Un rapport professionnel de plus en plus complexe

Dans son numéro de septembre, la revue de l’Institut régional du travail social (IRTS L.R) ne fait pas que fêter ses 10 ans. Fidèle à une démarche située au carrefour de la recherche de terrain, de la réflexion et du témoignage, le numéro 30 du Sociographe se penche sur l’attachement idéologique présupposé de gauche des travailleurs sociaux pour le confronter à la réalité de leur fonction.

A l’heure où le mythe émancipateur de l’insertion s’écroule sous le joug de la politique libérale en disqualifiant la profession pour la renvoyer à de l’assistance, la question posée est plutôt d’actualité. Elle s’inscrit avec pertinence au moment où la politique de répression et de contrôle social rend les plus démunis responsables de leur propre échec. Sous-tendu par des valeurs de justice sociale, le travail social se retrouve de fait projeté comme un maillon du système de domination économique. Alors que faire ?

Les différents contributeurs mettent le doigt sur l’incertitude identitaire qui transparaît tant dans les définitions du travailleur social – dont les fonctions se caractérisent par des contours flous comprenant l’accompagnement, le contrôle, l’assistance, l’insertion, la rééducation, la médiation, l’action thérapeutique, le soutien juridique… – que dans celle, non moins incertaine d’être de gauche.

 » Sortir du romantisme de gauche « 

Vision paradoxale du travail social à la Maison Blanche, d'Emmaüs au Gouvernement Fillon.

Vision paradoxale du travail social à la Maison Blanche, d'Emmaüs au Gouvernement Fillon.

Tout attachement idéologique à une identité gauchiste condamne à l’immobilité, constate Dominique Depenne, qui invite  » à sortir du romantisme de gauche pour devenir acteur du politique.  » Sans offrir de prise politicienne, la ligne de front ne se situant pas toujours entre droite et gauche.  » Tant que le travail social relèvera de la catégorie politicienne, il ne sera rien d’autre qu’un moyen utilisable et utilisé, manipulable et manipulé à d’autres fins que les siennes.  » Le sociologue prône un retour vers l’impulsion première dans la rencontre avec l’autre. L’évolution indispensable du travail social n’est pas condamnée à céder aux sirènes du libéralisme, précise Pierre Savignat. Pierre Boiral souligne, lui, l’inversion des priorités, en précisant que le travailleur social n’a pas aujourd’hui qu’une fonction d’assistance.  » Il a aussi, nécessairement, celle de créer de l’activité économique dont les destinataires réels, les bénéficiaires, ne sont pas les assistés. « 

Le travailleur social ne peut pas être  » de gauche  » lorsqu’il intervient auprès des publics en difficultés. Le travail social doit promouvoir une vision indépendante, défend Philippe Roppers.  » Il convient de promouvoir et de soutenir dans le respect d’une éthique susceptible de structurer des libertés de penser et d’agir. Et cela, ce n’est être ni de droite, ni de gauche. « 

Jean-Marie Dinh

Le travail social est-il de gauche ? Le Sociographe, septembre 2009, 10 euros, disponible en librairie ou via www.lesociographe.org

Voir aussi : rubrique société, la question religieuse dans le travail social,


Le roman noir au féminin

Anne Secret « Le récit ne donne pas les clés ». Photo Hermance Triay

Intéressant autant que vaste, le thème « La frontière » du Festival international de Roman noir, permet d’aborder la question du genre dans le polar. Un aspect transversal que l’on retrouve chez les auteures invitées quelques soient leurs origines.

Dans son premier roman l’iranienne, Naïri Nahapetian ausculte les arcanes du pouvoir autant que la société iranienne. La jeune auteure se plait à dévoiler l’envers du décor, en pointant les espaces de liberté des femmes. Un de ses personnages principaux s’inspire de la vie réelle d’une politicienne qui a tenté à deux reprises de présenter sa candidature aux présidentielles. « En Iran, les femmes sont en première ligne, y compris dans la politique où elles mènent campagne au grand jour et exercent une réelle influence sur l’électorat, » indique-t-elle.

Plus à l’Est, Than-Van Tran-Nhut fait revivre la civilisation vietnamienne du XVIIe siècle à travers les enquêtes du mandarin Tân (Philippe Picquier) et laisse percevoir le rôle prépondérant des femmes qui transcendent la notion de devoir héritée du confucianisme. « Dans mes livres, les femmes apparaissent souvent en tant que personnages secondaires mais elles tiennent une place très importante dans l’organisation familiale et la gestion des affaires. Le Vietnam du XVIIe siècle, qui voit l’apparition de l’économie localisée, est marqué par l’apport de nouvelles techniques en provenance de l’Occident ou du Japon. Techniques à l’origine d’un changement profond de la société dans laquel les femmes ont joué un rôle majeur.

French Touch

Côté français, une nouvelle génération émerge. Jean-Christophe Brochier, responsable de la collection Roman noir au Seuil, observe que « les postures nouvelles occupées par les romancières se retrouvent en rapport de force avec les représentants masculins. On sait que les femmes lisent davantage que les hommes. Ce sont généralement elles qui achètent les livres. Et elles représentent, en France, 70% du monde de l’édition. »

Invitée du Firn, Karine Giebel met en scène un huis clos où un homme se retrouve, dans une cave, le prisonnier d’une femme assez perturbée. « Au départ il n’y avait pas de volonté féministe dans cette trame, confie Giebel, j’avais juste envie d’inverser le schéma classique : l’homme bourreau, la femme victime. C’est le suspens qui domine. J’essaie de faire en sorte que le lecteur s’attache aux personnages. Comme le prisonnier est un homme, on se demande comment il va s’en sortir parce qu’en général les hommes s’en sortent toujours… Mais les lecteurs ont aussi éprouvé une forme d’empathie pour la geôlière qui est plus pathétique qu’autre chose. »

Avec Les villas rouges (Seuil), Anne Secret ouvre une fenêtre sur la baie de la Somme et les paysage d’Ostende mais aussi sur la géographie intime de Kyra, personnage principal qui se retrouve lâchée en pleine cavale par son amant Udo. « Le récit ne donne pas les clés. Il évoque le côté opaque chez les gens. Kyra évolue dans un monde où beaucoup de choses lui échappent. Udo la manipule mais il est lui-même pris dans un cercle qui le dépasse. J’aime les personnages féminins des tragédies Grecques qui vont vers la mort les yeux ouverts.

Loin des habituelles images de femmes pulpeuses ou mystérieuses qu’ont pu nous renvoyer les polars d’autrefois, la nouvelle génération qui pointe écrit des livres porteurs d’absolu. Et ouvre sur une forme d’altérité féminine qu’il s’agit moins de s’approprier que d’accueillir.

Jean-Marie Dinh

« J’ai fait l’aérotrain »

" Il m'a demandé de lui fournir un manuscrit pour éponger ma dette." Photo DR

" Il m'a demandé de lui fournir un manuscrit pour éponger ma dette." Photo DR

Que nous réserve la lecture performance que vous préparez au Rockstore ?

« Je sais pas… Deux choses. Une expo de planches BD sur le Firn où je tente une explication oulipienne du festival et une lecture de mon texte  J’ai fait l’aérotrain.  Vous savez, les organisateurs me font faire des trucs pas possibles. Moi, je ne suis pas acteur ni dessinateur de BD. J’accepte parce que c’est dur de se faire inviter.

D’où vous vient cet amour du rail ?

Je suis fils de chef de gare. C’est de l’atavisme. Je n’ai pas le permis. Je ne voyage qu’en train ou à pieds. Un soir à Orléans, je me suis promené le long de la nationale sur le rail de béton de 18 km construit par l’ingénieur Bertin pour tester l’aérotrain. Dans J’ai fait l’aérotrain, je raconte cette histoire. C’est un vrai roman noir auquel j’ai ajouté quelques considérations psycho-géographiques et politiques.

Vous avez commis dernièrement « Une brève histoire du noir ». Quelle était votre approche ?

Pas du tout théorique. Je ne suis pas un théoricien. Dans le livre, je mets en opposition le roman noir et le roman policier. Je n’aime pas les policiers. Moins on les voit, mieux on se porte. Le roman noir est né dans les années 30 aux Etats-Unis. C’est un roman de critique sociale. Ce qui me plait.

Vous êtes un auteur prolixe, comment avez-vous débuté ?

J’ai jamais voulu écrire. On m’a forcé. En 81, je devais de l’argent à un type qui dirigeait une petite maison d’édition. Il m’a demandé de lui fournir un manuscrit pour éponger ma dette. Il se trouve que Sanguine est devenu l’éditeur le plus important de ce qu’on appelle l’école française du roman noir. Moi ça m’a amusé d’écrire, j’ai continué en signant chez Série noire. »


Une brève histoire du roman noir, L’œil neuf éditions 14,9 euros.

Les amoureux du noir se retrouvent au Firn

Roman noir. 40 auteurs débarquent de tous les horizons pour élire leur homicide au Firn de Frontignan où l’on dissèque l’idée de frontière…

Michel Gueorguieff le Président de Soleil Noir. DR

Michel Gueorguieff le Président de Soleil Noir. DR

Chaque année à la même époque, le festival international du roman noir de Frontignan (Firn) s’allume comme un phare de nuit pour hommes en danger. Une sorte d’antibiotique à large spectre, efficace pour tous ceux dont la chute libre ne sera pas entravée par un parachute doré. Le président de Soleil noir, Michel Gueorguieff, veille à la destinée du dispositif avec la sagesse d’un ange libéré. Encyclopédie vivante des livres obscurs au regard aiguisé, ce Diderot du roman noir tire d’une production inflationniste le meilleur du moment. C’est lui qui définit le thème et choisit les auteurs invités. Cette année, une quarantaine répondent au principe indéfectible de la manifestation, à savoir?: un dosage subtil entre auteurs émergents à découvrir et monstres du genre. L’esprit de la démarche fonde la réputation du festival y compris Outre Atlantique, où les auteurs d’envergure invités les années précédentes se passent le mot. Cette année les Anglo-saxons seront représentés à Frontignan par Don Winslow, Thomas H. Cook pour les Américains, et Russel James, Tom Rob Smith et Tim Willocks pour les Britanniques.

 

 

Identité forte et indépendante

 

« ?Le thème est la priorité des priorités. L’écrasante majorité des écrivains invités le sont en fonction du thème.? Au Firn, l’actualité est secondaire.  » Loin d’être anodin, ce choix est un gage d’indépendance. Ne pas s’acoquiner aux lumières artificielles de l’actualité signifie que le festival développe et assume sa propre voie. C’est ce qui le caractérise, avec sa longévité, parmi les 20 festivals de roman noir organisés en France.  » Nous prenons totalement en charge nos invités. Ce qui signifie que ce ne sont pas les éditeurs qui décident. Mais nous entretenons avec eux de très bons rapport. Tous les grands éditeurs sont passés au festival. Un certain nombre ont rencontré leurs auteurs américains ici.? »

 

 

Aux Frontières

 

« La frontière », le thème du 12e Firn qui se déroule du 22 au 28 juin. «  Le terme de frontière invite à s’ouvrir sur l’univers du noir et ses frontières culturelles. Nous accueillons cette année, Naïri Nahapetian, la seule Iranienne à écrire du roman noir, José Ovejero, un auteur espagnol marié à une Allemande qui habite à Bruxelles et aborde dans son dernier livre de manière très convaincante le passé colonial du Congo Belge. Nous accueillerons aussi la Vietnamienne Thanh-Van Tran-Nhut, à l’origine des enquêtes du juge Tan dans le Vietnam du XVIIe. Nous n’entendons pas seulement la frontière dans son sens physique et géographique, mais également dans sa dimension psychique, frontière entre folie et raison, frontière juridique: entre la loi et l’illégalité, l’ordre et le désordre, avec des auteurs comme Claude Mesplède, Lilian Bathelot, Eric Halphen, Jan Thirion… »

Le roman noir entretient depuis toujours une relation privilégiée avec le cinéma. Cette année, le festival rend hommage à l’œuvre de Michel Deville qui sera présent vendredi 26 juin.

 

 

Derrière les murs

 

Il est encore question de frontière avec la première édition de l’opération Derrière les murs. Montée en partenariat avec la mission BD du Languedoc-Roussillon, la Drac, le SPIP et la Pjj, elle propose aux détenus de la Maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone dix ouvrages (romans noirs et BD écrits par les auteurs invités du festival). Les détenus désigneront les lauréats qui viendront s’entretenir avec eux jeudi 25 juin. Loin d’être une simple distraction, le roman noir dit le monde et le Firn en apporte la preuve.

 

 

Jean-Marie DINH

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique  Roman noir,


Lol@ et la fiabilité du système humain

Emmanuelle Terff réaffirme la domination de l'imaginaire

En mission pour une multinationale sur une île du bout du monde, David qui dresse la carte des vents pour une hypothétique exploitation éolienne, est convoqué au siège de sa société. Il rejoint, non sans mal, la sphère urbaine qu’il a quittée pour les grands horizons suite au départ de sa femme. Après un exil de cinq ans, cet ordre de rappel sera l’occasion d’une double reconnection avec le monde politico-économique et celle qu’il aime toujours, Lola, la mystérieuse, que la police recherche pour des attaques numériques de grande ampleur.

Mutation du réel

La mutation technologique et ses effets sur la nature humaine sont au cœur du roman d’Emmanuelle Terff qui maîtrise parfaitement son sujet pour avoir créé l’un des premiers systèmes de protection des internautes aux Etats-Unis. Ce livre, dont le philosophe académicien Michel Serres souligne dans la préface l’inventivité narrative, arrive à point nommé au moment où tout le monde s’ingénue à se trouver de nouveaux amis sur Facebook sans vraiment vouloir se souvenir des scandales suscités hier par les écoutes téléphoniques. L’incursion dans la vie privée, via l’évolution technologique, semble aujourd’hui parfaitement tolérée.

L’autisme numérique

L’auteur évoque la question de la fiabilité du monde virtuel sur lequel repose l’hyperstructure de l’économie mondiale qu’elle superpose habilement avec la fiabilité tout aussi incertaine des sentiments de ses personnages. Au premier rang desquels ceux de David qui découvre trop tard la vraie personnalité de son ex-femme dont les idées en ont fait la terroriste la plus recherchée de la planète. Face aux moyens colossaux déployés par son employeur pour localiser Lola, David navigue dans le flux de ses souvenirs. Il entend son rire, revoit ses seins, et apparaît comme la victime d’une autre forme de virus : celui de l’amour d’une femme. Fort heureusement, la géométrie mentale de cette maladie s’avère peu adaptée aux cases binaires du système informatique.

Pouvoir subversif de la littérature

A travers le portrait de Lola, Emmanuelle Terff réaffirme la domination de l’imaginaire sur les filtrages technologiques et autres modes de tatouages électroniques. Le choix du roman correspond à celui du pouvoir subversif de la littérature. « Il y a plus de renseignements sur les techniques d’espionnage dans les livres de gare que dans les publications savantes. » L’écriture est fluide et les 175 pages au parfum sensuel se parcourent sans peine. Reste à savoir combien de fois votre mobile aura vibré et votre ordinateur clignoté durant la lecture…


Lol@, éditions Les 3 Orangers, 17 euros.