Le postulat de la presse libre revu et corrigé

propagandeLe duo Herman/Chomsky pose un regard critique sur le fonctionnement des médias aux Etats-Unis.

Après La Fabrique de l’opinion publique qui s’attachait au système de l’information aux Etats-Unis, l’économiste Edward S. Herman spécialiste des réglementations financières relevant des conflits d’intérêts et le linguiste Noam Chomsky connu pour sa critique de la politique étrangère américaine renouvellent leur collaboration avec La fabrication du consentement. En s’appuyant sur des faits précis, les deux chercheurs posent cette fois leur grille de lecture critique sur la propagande médiatique dans la démocratie américaine. Et démontrent, dans cet ouvrage de référence, comment le postulat démocratique de la liberté de la presse qui figure dans le premier amendement de la constitution des Etats-Unis est détourné de sa vocation initiale.

Les 650 pages de ce livre très documenté présentent une critique sans complaisance qui permet de comprendre par quel processus le pouvoir de l’argent sélectionne les informations. Et notamment de mesurer l’impact de la propagande médiatique sur les croyances et les codes comportementaux des citoyens. Herman et Chomsky montrent comment les messages et les symboles qui ont vocation à distraire et à informer, transmettent des codes et des croyances. Et dénoncent ce processus qui intègre en profondeur les structures sociales en favorisant le pouvoir politique néo-libéral et les grands acteurs industriels et financiers. La critique des auteurs n’affirme pas que les médias puissent se résumer à des organes de propagandes mais que cette fonction en est une caractéristique centrale.

L’impact de la publicité

Le constat n’est pas nouveau. Mais la collusion d’intérêts entre les grands groupes financiers et l’industrie des médias comme le mouvement de concentration qui a suivi, ont considérablement réduit la garantie d’une information permettant aux citoyens de conserver leur capacité critique. A partir d’une multitude d’exemples comparatifs relatifs à la politique intérieure, comme à la politique internationale, Chomsky révèle comment les médias désignent les victimes dignes ou indignes d’intérêt. Il soulignent que les démocraties adoptent les modèles de propagande observée dans les Etats totalitaires.

Un autre aspect du livre met en évidence l’impact de la publicité sur le contenu. Dans la mesure où les grands médias généralistes dépendent essentiellement des revenus de la publicité pour survivre, le modèle de fonctionnement de la presse suggère que l’intérêt des publicitaires ou des institutions prévaut sur le récit de l’information. En conséquence, si les thèmes abordés dans le contenu, s’avèrent contraires aux intérêts des commanditaires et divergent par rapport à leur vision du monde, ils sont à écarter. Le modèle de fonctionnement des médias décrit dans le premier chapitre s’avère éclairant sur la marge de manœuvre des journalistes et les choix éditoriaux. Une des caractéristiques essentielles de la propagande consiste à ne pas révéler les intentions réelles de l’autorité pour laquelle elle agit. Dans un souci de clarification, les auteurs précisent que les mécanismes laissant sporadiquement apparaître des faits dérangeants sont infiniment plus crédibles et efficaces qu’un système de censure officielle.

Jean-Marie Dinh

fab-consent

édition Agone 28 euros

« En exagérant un peu, dans les États totalitaires, c’est le pouvoir à la tête de l’État qui décide de la ligne du parti. Et chacun doit alors y adhérer et s’y soumettre. C’est différent dans les sociétés démocratiques. La ligne du parti n’est jamais énoncée comme telle, elle est sous-entendue. C’est dans ces présupposés qu’il pourra y avoir un débat passionné, mais qui se limitera à ce cadre précis. Dans les sociétés démocratiques, la ligne est comme l’air qu’on respire, elle est sous-entendue… Du coup elle donne l’impression qu’il y a un débat très vigoureux. C’est très efficace comme système et ça marche beaucoup mieux que dans les systèmes totalitaires. »

Voir aussi : Rubrique livre, Rubrique Philosophie Deleuze et les nouveaux philosophes, Rubrique Politique entretien Bernard Noël Internet Très chère neutralité du Net,


L’Art vidéo au Musée Fabre : une absolue plénitude…

Peter-campus "double-vision" (1971)

Conçue à partir de la collection d’art Vidéo du Musée national d’art moderne, Vidéo, un art, une histoire 1965-2007 présente une version renouvelée de l’exposition du Centre Pompidou. « C’est la première escale en France de l’exposition, après trois années d’itinérance à travers le monde, avant de partir pour l’Amérique latine. » souligne la conservatrice du Musée national d’art moderne Christine Can Assche, commissaire de l’exposition. La lecture historique proposée est chronologique. « Elle est doublée d’une trajectoire transversale qui marque l’influence des précurseurs sur l’œuvre d’artistes plus jeunes. »

La visite  qui succède à cette introduction – On épargne ici aux lecteurs les liens alambiqués qui tentent de trouver une filiation picturale entre Courbet et Paik et le marketing institutionnel qui lie l’utilisation de la vidéo dans les vitrines commerçante du centre ville et l’art de Viola – nous permet d’appréhender une sélection de 35 œuvres réalisées par les pionniers de l’art vidéo : Nam June Paik, Peter Campus, Jean-Luc Godard, Chris Marker, ainsi que par des artistes contemporains comme Pierre Huyghe et Isaac Julien…

La neutralité de l’installation qui occupe 1 400 m2 sur deux niveaux est assez réussi mais manque d’espace. Ce qui explique sans doute l’absence de vidéo sculpture, outre le fait que celles-ci soient réputées plus rentables pour les compagnies d’assurances et les transporteurs que pour l’institution muséale.

Mythe ou Histoire ?

Sur le fond, c’est la notion d’histoire qui pose question avec un médium tel que la vidéo qui pourrait-on dire incarne la part maudite de l’art contemporain. Au milieu des années 60, un fort potentiel l’a propulsé dans le ciel de l’art où il a explosé comme les météores. Le caractère éphémère des électrons n’y est sans doute pas pour rien. Rétrospectivement, l’éclosion délirante,  poétique et subversive de l’art vidéo apparaît comme une ligne alternative et fugitive qui se poursuit sur une vingtaine d’années avant de se perdre à l’intérieur du petit écran devenu spatial. En ce sens, l’art vidéo se trouve largement en inconformité avec une histoire linéaire qui le conduirait jusqu’à nos jours. Cette métaphore du champ magnétique relève davantage du mythe en créant des relations diffuses dans l’esprit du spectateur.

Un premier combat fatal

L’exposition Vidéo un art une histoire 1965-2007 tente de présenter une histoire en quatre étapes. La première concerne la confrontation avec la télévision, tentative de pénétration et de détournement. La seconde s’articule autour des recherches identitaires, phase expérimentale qui voit le développement de performance autour de l’interaction, du corps, du temps et de l’espace. L’après cinéma aborde dans le troisième volet l’émancipation de l’image et du son de leur contexte narratif. Et la vision du monde, conclut sur diverses directions esthétiques en lien avec la mondialisation culturelle.

Cette vision de l’histoire électronique et magnétique créée un fil ininterrompu alors que dès la première étape l’art vidéo a pris un coup fatal en se confrontant à la tyrannie télévisuelle, l’absence de lieu de diffusion faisant le reste. Il est heureux que les musées ouvrent enfin leurs portes à ce médium. C’est évidemment un peu tard, mais ne boudons pas l’occasion de s’y rendre pour voir.

Jean-marie Dinh

Vidéo, un art, une histoire 1965-2007. L’œuvre des plus grands artistes à découvrir à Montpellier du 25 octobre 2008 au 18 janvier 2009.

Affaires étrangères : le quai d’Orsay sort de ses murs

Montpellier est la première escale d’Eric Chevallier, conseiller spécial de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, qui entreprend une tournée dans les grandes villes de l’hexagone. Jeudi dernier, le diplomate a rencontré les médias locaux avant d’aller débattre avec les étudiants de la fac de droit.  » Le ministre souhaite donner aux Français une plus grande visibilité de la politique internationale française (…) car les enjeux concernent directement leur vie quotidienne. « 

L’idée semble d’autant plus heureuse qu’elle coïncide avec l’omniprésence du président de la République sur la scène internationale. On a vu comment, avec plus ou moins de réussite, Nicolas Sarkozy use du levier que lui offre la présidence du Conseil de l’Union européenne. La démarche n’est pas sans rappeler celle de son prédécesseur à l’Elysée qui,  au plus bas dans les sondages, avait trouvé l’occasion de redorer son blason en distillant quelque poncifs humanistes dans les conférences internationales.

Plus touche à tout qu’homme de conviction, Sarkozy souhaite absolument imprimer sa marque dans les affaires du monde. Le 13 juillet dernier, le projet d’Union méditerranéenne inauguré à Paris, a permis à 43 pays de figurer sur la photo. On peut cependant s’interroger sur cette initiative qualifiée de réussite par le représentant du quai d’Orsay, dès lors qu’ elle demeure vide d’idée et de moyen. Sarkozy peut se brûler les doigts, comme il l’a démontré avec la Chine aux JO, mais il peut aussi bénéficier de sa bonne réactivité comme dans la crise géorgienne.

De l’aveu d’Eric Chevallier, le plan mis en place dans l’urgence par la médiation européenne est imparfait mais il a le mérite d’exister.  » Nous avons procédé par étapes. Dans un premier temps, il fallait aboutir au cessez-le-feu. La seconde étape vient de débuter avec le déploiement d’observateurs internationaux. Les Russes ont annoncé qu’ils procéderaient au recul de leurs troupes. Nous allons voir s’ils tiennent leurs engagements. La troisième étape aura lieu à Genève où seront abordées les questions politiques comme celles de la sécurité ou de l’intégration des réfugiés.  » A un autre niveau, le diplomate juge moins importante l’entrée éventuelle de la Géorgie au sein de l’U.E que la présence de l’Europe dans cette région. Un jugement visant à nuancer l’atlantisme avéré et silencieux du président français sur les grands enjeux internationaux.

Les relations avec nos partenaires étasuniens sont qualifiées par Eric Chevallier de  » plus confortables, avec des points de désaccords…  » Désaccord peu probant sur le front afghan, où la France s’engage dans une guerre sans issue qui réduit moins le terrorisme qu’elle n’en aggrave les motivations.  » Nous ne nous sommes pas engagés sur un calendrier de retrait. Ce serait mentir aux gens, car on ne sait pas exactement quand on sera en mesure de se retirer. « 

Pas grand chose non plus sur le conflit israélo-palestinien, dont la résolution est un élément essentiel de lutte globale contre le terrorisme. Sur ce terrain la Françe figure comme remorque de la diplomatie américaine en désignant du doigt les vilains Iraniens. Bien qu’elles n’aient pas été abordées, il semble que, malgré l’agitation, les préoccupations d’ordre intérieure empiètent considérablement sur la détermination de notre politique étrangère.

L’œil ne change pas le décor

David Abiker vient parler de son livre  « Contes de la télé ordinaire » avec des journalistes du Club de la presse. Une rencontre-débat est organisée avec le concours de Sauramps sur « Le monde de la télé ». Outre les accros de la Star’Ac et autres sitcom, ça devrait peut-être intéresser quelques journalistes.

Il est à l’aise, David Abiker pour parler de la télé. Il est in, son CV signale qu’il travaille pour France Info et plusieurs mags de la presse écrite. On s’attend donc à quelque chose d’un peu consistant, au pire de croustillant, mais on reste ahuri devant ces quelques notes de soirées ordinaires. David Abiker nous parle du JT, de sa fille, de Nicoletta, de Fillon, de l’abbé Pierre… bout à bout tout cela ne mène nulle part. On se dit qu’au fond, on est peut-être au cœur du sujet. Aujourd’hui, l’événement c’est du 24h/24h. Pour quelques euros seulement, on vous sert du standard en continu. Faut s’accrocher pour ne pas rater l’occasion. On serre le livre dans ses doigts, pour éviter qu’il ne tombe.

Allez, encore un effort, si un journaliste vous invite à voyager à travers les émissions du paf, il doit bien avoir quelque chose à nous dire. Il faut beaucoup de patience et très peu de cerveau disponible pour le suivre. On s’ennuie, alors on s’imagine le spécialiste dans son canapé en plein travail d’observation. Un citoyen presque comme les autres. Un citoyen éveillé, qui prend plaisir à critiquer ce qu’on lui montre. Comme tout le monde en somme. La différence c’est que David Abiker en a fait un livre.

Va pour quelques impressions décalées qui valent le détour comme quand il évoque le basculement dans le sacré de la communauté médiatique autour de la libération de Florence Aubenas, la disparition des pauvres ou l’impossibilité des médias et des politiques à traduire le non des Français à l’Europe ultra libérale. Il y a aussi le prologue qui augure la mort annoncée du petit écran  face à l’ordi et celle, non moins inévitable, de PPDA.

Mais au final, on se demande pourquoi ce livre est venu s’interposer entre nous et notre écran, passez-moi la zappeuse. Il n’y a rien ce soir, c’est nul,  je sais, c’est pas grave…

Conte de la télé ordinaire, éd Michalon 14 euros

La démocratie d’opinion va-t-elle court-circuiter la démocratie représentative ?

Source France Culture 11.01.2008

Pierre Rosanvallon a montré récemment dans « la Contre-démocratie » comment la défiance envers les gouvernants, des procédures de surveillance des élus avaient progressivement débouché sur une sorte de « magistère parallèle ». De là, cette toute nouvelle « souveraineté d’empêchement » dont est créditée l’opinion publique. On l’a vu se manifester encore tout récemment face au CPE. Votée tout ce qu’il y a plus de régulièrement par le Parlement, le projet de loi du gouvernement a été retoqué par l’opinion, guidée par la rue. Dans « la Reine du monde », Jacques Julliard enfonce le clou. Le système de représentation classique, fondé sur une délégation de la souveraineté populaire à un petit nombre d’élus n’est pas condamné, mais il aurait définitivement cessé d’être hégémonique. Déjà, il y a dix ans, dans « la Faute aux élites », l’historien éditorialiste à L’Obs avait diagnostiqué la profondeur du divorce entre le peuple et les élites. Cette fois, il entreprend de cerner cette démocratie d’opinion ou « doxocratie » qui est en train de porter au pouvoir le nouveau prince, l’Opinion. Et d’en faire l’archéologie. Cette doxocratie, d’après Jacques Julliard, elle est médiatique, directe et permanente. Médiatique, parce qu’elle coïncide avec la généralisation des nouveaux médias. On sait le rôle qu’ont joué les blogs dans la victoire du « non » au référendum européen de 2005. Directe, parce qu’elle court-circuite ces corps intermédiaires qui, traditionnellement, interprétaient la volonté populaire et organisaient les débats publics. Permanente, parce que les électeurs ne supportent plus la démocratie qui leur donne la parole les jours d’élection, pour mieux la reprendre dés le lendemain. Michel Wieviorka a mis en cause de son côté, dans des tribunes parues dans la presse, la manière dont le nouveau président de la République a miné l’autorité de son propre gouvernement, mis au pas le Parlement, marginalisé l’opposition, mis les syndicats en porte-à-faux – chaque fois, en en appelant, via les média, à l’opinion, par-dessus la tête de ces « institutions intermédiaires ». Si la bonne vieille démocratie parlementaire, qui a fait ses preuves, devait céder la place à la dictature des sondages et à la politique-spectacle, devrions-nous nous en réjouir ? La démocratie d’opinion prospère sur l’humus des frustrations et des rancoeurs – qui ne sont pas les meilleures conseillères. « Célébrer le règne de l’opinion », écrit Alain Duhamel dans « Le Point » de cette semaine, « c’est encourager la religion de l’inconstance, de l’émotion et – trop souvent – de l’ignorance. » Dans la mesure où comme le reconnaît Jacques Julliard, le média qui façonne l’opinion publique, les télévisions grand public, ont pour idéologie l’apologie de la violence et de la force, l’argent acquis par n’importe quel moyen ne doit-on pas s’inquiéter de voir les politiques professionnels remplacés par des bateleurs et des amuseurs ?

Jacques Julliard, historien, auteur, journaliste
Michel Wieviorka, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, et administrateur de la Fondation Maison des sciences de l’homme. Il a été le président de l’Association internationale de sociologie (2006-2010).
Yves Sintomer, membre de l’Institut Universitaire de France , professeur de science politique, chercheur au CSU-CRESPPA (CNRS/Université de Paris 8)