Le conservatisme en politique

Les XXII es Rencontres de Pétrarque rediffusées sur France Culture abordent la question du conservatisme. Un statu quo qui s’applique bien à la politique française…

Les juillettistes ont manqué les XXII Rencontres de Pétrarque consacrées à la question « sommes-nous de plus en plus conservateur ? » Si le sujet les intéresse, ils peuvent se rattraper en écoutant France Culture qui rediffuse actuellement les enregistrements réalisés dans la Cours des Ursulines durant le Festival de Radio France. Nous revenons également cette semaine sur deux des débats abordés au cours de ces rencontres : Aujourd’hui le conservatisme en politique.

Messieurs les anglais tirez les premiers. Seul étranger autours de la table, le député travailliste Denis Mc Shane qui fut ministre aux affaires européennes dans le gouvernement Blair se lance. Avec un certain goût pour la provocation, il oppose « la révolutionnaire et libérale Margaret Thatcher au conservateur François Mitterrand. Oui, affirme le député britannique, la France est aujourd’hui le pays le plus conservateur d’Europe Chez vous, tout changement est refusé. La France ne bouge pas. Et quand le conservatisme ne marche pas, il fait naître des gens qui sont prêts à changer. » C’est ainsi que le travailliste s’explique l’avènement de Sarkozy. Au centre de son constat, les partis figés qui ne souhaitent pas le changement parce qu’ils sont incapables de changer leur propre fonctionnement. Silence, un troupeau d’éléphants passe sans bruit. Mc Shane poursuit. Tout en distinguant les conservateurs britanniques de leur homologues français, le social démocrate décomplexé prédit à la gauche française 15 ans de traversée du désert pour s’adapter au peuple. Vision cauchemardesque et pragmatique dont la clarté dérange ses co-conférenciers, mais qui oriente, dans le même temps, cette question du conservatisme vers la gauche.

Longue tirade d’Alain Finkielkraut qui observe de loin notre entrée dans un autre monde. « C’est le triomphe de la pensée calculante et la défaite de la pensée méditante. La culture s’engloutit dans le culturel». Le monde peut s’écrouler, Finkielkraut fera toujours du Finkielkraut. Reste que les néo conservateurs, Thatcher, Bush et Sarkozy, ne sont pas des conservateurs. Ils importent ou exportent un système idéologique et sont prêts à tout bousculer pour l’imposer. « Face à cette droite avide, les socialistes sont ils confiants dans leurs croyances ? » S’interroge Daniel Lindenberg « La défaite de Ségolène Royal est réelle. Elle n’est pas cosmique », précise l’historien des idées, la gauche immobiliste doit tirer les enseignements de cette droite qui pratique la guerre du mouvement. » pour Lindenberg, les lignes politiques bougent. Et en se réappropriant le culte de l’autorité et de la tradition, la gauche ne se projette pas dans l’avenir. Elle cède simplement à la tentation du repli.

Georges Frêche coiffe sa casquette d’historien pour rappeler que « La conservation et le progrès n’ont jamais été égaux. Le changement est bref et le conservatisme est long. » En France depuis deux siècles la vrai gauche n’a gouverné que onze petites années souligne le président de Région qui rejoint Mc Shane pour annoncer au PS son entrée dans un long purgatoire. « Ne tentons pas d’être absolument moderne. Mais efforçons-nous d’être contemporain.» recadre Antoine Compagnon qui enseigne la littérature au Collège de France.

La volonté de faire du passé table rase est un axe essentiel des politiques totalitaires. Il y a des libertés de la modernité qui reste à défendre et d’autre à contenir comme la liberté économique. Celle que l’anarchiste conservateur, Georges Orwell que personne ne cite, définissait comme « une liberté qui est le droit d’exploiter l’autre à son profit » Percutant non ?

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Débat politique Présidentielles 2007 victoire de  Sarkozy, Rubrique Essai Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie,

Christian Chesnot : « je ne suis pas un kamikaze, et je n’ai pas une âme suicidaire »

christian-chesnot-et-georges-malbrunot libérés le 21 12 2004

Spécialiste du Moyen- Orient, Christian Chesnot est journaliste pour Radio France Internationale (RFI) et Radio France, ainsi que pour la Tribune de Genève. Il était basé à Amman en Jordanie avant sa libération. Il a travaillé à de nombreuses reprises avec Georges Malbrunot avec qui il a été retenu en détention durant quatre mois en Irak.

Votre venue à Montpellier s’inscrit-elle en soutien, à Florence et Hussein ?

Oui, à ma libération, j’avais été invité par des amis journalistes qui sont membres du Club de la Presse. Nous avions convenu d’une date pour rencontrer les Montpelliérains et les remercier de leur soutien. Et puis entre temps Florence s’est fait enlever donc cette rencontre est bien sûr pour la soutenir.

Comment avez vous vécu votre détention et quelles en ont été les étapes ? Espoir et faux espoir…

Il est vrai que lorsque vous passez 4 mois en détention, vous vivez, des phases d’optimisme et des phases de détresse. Au début vous êtes content parce que vous êtes en vie, parce que le kidnapping s’est fait sans violence et puis vous réalisez que la situation est périlleuse. Lorsque vous êtes otage, vous espérez toujours être libéré. Et quand on vous annonce une libération pour le lendemain et qu’il ne se passe rien votre moral en prend un coup. Il y a des moments de doute et des fois, des vrais drames. Par exemple le 8 novembre quand un responsable nous a expliqué que nos vies étaient menacées. Il y a aussi des périodes où il ne se passe rien. Des périodes de 15 jours 3 semaines où vous n’avez aucune nouvelle, où personne ne vient vous voir hormis les geôliers qui vous apportent à manger. Dans ces moments-là on garde espoir. On se dit que tant qu’on ne nous menace pas, ça va. On n’a jamais été frappés, mais on avait quand même à faire à des hommes en armes et puis on connaît le sort d’autres otages.

A quoi pense-t-on ? Vers où se sont portées vos réflexions pendant la détention ?

Je pensais à mes proches, à ma famille, à mes amis, à ce que je n’ai pas fait dans ma vie. Vous avez une spiritualité qui est un petit peu exacerbée. On replonge aussi dans son enfance… Et puis vous vous dites que si vous vous en sortez vous vivrez encore plus intensément.

Ressort-on renforcé d’une telle expérience ?

Oui je pense qu’on est vraiment des miraculés. On s’en sort bien, on n’a pas été maltraités. Nous disposons pleinement de notre intégrité physique et morale. Mais il faudra un peu de temps pour digérer tout ça, parce que c’est quand même du stress à haute dose. Le fait de pouvoir en parler avec des rencontres comme celle-ci permet d’évacuer progressivement la pression accumulée. Et puis on met la dernière main à un livre qui retrace dans le détail, nos quatre mois de détention. Sa sortie est prévue au mois de mai. Maintenant, l’objectif est de retrouver une vie normale de journaliste à Paris. Je vais reprendre le travail à partir du premier avril.

Y a-t-il des choses qui vont changer dans la pratique de votre métier ?

Fondamentalement non, mais en même temps, mon rapport au risque a changé. C’est-à-dire que quand vous avez survécu à ce genre d’expérience, vous êtes plus prudent. On me demande souvent est-ce que tu vas revenir à Bagdad ? Bagdad certainement pas, je ne suis pas un kamikaze, et je n’ai pas une âme suicidaire.

Faut-il être suicidaire pour travailler aujourd’hui à Bagdad ?

Cela fait débat. Maintenant il faut savoir que les risques sont quand même très élevés. Je suis à la fois bien placé et mal placé pour me prononcer la dessus. Je connais bien l’Irak, pour avoir labouré le pays avec Georges durant deux ans, et en même temps, sortant de cette expérience, je n’ai pas forcément envie de retourner au feu. Instinctivement je préférerais la prudence, mais c’est quand même notre boulot de journaliste de témoigner et de se rendre là où les citoyens ne peuvent pas aller.

Dans quelles conditions ?

Dans la profession il y en a qui disent, qu’il vaut mieux y être. Même si l’on reste à l’hôtel sans en sortir. Je considère personnellement qu’il vaut mieux ne pas y aller dans ces conditions. Si c’est pour rester dans une chambre et voir des Irakiens qui passent de temps en temps, ce n’est pas très satisfaisant. Moi j’aime le travail sur le terrain, aller au contact des gens… Je n’ai pas envie de me déplacer avec une escorte armée et porter un gilet par-balles dès que je sors. Le débat est ouvert. Il n’est pas évident.

Cela relève-t-il malgré tout du choix des journalistes où est ce qu’il revient au gouvernement de prendre les mesures qu’il juge utile pour assurer leur sécurité ?

Le gouvernement ne peut pas interdire aux journalistes de se rendre sur le terrain. Pour revenir sur l’intervention qu’a faite Jacques Chirac en mettant en garde les journalistes qui souhaitent partir en Irak, je pense que chacun doit tenir son rôle. Ce qui implique que les journalistes doivent aussi faire des choix responsables. L’ambassade de France, ce n’est pas la sécurité sociale des journalistes.

Comment assurer le droit à l’information ?

On peut par exemple, être basé à Amman où il est possible de collecter énormément d’information sur l’Irak et puis quand la situation le permet ou pour un besoin précis passer une semaine en Irak. Il faut décrocher parce que plus on reste longtemps en Irak, plus on est vulnérable. D’abord, parce que vous êtes repérable mais aussi parce qu’avec le temps, vous gagnez en confiance et vous baissez votre garde.

Repartirez-vous en reportage au Moyen Orient ?

Bien évidemment oui. Je suis toujours autant passionné par cette région. Il y a encore beaucoup de choses à dire et à expliquer.

Comment analysez-vous la prise de position de la France pour le retrait des forces syriennes au Liban ?

La France est encore très présente au Moyen-Orient. C’est sans doute un des derniers gros dossiers internationaux où elle à son mot à dire et où elle est entendue. C’est vrai que même si la position française soutient l’indépendance des Libanais, on a l’impression que les choses se sont précipitées. Ce qui met la Syrie au pied du mur alors que la France est une alliée de la Syrie et du Liban. La France reste un des derniers pays occidentaux à avoir maintenu le dialogue avec Damas.

Fallait-il pousser la Syrie dans ses derniers retranchements ?

Je sais qu’il y a beaucoup de Libanais qui remercient la France d’avoir encouragé l’opposition à manifester et à réclamer l’indépendance. Mais il y a aussi beaucoup de Libanais et d’Arabes qui pensent que la France se mêle de ce qui ne la regarde pas.

Comment cet interventionnisme, qui fait le jeu de la stratégie américaine au Moyen-Orient, est-il ressenti dans le monde Arabe ?

Grâce à sa position sur l’Irak, la France à gagner beaucoup de crédit au Moyen-Orient. Mais dans cette affaire libano-syrienne, le fait qu’elle emboîte le pas aux Américains est plutôt mal perçu. Il ne faut pas oublier que la France était la puissance mandataire au Liban et en Syrie. Certains interlocuteurs m’ont fait comprendre qu’elle risquait de réveiller de vieux démons. Le monde arabe vit en ce moment une période très critique et l’équilibre reste fragile.

Recueilli par
Jean-Marie DINH

Voir aussi :  Rubrique Médias, F.Aubenas juge les déclarations de Guéan blessantes, rassemblement de soutien aux otages , Montpellier 2010 soutien à Stéphane Taponier,et Hervé Ghesquière ,

1 099 jours de détention pour Ingrid Betancourt

Trois ans après son enlèvement, le comité de soutien montpelliérain d’Ingrid Betancourt souhaite élargir la mobilisation pour obtenir sa libération. Jeune et assoiffée de justice, Ingrid Betancourt a tout d »une femme politique dérangeante. Franco-colombienne, elle née en 1961 et a grandi entre Bogota et Paris dans une famille qui ne manque de rien. Son père était ambassadeur de Colombie à l »UNESCO. Sa mère fut adjointe au maire de Bogota, députée et conseillère de Luis Carlos Galan , le candidat à la présidence, assassiné en 1990.

C »est le meurtre de cet homme intègre, prônant l »extradition des narcotrafiquants vers les Etats-Unis, qui fera comprendre à Ingrid que sa place est en Colombie. Ingrid veut se rendre utile en Colombie, pays où se joue depuis plus de cinquante ans un conflit meurtrier avec, en toile de fond, la corruption et la drogue. Elle s’engage en politique et après plusieurs succès électoraux fonde le partido Verde-Oxigeno avec lequel elle brigue la présidence de la république. Mais le 23 février 2002, au début de la campagne, Ingrid et sa directrice de campagne Clara Rojas, sont enlevées par australia pokies les FARC, groupe marxiste d »influence guévariste, le principal mouvement de guérilla de Colombie. Sophie Sudre, membre du comité de soutien montpelliérain, dit avoir découvert le combat d’Ingrid en regardant une émission de télévision : « J’ai trouvé son combat passionnant et j’ai voulu m’investir explique-t-elle. En France on ne parle pas de la Colombie. J’ai découvert ce pays à travers mon implication. »

Le pays vit une guerre civile qui oppose le gouvernement, les milices de droite et les mouvements de guérilla qui combattent pour le partage des revenus du narcotrafic. « Des milliers d »enlèvements ont lieu chaque année. Il faut savoir que 80% des enlèvements dans le monde ont lieu en Colombie. Le combat que nous menons pour Ingrid est aussi celui des 3000 autres otages retenus en Colombie. »

Les Verts sont partie prenante du combat d’Ingrid Betancourt, la Ville de Montpellier l’a officiellement faite citoyenne de la ville. Mais les comités de soutien souhaitent aussi que le portrait d’Ingrid soit affiché à coté de ceux de la journaliste Florence Aubenas et son interprète Hussein Hanoun Al-Saadi, disparus le 5 janvier dernier en Irak.

Jean-Marie Dinh