne le quotidien de la population de Suez dans la société post-Moubarak, apporte une contribution historique et contemporaine à la compréhension, avec un sens affirmé de l’esthétique. La diversité des sujets, des lieux, et des formes figure parmi les  critères du public montpelliérain.

La manière dont le film d’animation de Nikos Kellis, Drag me, plonge dans la jungle urbaine et celle dont on suit l’engrenage dans l’extrémisme du jeune ouvrier Giorgos dans le court métrage Red Hulk d’Asimina Proedou offrent deux restitutions talentueuses de la violence sociale.

Si le court métrage donne de l’intensité aux émotions, il est aussi un lieu d’expérimentation et de découvertes. Par son exigence cinématographique et son ouverture, le festival Cinemed a au fil du temps permis d’aiguiser le regard du public et d’attiser sa soif de culture.  Il en redemande. Pourvu que ça dure !

 Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise L’Hérault du Jour 01/11/2014

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Montpellier, rubrique Festival rubrique Méditerranée, Grèce, Egypte,

Cinemed. Standing aside watching. Un retour aux sources d’Antigone

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Antigone révèle les tensions et le pouvoir corrompus qui paralysent. Photo dr

« C’est mon premier film. Je n’ai pas réalisé de court-métrage auparavant », confie Yorgos Servetas. Ce jeune trentenaire athénien signe Standing aside watching, un film qu’il plante au coeur de la province voisine de Thèbes pour évoquer la déliquescence actuelle de la société grecque. « On voit mieux ce qui se passe que dans une métropole. Les choses apparaissent de manière plus lisible. En province il y a moins de distance entre la population et l’autorité.»

Référence subtile à la tragédie grecque classique, le film met en scène une Antigone du XXIème siècle qui quitte la capitale pour retrouver les sources de sa ville natale. Petit village de bord de mer où elle pense endiguer ses problèmes économiques et renouer quelque peu avec le sens des choses. Elle arrive dans une ville fantôme, à commencer par la gare où un vieil homme assis qui pourrait tenir le rôle du coryphée, lui prédit une tempête à venir. Dehors les bâtiments sont couverts de graffitis et la forêt a brûlé.

Antigone trouve un job d’institutrice, retrouve ses amis Eleni, et Dimitri, et répond aux avances  du beau et jeune Nikos qui travaille à la casse. Mais la tension est perceptible et sa personnalité de feu va vite se révéler incompatible avec le monde rural qui s’est assombri depuis son départ.

Le village heureux d’autrefois a laissé place à la violence et à l’intolérance. Comme dans la pièce de Sophocle, elle s’oppose au tenant du pouvoir incarné par Nondas, le patron de la casse, un repris de justice qui exerce sa domination sordide sur la population avec la complicité du responsable de la police.

Le réalisateur use du parallèle entre la nature à l’abandon et la désespérance des habitants résignés qui permet à Nondas d’exercer le pouvoir paralysant sur leur vie. « Seuls les Pakistanais arrivent, d’ici on ne peut que partir », lâchera l’homme de la gare au départ d’Antigone. « Pour moi, il incarne l’ancienne bourgeoisie du berceau de laquelle naît le fascisme », signale Yorgos Servetas qui met à jour le thème de la rébellion morale et offre une vision renouvelée de l’austérité contemporaine.

JMDH

Source : L’Hérault du Jour La Marseillaise 31/10/2014

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Montpellier, rubrique Méditerranée, Grèce,

 

Garcia Berlanga maître de la comédie noire

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Hommage. Drôle et savoureux Luis Garcia Berlanga.

Dans le cadre de l’hommage qui lui est rendu cette année, on redécouvre avec plaisir l’oeuvre de Garcia Berlanga. Disparu en 2010, le réalisateur espagnol est à l’origine de ce que l’on a « baptisé » la comédie noire.

Son premier film Bienvenue M. Marshall voit le jour en 1952. Le récit narre l’histoire  des illusions puis des désillusions d’un petit village d’Espagne à propos de l’aide américaine tant attendue après-guerre. Avec un sens de la narration très humain, Berlanga manie le sens de la dérision comme un orfèvre.

Pour échapper à la censure franquiste le réalisateur a développé un style aux effets incisifs. Le traitement comique force volontiers le trait mais n’omet jamais le point de vue politique comme la collaboration contre nature entre Franco et les Américains durant la guerre froide. Sa plaidoirie contre la peine de mort dans le Bourreau et la dénonciation des petites lâchetés humaines, lui vaudront dix ans d’interdiction de tournage.

Une oeuvre drôle et toujours d’actualité.

JMDH

Placideau, vendredi 31 octobre à 19h Opéra Berlioz. Le bourreau, sam 1er nov à 14h, Opéra Berlioz.

Source L’Hérault du Jour 30/10/2014

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Cinemed. A bord d’une odyssée féminine

FX RosanvallonCompétition. « Fidélio, l’odyssée d’Alice », le premier long métrage de Lucie Borleteau privilégie la relation humaine.

Cette 36e édition du Cinemed donne une belle place aux jeunes réalisateurs et en l’occurrence aux réalisatrices avec le premier long-métrage de Lucie Moreau qui présente Fidélio, l’Odyssée d’Alice* en compétition pour l’Antigone d’Or. Née en 1980 à Epson en Grande-Bretagne, Lucie Moreau a travaillé avec Arnaud Desplechin et Claire Denis sur le scénario de White Matérial. Deux figures marquantes du cinéma d’auteur français dont le langage, un rien subversif, s’émancipe des contraintes pour réinventer ; l’antithèse, en somme, de Mélanie Laurent.

Après trois moyens-métrages, Lucie Moreau signe un superbe portrait de femme interprété par Ariane Labed qui a remporté pour ce rôle, le prix d’interprétation féminine du festival de Locarno. Ariane Labed coule dans son rôle de marin comme un poisson dans l’eau. Elle a surtout tourné en Grèce où elle vit actuellement. Encore peu connue en France, elle a déjà reçu la Coupe Volpi de la meilleure actrice à la Mostra de Venise en 2010 pour son rôle dans Attenberg, de la cinéaste grecque Athina Rachel Tsangari.

Vent nouveau

Alice, 30 ans est une mécanicienne confirmée qui embarque à bord du cargo le Fidélio pour remplacer un homme qui vient de mourir dans des circonstances non élucidées. Elle trouve dans sa cabine le carnet intime de son prédécesseur dont la lecture va résonner avec sa propre histoire.

Lucie Moreau tire habilement partie des contraintes d’espace et des conditions de tournage qui imposent à toute l’équipe de se soumettre au rythme du bateau. Ses images nous entraînent dans un rapport quasi organique avec l’embarcation, soutenu par un travail remarquable du son. Dans ce contexte, qui laisse du temps pour réfléchir et prendre du recul, la réalisatrice nous invite à suivre le voyage intérieur d’Alice. Un autre périple, prend forme à travers les moments de convivialité, de doute, de désir sexuel et de mélancolie amoureuse vécus par la jeune femme dans un univers exclusivement masculin.

Présente à Montpellier, Lucie Moreau évoque « le regard d’Alice sur les hommes » et le plaisir qu’elle a pris à filmer « leur charme et leur maladresse… » Une juste façon d’inverser la problématique que poserait une femme libre au milieu d’un équipage masculin. « Durant le tournage, j’ai aussi pris conscience de la dimension politique du film qui apparaît en toile de fond : la marine marchande est un champ d’expérimentation pour la mondialisation qui paye à qualification égale des salaires différents en fonction des nationalités.»

Dans l’Odyssée d’Homère ce sont les vents, parfois les lyres qui guident l’orientation du navire. Dans celle d’Alice, ce sont les sirènes du désir et de la bourse qui fixe le cap.

Jean-Marie Dinh

Source L’Hérault du Jour 30/10/2014

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Montpellier,

*Sortie le 24 décembre.