Guerre de l’info : l’UMP achète « Bettencourt » auprès de Google

Pas facile de gérer un contre-feu médiatique efficace pour l’UMP. D’un côté, taper sur les « rumeurs » d’un « blog » (François Baroin) aux « méthodes fascistes » (Xavier Bertrand), voire « un site aux méthodes inqualifiables financé par un riche homme d’affaires » (Frédéric Lefebvre dans une tribune mémorable). En gros, taper sur le méchant Internet, incarné pour l’occasion par Mediapart, responsable de tous les maux. Mais de l’autre, il faut aussi se servir du réseau pour défendre sa cause, on ne peut pas se passer d’un auditoire aussi important.

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Ainsi, sur le site de l’UMP, une page de soutien à Eric Woerth a été créée pour recueillir les messages en faveur du Ministre. « Contre la machination politique destinée à salir la réputation d’Eric Woerth, la majorité est plus que jamais mobilisée. Vous aussi, apportez votre témoignage de soutien au Ministre du Travail. » Pour l’instant, le serveur de l’UMP arrive sans mal à supporter l’ampleur de la mobilisation (630 commentaires). Il faut donc promouvoir cette page, la faire connaître. D’où l’achat auprès de Google des mots clé « Bettencourt » et « Liliane Bettencourt ». Il est difficile de connaître par ailleurs les autres mots concernés par cette campagne.

« L’UMP mobilisée pour soutenir Eric Woerth, un homme droit et intègre ». Il faut avouer que le message tranche aux côtés des autres liens qui s’affichent sur la page (Mediapart, le Monde, Wikipédia, etc.). Même si le trafic généré est au rendez-vous (dû, sans doute, au fait qu’on parle, ici et ailleurs, de l’opération), on peut douter de la pertinence de la démarche. Mais ce n’est pas vraiment un coup d’essai pour l’UMP. Fin 2005 déjà, le parti présidentiel s’était fait remarquer à la suite des émeutes en achetant toute une série de mots clé redirigeant (déjà) vers un site de soutien à la politique du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Parmi ces mots clé, « banlieue », « insécurité », « voyou » ou « racaille ». Le parti avait récidivé l’année suivante en achetant les mots « Tsunami » ou « Ségolène ». Un sens certain de la continuité dans la finesse de leur démarche.

Erwan Cario (Ecrans)

Voir aussi : rubrique Affaire Woerth: la droite attaque violemment Mediapart , Rubrique Internet Très chère neutralité du Net,

Affaire Woerth: la droite attaque violemment Mediapart, Plenel réplique

Dans cette offensive de l’UMP contre les médias, en particulier la presse en ligne, Xavier Bertrand a notamment parlé de «méthodes fascistes» du site d’information. Le directeur de la publication porte plainte.

Course au scoop, infos qui ne seraient pas vérifiées, chasse au Woerth… C’est désormais aux médias et particulièrement à la presse Internet que s’en prend la majorité pour contre-attaquer dans l’affaire Bettencourt qui éclabousse plus que jamais le ministre du Travail. Nouvel angle d’attaque qui traduit, au passage, une profonde méconnaissance des sites d’information.

Eric Woerth lui-même, qui s’expliquait mardi soir au JT de TF1, s’est plaint d’avoir été, depuis trois semaines, «mis au pilori par une forme de presse et par le PS». C’est aussi Xavier Bertrand qui, accompagné de Woerth, un peu plus tard dans la soirée, pour un débat sur les retraites au Raincy (Seine-Saint-Denis) a concentré ses tirs sur le site Mediapart, en pointe sur le dossier Bettencourt, qui avait révélé les enregistrements pirates et publié mardi une interview explosive de l’ancienne comptable de la milliardaire de L’Oréal.

Et le secrétaire général de l’UMP n’y est pas allé de main morte. «Quand certains médias, notamment un site qui utilise des méthodes fascistes à partir d’écoutes qui sont totalement illégales (…) mais dans quel monde on est, dans quel monde on est!, s’est-il exclamé.

Edwy Plenel, directeur de la publication de Mediapart, a annoncé, sur France Info, qu’il allait, avec ses avocats «saisir la justice», les déclarations du patron du parti présidentiel étant «diffamatoires». Dans un communiqué laconique, Xavier Bertrand dit prendre acte «sans surprise» de la réaction de Plenel et se déclare persuadé qu’ «il s’agit assurément de la part de Mediapart et de son fondateur de faire diversion». Sans préciser diversion de quoi.

Le journaliste a, plus tard dans la journée, fait l’objet d’un commentaire ironique de Nicolas Sarkozy, rapporté par des députés Nouveau centre qui rencontraient le Président. «Il s’est drapé dans le rôle du martyr des écoutes de Mitterrand et maintenant il les utilise sans réserve éthique ni méthodologique. Au niveau déontologie, c’est inimaginable», s’est-il étranglé, prédisant que tout «ça va lui retomber sur la tête».

«Une certaine presse des années 30»

Le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, a lui aussi eu des mots outranciers à l’égard des médias. Allant jusqu’à affirmer que Mediapart lui rappelait «une certaine presse des années 30». «Qui a apporté une preuve?» lance-t-il sur France Info, visant le journaliste Fabrice Lhomme qui aurait dit, selon Estrosi: «Nous n’avons aucune preuve, mais ça paraît plausible.» Et d’en appeler à «la déontologie et [à] l’éthique des journalistes».

Volant également à la rescousse de son collègue du gouvernement «chaque jour calomnié à partir de rumeurs», le ministre de la Défense, Hervé Morin, y voit, lui, «une compétition effrénée entre la presse médiatique classique et Internet» «plus rien n’est contrôlé», «où on ne prend pas le temps, un seul instant, de vérifier simplement l’information qui vous est donnée». «Ce qui se fait sur Eric Woerth, c’est une tyrannie», a-t-il dénoncé sur RMC-BFM TV.

Tout aussi prompte à prodiguer des leçons de journalisme, la secrétaire d’Etat, Nadine Morano, qualifiant Mediapart de «site de ragots, de déclarations anonymes», s’est scandalisée sur le plateau du 19/20 sur France 3: «Je trouve qu’aujourd’hui, on a dépassé les bornes et j’en appelle à l’éthique des journalistes, mais de tous les journalistes !»

«Attaque en règle contre la profession»

Des propos qui ont choqué le SNJ-CGT. S’inquiétant d’une «véritable attaque en règle contre la profession», le syndicat national des journalistes répond, dans un communiqué, à Morano: «La profession n’a pas besoin que la ministre d’un gouvernement et d’un président de la République aux abois, emmêlés dans les affaires de fric roi, vienne nous donner des leçons».

En sortant de Matignon où le Premier ministre a reçu une partie de son gouvernement et des parlementaires de la majorité, Morano persiste et signe reprenant à son compte l’attaque de Bertrand, et dénonçant des «méthodes fascistes de sites internet» et une «collusion politico-médiatico-trotskyste». «J’en appelle à votre vigilance. Un jour, cela peut vous arriver d’avoir votre honneur jeté aux chiens», a-t-elle prévenu.

«Au bout de trois semaines de révélations», «la garde rapprochée du Président» fait preuve, dénonce encore Edwy Plenel, «d’un mépris profond de la démocratie et de la justice, dans sa mauvaise foi». S’appuyant sur le refus, la semaine dernière, du tribunal de grande instance de Paris, de retirer les enregistrements pirates sur Mediapart et lepoint.fr, comme le demandait le camp Bettencourt, le journaliste rappelle que la justice a donc estimé ces informations «légitimes et d’intérêt public»: «nous avons fait notre travail de manière rigoureuse.»

Affichant son «soutien aux médias «attaqués par le gouvernement» et l’UMP, le PS a condamné les «attaques injurieuses» et «extrêmement graves» contre Mediapart.

 

Voir aussi : rubrique politique L’UMP achète le nom Bettencourt chez Google,

Les jeunes journalistes sont contraints de s’adapter dans une presse en pleine crise

Carte blanche ou presque ! dessin Loic

La profession se porte mal, mais il n’y a jamais eu autant de candidats à l’entrée des écoles de journalisme. Ce sont 931 étudiants qui ont passé, en 2009, l’écrit du Centre de formation des journalistes (CFJ) de Paris (+ 11 %) pour un nombre stable de… 45 places. A l’Ecole de journalisme de Lille (ESJ), ils étaient 900 pour 44 places (+ 7 %).

« C’est un métier qui fait toujours rêver », constate Pierre-Savary, directeur des études à l’ESJ. Pourtant, les étudiants sont conscients des difficultés pour entrer dans la profession. »Les formations se sont aussi multipliées : 70 écoles, dont 13 reconnues par la profession. Les résultats d’une étude réalisée par Christine Leteinturier de l’Institut français de presse (IFP) et financée par l’Agence nationale de la recherche (ANR), montre que la précarité n’a jamais été si élevée. En 2008, parmi les nouveaux titulaires de la carte de presse entrant dans la profession, les contrats à durée indéterminée n’étaient que 41 % (69 % en 1998 et 72 % en 1990). Si la proportion de pigistes reste stable (23 % des nouveaux entrants en 2008), la part des contrats à durée déterminée (CDD) grandit (29 %). Des titulaires de contrats en alternance ont fait leur apparition (7 %). Et 16 % des nouveaux journalistes n’ont pas demandé le renouvellement de leur carte en 2009.

Les stages non rémunérés sont une pratique de plus en plus fréquente dans l’audiovisuel, la presse quotidienne nationale et les médias numériques. Au mieux, le stagiaire sera « dédommagé » : il touchera environ 400 euros pour un mois de travail. Au pire, il recevra des avantages en nature ou rien du tout. « Difficile de dire que je suis exploité car je suis volontaire, reconnaît un stagiaire qui enchaîne les stages et travaille actuellement dans un média Internet. Je produis pratiquement un papier tous les jours, je reste tard le soir. On m’a tellement répété que les places sont chères et qu’il faut faire ses preuves que je me donne à fond. » A France 3, sur 31 étudiants en CDD de fin d’études pris à l’été 2009, 9 ont vu leur contrat reconduit en mai 2010 après une course d’obstacles. Au point qu’ils ont été surpris d’être nommés les « Koh Lanta ». Même les écoles les plus cotées ont du mal à garantir à leurs étudiants un CDD de fin d’études dans un média prestigieux.

Il y a dix ans, nous avions une dizaine de stages de fin d’études en presse quotidienne nationale, témoigne Pierre Savary, de l’ESJ. Cette année, nous en aurons trois ou quatre. »pour Remy Rieffel, directeur du mastère de journalisme de l’Institut français de presse, « la presse quotidienne régionale joue souvent le jeu ». Pour d’autres supports, il avoue se trouver face à un « dilemme ». Lorsque nos étudiants se voient proposer un stage non rémunéré dans un média intéressant, si nous acceptons, nous entrons dans un cercle vicieux. Si nous refusons, nous les privons d’une opportunité. »

Des journalistes autoentrepreneurs sont apparus. Etienne Thierry, 36 ans, a quitté en 2009 après un plan social. Il propose des piges à diverses publications. En prospectant sur Internet, il a trouvé un portail prêt à lui acheter deux articles par mois contre 600 euros. Mais il doit présenter des factures et prendre le statut d’autoentrepreneur. « En dix jours, j’ai créé mon autoentreprise, raconte-t-il. Je découvre ce statut avec lequel je ne suis pas très à l’aise. » En principe, ce statut créé en 2009 ne s’adresse pas aux journalistes. La commission de la carte des journalistes refuse de la délivrer aux rédacteurs exerçant sous ce statut jugeant que deux critères essentiels ne sont pas remplis : ils ne sont pas salariés d’une entreprise de presse et mélangent souvent dans leur activité journalisme et communication.

« Si l’employeur n’est plus éditeur, cela signifie que le journaliste perd son statut et les garanties qui vont avec Eric Marquis, vice-président de la commission. Si la loi accorde au pigiste des garanties comparables à celles d’un salarié, ce n’est pas le cas pour l’autoentrepreneur. Le statut offre des avantages : la liberté, selon certains, et des charges sociales moins élevées. D’autres y voient des inconvénients. « En termes de précarité, c’est catastrophique. Je suis soumis à la pression tarifaire du client », témoigne un rédacteur travaillant pour l’Internet. Il est vrai que le prix du feuillet (1 500 signes) varie considérablement : autour de 100 euros sur le papier, il peut tomber à 30 euros pour des médias Web.

Xavier Ternisien (Le Monde)

Le Nouvel Observateur se dit prêt à reprendre le groupe Le Monde

Le groupe Le Nouvel Observateur est prêt à reprendre le groupe Le Monde, a annoncé ce mardi la direction du groupe présidé par Claude Perdriel.

logo-lemonde«Devant les problèmes de financement qui se posent aujourd’hui, Le Nouvel Observateur ne peut rester indifférent et souhaite contribuer à une solution qui préserve cette indépendance», précise le Nouvel Observateur dans un communiqué. «Le Nouvel Observateur est actionnaire et administrateur du groupe Le Monde depuis le 19 juin 2002 afin de contribuer à défendre l’existence et l’indépendance de ce groupe.» «Vu les difficultés que traverse Le Monde, notamment la question de sa recapitalisation, Le Nouvel Obs, propose ainsi une reprise qui assure la poursuite de l’indépendance du quotidien», précise une porte-parole du Nouvel Observateur. «Nous avons eu des discussions ces dernier jours avec Claude Perdriel qui avait manifesté son intérêt, ces discussions se poursuivront dans les prochains jours», a dit le président du directoire du Monde, Eric Fottorino, interrogé par l’AFP. A la direction du Monde on souligne que cette offre n’est pas la seule à l’étude.

AFP

GROUPE LE MONDE

Formé en 2003, le groupe rassemble le quotidien du soir, le pôle internet Le Monde Interactif (lemonde.fr, lepost.fr…), un pôle de presse magazine (Télérama, La Vie, Courrier International…) et une imprimerie.

Le quotidien était diffusé en 2009 à 288.049 exemplaires, en baisse de 4,14% par rapport à 2008.

Le groupe a enregistré en 2009 une perte nette de 25,2 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 397 millions d’euros.

Le Monde et partenaires associés (LMPA), la holding de contrôle du groupe, est contrôlée à 52% par des actionnaires internes (les différentes sociétés de personnels du groupe) et à 48% par des actionnaires dits «partenaires» (InvestMonde, Le Monde Entreprises, La Société des lecteurs du Monde…).

Cette structure contrôle 60,4% du Monde SA, dont les principaux actionnaires sont Lagardère et le groupe de presse espagnol Prisa.

Confronté à un lourd endettement, le groupe doit procéder à une recapitalisation d’ici la fin 2010, ce qui pourrait modifier cette structure de gouvernance.

Le Monde est dirigé depuis 2008 par le journaliste Eric Fottorino, président du directoire. Son conseil de surveillance est présidé par l’ancien PDG de Renault et ex-président de la Halde, Louis Schweitzer.

Le groupe emploie plus de 1.000 salariés, dont 280 journalistes au quotidien.

GROUPE NOUVEL OBSERVATEUR

Le groupe rassemble l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur et son site internet, le magazine économique Challenges et le mensuel scientifique Sciences et Avenir.

Il a été créé par l’industriel Claude Perdriel, fondateur de la Société française d’assainissement (SFA), qui détient le brevet des célèbres sanibroyeurs. SFA, qui emploie 1.200 personnes toutes activités confondues, détient 92% du groupe Le Nouvel Observateur.

Non coté, le groupe ne publie pas ses comptes. L’hebdomadaire, créé en 1964 par Perdriel et le journaliste Jean Daniel, a enregistré en 2009 une perte estimée à 4 millions d’euros.

Premier «news magazine» français, Le Nouvel Observateur était diffusé en 2009 à 502.221 exemplaires (-1,53%).

Claude Perdriel, 83 ans, a confié en 2008 la direction opérationnelle du groupe à Denis Olivennes. Il reste président du conseil de surveillance

L’ère des robots-journalistes

Techniques journalistiques révolutionnaires: articles ou journaux télévisés conçus par des ordinateurs.

A première vue, rien de surprenant. Un compte rendu de sport d’une confondante banalité : « Les efforts remarquables de Joe Mauer n’ont pas suffi à assurer la victoire des Minnesota Twins contre les Texas Rangers lundi dernier au stade d’Arlington. Les Rangers l’ont emporté sur un score de 8 à 5 (…) Quand il maniait la batte, Mauer a été excellent de bout en bout. Il a marqué une fois dans la première manche et deux fois dans la sixième. Du côté des Texans, l’artisan de la victoire est sans conteste Tommy Hunter, qui a remporté avec brio son cinquième match d’affilée… » Un article de sport comme il en existe donc des milliers, publiés dans les pages sport de la presse américaine. Seule différence, mais de taille : il est signé The Machine, préparé et rédigé par un programme d’intelligence artificielle, baptisé Stats Monkey.

Depuis des décennies, dans le monde, des ouvriers découvrent un beau matin qu’ils vont être remplacés par un robot. Si les journalistes se croyaient à l’abri de ce genre de mésaventure, ils avaient tort. Depuis quelques mois, ils peuvent aller à Evanston (Illinois), près de Chicago, pour voir et tester le système qui va peut-être bientôt les suppléer. Il est tapi dans un réseau d’ordinateurs appartenant au laboratoire d’information intelligente (Infolab), installé sur le campus de l’université du Northwestern.

Pour déclencher Stats Monkey, il suffit qu’un humain lui indique quel match il doit couvrir. Une fois lancé, il travaille automatiquement de A à Z. Il commence par télécharger les tableaux chiffrés publiés par les sites Web des ligues de base-ball, et collecte les données brutes : score minute par minute, actions individuelles, stratégies collectives, incidents… Puis il classe cette masse d’informations et reconstruit le déroulé du match en langage informatique. Ensuite, il va puiser son vocabulaire dans une base de données contenant une liste de phrases, d’expressions toutes faites, de figures de style et de mots-clés revenant fréquemment dans la presse sportive. Il va alors rédiger un article, sans fautes de grammaire ni d’orthographe.

Il peut fournir plusieurs versions, rédigées dans un style plus ou moins imagé (« Les Minnesota Twins ont : perdu/reçu une sévère correction/esquinté leurs battes en pure perte… ») ou encore deux articles adoptant le point de vue de l’une ou l’autre équipe. Il ira même chercher sur Internet les photos des principaux joueurs. Le tout en deux secondes chrono, qui dit mieux ? Le rêve de tout chef de service : un journaliste rapide, pas cher, sans états d’âme.

Stats Monkey a été imaginé par les professeurs Larry Birnbaum et Kris Hammond, spécialistes d’intelligence artificielle. Puis son développement a été confié à John Templon, 27 ans, diplômé de journalisme, et Nick Allen, 25 ans, informaticien. M. Allen estime que le but est quasiment atteint : « Les articles écrits par The Machine sont très proches des dépêches sportives de l’agence Associated Press, qui sont souvent reprises telles quelles par les journaux. »

La première version de la liste de phrases-clés a été réalisée manuellement, mais, à l’avenir, Stats Monkey l’enrichira automatiquement, en décortiquant de gros volumes d’articles écrits par des humains. Il pourra même imiter le style d’écriture de tel ou tel journaliste connu. Une version commerciale de Stats Monkey sera bientôt accessible en ligne. Kris Hammond vise en priorité les journaux locaux et les sites Web de sport, qui n’ont pas les moyens de payer des pigistes pour écrire les comptes rendus de tous les matches de leur région : « Il y a aux Etats-Unis 160 000 équipes scolaires de base-ball qui n’intéressent pas les journalistes, mais qui passionnent des millions de gens. »

Infolab a l’intention d’adapter Stats Monkey à d’autres sports, notamment le football et le basket-ball. Il souhaite également se lancer dans le secteur de la finance et de la Bourse – où, là aussi, les journalistes utilisent massivement un nombre assez limité d’expressions toutes faites. A nouveau, Kris Hammond parle chiffres : « 54 000 sociétés américaines sont cotées en Bourse, et chacune d’elles doit publier des données chiffrées, qui intéressent les actionnaires, les employés, les clients… Or, à peine 3 000 d’entre elles sont suivies par la presse économique. »

Reste une question épineuse : si l’on met en place un système efficace et bon marché pour couvrir les matches locaux et la vie des PME, pourquoi ne pas étendre peu à peu son usage aux rencontres importantes et aux grosses entreprises ? M. Hammond a une réponse toute faite : « Notre but est juste de fournir aux journalistes des outils qui les débarrasseront des tâches les plus répétitives et les moins intéressantes. Ils dégageront ainsi du temps pour accomplir leurs missions nobles : reportages de terrain, investigations, analyses… »

Au même étage, trois chercheurs mettent au point un système expérimental baptisé News at Seven, qui fabrique des mini-journaux télévisés pour Internet, présentés par Zoe et George, deux personnages de dessin animé. Le spectateur se contente de choisir trois thèmes d’actualité – par exemple politique intérieure, basket-ball et nouveau film -, News at Seven se charge du reste. Il parcourt une série de sites d’informations pour trouver des textes pertinents, qu’il raccourcit. Puis il les envoie vers un logiciel de synthèse vocale, qui crée deux fichiers audio – une voix d’homme, et une de femme. Les textes sont aussitôt dits à l’écran par Zoe et George.

Pour les critiques de films, News at Seven apprend à faire le tri entre les articles élogieux et négatifs, grâce à un dictionnaire de mots-clés. En même temps, il cherche sur Internet des vidéos pouvant illustrer les thèmes choisis, et les insère dans l’émission.

Dès le lancement des projets, les responsables d’Infolab avaient poussé les jeunes chercheurs à aller faire des stages de formation à l’école de journalisme Medill, rattachée à l’université. Nathan Nichols, diplômé d’informatique travaillant sur News at Seven, se souvient qu’au début la collaboration n’était pas idéale : « Des étudiants demandaient à leurs profs : faut-il vraiment aider ces gens à détruire nos futurs emplois ? Et certains profs semblaient assez d’accord avec eux. » Pour combler ce fossé, Infolab et Medill ont créé en 2009 un organisme commun d’enseignement et de recherche, le Centre d’innovation en technologie, médias et journalisme, qui va accueillir des étudiants venus des deux écoles et leur apprendre à travailler ensemble.

Le rapprochement se fait aussi avec la grande presse. Bill Adee, directeur du département numérique du Chicago Tribune, est venu à Evanston pour étudier une éventuelle coopération avec Infolab sur des projets à venir, notamment des outils de veille pour repérer les sujets qui agitent Internet. Il a aussi invité plusieurs fois MM. Birnbaum et Hammond à la rédaction du Chicago Tribune : « Je leur donne des conseils pratiques, en adoptant le point de vue du journaliste. Ça les aide à concevoir des outils qui nous seront réellement utiles. » M. Adee ne s’intéresse pas particulièrement à Stats Monkey, mais il sait que, face à ce rapprochement, certains de ses confrères pourraient se sentir menacés : « Dans tous les journaux, il y a des gens qui passent leur temps à écrire des comptes rendus de matches. J’espère que, si on leur en offre la possibilité, ils seront capables à l’avenir de faire autre chose. » De même, Larry Birnbaum est conscient de l’impact de ses inventions : « Nous sommes en train de créer un paysage médiatique que nous ne comprenons pas encore, mais nous savons déjà que l’organisation économique des médias devra s’y adapter. Le défi sera d’intégrer les valeurs classiques du journalisme dans ces nouveaux outils. »

Yves Eudes ( Le Monde)
Voir aussi : Rubrique Médias Le postulat de la presse libre revu et corrigé, Rubrique Internet Très chère neutralité du Net, rubrique Finance, Bientôt le Krach automatique,