Conférence ; Le Monde et la Fnac décodent les grands sujets de société. Quelle forme doit prendre la revendication de l’émancipation des femmes ?
Mercredi à 17h30, le Mouvement de libération des femmes sera au cœur du grand débat de la Fnac avec la participation d’Isabelle Alonso, de Françoise Picq et de Juliette Joste. Trois auteures de génération différentes sont invitées à confronter leur point de vue autour de la question : « Quelle forme doit prendre la revendication de l’émancipation des femmes ? » Dans leur ouvrages*, elles portent des observations différentes sur l’évolution d’un mouvement et d’une volonté qui permet d’appréhender notre société dans son ensemble. Evoquer les luttes pour l’égalité et la pleine reconnaissance des femmes sur plusieurs décennies, c’est aborder les obstacles, les espoirs et les désirs d’hier pour les remettre dans une perspective contemporaine. Cette question éclaire notre contexte socio-économique dans lequel les femmes demeurent plus exposées à la précarité. Elle se pose aussi comme un enjeu d’actualité politique. Même si l’autonomie politique du Mouvement des femmes, revendiqué dans les années 70, semble aujourd’hui hors de portée. « Le MLF insistait sur la communauté de situation entre toute division entre le petit noyau initial qui engageait la lutte et celles au nom desquelles elle était menée » rappelle la chercheuse en science politique Françoise Picq. La forme nouvelle de l’émancipation pourrait bien tourner autour d’une refonte de l’identité collective. Reste à dépasser le féminisme historique et à en assumer un digne héritage.
Jan-Marie Dinh
* Isabelle Alonso, Maman ed Héloïse d’Ormesson. Françoise Picq Libération des femmes quarante ans de mouvement, ed Dialogue, Juliette Joste, Merci les filles, ed, Hors collection.
Ignacio Ramonet : « les personnes qui accèdent au contenu veulent être lus et écoutés » Photo David Maugendre
L’ancien patron du Monde Diplomatique dresse un état des lieux de la profession dans son livre « L’explosion du journalisme. Des médias de masse à la masse de médias ».
Théoricien de la communication et du journalisme, Ignacio Ramonet a dirigé Le Monde Diplomatique pendant vingt-cinq ans. Son dernier livre « L’explosion du journalisme » fait le point sur une profession en pleine mutation tout en dessinant les nouvelles tendances qui sont autant d’enjeux pour la démocratie.
Dans l’état des lieux que vous dressez du journalisme, on a le sentiment que la presse traditionnelle peine à s’adapter à la nouvelle logique de l’information ?
Avec ce livre, je me suis demandé où en est le journalisme. Quinze ans après le choc Internet, il n’y avait pas de synthèse critique de ce qui est en train de se passer. J’ai voulu mesurer la teneur du bouleversement. Pour cela, je me suis appuyé sur ce qui se passe aux Etats-Unis où le choc est très brutal. Dans la presse écrite, beaucoup de titres ont disparu, des dizaines de journaux sont en faillite. Les radios et les télévisions sont également concernées, et particulièrement les chaînes d’info en continu. La profession peine à s’adapter. Elle est en pleine transition.
A vous lire, on comprend que les médias se trouvent soudainement devant une remise en cause profonde de leur vocation. Pourquoi ne l’ont-ils pas anticipée ?
Les médias traditionnels font face à une double crise. Une crise économique qui fait suite à la crise financière et se répercute directement sur les recettes publicitaires devenues très importantes dans leurs ressources, et une crise identitaire qui remet en cause le modèle où ils se trouvaient en position de monopole de l’information dans la société. Les quotidiens généralistes continuent de pratiquer un modèle qui ne fonctionne plus face à la prolifération de nouveaux modes de diffusion de l’information, ce qui se traduit par une baisse des ventes.
Tous les médias disposent pourtant aujourd’hui d’une façade en ligne ?
Oui, et paradoxalement les internautes continuent majoritairement de se rendre sur les sites des médias considérés comme les plus sérieux. Le fait nouveau, c’est que les personnes qui accèdent au contenu veulent être lus et écoutés. Pour le Web, beaucoup de journaux ont développé des rédactions séparées avec des journalistes plus jeunes qui ont compris que l’information ne circule plus à sens unique. Actuellement au sein des rédactions, on assiste à un mouvement de fusion des services pour créer un écosystème où la culture des uns puisse imprégner la culture des autres.
L’émergence des experts que l’on retrouve sur les sites des journaux participe-t-il au pouvoir des technocrates ?
Les personnes qui ont une expertise interviennent de plus en plus sur l’actualité avec l’autorité de celui qui sait. Cela permet de disposer d’approches différentes. À cet égard, l’exemple de Fukushima est éclairant. En France ; les grands médias dominants nous on d’abord dit que ce n’était pas très grave et que cela ne nous concernait pas. Mais via le web, d’autres experts ont fourni une série d’éléments qui donnent une version bien différente.
Sur ce dossier, on constate à quel point l’information est occultée, minimisée et censurée y compris par le gouvernement japonais…
Tout est en effet réuni pour qu’on occulte les enjeux et qu’on retarde l’approfondissement du contenu par le blocage de l’information. Et en même temps, n’importe quel citoyen peut se rendre compte qu’un accident dans une centrale nucléaire n’est jamais local mais planétaire. Au moment où a eu lieu la catastrophe, il y avait 34 centrales en construction et 32 autres projets dans le monde. Pour un petit nombre de grandes entreprises, des centaines de milliards sont en jeu. Ce qui pousse à s’interroger sur la structure d’intérêt des médias de masse.
Chez les citoyens, la complicité médiatico-économique est à l’origine d’une perte de confiance. Les médias ne participent-il pas finalement à leur propre fin ?
Notre rapport aux médias se caractérise par le sentiment d’insécurité informationnel. Aujourd’hui les gens ont le sentiment que l’information n’est pas garantie. Cette perte de confiance est liée au fait que les médias renforcent les disfonctionnements du système libéral. Les grands groupes médiatiques ne proposent plus comme objectif civique d’être un quatrième pouvoir. Ce sont désormais les réseaux sociaux qui coordonnent une protection collective. Les médias se sont affaiblis, c’est pour cela qu’ils sont rachetés. Paradoxalement ce que démontre la puissance des médias n’est en réalité qu’une preuve de la faiblesse du pouvoir politique réduit par le pouvoir financier.
Vous vous prononcez pour une écologie de l’information ?
Dans les états démocratiques, nous débordons d’information. Mais cette information se trouve contaminée, empoisonnée par toutes sortes de mensonges, polluée par les rumeurs et la désinformation. Notre sensibilité à la rumeur n’est d’ailleurs pas normale. En théorie de l’information, on apprend que la rumeur se développe avec l’opacité…
Face à ce phénomène Julian Assange considère que la révélation d’infos brutes est devenue le seul recours. Partagez-vous ce constat ?
Assange dénonce la mort de la société civile défaite par la puissance du système financier. Pour lui les démocraties ne devraient pas craindre la libre diffusion des informations. Les grands journalistes en vue l’ont descendu parce qu’il révèle leur propre paresse. Pourquoi un journaliste devrait-il se taire quand un homme politique affirme une chose en public et son contraire en comité restreint ? Le problème d’une info brute est qu’elle doit être interprétée. C’est justement le travail des journalistes. Assange l’a reconnu en associant des grands journaux de référence à la diffusion des câbles diplomatiques.
Vous évoquez toute une série d’innovations qui ont réussi comme le journalisme non lucratif…
Plus les médias deviennent commerciaux plus le travail d’investigation disparaît. Dans les niches du web apparaissent de nouveaux sites d’information financés par des mécènes et beaucoup de citoyens qui font des micro dons pour répondre au besoin démocratique d’une presse libre. Je ne suis pas pessimiste sur le sort des journalistes. L’explosion de la profession offre aussi beaucoup d’opportunités.
Recueilli par Jean-Marie Dinh (L’Hérault du Jour)
L’explosion du journalisme, éditions Galilée, 18 euros
En abordant la problématique de la vieillesse sous l’angle du vieillir mieux, le dernier numéro du sociographe nous transporte au cœur d’un questionnement social de première importance. Il adjoint en outre à la problématique de la prise en charge de la vieillesse, la notion de qualité, qui tend à disparaître dans les discours politiques insérés dans le carcan idéologique budgétaire et comptable. « Le vieux », c’est toujours l’autre dans une façon d’exclure celui qui pourrait apparaître comme « en trop » dans un monde où l’autre est toujours envahissant, suspecté de puiser des ressources qui ne seraient pas inépuisables. Face à la pression démographique, à la finitude des ressources, à l’ampleur des dettes, au nombre de chômeurs, à la pression immobilière, à l’encombrement des routes… », souligne l’éditorialiste de ce numéro qui rappelle qu’on est toujours le vieux de quelqu’un.
Figure de repoussoir
Passé un certain âge, il est devenu bien difficile d’identifier le lieu où l’on est par rapport au lieu d’où l’on vient. Cette interrogation conduit à convoquer les concepts philosophiques de lieu, de temps, et de sens pour parler juste, à propos de la place sociale des personnes âgées tant celle-ci fait figure de repoussoir. Dans un monde qui porte la compétitivité comme valeur cardinale, les gens âgés sont socialement perçus comme déviants par rapport à des normes sociales basées sur la productivité, la jeunesse et l’autonomie. « Ces figures sont ainsi intériorisées, incorporées par les individus qui les subissent. Certains vont « préférer » le suicide tandis que d’autres s’enfuient dans la démence sénile alimentée par la perte de tout attribut identitaire positif », indique Laurence Hardy qui a coordonné le numéro.
En attendant la remise du rapport sur la dépendance en juin, Roselyne Bachelot confiait il y a peu son intime conviction en ces termes : « J’ai 62 ans, et j’ai toujours espéré avoir le droit de déposer chez un notaire un écrit autorisant mon médecin à mettre fin à ma vie si je devenais dépendante physiquement ou encore pire, cérébrale. » Loin de décourager les candidats au suicide, la ministre lance aussi quelques pistes afin d’améliorer la recherche d’une maison de retraite. Avec le prix comme principal indicateur. Et dans la foulée fleurissent dans la presse les palmarès des maisons de retraite sans évaluations fiables.
A contrario les travailleurs sociaux qui s’expriment dans le sociographe bousculent les représentations sociales négatives. C’est par la créativité que se jouent aussi la reconnaissance et la prise en considération des vieilles personnes, font valoir leurs regards croisés. Il s’agit de retrouver les traces laissées en soi par le passé, transformées par le temps, l’imagination.
Jean-Marie Dinh
Le sociographe n° 35 Vieillir vieux, vieillir mieux ? 10 euros, publié par L’IRTS du Languedoc-Roussillon.
Zone Artistique. La seconde édition du rendez-vous artistique se tiendra au parc Méric du 23 au 25 avril. Elle suscite une urbanité mixte dans la composition des publics et des expériences.
La ZAT, Zone Artistique Temporaire, dont la première édition s’est déroulée en novembre dernier, se déplace pour sa seconde édition dans le parc de Méric du 23 au 25 avril prochains. Manifestation culturelle innovante dans son concept, la ZAT s’articule dans le temps et dans l’espace urbain au fil des saisons et du tracé du tram pour proposer aux artistes et aux habitants de mettre la culture en partage dans l’espace public.
Politique culturelle
L’ambitieuse opération a pris le relais de Quartiers libres avec succès dans le quartier Antigone en 2010. La ville de Montpellier abonde financièrement pour conserver la culture au rang des priorités et assurer la gratuité de tous les spectacles (1). Sur trois jours le budget de l’événement printanier s’élève à 180 000 euros. L’adjoint à la culture Michaël Delafosse, qui porte la manifestation avec la conviction qu’on lui connaît, projette déjà cette forme particulière de l’exploration urbaine à l’horizon lointain de 2020 en adéquation avec la ligne 5 du tramway. Il recueillait hier, lors de la présentation de la 2ème Zat le soutien entier d’Hélène Mandroux par la voix de son premier adjoint Serge Fleurence : « La ville de Montpellier a toujours considéré la culture comme un facteur prédominant du développement. Un sondage récent place la culture comme un élément d’attractivité déterminant de la ville. Nous ne comptons pas nous endormir sur nos lauriers, raison pour laquelle nous continuons à innover. »
Relation environnementale
La célébration du printemps prévue lors du week-end de Pâques prendra une orientation bien différente que l’embrasement hivernal du quartier Antigone. Le choix du Parc du domaine de Méric, superbe propriété ayant appartenu à la famille du peintre Frédéric Bazille, offre l’occasion aux Montpelliérains d’envisager une relation avec la nature tout en demeurant dans leur cité : « une occasion de montrer que la ville de Montpellier agit sur les enjeux de l’environnement », glisse Michaël Delafosse. Durant la manifestation, la circulation sera limitée aux riverains. Une mesure très incitative à s’y rendre en tramway (2). Pour les personnes qui le souhaitent, un petit train-navette parcourra les 600 mètres de la rue Ferran jusqu’à l’entrée du parc.
Offre esthétique
Au-delà du marketing politique, sous la houlette de Pascal Le Brun-Cordier, un conseil artistique diversifié, composé d’acteurs culturels issus d’univers différents a travaillé sur une programmation conceptuelle forte dont les artistes se sont saisis pour mettre l’espace du domaine de Méric en récits. Attaché à la notion de désir des publics, le plan de médiation culturelle propose une ligne artistique subtile. Démarche approfondie que l’on perçoit dans le choix des artistes contemporains et accessibles, des formats, plutôt court, et des modalités d’interventions spécifiques. Un ensemble cohérent qui participe à une offre esthétique pertinente.
Propositions artistiques
Les vergers et l’écrin de verdure offerts par le domaine de Méric seront soumis durant trois jours à une tentative de greffes poétiques. On pourra y flâner du lever du soleil à son coucher. Dès 6h49, un petit déjeuner au soleil permettra d’observer les cocons du chorégraphe Patrice Barthès ou d’entendre au coucher Jean Boucault et Johnny Rasse dialoguer avec les oiseaux qui, paraît-il, ont ici l’accent du Sud. Plusieurs itinéraires sont proposés pour (re)découvrir notre rapport au monde et certaines vérités au contact de la nature. Avec Fugue / trampoline, la Cie Yoann Bourgeois interrogera le point de suspension, moment fugitif dans les airs. Le fougueux musicien Dimoné nous invitera à l’écoute du silence. Jordi Cardoner et la compagnie BAO raconteront les histoires du fleuve dont celle du Loch Lez. L’espace réel croisera l’espace virtuel dans un dialogue en temps réel avec les citoyens tunisiens. Rien ni personne pour nous obliger à marcher au pas. L’expérience sensorielle pourra se vivre dans les chaises longues disposées dans le verger des arbres rares où l’on écoutera contes et poésies en se faisant masser. Au total c’est une centaine de propositions plus surprenantes les unes que les autres, qui s’enchaîneront dans la douceur et le dialogue des arts pour satisfaire et éprouver notre envie de différence.
Jean-Marie Dinh
(1) Pour un certain nombre de propositions la réservation est obligatoire voir la programmation sur le site zat.montpellier.fr
(2)Ligne 2 – arrêt Saint-Lazare.
Jérôme Clément est venu présenter cette semaine à la Fnac son dernier livre « Le choix d’Arte » dans lequel il retrace l’histoire de la chaîne culturelle franco-allemande. Un ouvrage passionnant qui expose l’aventure originale d’une chaîne de télévision gérée comme une création.
L’idée émerge en France dans le contexte politique plein de désirs et de rêves qui faisait suite à la conquête de la gauche au pouvoir en 1981. Elle prend forme après les présidentielles de 1988 à l’occasion du sommet franco-allemand de Bonn. En actant politiquement la création d’une chaîne culturelle, le couple Kohl – Mitterrand affirme contre vents et marées l’importance de la culture et de l’audiovisuel pour le développement de l’Europe. Le projet voit le jour avant que le référendum de Maastricht n’envisage la monnaie unique, à quelques encablures de la chute du Mur qui va redessiner les lignes géopolitiques de la planète.
L’imaginaire européen
Durant vingt ans, Jérôme Clément fut l’artisan convaincu de sa mise en œuvre. Son livre est une contribution éclairante aux enjeux sous-tendus par la création et la construction européenne. La chaîne franco-allemande a participé à la construction d’un imaginaire européen commun tout en parvenant à conserver l’expression originale de chaque pays et le respect des artistes. On découvre à travers quelques épisodes croustillants que ce ne fut pas une sinécure. L’ex directeur d’Arte évoque avec humilité les obstacles, culturels, politiques, médiatiques, qu’il a vu se dresser face à ses propres ambitions et les moyens dont il a usé pour les contourner. L’affaire concerne les plus hautes sphères du pouvoir. La position de l’auteur est comparable à celle d’un ethnologue qui porte un regard distancié sur le milieu dans lequel il s’est immergé.
Homme de conviction
Au dîner qui fait suite au Forum Fnac un peu clairsemé qui s’est tenu mardi, Jérôme Clément ne semble pas affligé des ventes du livre qui démarrent doucement. « Cela a mobilisé beaucoup de mon énergie. Ecrire ce livre m’a permis de réfléchir à cette longue aventure et à en tirer les leçons. Il est bien reçu. Beaucoup de gens me remercient. Je crois que c’est un livre qui va s’inscrire dans le temps, non parce que j’en suis l’auteur, mais parce qu’il retrace une époque importante de notre histoire nationale et européenne, notamment sur le couple franco-allemand », analyse l’auteur avec une placidité qui masque une profonde détermination. Au cours du repas, on lui communique la teneur d’un débat contributif au programme du PS. « Je suis atterré par le peu de place qui est fait à la culture et à l’Europe dans le programme socialiste » commentera-t-il. Le 8 décembre dernier devant toute l’équipe d’Arte réunie à Strasbourg à l’occasion de son départ, Jérôme Clément a tenu à rappeler publiquement qu’il ne pouvait y avoir de réussite sans profondes convictions. Les siennes se résument en trois mots : « engagement, audace, utopie. »