Expo Providence au Miam. Art circulant Lovegraft es-tu là ?

miam

Le mur de Jim Drain et les totems de Leif Goldberg. Photo JMDI

Expo. Les artistes de Providence Rhode Island (USA) exposés au Musée International des Arts Modestes.

Depuis 15 piges, le MIAM pose des lignes aux quatre coins de la planète et ferre des artistes qui ouvrent les horizons de l’art contemporain en captant les marqueurs identitaires de leur zone urbaine. Actuellement le musée invite les artistes de la ville de Providence, capitale de Rhode Island, une des premières colonies de la Nouvelle Angleterre qui vit naître et s’épanouir les oeuvres hallucinées d’Edgard Allan Poe et de Philip Lovecraft.

Providence devient au XIXe siècle une ville industrielle qui entre en déclin à partir des années 20 sans jamais vraiment se remettre du crac de 1929. Au milieu des années 90, un vieux entrepôt d’une usine de textile rebaptisé Fort Thunder va devenir le lieux carrefour de groupes de musique et de performance undergound.

« La légende raconte que la chaîne CNN, s’est appuyée sur l’anecdote d’un concert sauvage en 1993 par Mat Brinkman et Brian Chippendale, dans un tunnel ferroviaire pour soutenir l’existence d’un culte satanique persistant à Providence, indique le Commissaire de l’exposition Fracas psychédélique en Nouvelle-Angleterre, Jonas Delaborde, mais c’est surtout une certaine texture psychotrope des objets et des images inventés par ces artistes, fracas psychédélique ou assemblage de rebus qui permet de convoquer une Couleur tombée du ciel et des montagnes hallucinées» chère à HP Lovecraft.

L’énergie Providence

Dans ce registre, les dessins en noir et blanc de Mat Brinkman sont sans doute ceux qui se situent les plus près de l’imaginaire de l’auteur de L’Appel de Cthulhu. Si les monstres horribles sont maintenant supplantés par les monstres cinématographiques, cela n’enlève rien à la puissance des dessins de Brinkman destinés à devenir les cartes d’un jeu de plateau.

La quinzaines d’artistes exposés tels que, Melissa Brown, Jessica Ciocci, Philippe Druillet,  Leif Goldberg, Jungil Hong, Marie Lorenz… ne proposent pas une vision du monde commune. Ils partagent en revanche la pratique de la récup et certains réflexes de la pop culture avec un goût soutenu pour exploiter le champ d’aliénation de la conscience.

Le mur où Jim Drain reproduit le T shirt d’Hendrix porté par Iggy Pop apparaît comme un stéréotype du pop art mais le coté mal finit un peu flou, renvoie aussi à une prise de distance à l’égard de l’exaltation.

L’expo propose des connexions multiples entre les artistes en laissant au visiteur l’initiative d’y trouver des liens. Parmi les points communs, on peut relever, l’efficacité de la narration et la dimension transgressive.

S’ajoute cette façon d’établir un contact entre la vie moderne extérieure et la vie empreinte du passé à l’intérieur. On le relève dans la pratique des collages de Brian Chippendale qui joue sur la saturation en renvoyant à la gentrification, ou encore dans la vidéo de Takeshi Murata qui a scanné son atelier pour le restituer éclaté, en nous plongeant dans une totale entropie visuelle.

Le Fracas psychédélique ne se résume-t-il pas après tout dans l’indéterminée relation entre le rêve et la réalité ?

JMDH

Fracas psychédélique en Nouvelle-Angleterre jusqu’au 22 mai 2016 à Sète.

Source : La Marseillaise 20/12/2015

Voir aussi : Actualité Locale,  rubrique Art, rubrique Exposition,

Comme une parenté avec le grand tout

Parant-012

« Mémoire du merveilleux » une installation évolutive par définition. Photo dr

Exposition. Jean-Luc Parant, un artiste archéologue de l’infini à découvrir au musée Paul-Valéry à Sète jusqu’au 28 février.

« On ne devrait prendre la parole que pour dire ce que personne n’a jamais dit, et on ne devrait ouvrir les yeux que pour voir ce que personne n’a jamais vu, afin de pouvoir garder intact l’espace où tout s’entend et où tout se voit, garder intactes la parole et la vue qui ne laisse aucune trace. » Ainsi s’exprime Jean-Luc Parant premier artiste invité du nouveau cycle, Une oeuvre une exposition, proposé par le musée Paul-Valéry à Sète. Il présente son installation monumentale et évolutive Mémoire du merveilleux exposée en 2012 par la galerie parisienne de Pierre-Alain-Challier et qui circule depuis.

Dans le hall du musée sétois, un amas de boules en cire à cacheter et filasse se répand sur le sol comme un glissement de terrain. Des animaux mammifères, poissons, reptiles et coquillages sont enchâssés dans les boules, certains comme les crocodiles, et les oiseaux semblent pouvoir se dégager. « On ne peut pas mettre un oiseau dans une boule », précise l’artiste comme si le reste de sa proposition découlait de l’évidence même. Il y a aussi un éléphanteau aussi intrigué qu’intriguant, libre de ses mouvements dans cette vision vertigineuse du monde. En se rapprochant on discerne une multitude de trous dans les boules qui sont comptés et chiffrés en romain. A partir de ces traces débusquées, on remonte le temps du langage. La somme des trous correspond au nombre de mots du texte écrit par le poète pour chaque boule.

Assemblage de signifiants

D’apparence, Jean-Luc Parant est un homme simple, un poète qui comme tout poète s’interroge sur son humaine condition. « J’écris des textes sur les yeux pour pouvoir entrer dans mes yeux et aller là où mon corps, ne va pas, où je ne suis jamais allé avec lui, où je ne me rappelle pas avoir été touchable. Pour aller là sur la page, dans ma tête, dans l’espace. » Jean-Luc Parant est aussi un plasticien qui fait des boules. « Je fais des boules pour pouvoir entrer dans mes mains et aller là où mes yeux ne vont pas, où je ne suis jamais allé avec eux, où je ne me rappelle pas avoir été visible. Pour aller là dans la matière, dans mon corps sur la terre (…) Dans l’idéal j’aurais aimé que tout soit noir. Je suis un impressionniste de la nuit. »

Le champ d’investigation de Jean-Luc Parant se constitue partiellement de son histoire personnelle. Il a logé dans les boules des choses invisibles comme des vêtements de sa femme et de ses enfants. Il est cependant perceptible que ce morceau d’histoire exposé à la vue du visiteur dépasse la dimension personnelle. Comme une invocation sortie du néant, il rejoint intuitivement les abîmes de la grande nuit. Aire transitionnelle assurant le passage entre représentation de choses et représentation de mots.

JMDH

Au Musée Paul-Valéry de Sète, jusqu’au 28 février.

Source : La Marseillaise 10/12/2015

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Montpellier, rubrique Art, rubrique Exposition, rubrique Livre, Poésie,

hTh. Fraîcheur au musée d’anatomie

«The End», éléments de scénographie sans formol. Photo JMDI

«The End», éléments de scénographie sans formol. Photo JMDI

hTh Lecture. «The End» de Vaeria Raimondi et Enrico Castellani.

Une temporalité singulière dans un lieu singulier, celui du conservatoire d’anatomie de la fac de Médecine de Montpellier. Endroit tout trouvé pour écouter The End, lâché dans le noir muni d’un casque sur les oreilles et d’une lampe torche.

Le texte de Valeria Raimondi et Enrico Castellani interroge la mécanique implacable et vaine de nos existences. Avec le sens de la dramaturgie que construit notre libre cheminement dans l’espace, on évacue d’emblée l’anecdotique pour en venir à notre propre histoire humaine et à son dénouement.

Le texte s’adresse à nous mais la distribution de casques nous isole face au miroir de nos considérations. La voix du lecteur qui se déplace résonne un peu comme une âme amie. Avec plus ou moins d’attention, nous l’écoutons une heure durant, en laissant aller nos pas dans les longues allées du musée où tous les éléments du corps humain (et de quelques animaux) se dévoilent sous vitrines.

En tant qu’oeuvre, la pièce qui se joue n’a rien d’un fait accompli. L’espace qui porte déjà les éléments de la mise en scène médicale, se redistribue selon le parcours physique et psychique du visiteur. Dans les vitrines, les scènes inspirées de récits scientifiques ne font plus vraiment référence. Notre parcours suspend les récits préalables, se soustrait à leurs lois, efface le texte. Il nous renvoie à l’ignorance de notre sort, et à la ténacité d’un «pas encore».

JMDH

Voir aussi : Rubrique Lecture, rubrique Théâtre, rubrique Art,  rubrique Science, rubrique Philosophie, rubrique Montpellier,

Marc Duran. « Je ne représente pas, j’essaie d’évoquer »

photo Rédouane Anfoussi

photo Rédouane Anfoussi

Visite d’atelier. Portrait subjectif de Marc Duran, artiste peintre musicien sétois. Celui qui prétend ne pas savoir ce qu’est l’art pourrait bien avoir la chance d’en faire toute sa vie.

Par un soir d’automne en état d’urgence, Marc Duran se prête au jeu d’une visite impromptue. L’atelier perché dans une rue du quartier haut de Sète est peuplé en ce mois de novembre. « Des fois j’ai envie de sortir, parce qu’il y a trop de monde, prétend l’artiste, seul devant ses toiles. Mais je sais que bientôt elles vont partir, et là je vais sentir le vide et me mettre à bosser comme un dingue. »

Peintre pour de vrai ?

Marc Duran prétend qu’il a débuté la peinture depuis trois ans, qu’il ne sait pas s’il est un vrai peintre mais que depuis qu’il s’y est mis, les gens lui achètent ce qu’il fait. Alors il travaille beaucoup, souvent sur plusieurs toiles à la fois. Il a déjà signé 300 toiles. « Il arrive que certaines personnes veuillent partir avec des tableaux inachevés », prétend Marc. Comme il n’est pas contrariant, il leur cède. Quand certaines toiles lui donnent du fil à retordre, il passe à autre chose. Actuellement, Marc prétend passer ses journées à peindre et à jouer du piano.

Dans le bouillon ?

Au début des années 80, Marc a joué dans plusieurs groupes de  rock punk. A cette époque, il retrouve souvent Combas, Di Rosa et tous les futurs tenants de la figuration libre sétoise. Il baigne  dans la genèse du mouvement. « Ils peignaient et moi je taquinais ma guitare. Aujourd’hui chacun a fait son propre chemin mais on continue à se voir pour parler et boire des coups, c’est une forme de rituel. J’ai toujours été dans la soupe, dans le bouillon… »

Rapport à l’île Singulière ?

« C’est celle d’un vieux couple. Vous connaissez l’histoire du jeune à qui son instituteur demande la différence entre être excité et être énervé ? Il sèche le jeune, alors quand il rentre à la maison, il pose la question à son père qui lui répond : « Eh bien la différence, c’est comme ta mère et moi. Au début, elle m’excitait, maintenant elle m’énerve », prétend Marc Duran, mais on sent bien un profond attachement à la vie sétoise.

Musicien compositeur ?

Marc a eu envie de bouger parce qu’il s’ennuyait, prétend-t’il. Toujours dans les années 80, il quitte Sète pour rejoindre Londres. Outre-Manche, il poursuit la musique pendant dix ans en vivant de ses concerts. Il a enregistré de nombreux CD avec son groupe Les Manchakous ou en solo sous le nom de Marc Di. « J’aime composer,  j’adore faire des arrangements. Je suis allé assez loin. » A son retour en France, Marc, s’associe à des musiciens du conservatoire et compose un opéra sur la trame d’un drame cathare. L’oeuvre est bien reçue. « C’était l’époque où on me prenait pour un curé, et moi je me prenais pour un compositeur  alors que je ne savais pas composer, prétend Marc, après j’ai étudié la musique. J’ai fait cinq ans d’harmonie tonale. »

Etre artiste ?

« Je ne sais pas ce que c’est vraiment qu’être artiste. C’est faire des choses, tout le monde est artiste ou peut l’être, prétend Marc. C’est répondre à une pulsion forte. J’ai fait ça toute ma vie, j’ai composé, produit de la musique, j’ai même écrit un livre, un polar : Bloody mardi. Maintenant je fais de la peinture et de la sculpture », indique Marc en désignant un volume peint qui ressemble à une défense d’éléphant qui aurait traversé la voie lactée. « C’est la corne d’abondance. On à l’impression de faire de l’art. J’ai toujours abordé les choses de ma vie comme de l’art, pour me défouler en agissant en souffrance. L’art c’est plus important que tout. J’ai même refusé des boulots pour continuer… »

Vous connaissez les Cramps ?

Marc réécoute ses anciens morceaux parce qu’il songe à en reprendre certains sous une autre forme. Il fouille dans un tiroir, sort un CD, et le glisse dans un vieux lecteur poussiéreux. Ca sonne underground américain, rock garage un soupçon british. « J’ai reçu une équipe de France Culture et un des programmateurs a flashé sur un de mes morceaux », prétend Marc. Il semble se réjouir que le rapport professionnel entre l’artiste et le journaliste parisien se soit légèrement transformé. « C’est un morceau pornographique qu’il va sans doute utiliser dans une future émission qu’il prépare*. »

Maintenant, Marc marche dans son atelier. « Je fais des kilomètres par jour dans cet espace étroit  pour réfléchir et ne pas m’obstiner », prétend-t-il. Il regarde un tableau comme s’il n’avait plus besoin de parler de lui et que cette toile le renvoyait à un voyage lointain dont il ne se souvenait plus bien. « Vous voyez, là ces personnages… Ce sont les Cramps. Vous connaissez les Cramps ? »

Rapport à la peinture ?

« Comment je travaille ? Je commence par salir la toile. C’est elle qui m’inspire. Je fais des tâches. Je n’arrive pas à élaborer des scènes, prétend Marc. Je me laisse aller, je connais mes limites. Je ne m’attache pas à la composition mais le travail aidant, ça vient tout seul et au final je suis content. Je ne suis pas un bon musicien mais j’ai toujours aimé composer. Avec la peinture, je compose des arrangements autour de mes tâches. »

L’ambiance un peu cacophonique qui règne dans l’atelier confirme la forte présence de la musique dans les tableaux. Face à elles, on imagine l’artiste jouant de la musique sur ses toiles. On le voit calant les motifs et les boucles en rythme comme un dj qui mixe. « En peinture comme dans tout art, il faut un style, prétend Marc. J’ai baigné dans la famille de la figuration libre, mais je ne fais pas de la copie. Je cherche à libérer l’intérieur. Je ne représente pas, j’essaie d’évoquer. Je ne fait pas de la figuration libre, je suis plutôt un artiste brut », prétend Marc Duran.

Rapport au fantôme…

Son travail  qui fait appel à des courbes et des points « indemnes de culture artistique » évoque la fertilité et la féminité. Il est aussi empreint d’étrangeté liée à une présence cachée. « Quand j’étais petit, à la maison, il y avait une porte avec des contours en fer forgé à l’intérieur desquels je voyais des visages qui m’observaient. Je les ai retrouvés il y a peu dans mes toiles… », prétend Marc Duran.

Jean-Marie Dinh

* On retrouvera prochainement Marc Duran dans l’émission de France Culture sur les Docks.

Source :  La Marseillaise 28/11/2015

Voir aussi : Rubrique Art, rubrique Rencontre,

 

Ces corps machine qui nous fascinent

Matt_Mullican_RD-MMUL-001 (2)

Matt Mullican : Le lynchage de l’empathie dans la représentation humaine

Art. L’ancienne faculté de pharmacie de Montpellier devenue La Panacée renoue avec son passé à l’occasion de l’expo d’art contemporain Anatomie de l’automate.

La nouvelle exposition d’art contemporain de la Panacée Anatomie de l’automate s’inscrit dans la continuité d’une ligne programmatique qui interroge notre époque. C’est aussi un retour aux sources, aux belles heures de la dissection qui se tenaient en ce lieu au XVe siècle. Conçue en collaboration avec le Musée d’art moderne et contemporain de Genève, Manco, l’expo a trouvé localement un partenaire logique avec l’Université de Montpellier. La ville dont dépend La Panacée y a vu une occasion intéressante de valoriser l’histoire de la médecine à Montpellier.

« L’exposition prend pour point de départ l’analogie du corps humain et de la machine pour explorer les imaginaires de la vie artificielle, indique le commissaire d’exposition Paul Bernard, l’homme a souvent été perçu comme une machine et la machine peut être perçue comme un homme « , hasarde le jeune commissaire.

On est proche du champ de réflexion du Post humain développé par des philosophes comme Gilbert Simondon, qui s’intéresse au mode d’existence des objets techniques ou comme Dominique Lecourt qui nous invite à réexaminer le système des valeurs admises et à inventer de nouvelles formes de vie qui intègrent les nouvelles techniques de procréation, et les NTIC.

Au-delà du contexte manufacturier, l’avancée des techniques issues de la robotique produit paradoxalement de l’émotion. Mais elle porte aussi en germe une multiplicité d’usages et de conséquences, plus ou moins prévisibles. On sait le peu d’attention que portent les chercheurs aux bouleversements sociaux et éthiques qui pointent. Avec Anatomie de l’automate, on ne doit pas s’attendre à une résistance d’ordre artistique.

Tout au contraire, l’intérêt de l’expo est de mettre en exergue la fascination de la relation homme machine à travers l’histoire depuis les Lumières. Descartes affirmait déjà  que l’animal n’est rien d’autre qu’une machine perfectionnée et ne voyait pas de différence fondamentale entre un automate et un animal.

Une trentaine d’oeuvres de provenance internationale sont mises en regard autour de ce thème, de la frappante dissection verticale du peintre médecin G Alexandre Chicotot, (XIX e) à nos jours. Des pièces sortent du lot comme celle de l’américain Matt Mullican qui réinvente le monde dans une logique post-conceptuelle. L’oeuvre exposée fait état du lynchage de l’empathie dans la représentation humaine. On croise le travail du japonais Tetsumi Kudo, marqué par la bombe atomique, avec une installation au sol pleine de force. On vogue dans l’étrangeté avec l’artiste autrichien Markus Schinwald qui invoque les fantômes contemporains.

Autour de Anatomie de l’automate, la Panacée propose des visites guidées thématiques durant toute la durée de l’exposition.  Et présente aussi des installation plus ludiques. On pourra ainsi se faire tirer le portrait par un robot, réjouissant non ?

JMDH

Source :  La Marseillaise 20/11/2015

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Montpellier, rubrique Art, rubrique Exposition, rubrique Science, rubrique Société, rubrique Philosophie,