Edwy Plenel : Une leçon de démocratie à la Paillade

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L'équipe de Kaïna.Tv au travail : Photo Defi

Dans le sillage de la chorégraphe Mathilde Monnier, d’Alain Plombat, le Pdg du Midi-Libre et du préfet Claude Baland, c’est Edwy Plenel qui était mardi l’invité de l’émission « Viens chez moi j’habite à la Paillade. » On pourra bientôt la visionner sur le site de Kaïna-tv, la web TV créée par Akli Alliouat qui valorise les initiatives locales et l’expression des habitants de la Paillade.

Centre commercial Saint-Paul au cœur de la cité pailladine, le studio s’improvise au café-resto Le Mirador. « Vous avez mené une enquête fouillée sur moi », plaisante le directeur de Médiapart à l’adresse des jeunes avec lesquels il s’apprête à débattre.

Ca tourne ! Les animateurs précisent d’entrée qu’ils ne sont pas journalistes, se situant avant tout, comme des habitants du quartier. Ce à quoi la fine plume répond que notre époque impose aux pros de descendre de leur estrade pour se mêler aux amateurs. A la différence de la majorité de ses confrères, il affirme croire au journalisme citoyen ce qui justifie sa présence dans le quartier.

La question de la ségrégation dont les habitants sont ici victimes est évidemment soulevée. Elle permet à Edwy Plenel d’enfourcher l’un de ses chevaux de bataille favori : la critique du pouvoir et la restauration de la démocratie. « Je n’hésite jamais à dire, y compris à ceux pour qui c’est difficile à entendre, qu’historiquement notre France est d’origine étrangère. Sous l’occupation, la majorité des gens qui étaient avec De Gaule n’auraient pas de papier aujourd’hui

Ses interlocuteurs le lancent sur le déjà très piteux bilan du quinquennat Sarkozy. « Ma critique ne porte pas sur l’homme, précise Plenel, mais sur le système présidentiel qui permet au chef de l’Etat de faire absolument ce qu’il veut. Au point de nous faire oublier que c’est à nous de faire vivre la démocratie. La démocratie ne doit pas être dictée par l’agenda présidentiel. C’est très concret la démocratie, cela concerne le partage qui se situe au cœur de la question sociale. »

L’orateur est maintenant lancé, il devance les questions. Il est passé au débat sur l’identité nationale. « Une diversion du gouvernement pour échapper à la question sociale. Une façon de ramener chacun à son identité et un moyen pour oublier les conditions que l’on a en commun. » Le rôle des médias, Montaigne, La Boétie, l’esprit des fondateurs de la loi de 1905 sur la laïcité, la nature profonde du racisme… Les sujets s’enchaînent dans la bouche de l’invité. On boit ses paroles, on admire l’intelligence des propos.

« Je ne porte pas un regard aussi pessimiste que vous sur la situation », réplique avec sympathie l’homme de médias aux jeunes qui s’inquiètent du formatage des esprits et du peu d’issues qui s’offrent à eux. « La peur est brandie par le pouvoir pour dire à la population ayez peur, nous nous occupons du reste. Il faut dire nous n’avons pas peur, ne pas rester coller au mur, la République n’est pas figée, elle est en mouvement. » La soirée s’achève. Edwy a un autre rendez-vous, il est parti avant l’heure du couvre-feu.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Médias Médias banlieue et représentations , entretien avec Stéphane Bonnefoi rubrique Politique locale : Un îlot de soleil sous un ciel menaçant Petit Bard Pergola rénovation urbaine, rubrique Justice Les rois du Petit bard, Délinquance en col Blanc rubrique Livre Démocratie de quartier et légitimité politique,

Médias hongrois sous contrôle

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Le gouvernement conservateur de droite hongrois a adopté dans la nuit de lundi à mardi une loi restrictive sur les médias. Une nouvelle instance contrôlera à partir de janvier aussi bien la radio-télévision publique que les médias privés. Cette atteinte à la liberté de la presse est le pire début possible pour la présidence hongroise de l’UE, estiment les commentateurs.

Die Welt – Allemagne

Vers un Etat autoritaire

La nouvelle autorité hongroise de surveillance des médias (NMHH) disposera de pouvoirs étendus pour contrôler les médias publics et prendre des sanctions contre les journaux et les portails en ligne. Pour le quotidien conservateur Die Welt, il s’agit d’une monstruosité : « De la censure à la confiscation de documents en passant par le démantèlement matériel des médias gênants, cet attirail législatif représente l’idéal d’un régime autoritaire. C’est une autorité de contrôle de l’opinion et de louange du pouvoir. Elle est composée de partisans et de protégés du Premier ministre Viktor Orbán. … Si l’interlude Haider en Autriche n’était encore que de l’opérette, ce qui se passe aujourd’hui en Hongrie est une tragédie. Dans le cas de l’Autriche, l’Union européenne avait été choquée et avait sanctionné la république alpine en la marginalisant. Rien n’est fait dans le cas de la Hongrie, bien que le cheminement vers un Etat autoritaire se dessine et ne se soit pas fait en un jour. La liberté que la Hongrie a acquise pour elle et pour les autres il y a deux décennies tend à disparaître. » (22.12.2010)

La Stampa – Italie

Mauvais départ pour la présidence de l’UE

L’Hongrie ne pouvait choisir plus mauvais départ pour sa présidence de l’UE en janvier, estime le quotidien libéral La Stampa, suite à l’adoption de la loi restrictive sur les médias : « En temps normal, cela n’aurait été qu’une loi déplaisante. Neuf jours avant le début de sa première présidence de l’UE, il s’agit dans le meilleur des cas d’une carte de visite préoccupante pour la Hongrie. … Le ministre des Affaires étrangères János Martonyi a annoncé fièrement à Bruxelles que la Hongrie avait pour ambition d’entrer dans l’arène européenne ‘dans le rôle du torero et non du taureau’, pour contribuer à l’établissement d’une ‘Europe humaine’. Cette intention s’accorde difficilement avec une loi qui est déjà qualifiée de bâillon. … Ce qui est alarmant, c’est le critère de ‘violation de l’intérêt public’ car il est flou et général. Le simple fait d’écrire qu’il s’agit d’une loi bâillon pourrait nuire au bien de la Hongrie. » (22.12.2010)

Hírszerz? – Hongrie

La fin de la liberté de la presse

Avec la nouvelle loi hongroise sur les médias, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2011, une période difficile débute pour la liberté de la presse dans le pays, estime le portail d’information Hírszerz? : « La loi sur les médias sera naturellement appliquée, ce qui veut dire que l’autocensure sera de nouveau déterminante pour des pans entiers de l’opinion publique hongroise. Il est aussi pratiquement certain que de nombreux rédacteurs et éditeurs tenteront de s’adapter à cet ‘environnement législatif modifié’ et procéderont à de subtils ajustements à son contenu. Ce qui nous attend à partir du mois de janvier est tout sauf amusant. Personne ne doit s’imaginer que la campagne de la majorité gouvernementale contre la libre opinion publique sera de courte durée. … Nous devons nous préparer à ce que le gouvernement et l’autorité médiatique qui lui est soumise tentent systématiquement de saigner les propriétaires des médias critiques du gouvernement, ou de les contraindre à un contenu d’une bienveillante neutralité. » (22.12.2010)

Wikileaks: les médias français sévèrement critiqués

Concentration des médias français

Dans un câble diplomatique non classifié de l’ambassade américaine et révélé par le site Wikileaks, les médias français sont critiqués, pour la déontologie de leurs  journalistes les plus connus, les pressions des pouvoirs politiques et économiques ou pour le traitement médiatique des minorités.

Ainsi, elle juge que «les grands journalistes viennent le plus souvent des mêmes écoles élitistes que la plupart des leaders gouvernementaux. Ces journalistes ne considèrent pas forcément que leur premier rôle est de surveiller le pouvoir en place. Ils se considèrent comme des intellectuels préférant analyser les événements et influencer les lecteurs plutôt que de rapporter les faits».

L’ambassade américaine estime également, comme le souligne l’Express, que «le secteur privé des médias en France – journaux, TV et radios – continue d’être dominé par un petit groupe de conglomérats, et tous les médias français sont plus contrôlés et soumis à des pressions politiques et économiques que leurs homologues américains».

Du coup, elle explique que les minorités et les ONG utilisent énormément internet et les blogs, «incroyablement populaires» pour communiquer, car «ils estiment que leurs points de vue n’est pas suffisamment reflété par les médias traditionnels».

Le sujet principal de ce câble de janvier 2007 était la volonté des Américains d’organiser une stratégie pour séduire les communautés musulmanes et arabes françaises et, dans le même temps, améliorer leurs situations dans notre société, notamment leurs images dans les médias.

L’engagement pro-actif de l’ambassade américaine est connu. Elle s’est notamment tournée vers les jeunes de banlieue en général, à la recherche des talents de demain. A tel point que, comme le soulignait un article du Monde de juillet 2010, certains ont parfois l’impression que les Etats-Unis se soucient plus d’eux et leur font plus confiance que les institutions françaises.

Voir aussi : rubrique Médias, Main basse sur l’information, entretien avec Florence Aubenas , entretien avec Stéphane Bonnefoi rubrique Société, Médias banlieue et représentations, On Line Le singulier dispositif médiatique français,

Sarkozy et la notion du pire. Anatomie d’un passage à l’acte

pervers-pepere-1Vendredi 19 novembre, alors qu’il assiste à Lisbonne au sommet de l’Otan, le président de la République discute en off avec quelques journalistes. A lire dans Libération la transcription des échanges, on éprouve le malaise d’assister en direct à une désorganisation psychique croissante de Nicolas Sarkozy. Le débat tourne autour de son éventuelle implication dans l’affaire de Karachi. Le Président nie farouchement. Un journaliste persiste : «Il semblerait qu’il y ait votre nom, que vous avez donné votre aval à la création de deux sociétés au Luxembourg…» Le Président l’interrompt, s’énerve, s’embrouille quelque peu, puis contre-attaque en revenant à l’insinuation initiale : «Il semblerait, c’est quoi ?», demande-t-il au journaliste. Puis choisit, pour démontrer la supposée vacuité d’une telle notion, d’imaginer le contre-exemple, qui sans doute se voulait drôle : «Et vous – je n’ai rien du tout contre vous – il semblerait que vous soyez pédophile… Qui me l’a dit ? J’en ai l’intime conviction… Pouvez-vous vous justifier ?» Cette référence à la pédophilie n’est pas un lapsus mais relève d’un choix délibéré.

Nicolas Sarkozy immédiatement va au pire et entraîne l’imaginaire des uns et des autres dans ses régions les plus troubles. Qu’est-ce en effet qu’un pédophile ? Quelqu’un qui s’attaque aux enfants pour les souiller, les violer souvent, les tuer parfois. Qui plus est, les pédophiles sont généralement des hommes dont les victimes sont des petits garçons. Ainsi Nicolas Sarkozy, par le détour d’un tout sauf innocent parallèle, accusera d’un mot ce journaliste à la fois de relever d’une sexualité infantile semi-châtrée (n’être qu’un adulte qui ne peut entretenir comme objet de désir que des enfants), d’être un pervers homosexuel (les petits garçons) et potentiellement un assassin. Accusation «pour rire» bien entendu. Mais plaisanterie qui s’effondre immédiatement sous le poids de sa propre transgression et de la répulsion des images qu’elle convoque.

«Je ne suis pas du tout agressif [dénégation, nda], d’abord je ne vous en veux pas, mais attends [passage intrusif du vouvoiement au tutoiement intempestif], vous me trouvez fâché ? D’abord, le pauvre, il n’est pas pédophile» (rires). Pirouette séductrice : mais non, je plaisantais, je ne suis pas fâché. Sous-texte : mais vous avez vu ce que ça pourrait donner, si fâché je l’étais vraiment… «D’abord, le pauvre, il n’est pas pédophile.» Curieux énoncé : «le pauvre» n’est pas pédophile, c’est-à-dire même pas pédophile, sinon pourquoi pauvre ? Deux possibilités : soit il est «le pauvre» parce que sa sexualité n’est même pas pédophile (castration), soit il est «le pauvre» parce que je viens de le ridiculiser (castration). Pile, je gagne. Face, tu perds. Délire interprétatif ? Oh que non, parce que ce n’est pas fini. Et que le dossier s’alourdit. Et que les preuves s’accumulent. Un peu plus tard : «C’est sans rancune, hein, le pédophile ?» (Rires collectifs) Et voilà l’ex-pédophile de tout à l’heure qui d’un coup le redevient. Enfin, en guise, d’adieu au groupe : «Amis pédophiles, à demain !» Nicolas Sarkozy persiste et signe. Quel boute-en-train, que cet homme !

Crescendo en quatre étapes de la pulsion non maîtrisée : de «prenons l’absurde exemple de votre supposée pédophilie» à «vous êtes tous des pédophiles», en passant par «le pauvre n’est (même) pas pédophile» et «pédophile tout de même, hein le pédophile ?» Du parallèle rhétorique initial, on passe à l’injure individuelle et, enfin, à l’injure collective. Confronté à un danger possible, le fonctionnement psychique du Président rapidement se désorganise. Du contre-exemple qui se voulait une aide à la démonstration, il passe presque immédiatement aux insultes. Il n’est plus tout à fait maître de son discours et c’est rapidement le thème de la pédophilie qui le tient, et non l’inverse. Qui le tient et ne le lâche plus. Et à ces insultes, il reviendra trois fois. Or une insulte, chacun le sait, n’est plus tout à fait une simple verbalisation, c’est déjà un acte. Un passage à l’acte qui, comme toujours, a pour fonction de décharger l’excitation et l’agressivité d’un sujet incapable de se maintenir à un niveau supérieur de fonctionnement cognitif, verbal, et moteur. Un acte régressif qui tient lieu de métabolisation psychique à ceux qui, dans l’instant ou pour longtemps, n’en sont plus capables.

Une péripétie ? Si l’on veut. Quelques plaisanteries qui tombent à plat ? Peut-être. Mais que de saleté véhiculée dans ces escarmouches. Et de mépris à peine déguisé… Non, décidément nous ne rirons pas. Entre autre parce que le populisme le plus répugnant, en s’adressant aux processus et représentations primaires, est toujours gros de l’insidieuse séduction du laisser-aller pulsionnel. C’est précisément en cela qu’il est dangereux. Le pire, toujours, trouve à parler au pire. Et Nicolas Sarkozy ainsi de faire carrière.

Patrick Declerck,

Membre de la Société psychanalytique de Paris et écrivain

Voir aussi : rubrique Science humaines Psychanalyse un douteux discrédit, rubrique rencontre Daniel Friedman, Rolan Gori, rubrique livre Qu’est ce que la critique ?, Todorov La signature humaine,

« Les journalistes font face à l’accélération du temps »

 

Web journalisme, photo Lionel Charrier (Myop)

Qui l’aurait dit il y a dix ans : pour un journaliste, passer au Web est majoritairement perçu comme une opportunité aujourd’hui. Mais la formation pèche. C’est l’un des résultats de l’enquête sur les pratiques et les représentations professionnelles réalisée par l’Observatoire du webjournalisme (1). Une quinzaine de rédactions nationales ou régionales, papier et audiovisuelles, soit 90 journalistes ont répondu. Les questionnaires n’ont pas encore été totalement exploités, mais quelques tendances ont été dévoilées lors des premiers Entretiens du webjournalisme à Metz, organisés lundi et mardi par le Centre de recherche sur les médiations de l’université Paul-Verlaine et par l’Observatoire du récit médiatique de Louvain. «L’objectif est de confronter des universitaires et des professionnels et de faire que l’Obsweb soit un lieu de réflexion des journalistes sur leurs propres pratiques», a expliqué en préambule Arnaud Mercier, l’initiateur du projet.

Stratégies.Dans l’amphi, cette observation de soi-même a son pendant logique. Des caméras et des boîtiers se baladent, les ordinateurs portables sont déployés et les tweets de mise (#obsweb). Il y a là la deuxième promotion de la licence professionnelle journalisme et médias numériques (16 élèves), qui captent les débats et vont alimenter leur webzine école Webullition. Il y a aussi Denis Robert, le parrain de la première promo qui a décidé de faire un docu sur la suivante, parrainée, elle, par John-Paul Lepers. Les cours vont du «Rich Media» à la «datalyse», en passant par l’économie des médias. Côté recherche, les premiers Entretiens s’annoncent comme le prélude à la construction d’un réseau européen et la réalisation d’enquêtes dès 2011 avec Louvain, Genève et Laval sur les stratégies locales et les métiers de l’information numérique.

Desk. Autre enseignement de l’enquête d’Obsweb : «Les directeurs et rédacteurs en chef mettent en avant la nécessité d’être visibles sur les réseaux sociaux», rapporte la chercheuse Brigitte Sebbah, qui précise que les journalistes de base sont plus nuancés. «La majorité ne voit pas l’intérêt de tenir un blog ou d’être sur les réseaux sociaux, considérant leur plus-value utopique.» Cette nécessité de la visibilité et de la différenciation apparaît comme un moteur du personal branding. Pour Steven Jambot, qui collabore notamment au desk de France24.com, «la profession se trouve en plein bouleversement et les jeunes journalistes doivent se faire remarquer. Mais être sur les réseaux ne suffit pas, il faut être un bon journaliste.» L’ utilisation de Facebook ou de Twitter constituent pour certains un laboratoire d’apprentissage pour se protéger et jouer des commentaires.

Journaliste et community manager à France 3-Lorraine, Jean-Christophe Dupuis-Rémond a repris en main le site depuis septembre et demandé aux internautes ce qu’ils en attendaient. La page Facebook a été vivifiée, et a doublé son nombre de fans, dont une surreprésentation des jeunes (70% entre 18 et 44 ans) par rapport au petit écran. Samuel Goldschmidt, journaliste-reporter à RTL, ne se déplace jamais sans Twitter… Il évoque le plaisir d’être le premier à informer. Main sur l’iPhone, prêt à appuyer sur «envoi», il avait préparé le message avant même que le procureur dans l’affaire du petit Grégory n’annonce la réouverture de l’enquête.

(1) http://obsweb.net

Interview Arnaud Mercier

L ‘universitaire, analyse les difficiles conversions des rédactions aux nouveaux modes d’information.Arnaud Mercier, directeur de la licence professionnelle journalisme et médias numériques à l’université Paul-Verlaine à Metz, lancée à la rentrée 2009, explique la montée du webjournalisme.

Pourquoi une formation et un observatoire spécifique au webjournalisme, Obsweb ?

Nous participons tous à un vrai moment internet. Aujourd’hui, quelque chose se joue dans les pratiques, qu’il est nécessaire de restituer dans la recherche. Il faut permettre aux journalistes de descendre de leur vélo pour se regarder pédaler. Personne n’a la recette et n’expérimente le même modèle. Moi aussi, j’ai tâtonné dans l’élaboration de cette formation. Mais je suis parti d’un constat de base. Si un webjournaliste est un journaliste comme un autre, il y a une culture web, une dimension plurimédias, des compétences qui justifient une différenciation.

Qu’on le veuille ou non, un journaliste web dans un média «NEL» [«né en ligne » pour remplacer l’expression « pure player », certains ayant désormais des déclinaisons papier, ndlr], doit acquérir d’autres formes de compétences par rapport à un journaliste traditionnel. Nous dispensons ainsi un cours de datalyse et il faut pour cela bouffer de la ligne de code et savoir se servir d’outils web pour enrichir le contenu. Cela s’apprend et s’acquiert comme un réflexe. Il y a des résistances. Dans le cadre d’Obsweb, un doctorant va ainsi travailler sur les changements dans les rédactions et les résistances à ces changements. Par ailleurs, beaucoup de journalistes, qui se plaignent de ne pas être assez accompagnés dans le passage au Web, sont très critiques vis-à-vis de leur hiérarchie dans la construction de leur stratégie en ligne.

Certains des intervenants aux Entretiens ont avancé que les journalistes étaient réticents au changement, technophobes et nuls en sécurisation de leurs données. Qu’en pensez-vous ?

C’est un retard qui peut être lié à une appréhension du changement. Toute la sociologie de l’innovation montre que les passages s’accompagnent de freins culturels et mentaux. L’autre obstacle évoqué est l’absence de modèle économique pertinent des expériences en ligne. Dans le cadre de notre enquête réalisée dans une quinzaine de rédactions, la hiérarchie de l’une d’elles nous a expliqué ceci : nous avons changé tout le système informatique pour un process multimédia, comme ça nous sommes prêts quand le modèle économique sera là. Mais c’est attendre l’arme au pied ! Est-ce qu’on se lance dans l’eau froide ou on attend qu’elle devienne tiède au risque que la baignoire ait disparu ?

Pourquoi dites-vous «pas de professionnalisation sans déprofessionnalisation»?

Les nouvelles compétences peuvent contribuer à effacer le sentiment de professionnalisation ancré sur leurs anciennes compétences. C’est un défi pour les médias qui doivent continuer à attirer leur public en capitalisant sur la marque, tout s’en adaptant à l’immédiateté et en intégrant les aspirations participatives.

Les journalistes doivent faire face à l’accélération du temps, suivre le rythme des innovations, apprendre à gérer la relation directe avec les internautes, devenir homme-orchestre et être réactif à l’écoute des aspirations du public… Pour la presse quotidienne régionale qui souffre d’un problème de vieillissement de leur lectorat, le Web est le moyen de retrouver un rajeunissement d’une audience. Ce moment-là nécessite un esprit pionnier. Il faut se lancer.

Il n’y a pas de modèle et vous dites qu’il faut foncer…

Le bout du chemin est sûr mais la trajectoire pour l’atteindre ne l’est pas. Tout le monde sait que l’essentiel des pratiques d’information demain se fera par Internet et les supports mobiles. Ne serait-ce que parce que les jeunes générations élevées dans les nouvelles technologies vont vieillir. Je ne crois pas du tout que tout d’un coup, à 40 ans, elles se mettront au papier. La consommation en ligne n’est pas comme les joints qu’on fume à 17 ans et qu’on stoppe en disant j’arrête les bêtises. Ce n’est pas une phase de transition liée à un moment de rébellion. Obsweb accueille aussi un doctorant qui va plancher sur les pratiques d’informations des 15-25 ans. Si on arrive à comprendre leurs usages, on pourra alors trouver les chemins y pour arriver.

Que vous inspire l’événement WikiLeaks ?

Sans le Web, il n’y aurait pas de WikiLeaks. Je suis estomaqué de la réaction frileuse de vieilles bigotes des journalistes traditionnels par rapport à l’idée qu’ils ont des sources confidentielles. Et pourtant, c’est ce qu’ils cherchent à faire au quotidien. C’est peut-être un blocage mental et culturel lié à la modernité de WikiLeaks. Owni a développé un outil qui amène à une valorisation des Warlogs, des données tellement vastes qu’elles ne peuvent pas être exploitées par un journaliste seul. Ce qui est peut-être dur à entendre aussi, c’est que la parole publique n’est plus seulement aux journalistes patentés.

Frederique Roussel ( Libération)

 

Wikileaks : l’Empire contre-attaque

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« Je n’est jamais vu un tel acharnement »

Cédric Manara est professeur de droit à l’Edhec et membre du comité scientifique de Juriscom.net. Depuis 1995, il travaille sur les questions liées à Internet.

La démarche d’Eric Besson, qui a demandé l’arrêt de l’hébergement de WikiLeaks en France, est-elle légitime ?

La communication du ministre, c’est surtout une façon d’attendrir la viande. Il sait très bien que seule une décision de justice peut aboutir à ce résultat. Mais le juge ne peut statuer qu’en fonction d’un texte de loi, et il n’en existe pas qui protège les télégrammes diplomatiques américains. Et quand il n’y a pas de texte, la seule solution, c’est de faire appel au trouble à l’ordre public, qui permet d’interdire un acte contraire aux valeurs portées par la nation. Eric Besson veut donc convaincre l’éventuel futur juge en charge de l’affaire que WikiLeaks entre précisément dans ce cadre. Et il y a des chances pour que ça passe.

C’était aussi une manière de faire pression sur l’hébergeur OVH, qui aurait pu céder et fermer son serveur avant même l’intervention d’un juge…

Oui, ce qui aurait sans doute beaucoup nui à son image. La réaction d’OVH a été très intelligente. Ils savent que selon la loi, ils doivent retirer tout contenu «manifestement illicite» dès qu’ils ont connaissance de son existence. Ils ont appris la présence de WikiLeaks chez eux, mais ils ne pouvaient pas décider du caractère «manifestement illicite», et ils ont donc saisi la justice, qui a finalement refusé de se prononcer, car il faut un débat contradictoire.

Le service de paiement Paypal, qui a clôturé brutalement le compte de WikiLeaks, Amazon, qui a refusé de continuer à les héberger, et EveryDNS qui s’occupait du nom de domaine Wikileaks.org, ont eu moins d’états d’âme…

Ils dépendent du droit américain, qui est très libéral sur le sujet. Dans tous les contrats de ce genre d’entreprises, dans la partie CGU (conditions générales d’utilisation), il y a toujours une clause qui explique, en gros, «on arrête quand on veut, et vous êtes d’accord». Et c’est un des problèmes : Internet, aujourd’hui, est devenu très dépendant de ce droit-là, qui ne garantit pas les droits élémentaires des internautes. Dans le cas présent, il a sans doute suffi d’une pression insistante, directe ou indirecte, du gouvernement des Etats-Unis, et les prestataires se sont très vite exécutés.

Que pensez-vous de l’emballement des derniers jours dans les mesures contre WikiLeaks ?

Ça fait quinze ans que je travaille sur le sujet d’Internet, et je n’ai jamais vu un tel acharnement ! Que ce soit pour des affaires de contrefaçon, pour des ventes aux enchères d’objets nazis, pour le cybersquatting ou pour des sites illégaux de jeux d’argent, les affaires prenaient du temps. On passait soit par l’hébergeur, soit par le fournisseur d’accès, et la justice finissait par se prononcer. Mais pour Assange et WikiLeaks, c’est invraisemblable : on a utilisé en quelques jours tous les leviers possibles. Il ne manque plus que le filtrage, et qu’on interdise l’accès de WikiLeaks aux internautes, et on pourra comparer le tout au modèle chinois. Je trouve cette accélération très inquiétante.

Jusqu’à quel point ?

Jusqu’ici, les problématiques liées à Internet, c’était de la pacotille. Elles répondaient presque exclusivement à une logique économique, comme dans le cas de la contrefaçon. Aujourd’hui, on a l’impression que les Etats viennent de se rendre compte qu’ils ne contrôlent pas vraiment Internet et qu’ils exercent leur pouvoir grâce à des dispositifs techniques qu’ils ne maîtrisent pas totalement. A l’époque des pneumatiques, c’était gérable. Plus maintenant. Quelques jours après le 11 Septembre, les Etats-Unis publiaient un texte d’exception, le Patriot Act, qui mettait en place des mesures liberticides pour, soi-disant, lutter contre le terrorisme. J’ai peur qu’on ait à faire face rapidement à un Patriot Act version Internet pour reprendre la main sur ce qui circule sur le réseau. Et s’affranchir des délais et des contraintes de la justice. Il va sans dire que tous ceux qui réclament plus de contrôle depuis des années, comme les ayants droit, profiteront de cette nouvelle donne.

Les répercussions risquent donc de dépasser le cadre de l’affaire WikiLeaks…

Oui, et finalement on peut penser ce qu’on veut des révélations et du fonctionnement de WikiLeaks. On peut même ne pas avoir d’avis. Mais je crois qu’il faut être plus vigilant que jamais. Ce qui est en train de se passer peut mettre en péril l’Internet que nous connaissons. Et ça peut aller très vite.

Recueilli par Erwan Cario (Libération)

 

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