Lou Marin :  » Il y a une sous estimation de la pensée libertaire de Camus »

Lou Marin invité chez Sauramps, Photo Redouane Anfoussi

Lou Marin invité chez Sauramps, Photo Redouane Anfoussi

Lou Marin est un chercheur allemand militant engagé dans le réseau des libertaires non–violents. Résidant à Marseille depuis une quinzaine d’année il a rassemblé l’intégralité des textes écrit par Albert Camus dans les revues libertaires en France et dans le monde. Le fruit de son travail a été publié en 2008 par Egrégores éditions, une petite maison marseillaise mais cet ouvrage est passé quasiment inaperçu. Il vient d’être réédité par les éditions montpelliéraines Indigène dirigé par Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou qui en a signé la préface. Lors de la présentation de l’ouvrage qui vient de se tenir à la librairie Sauramps en présence de l’auteur, J-P Barou s’est insurgé de l’impasse que font les grand médias sur cet ouvrage reçu avec un peu d’agacement par les maîtres à penser du monde intellectuel et médiatique français. Rencontre avec Lou Marin.

Qu’est ce qui vous a poussé à entreprendre ce travail sur Camus auquel vous vous êtes attelé durant vingt ans ?

Cette entreprise est liée à mon parcours personnel de militant au sein du mouvement anarchiste non-violent en Allemagne. En France, ce mouvement est assez méconnu. Il a été occulté par les actions de la Fraction armée rouge, or le mouvement non violent est une vieille tradition. On trouve trace de cette philosophie dès le XVIème siècle dans le Discours de la servitude volontaire de La Boétie. Au XIXème des gens comme Proudhon pensaient que la révolution sociale pouvait être atteinte pacifiquement. J’ai collaboré à des journaux comme le Graswurelrevolution et je me suis engagé dans le combat antinucléaire.

Nous avons mis en oeuvre des stratégies non-violentes nouvelles, celle par exemple, de ne pas s’attaquer au coeur du système nucléaire mais à ses infrastructures en s’en prenant au convoi de déchets nucléaires ou en coupant des pylônes électriques construits par les nazis. Détruire du matériel reste une action non-violente car cela ne produit pas de douleur. Nous avons beaucoup d’influence en Allemagne et aussi des résultats avec la fin du nucléaire programmé à échéance 2021.

La notion de discours est importante. Sur ce point on pourrait nous situer entre Bakounine et Ghandi. Mais nous étions à la recherche de revendications actuelles et modernes. Camus a fondé sa pensée à l’épreuve du quotidien. Il a traversé les catastrophes du XX e siècle, il s’est demandé comment est-ce possible qu’une civilisation soit devenue aussi barbare en partageant ce questionnement avec les anarchistes. L’analyse de sa révolte est utile aux militants qui luttent aujourd’hui pacifiquement partout dans le monde.

Cette question de la violence et de la non-violence reste au coeur de ses préoccupations ?

Il y a une conjugaison entre violence et non-violence chez Camus. Dans une auto-interview (1) il écrit : « La violence est inévitable et je ne prêcherai pas la non-violence », ce qu’il fera finalement dix ans plus tard. En 1942-1943 il observe à Chambon-sur-Lignon l’accord non-violent que passe la population du village pour le sauvetage des juifs. Cela le touche profondément. En même temps il ne souhaite pas que le pacifisme aille trop loin dans les compromissions pour éviter les conséquences qui mènent à la collaboration.

En 1958, il soutient les objecteurs de conscience en Algérie où il constate que la lutte armée échoue là où la non violence réussit.

Camus est aussi très lié à l’Espagne où il défend la cause des libertaires…

Pour lui c’est avant tout une question de moralité en tant que résistant. A la fin de 1944, de Gaule reconnaît le franquisme alors que pour Camus la guerre n’est pas finie sans que l’Espagne soit libérée. Cette position l’oppose également aux alliés, notamment à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis qui ont récupéré les troupes franquistes dans le cadre de la guerre froide. Camus trouve ses amis parmi les 500 000 réfugiés espagnols qui subissent la rétirada. Il s’insurge au côté des anarchistes syndicalistes contre l’ONU lorsque l’Unesco reconnaît l’Espagne de Franco.

camus-idgL’objet de votre ouvrage réhabilite la pensée libertaire de Camus Pourquoi a-t-elle été sous-estimée ?

A son époque Camus était un ovni parce qu’il était  à la fois antimarxiste et anticapitaliste, ce qui était inconcevable dans les années 50. Aujourd’hui, ce phénomène me paraît inexplicable. Alors que les essais sur son œuvre abondent et ont mobilisé plus de 3 000 universitaires, philosophes, hommes et femmes de lettres. Personne n’expose cet aspect de sa pensée. Il y a une sous-estimation du militantisme libertaire qui a bénéficié d’une continuité de pensée jusqu’en 68, avant de s’évanouir dans un grand vide. Le mouvement libertaire est jugé sans importance dans le milieu philosophique.

Il n’y a pas de respect pour ceux qui ont pris L’homme révolté en tant qu’oeuvre philosophique. Je crois que le monde libertaire qui milite dans les mouvement sociaux a un but. Ce n’est pas le cas des chercheurs qui ne font pas le lien entre un principe et sa réalisation sociale. Leur but est avant tout égocentrique. Il s’agit d’avoir du renom.

Ne pensez-vous pas que nous sommes plus mûrs aujourd’hui pour saisir cet aspect de sa pensée ?

Il y a certainement un renouveau d’intérêt pour la pensée libertaire. Camus a écrit une phrase comme : « La propriété c’est le meurtre », ce qui prend une certaine résonance quand les ouvriers se suicident sur leur lieu de travail. Sarkozy voulait le transférer au Panthéon ce qui est fort de café pour un antinationaliste.

Tous les droits que nous avons dans une société n’émanent pas de la société. Ils viennent d’en bas. L’État a pour fonction de les arrêter et de les faire reculer lorsqu’il n’y a pas de résistance pour les conduire vers l’extrême droite. »

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

(1) Défense de l’Homme n°10, juin 1949

Albert Camus écrits libertaires, Indigène éditions, 18 euros.

Source : La Marseillaise 18/11/2013

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Festival Voix Vives : Territoires ouverts à la poésie bleue

Le poète syrien Mohamad Fouad accompagné de Ahmed Larfoui Baska Junior (Maroc) : « Nous léchons le sel qui coule des yeux »

Festival. Après la quatrième édition sétoise qui vient de s’achever, le festival
de poésie méditerranéenne Voix Vives, s’apprête à hisser les voiles pour Tolède.

Dans les rues du quartier haut de Sète, les poèmes suspendus ont rejoint la grande bleue. Au grand dam des mouettes et des hommes qui vivent là, de ceux qui sont venus et repartis, le vent semble  avoir transporté d’un coup les poèmes et leur auteur, loin, vers les purs horizons. La magie de ce festival est grande comme les vagues. Une semaine durant la ville portuaire a renoué avec son histoire pour devenir, on ne sait vraiment comment, la cité singulière des origines qui s’y rassemblent. Les 100 poètes invités cette années sont venus de 39 pays différents. Ils ont vécu dans la profusion des langues durant neuf jours et ont emporté avec eux les traces de cette folle expérience.

Samedi soir la ville de Sète a  refermé pour la quatrième fois la semaine poétique et musicale du festival Voix Vives, en gardant à l’esprit, la mélodie des mots, le jeu des langues, la profusion des rencontres, près de 600 rendez-vous, et des mondes brassés.

Un autre temps

Si les chiffres de la fréquentation ne sont pas encore disponibles, (la tendance est à la hausse), il reste comme à chaque clôture un peu de ce présent qui ne l’est plus. Comme si la poésie contemporaine avait le pouvoir de fléchir le temps et l’espace. Ce fut le cas avec l’hommage émouvant rendu  par le festival au contrebassiste disparu cette année Michel Bismut. Ce le fut aussi pour les poètes empêchés, faute d’autorisation de sortie,  cas de la poétesse syrienne Rola Hassan. Grâce à la solidarité des autres poètes, ses poèmes ont été lus pour qu’ils résonnent dans la ville où elle était attendue. Le grand poète palestinien Nasser Rabah* a dû attendre l’ouverture d’une brèche à la frontière entre son pays et l’Egypte, et lorsqu’il est arrivée à Sète avec plusieurs jours de retard, il ne cessait de répéter qu’il était dans « l’âme des choses et du festival ». Ironie du sort, dans l’attente que l’Egypte  lui accorde un visa pour rejoindre la Palestine, Nasser Rabah est toujours en transit à Sète.

En observant les habitants du quartier haut participer aux rencontres ou y assister de leur fenêtre, on mesure l’immense chemin parcouru. En quatre ans, Voix Vives est entré dans la vie de personnes qui n’avaient jamais ouvert un livre de poésie. Le degré de prégnance des dimensions perceptives importe peu. Il varie au grès des esprits et des sensibilités, et pas des bourses, car hormis quelques concerts du soir, tout est gratuit. L’accessibilité des poètes, la parole directe, livrée avec simplicité dans les lieux du quotidien ne peuvent laisser le public indifférent à ce qui se passe.

L’appétit des publics
L’aide de l’UE a permis cette année au festival Voix Vives d’accoster trois nouveaux territoires ouvert à la poésie : El Jadida au Maroc en mai, Gènes en Italie en juin et prochainement Tolède en Espagne. « A El Jadida, nous avons été particulièrement touché par le public en attente de beaucoup de choses dans le domaine de la culture, confie la directrice de la manifestation, Maïthé Vallès Bled. Le fait de proposer de la poésie à la disposition de tous dans un jardin public a déclenché une reconnaissance absolue envers les poètes. » L’édition qui se prépare à Tolède du 6 au 8 septembre, ville historiquement marquée par la présence des trois religions monothéistes, ouvre de belles perspectives de rencontres à ce festival unique en son genre qui a trouvé à Sète un port d’attache.

Jean-Marie Dinh

* Nasser Rabah est né en 1963 à Gaza, il a étudié l’Ingénierie agricole à l’Université du Caire et a publié un recueil poétique intitulé Course derrière une gazelle morte

Source : L’Hérault du Jour 31 07 2013

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Michéa et la gauche de notre imaginaire collectif

Pour défendre le socialisme il faut commencer par l’attaquer » disait l’auteur de 1984. Plus que jamais fidèle à la pensée d’Orwell, Jean-Claude Michéa pose, dans son dernier ouvrage, Le Complexe d’Orphée une réflexion critique sur la gauche française. La thèse du philosophe remet en question les grandes tendances – Droite et Gauche -. On aurait remplacé le parti unique par l’alternance unique mais au fond rien ne change… Entretien

A gauche tout se passe comme si, le point de vue idéaliste, au sens moral et intellectuel, accorde au débat idéologique une circonstance propre et indépendante des facteurs sociaux et des décisions politiques qui aliènent les peuples. Jusqu’où peut-on pousser ce paradoxe ?

Ce qui me paraît paradoxal, en l’occurrence, c’est plutôt l’idée qu’une politique radicale devrait essentiellement travailler à exacerber les « contradictions au sein du peuple » – celles qui sont censées opposer un « peuple de gauche », progressiste dans l’âme, et un « peuple de droite », conservateur par nature – tout en s’efforçant, par ailleurs, de marginaliser la contradiction principale de la société libérale – celle qui oppose les détenteurs du capital ( autrement dit les élites qui contrôlent la richesse, le pouvoir et l’information) à l’ensemble des classes populaires. Il est symptomatique, par exemple, que le terme de « classe dominante » (ou celui de « bourgeoisie ») ait presque totalement disparu du vocabulaire politique et médiatique contemporain, alors même que jamais, dans l’histoire, le destin des individus et des peuples n’avait dépendu à un tel point des décisions prises – hors de tout contrôle démocratique – par une minorité privilégiée.

Une idée clef, que vous explorez en revenant sur l’histoire de la pensée politique dans Le complexe d’Orphée

C’est l’histoire de ce refoulement progressif de la critique de la société capitaliste comme système fondé sur l’exploitation du grand nombre par des minorités privilégiées (critique qui était au cœur du projet socialiste originel) au profit de l’idée qu’elle reposerait d’abord sur un antagonisme entre un « peuple de gauche » et un « peuple de droite », que j’ai cherché à décrire dans complexe d’Orphée. Je rappelle que la « gauche » – au sens particulier que ce terme conserve encore dans notre imaginaire collectif – constituait, en réalité, une configuration idéologique beaucoup plus récente que ne le laisse supposer la légende officielle. Elle n’a véritablement pris naissance que dans le cadre du compromis historique – scellé lors de l’affaire Dreyfus – entre les principaux représentants du mouvement ouvrier socialiste et ceux de la bourgeoisie républicaine et libérale. Ce compromis politique, au départ essentiellement défensif, visait à dresser un « front républicain » contre la droite de l’époque (les « Blancs et les « ultras » de la « Réaction » cléricale et monarchiste) qui demeurait extrêmement puissante et dont les menées séditieuses constituaient une menace croissante pour un système républicain encore fragile.

C’est la nature même de ce pacte défensif qui explique que la gauche du XX ème siècle ait pu si longtemps reprendre à son compte une partie importante des revendications ouvrières et syndicales. Il était clair, cependant, qu’une alliance aussi ambiguë entre partisans de la démocratie libérale (et donc de l’économie de marché) et défenseurs de l’autonomie de la classe ouvrière et de ses alliés ne pouvait pas se prolonger éternellement.

L’accélération de la mondialisation libérale ne cesse de fissurer les valeurs républicaines en déniant notamment toute compétence à la pensée critique d’écrire sa propre histoire …

Le ralentissement de la croissance industrielle et la baisse tendancielle de leur taux de profit – devenues manifestes au début des années soixante-dix – a conduit les grandes firmes capitalistes occidentales à imposer la « liberté des échanges » à l’ensemble des pays de la planète et à démanteler ainsi toutes les frontières protectrices (et, par conséquent, tous les acquis sociaux) que les différents Etats « keynésiens » étaient parvenus à mettre en place au lendemain de la victoire sur le nazisme.

C’est dans ce nouveau contexte d’un « monde ouvert » (la « libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des hommes ») et d’une concurrence « libre et non faussée » qu’a pu être imposée à l’opinion publique (on connaît, en France, le rôle décisif joué, dans une telle opération médiatique, par la critique de l’Etat opérée par les « nouveaux philosophes ») la nouvelle gauche mitterrandiste. Cette capitulation en rase campagne devant la religion du marché explique qu’il n’y ait plus guère de différences, aujourd’hui, entre un programme économique « de gauche » et un programme économique « de droite » (aucun journaliste, par exemple, n’a trouvé stupéfiant le fait que ce soit précisément Christine Lagarde qui ait été choisie par le FMI pour poursuivre la même politique que Dominique Strauss-Kahn).

Comment parvient-on à éluder la question sociale après cette capitulation idéologique ?

Depuis le milieu des années quatre-vingt – toute référence à la question sociale a été définitivement balayée au profit de ces seules questions « sociétales » (mariage gay, légalisation des drogues, vote des étrangers etc.) dont la principale fonction médiatique est de maintenir à tout prix (et surtout en période électorale) cette division permanente entre un « peuple de gauche » et un « peuple de droite » qui rend, par définition, impossible toute alliance anticapitaliste entre les différentes catégories populaires. Il est clair, en effet, que la seule chose que redoute l’oligarchie dirigeante – cette alliance des élites économiques, politiques et culturelles – ce serait l’émergence d’un véritable front populaire ou d’un nouveau printemps des peuples capable de s’attaquer réellement aux bases matérielles et morales du pouvoir qu’elle exerce de façon croissante sur la vie des gens ordinaires.

Recueillis par Jean-Marie Dinh

Le Complexe d’Orphée : La Gauche, les gens ordinaires et la religion du Progrès, éditions Climats.

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Editions Espaces 34 : De la langue dans le texte

Le vent porte les passeurs
Le renouveau de l’édition théâtral a eu lieu. Après une mauvaise passe au début des années 80, de jeunes éditeurs téméraires ont repris le flambeau.Les grands éditeurs s’étaient dégagés de ce domaine en raison de la décision de la Société des auteurs en 1975 d’un changement de versement de droits. Avec la relève, la production d’ouvrages des éditeurs de théâtre a été décuplé au cours des vingt dernières années..
A l’heure où le monde éditorial fait rimer exigence intellectuelle avec précarité, la ligne conduite par Espaces 34 incarne une vision fantasmée de la profession pourrait-on penser. Celle du métier d’éditeur à l’ancienne, exercé par des passionnés dévoués à la littérature. Pourtant ce secteur spécialisé compte de nombreux passeurs qui contribuent au renouvellement de l’écriture en parvenant à trouver un équilibre économique. Actes Sud-Papiers, L’Avant-Scène, L’Arche, Les Editions théâtrales, Le Bord de l’eau, Les Solitaires intempestifs, sont autant d’aventures éditoriales déterminées, et originales ayant permis de sauvegarder et de pérenniser la production théâtrale. Près de 400 pièces de théâtre sont publiées chaque année.

 

L’éditrice Sabine Chevallier évoque son aventure éditoriale.

A Saint- Gély-du-Fesc dans l’Hérault, la discrète maison d’édition Espaces 34 ouvre le champ. Spécialisée dans l’édition théâtrale, elle creuse un sillon fertile en nouvelles formes d’écriture. 

Sabine Chevallier. Photo Rédouane Anfoussi

 » Nous publions des textes qui ne sont pas joués  » explique sobrement Sabine Chevallier. Issue du milieu de la recherche, elle a lancé son projet en 1990 à partir de collections scientifiques et médicales. « Il fallait assurer les fondations de la structure économique avant de démarrer l’édition théâtrale » se souvient-elle. Aujourd’hui Espaces 34 se consacre essentiellement à l’écriture dramatique avec une centaine de titres au catalogue. La ligne éditoriale est répartie en plusieurs collections : Théâtre contemporain, Théâtre du XVIIIe et XIXe siècle (d’auteurs ou de textes méconnus de Voltaire, Marivaux…), Théâtre de traduction, Théâtre jeunesse…

«  Notre travail permet de mettre un fonds à la disposition des metteurs en scène, des universitaires et du lectorat prêt à découvrir de nouveaux auteurs « . Mais dans un climat de crise où la pratique de la lecture est en baisse, lire un texte de théâtre n’est pas une évidence.

Nouvelles formes d’écriture

Face aux livres, Sabine Chevallier a conservé l’envie du lecteur. Elle s’engage sur les textes forts. Le 9 décembre dernier le lieu d’écriture contemporaine montpelliérain La Baignoire a inauguré les Bains d’écriture, un nouveau cycle de rencontres pour donner l’occasion aux auteurs de confronter leur démarche.

Premiers invités Yan Allegret dont le dernier ouvrage Neige a fait l’objet d’une radiodiffusion sur France Culture et Claudine Gallea qui vient de recevoir Le Grand prix de l’écriture dramatique 2011 pour Au Bord. Tous deux publiés chez Espaces 34. « C’est important de consacrer des rencontres à l’écriture théâtrale contemporaine. Cela permet de découvrir des auteurs et de dépasser certaines représentations, confirme l’éditrice. Aborder un texte théâtral , n’est pas plus difficile que de lire une nouvelle ou de la poésie. Les auteurs dramatiques éclatent les formes. Aujourd’hui le mot théâtre recouvre des littératures très différentes. Nous portons un soin particulier aux livres en terme de rythme et d’espace. Notamment dans la collection jeunesse où la présentation favorise l’accès aux textes. »

Les auteurs de théâtre, il faut les défendre dans la durée, Sabine Chevallier le sait. Contrairement au roman ou le roulement est excessivement rapide, le travail d’éditeur de théâtre se pratique au long cours. Environs 50% des textes publiés chez Espaces 34 ont été portés à la scène. Lorsque l’on est patient, la réalité croise souvent le mythe. Il a fallu dix ans avant que Le Médée de Max Rouquette soit mis en scène par Jean-Louis Martinelli. C’est aujourd’hui une des nombreuses références de la maison. Sabine Chevallier poursuit le chemin en s’impliquant avec passion pour éveiller notre curiosité et notre désir de lecteur.

Jean-Marie Dinh

Retrouvez le catalogue sur www.editions-espaces34.fr/

Voir aussi : Rubrique Edition, rubrique Livre, rubrique Théâtre,

 

Espaces 34. L’éditrice Sabine Chevallier évoque son aventure éditoriale.

André Markowicz : passeur littéraire

Le secret et imprévu André Markowicz  se trouve rarement où on l’attend. Il s’est posé un jour quelque part sur le chemin de la littérature russe, dans une forêt profonde, au carrefour du sens interculturel franco-russe. Ses traductions de Ostrovski Pouchkine, Gorki, Dostoievski,  Gogol, Tchékov… s’inscrivent dans une véritable démarche littéraire qui ne relève pas d’une simple transcription, mais d’une mûre digestion.« Je me rends compte qu’il est tellement plus intéressant pour moi de traduire L’Idiot plutôt que d’essayer d’écrire un mauvais roman (…)

Je suis beaucoup plus utile à traduire. Et, en ce qui concerne l’écriture, ce sont les traductions une à une qui posent la question : comment on peut faire ça en français ? »L’œuvre d’André Markowicz se forge de lignes nécessaires qui restaurent la langue russe fil par fil. Il vient de signer chez Actes Sud Le soleil d’Alexandre, celui de Pouchkine ou plus exactement celui des poètes du cercle de Pouchkine toujours présents dans l’âme russe contemporaine où demeure leurs mémoires. D’une œuvre à l’autre, les textes  des poètes russes traversent l’histoire en se faisant écho. Les auteurs furent toujours perturbés par un climat hostile, persécutés, exilés.

Le soleil d’Alexandre débute par un texte de 1845, écrit par Wilhelm Küchelbecker, un ami d’enfance de Pouchkine, décembriste, placé en résidence surveillée dans un village de Sibérie où il finira sa vie aveugle et tuberculeux. La plupart des auteurs de ce mouvement furent décimés par la répression de Nicolas Ier  à la suite coup d’État avorté du 14 décembre 1825.

Le livre d’André Markowicz n’a rien d’une anthologie, il évoque la génération brisée du cercle de ses poètes indignés par l’absolutisme, Joukovski, Batiouchkov, Delvig, Baratynski… On sait que la fin du tsarisme n’ouvrira pas le champ de la liberté comme en témoigne le brigand littéraire Alexandre Vvedenski, (1905-1941), et bien d’autres poètes victimes du stalinisme. Et la malédiction des poètes semble se prolonger dans la Russie du XXIe siècle. Tout le talent de Markowicz est de tirer de cette ombre une vraie lumière.

Jean-Marie Dinh

Aujourd’hui à 19h00, André Markowicz est l’invité de la Maison de la Poésie, en partenariat avec Sauramps.

Le soleil d’Alexandre, éditions Actes Sud, 475p, 28 euros

Voir aussi : Rubrique Livre, Littérature, Littérature russe, , Poésie, rubrique Russie, l’Eglise orthodoxe censure un conte de Pouchkine,