Après les cris de joie et les feux d’artifice, après les images de ces drapeaux égyptiens portés à bout de bras s’étalant à la Une de toute la presse, l’enthousiasme a cédé la place au doute. Partout, les mêmes questions fleurissent à présent dans les colonnes des journaux : L’Egypte a-t-elle été le théâtre d’un coup d’Etat ? Le vrai Printemps arabe est-il en train de commencer ? Quelle lueur d’espoir apporter au monde arabo-musulman, entre la sombre cruauté des dictatures et l’obscurantisme des partis religieux ?
Quelle que soit la suite des événements, écrit L’ORIENT LE JOUR, la crise égyptienne ne fait finalement que souligner, dit-il, une série de paradoxes. Lorsque pour les uns, l’armée n’a fait que servir le peuple et l’a aidé à accomplir une deuxième révolution, pour d’autres, elle vient de commettre un coup d’Etat contre le premier président égyptien élu. ». En clair, pour les «gagnants» du jour c’est une victoire de la démocratie et pour les «perdants» c’est une atteinte à la démocratie.
Imaginez simplement, que toutes les forces qui sont sorties dans la rue, lançant le début des manifestations qui ont précipité le renversement de Morsi, s’étaient rendues dans le même nombre dans les bureaux de vote, pour sanctionner les candidats des Frères musulmans à la députation ? Un tel Parlement, analyse THE FOREIGN POLICY cité par SLATE aurait permis de mettre sur pied, un véritable équilibre des pouvoirs au sein d’institutions démocratiquement élues et empêché le président de confisquer tous les pouvoirs électoraux. La démocratie aurait fonctionné. Sauf qu’une fois de plus, c’est la loi du plus fort qui règne en Egypte se désole son confrère néerlandais LOYAUTE (TROUW), un principe qui menace de réduire à néant la jeune démocratie égyptienne à tous les niveaux.
Car même si l’ex président était sans doute le mauvais homme, à la mauvaise place, au mauvais moment, résume THE FINANCIAL TIMES, pour autant, prévient LE TEMPS de Genève, la neutralisation du président islamiste ne règle rien, elle propulse seulement l’Egypte dans le brouillard. Ainsi, l’Egypte se trouverait à nouveau à un carrefour dangereux, renchérit THE IRISH TIMES, sans la garantie qu’une seconde révolution ne s’avère plus réussie que la première. Car même si le pire a été évité, reconnaît THE FOREIGN POLICY, l’Egypte court désormais le risque réel de se retrouver entraîné dans une spirale sans fin d’échecs gouvernementaux, d’interventions de l’armée et de soulèvements populaires. Et d’en conclure, l’opposition a certes prouvé sa capacité à mobiliser la rue sur les questions de fond, mais elle demeure aussi divisée sur le plan intérieur qu’auparavant et n’a pas le moindre programme politique cohérent. En clair, l’intervention de l’armée est en soi l’admission de l’échec de toute la classe politique égyptienne, à commencer par les Frères Musulmans, lesquels ont laissé passer une chance historique.
Mais ce coup d’Etat ne concerne pas seulement, l’Egypte, ce pays central du monde arabe, non ses effets se répercutent aujourd’hui dans une région en plein bouleversement, prévient encore LE TEMPS de Genève. Et particulièrement dans l’émirat du Qatar, aussi minuscule qu’immensément riche. Il y a deux ans, c’est sur Al-Jazira, la chaîne établie dans l’émirat, qu’une bonne partie du monde s’enthousiasmait devant le courage des révolutionnaires de la place Tahrir du Caire. Or ces derniers jours, sur la même chaîne, il n’y avait pratiquement pas d’images de cette foule, pourtant bien plus considérable encore, réunie pour réclamer le départ du président Morsi.
A l’inverse, autre indice de l’état d’esprit dans la région, la rivale d’Al-Jazira, Al-Arabiya, la chaîne arabe appartenant à des membres de la famille royale saoudienne, cette fois-ci, a suivi avec passion les événements qui ont conduit à la chute du président Morsi. Car le sort du premier chef de l’Etat issu de la mouvance des Frères musulmans était devenu une question pratiquement existentielle pour des pays du Golfe qui ont multiplié les commentaires négatifs sur la manière dont les autorités égyptiennes dirigeaient le pays.
Et l’article de préciser, à la lumière des derniers évènements en Egypte, on voit donc bien comment la guerre est désormais pratiquement déclarée entre le petit émirat et les vrais poids lourds du Golfe que sont l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. En l’occurrence, la démission de Morsi est un revers considérable pour le Qatar, l’émirat qui s’était profilé comme le parrain éclairé du monde arabe de demain, apportant un soutien d’autant plus appuyé aux mouvements révolutionnaires issus du Printemps arabe, que ceux-ci étaient proches de la mouvance des Frères musulmans.
Même analyse pour son confrère libanais L’ORIENT LE JOUR : En remplissant sa mission, l’armée égyptienne est en même temps en phase avec les derniers développements dans la région. D’abord en Turquie, où le parti d’Erdogan était en quelque sorte le chef de file des Frères musulmans dans leur image modérée. Brusquement, et à travers les protestations populaires, cette image a été ébranlée. Puis ce fut le tour de l’Égypte d’être le théâtre d’un changement spectaculaire qui n’était même pas envisageable il y a quelques mois encore.
Or le risque prévient le quotidien flamand DER STANDAARD, c’est qu’il peut s’avérer dangereux et contre-productif de chasser les Frères Musulmans de la politique ou de les priver de leurs victoires électorales, deux ans seulement après leur arrivée au pouvoir. Car il y a une forte probabilité que des éléments radicaux au sein des Frères musulmans mais plus encore que des groupes salafistes y voient la preuve qu’il ne sert à rien de respecter les règles démocratiques. Certains pourraient alors faire dissidence et recourir à la violence.
Le Figaro (Pierre Rousselin) La sanction de l’échec des islamistes.
« Mohammed Morsi s’est révélé encore plus incapable de gérer son pays que ne l’avait été Hosni Moubarak. À la différence de son prédécesseur, qui s’était maintenu à la tête de l’Égypte pendant trente longues années, le président islamiste, élu dans la plus stricte légitimité ilyaunan, aura très vite soulevé la vague de contestation qui est en passe de l’emporter. Les événements auxquels nous venons d’assister place Tahrir ressemblent beaucoup à ceux qui s’y sont déroulés en 2011 et qui avaient conduit à la chute du dictateur. Maintenant comme à l’époque, les contestataires sont le fer de lance du mouvement révolutionnaire. Mais, en coulisse, c’est toujours l’armée qui a le dernier mot. Face au soulèvement de la jeunesse urbaine, les généraux avaient, il y a deux ans, lâché le patriarche en bout de course et son clan d’affairistes. Ainsi ont-ils préservé leurs prébendes et leurs intérêts économiques et industriels considérables, qui font de l’institution militaire un État dans l’État égyptien…Une fois installé au pouvoir, avec 51,7% des voix, Morsi a présidé une parodie de démocratie. Sans rien régler des problèmes économiques, sans tenir compte des intérêts du pays, il a imposé la loi de son propre mouvement, le droit de vote n’étant pour ses partisans, qu’un moyen de faire régner la dictature du plus grand nombre. En un an, l’opposition s’est mieux organisée. L’armée, qui s’était accommodée de Morsi, l’a finalement lâché, à son tour. La partie est délicate : il faut éviter l’apparence d’un putsch qui compromettrait l’aide américaine, éviter aussi que les islamistes se présenter en victimes d’un coup d’État contre une démocratie qu’ils n’ont jamais su, ni voulu, faire fonctionner. »
Libération (Fabrice Rousselot)
« Le spectre d’un retour vers le passé. La peur d’une guerre civile et d’un coup d’Etatmilitaire dans la violence comme l’Egypte en a malheureusement déjà connu. En un an de pouvoir, Mohamed Morsi n’a pas su faire la preuve qu’un islam modéré peut évidemment s’inscrire dans un cadre démocratique. Il a, au contraire, suivi sa propre dérive autoritaire, focalisant toutes les frustrations autour de sa réforme controversée de la Constitution, qui porte clairement atteinte aux libertés publiques et aux libertés religieuses. Et ravive les pires inquiétudes. Dans un pays exsangue,Mohamed Morsi n’a pas su répondre non plus aux aspirations économiques d’une population lassée de voir, depuis des décennies, les richesses se concentrer entre les mains de l’élite politique. Aujourd’hui donc, l’armée a repris la main, avec tous les dangers que cela comporte. Les militaires, qui se sont engagés à organiser une nouvelle élection présidentielle, ont la responsabilité de prendre la voie du dialogue et non celle des armes, afin que pouvoir et opposition trouvent une porte de sortie. »
AFP archives/Fred Dufour
Ouest France (Laurent Marchand)
« C’était devenu depuis quelques jours la seule issue prévisible. Sous la pression de la rue. Sous le poids de ses échecs économiques et politiques. Mohamed Morsi, le premier président civil élu démocratiquement de l’Égypte moderne, a été renversé. L’armée est à la manoeuvre, par le biais du général al-Sissi, le chef des armées et ministre de la Défense. La foule scandait son nom sur la place Tahrir depuis dimanche. Devant le risque croissant de guerre civile, l’intervention de l’armée était souhaitée par une large part de l’opinion. Officiellement, les militaires n’entendent pas gouverner, autrement dit revenir à la situation qui prévalait sous Moubarak, mais guider une transition. Tenter de la remettre sur les rails où les Frères musulmans n’ont pas su la tenir. Rédiger une nouvelle constitution…Ce qui est encore totalement imprévisible, c’est l’impact que ce retour du pouvoir de l’armée aura sur toutes les composantes de l’islam politique…Au Caire, c’est l’armée qui écoute la rue à présent. Tout en conservant sa position ultradominante sur l’économie, la sécurité et la politique égyptienne. C’est la révolution qui est permanente, ou la contre-révolution ? »
Le Journal de la Haute Marne (Patrice Chabanet)
« Un coup d’Etat militaire n’est jamais l’expression d’un bon bilan de santé démocratique. Mais entre deux maux il faut choisir le moindre. C’est du moins l’objectif que s’est assigné l’armée égyptienne en suspendant la Constitution du pays et en destituant le président Morsi. Ce dernier, démocratiquement élu c’est vrai, n’a pas su fédérer les énergies d’un pays exsangue. Il n’a pas été capable non plus d’endiguer la montée de groupes plus radicaux que les Frères musulmans, comme en témoignent les agressions contre les chrétiens coptes. L’armée a promis de retourner dans les casernes après une période de transition. Encore faut-il que la classe politique parvienne à réduire ses divisions et à mieux délimiter les prérogatives de la religion. L’Egypte entre donc dans une période d’incertitude où les extrémistes, les salafistes en particulier, vont pousser leurs pions…C’est le président de la Cour constitutionnelle qui assurera l’intérim à la tête de l’Etat. Et ce sont des experts civils qui formeront le gouvernement provisoire. Reste à savoir ce que fera l’Egypte des campagnes, fortement imprégnée de la propagande islamiste. Jusqu’à présent, c’est l’Egypte des villes qui s’est fait entendre. Un univers sépare les deux. Les nouveaux maîtres du Caire sauront-ils les rapprocher ? Rien n’est moins sûr. »
L’Est Républicain (Alain Dusart)
« Comme la société égyptienne, la place Tahrir au Caire, ressemble à un kaléidoscope, inquiétant car en fusion. On y voit des jeunes branchés sur le XXIe siècle, des quadras las d’une dictature chassant l’autre, de troubles larrons en quête de mauvais coups, d’ex-miliciens et autres nervis nostalgiques en quête d’un régime autoritaire. Sur cette place bigarrée, théâtre de tous les espoirs, on y rêve d’un avenir meilleur, on y viole de jeunes femmes en fleur. Ici réside tout le paradoxe de l’Égypte, entre quête de modernité et de démocratie, et bestialité d’une génération de frustrés élevés au biberon des tabous et des interdits. L’ultimatum de la toute puissante armée a expiré hier. L’impopulaire président islamiste Mohamed Morsi a finalement été renversé. Mais les militaires le savent bien: s’ils mènent un coup d’État à leur seul profit, ils perdront le soutien américain. Dans ce tourbillon, les Frères musulmans ont beaucoup à perdre. Certes, ils ont une légitimité démocratique, mais elle a fondu. Les islamistes ont agrégé toutes les colères en un an. Si les généraux déposent Morsi, les Frères musulmans garderont une capacité de nuire. Leurs partisans endoctrinés pourront saboter cette révolution bis, avec le risque jamais loin d’une guerre civile. »
Les Dernières Nouvelles d’Alsace (Dominique Jung)
« Parvenue aux commandes de l’Egypte après des décennies de brimades, de répressions et d’incarcérations, la confrérie des Frères musulmans n’a pas su tenir le choc du pouvoir. Cet échec pèsera dans son histoire. C’est parce qu’il a multiplié les promesses sans les appuyer sur une méthode solide que Mohamed Morsi a perdu sa présidence. Son bilan est calamiteux. Élu démocratiquement, il a présidé arbitrairement. Son erreur a été de penser que parce qu’il avait gagné un scrutin, il pouvait ignorer les attentes de la société civile. Or gouverner un pays, c’est comprendre qu’on devient le président de tous les citoyens, et pas juste de la frange qui vous a hissé au pouvoir. Morsi s’est comporté en otage d’un parti plus qu’en chef d’État, il a piétiné le pouvoir législatif, cela lui a été fatal. Pour autant, le déploiement de blindés constaté hier relève du coup d’État militaire. Morsi restera comme le premier civil égyptien porté à la présidence de la République après une succession de soldats, de Nasser à Moubarak. Il était aussi le premier Égyptien élu à travers une élection au suffrage universel direct. Son mandat avait tout juste un an. Quelle que soit la pression de la rue, aucun pays d’Europe n’admettrait que l’on pose un cercle de barbelés autour du chef de l’État pour l’assigner à résidence. Le respect des procédures et des calendriers est aussi une façon de mesurer le niveau démocratique d’un pays. L’armée est maintenant face à ses responsabilités. »
La République des Pyrénées (Jean-Marcel Bouguereau)
« C’est un paradoxe comme l’histoire les aime : en Egypte un mouvement démocratique qui a vu ces derniers jours des foules immenses descendre dans la rue en a appelé aux forces armées pour évincer un président démocratiquement élu, au nom de la défense de la révolution qui s’était faite contre l’armée ! C’est cette même armée, à l’origine de plusieurs décennies de régimes autoritaires, qui vient de mettre fin à une présidence jugée trop autoritaire ! Car c’est un coup d’état très en douceur qui a eu lieu hier en Egypte, même si les partisans du Président Morsi ont évidemment dénoncé une +rébellion militaire+ qu’ils sont prêts à combattre en versant leur sang. De quoi préparer un futur très incertain à une Egypte qui souffre économiquement, dont les institutions sont faibles et où aucun leader crédible n’émerge. Dans ce pays où l’armée a conservé un énorme crédit, on trouvait ces derniers jours des pancartes portant l’inscription +l’armée et le peuple, une seule main+, cette transition a été mûrement préparée. L’armée a multiplié les ultimatums. Mais en vain, Morsi ne se décidant à aucune concession. Jusqu’à celui intimant au président de +satisfaire les revendications du peuple+. Morsi a tenté, mais trop tard, une ultime ouverture en proposant la formation d’un gouvernement de consensus. Car ce dont les Frères Musulmans ne se sont pas rendus compte, c’est l’énorme coupure entre eux et le peuple qui voyait de plus en plus dans le régime des Frères la restauration d’un régime autoritaire. »
La Nouvelle République du Centre Ouest (Bruno Bécard)
« La charia ne saurait constituer un programme de gouvernement capable de sortir un pays de sa misère sociale et économique. Des dizaines de millions d’Égyptiens ont fait cette douloureuse expérience depuis un an. Et l’armée, forte d’un million d’hommes et dotée d’un matériel moderne imperméable à la crise, a tenu parole hier : fin de l’ultimatum pour obtenir le départ du président Morsi, prise de contrôle de la télévision, les Frères musulmans vissés dans leurs quartiers et les blindés de sortie pour faire bonne mesure. Cet épisode s’appelle un coup d’État militaire. Et maintenant, l’aventure commence ou plutôt continue. L’armée, en appui aux millions d’opposants à Mohamed Morsi, a-t-elle simplement voulu éviter une guerre civile ? Déjà 47 morts depuis trois jours. Son chef Abdel Fattah al-Sissi n’a tenu aucun compte de la proposition présidentielle, celle d’un gouvernement de coalition. Le président élu démocratiquement voici un an est blackboulé par la feuille de route du militaire. L’armée, échaudée par l’année de transition qu’elle a assumée entre 2011 et 2012, annonce déjà des élections anticipées et des avancées démocratiques. Mais montre aussi ses muscles pour que l’ordre règne. +Légitimité+ crie chacun des deux camps opposés. Mais aujourd’hui la place Tahrir manifeste plus de légitimité populaire que finalement celle hier du scrutin présidentiel. Espérons que ne surviendra pas demain l’heure des martyrs de tous bords ».
A l’étranger
L’avertissement égyptien qui fait le tour du Web américain
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les États-Unis ont laissé de mauvais souvenirs dans cette région du monde. Face à coup d’Etat « en douceur », le président Obama avait mercredi du mal à se positionner, hésitant entre le soutien au peuple égyptien et l’inquiétude de voir l’armée prendre le pouvoir et destituer un président élu malgré tout démocratiquement..
En fin de soirée mercredi, les Etats-Unis ont d’ailleurs ordonné l’évacuation de leur ambassade au Caire en Egypte quelques heures après le renversement du président Morsi par l’armée, a indiqué un responsable américain sous couvert d’anonymat. Il y a quelques jours, le département d’Etat avait autorisé le personnel diplomatique non essentiel à quitter le pays. Côté officiel, le président Obama ne s’était toujours pas exprimé mercredi à minuit.
Mais les Egyptiens, eux, n’ont pas manqué de faire passer leur message.Une banderole a été déployée écrite en anglais et en arabe. En quelques heures elle est devenue l’un des sujets les plus discutés sur le réseau social Reddit, très utilisé outre-Atlantique:
De la part du peuple égyptien Aux politiciens américains: sortez vos sales pattes de l’Egypte A l’ensemble du peuple américain: la seule chose que nous ayons pour vous, c’est de l’amour
Un message qui a beaucoup fait parler sur le réseau social. Certains déplorant l’anti-américanisme du scandale, mais la majorité se réjouissant que le peuple égyptien soit capable de faire la part des choses entre le gouvernement américain d’une part, et les Américains d’autre part.
Il faut dire que l’affaire Prism, révélée par Edward Snowden, est en train de créer une rupture entre les Américains et leurs représentants, coupables de les avoir mis sur écoute en toute discrétion.
Source : Le HuffPost 04/07/13
L’armée, colonne vertébrale de la nation égyptienne
Des soldats egyptiens prennent position. 3/07/13 Reuters /Amr Abdallah
Décidément, Nasser n’est pas mort. Soixante et un ans presque jour pour jour après la révolution de juilet 1952, lorsque les « officiers libres » ont mis fin au règne du roi Farouk, un militaire – le chef d’état-major Abdel Fattah Al-Sissi – écarte le premier président démocratiquement élu de l’histoire de l’Egypte – Mohamed Morsi – sous les applaudissements d’une majorité de la population.
De 1952 à 2013, l’armée égyptienne est restée la colonne vertébrale de la nation égyptienne. Peu importe la paix signée avec Israël dans les années 1970, peu importe l’enrichissement des hauts gradés dans les années 1980-1990 et 2000 ou la répression menée après la révolution de février 2011, une fois Hosni Moubarak tombé et durant la transition sous l’égide du maréchal Tantaoui, à la tête du SCAF, l’acronyme du Conseil suprême des forces armées.
Peu importent les tests de virginité pratiqués de force sur les manifestantes, les 12 000 procès militaires, la complaisance révélée tardivement lors de la mémorable bataille des chameaux place Tahrir, l’armée reste, dans l’imaginaire de la majorité des Egyptiens, la « fille du peuple » et le seul vecteur du changement politique. Le chemin vers la démocratie est encore long en Egypte…
Christophe Ayad
Source : Le Monde 3 juillet 2013
L’aide US à l’Egypte va être réexaminée
L’aide annuelle d’un montant d’un milliard et demi de dollars que les Etats-Unis allouent à l’Egypte va être réexaminée en tenant compte de l’éviction du président Mohamed Morsi, a indiqué mercredi le sénateur Patrick Leahy qui préside la sous-commission chargée du contrôle de l’aide américaine à l’étranger.
« Les chefs militaires égyptiens affirment ne pas avoir l’intention, ni le désir de gouverner, et j’espère qu’ils tiendront leurs promesses », a commenté Leahy dans un communiqué.
« En attendant, notre droit est clair: l’aide américaine est suspendue lorsqu’un gouvernement démocratiquement élu est déposé par un coup d’Etat ou un décret militaire », a-t-il rappelé.
Des étoiles plein la tête
L’orient du Jour ( Christian Merville)
Mardi soir, les téléspectateurs avaient eu droit, quarante-cinq minutes durant, au spectacle pathétique d’un homme seul, lâché par ses alliés salafistes et par l’armée, désavoué par une importante fraction de son peuple et, le dos au mur, agrippé à une légitimité désormais vidée de toute substance. Une semaine durant, l’Égypte a donné l’impression de vivre un remake des heures de janvier-février 2011 qui avaient débouché sur l’éviction de Hosni Moubarak : le même rejet au niveau de la rue, le même refus obstiné de voir l’évidence, peut-être aussi les mêmes baltaguiyah stérilement acharnés à contre-manifester et au bout du compte la même institution/arbitre, même si son chef – ironie du sort – doit sa promotion à ce président qu’il s’est employé avec succès à renvoyer à ses équerres d’ingénieur. Exit donc l’homme qui avait endossé l’espace d’une courte année un habit trop grand pour lui.
Peut-être pas, après tout, un remake fidèle car, tout comme l’histoire ne repasse jamais les mêmes plats, cette fois les cartes étaient différentes et différente la conjoncture. L’ancien raïs avait mis 30 ans à dilapider le capital qui lui était offert sur le plateau de la présidence. Mohammad Morsi, lui, sera parvenu à se constituer un impressionnant passif fait de décisions improvisées, de faux pas, de mesures impopulaires et d’un blitzkrieg administratif mené tambour battant pour prendre le contrôle de l’appareil étatique. Les messages se multipliaient pourtant, venant de la rue qui lui a rappelé à plus d’une reprise son rejet de toute forme de dictature remplaçant celle de son prédécesseur. Sans résultat, à preuve les dernières nominations de gouverneurs (11 Ikhwane pour un total de 17, dont un responsable venu des rangs de la Gamaa islamiya mais lâché par celle-ci, une trahison qui a achevé de dissiper le peu de crédibilité qui restait au titulaire de la fonction suprême, devenue si dérisoire.
Par le biais du Parti de la construction et du développement, sa branche politique, la Gamaa est entrée sur le tard dans la danse du scalp : son porte-parole, Tarek el-Zommor, a fini par se prononcer pour une élection présidentielle anticipée, précédée toutefois d’un référendum sur son opportunité. Il était clair que les extrémistes islamiques n’avaient pas été saisis d’un soudain prurit démocratique, motivés plutôt par la conviction que les Frères musulmans, devenus décidément infréquentables, pourraient fort bien, lors d’inévitables législatives à venir, leur céder la place, bien sûr en toute fraternité. L’absence d’un ciment unificateur est tout aussi évident dans les rangs de Tamarrod, assemblage hétéroclite de laïcs, de déçus par l’expérience religieuse, d’activistes du mouvement Kefaya et du Front du salut national, d’opportunistes aussi comme il y en a dans tous les courants dits révolutionnaires. Le chef de l’État sortant (ou plutôt sorti) a tenté de jouer sur cette disparité pour proposer à maintes reprises un dialogue, sachant pertinemment que la coalition ne pouvait lui opposer qu’un néo-« front du refus » sans réelle consistance.
Finalement, le camp du « non » a revêtu l’armure du chevalier jusqu’au-boutiste, le régime s’est barricadé dans sa détermination à exciper du verdict des urnes et l’armée s’est posée en gardienne du temple. La conséquence ? Désastreuse à long terme pour tout le monde, puisque aucun des acteurs du psychodrame n’est en mesure de reprendre à son compte le flambeau. Fort heureusement, le ton, très digne, du communiqué de l’armée a permis d’éviter ce qui tournait à la pantalonnade. On a entendu, par exemple, Morsi adopter des accents dignes de Danton pour clamer haut et fort qu’il préférait la mort violente à une condamnation par l’histoire. Salvador Allende, réveille-toi…
Et puisque l’on donne dans la grandiloquence, que faut-il penser du serment prêté par les chefs de l’armée, le général Abdel Fattah Sissi en tête : « Nous jurons devant Dieu que nous sacrifierons notre sang pour l’Égypte et son peuple contre tous les groupes terroristes, extrémistes et ignorants » ? Vaste programme aurait dit le général de Gaulle. Il importe de rappeler pour l’occasion que pas plus que le jugement des urnes, les sacrifices ne sauraient tenir lieu de programme d’action. D’ailleurs, ils ont dû déchanter ceux qui, au soir de dimanche dernier, avaient cru déceler un acte de candidature dans le lâcher de drapeaux au-dessus de la foule agglutinée place Tahrir par des hélicoptères. Non, décidément, l’armée n’a pas des envies de revenez-y. Chiche !
La recette pour une démocratie réussie est fort simple : prendre des démocrates ; adopter une ligne de conduite (et non pas une « feuille de route ») ; donner, mais pas trop, du temps au temps avant de servir, tiède de préférence. Et surtout éviter d’agiter. Scénario à la Nasser : samedi 26 juillet 1952, le roi Farouk, qui vient de signer son acte d’abdication, quitte le palais de Ras el-Tine pour le yacht Mahroussa à bord duquel il doit s’embarquer. Au pied de la passerelle, le général Naguib fait le salut militaire pendant que la fanfare exécute l’hymne national et qu’une salve de 21 coups de canon est tirée. C’est qu’ils savaient, quand il le fallait, y mettre les formes, les hommes en uniforme. Et demain ? On verra bien…
Christian Merville
Source L’Orient du Jour 04/07/13
Silence prudent d’Israël après la chute du président égyptien
AFP | 04/07/2013
Le gouvernement israélien gardait un silence prudent jeudi après la mise à l’écart par l’armée égyptienne du président islamiste Mohamed Morsi.
Selon les médias, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a donné la consigne à ses ministres de ne pas faire le moindre commentaire officiel pour le moment sur la crise en Egypte, pays avec lequel Israël signé un traité de paix en 1979.
« Le gouvernement suit de très près la situation en Egypte mais ne fait pas de prévisions car les choses sont en train d’être décidées », a déclaré à l’AFP un responsable israélien sous couvert de l’anonymat.
« Il est important que le peuple égyptien puisse accéder à un niveau de liberté et d’auto-gestion (…) mais la situation actuelle envoie des ondes de choc dans tout le monde arabe d’où une certaine inquiétude en Israël », a-t-il ajouté.
« Israël fait attention d’éviter même l’apparence d’une interférence avec les événements en Egypte », soulignait le spécialiste militaire du quotidien Haaretz Amos Harel.
Israël et l’Egypte entretenaient des liens réguliers sous la présidence de l’ancien président Hosni Moubarak, chassé du pouvoir par une révolte populaire en février 2011, notamment dans le domaine sécuritaire.
Alors que certains prédisaient une remise en question du traité de paix avec la chute du régime Moubarak, des sources militaires, citées par les médias israéliens, ont affirmé que le bon fonctionnement de la coopération sécuritaire avait continué sous la présidence Morsi.
Selon ces sources, la proximité du mouvement islamiste palestinien Hamas, au pouvoir à Gaza, avec les Frères musulmans avait notamment permis à M. Morsi de lutter plus efficacement que ne l’avait fait son prédécesseur contre les islamistes radicaux dans la péninsule du Sinaï et contre les tunnels de contrebande entre Israël et la bande de Gaza.
Les commentateurs relevaient que les principales inquiétudes israéliennes portent sur les risques d’instabilité accrue dans le Sinaï.
« L’incertitude sur l’avenir de l’Egypte est très important et il est plus difficile pour l’Egypte, occupé par des problèmes intérieurs, de s’occuper des problèmes sécuritaires, et notamment des groupes terroristes dans le Sinaï », a déclaré un responsable israélien non identifié, cité par la radio militaire.
La sécurité dans le Sinaï s’est fortement dégradée et la péninsule a connu une recrudescence d’activités de la part des mouvement islamistes radicaux, jihadistes et salafistes.
Égypte : l’Allemagne parle d’un « échec majeur pour la démocratie »
Le ministre des Affaires étrangères voit dans ce renversement un « réel danger que le processus de transition démocratique soit sérieusement altéré ».
Le renversement du président islamiste égyptien Mohamed Morsi par l’armée égyptienne mercredi constitue un « échec majeur pour la démocratie », a déclaré jeudi le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle. « Il est urgent que l’Égypte retourne aussi vite que possible à un ordre constitutionnel (…), il y a un réel danger que le processus de transition démocratique en Égypte soit sérieusement altéré », a-t-il dit, alors que le président du Conseil constitutionnel égyptien, Adly Mansour, a prêté serment dans la matinée comme président du Conseil par intérim.
« Nous appelons toutes les parties à renoncer à la violence. Nous allons suivre de très près les évolutions en Égypte. Et nous allons prendre nos décisions politiques en tirant nos conclusions », a ajouté M. Westerwelle, qui a rencontré dans la matinée le Premier ministre grec pour le soutenir dans sa politique de réformes. « Les arrestations politiques et une vague de répression doivent être évitées à tout prix. Tout doit être mis en oeuvre pour retourner sur le chemin de l’ordre démocratique » a ajouté le ministre. À Londres, le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a indiqué de son côté jeudi matin que le Royaume-Uni allait « travailler » avec le nouveau pouvoir en place en Égypte, tout en réaffirmant que Londres ne soutenait pas « les interventions militaires ».
AFP 14/07/13
Assad: la crise en Egypte incarne « la chute » de « l’islam politique »
« Quiconque utilise la religion dans un but politique ou pour favoriser certains par rapport à d’autres, est condamné à l’échec »
Le président syrien Bachar al-Assad a assuré que les manifestations monstres contre son homologue égyptien déchu Mohamed Morsi marquent la fin de l’islam politique, selon des extraits d’une interview à un journal syrien à paraître jeudi
« Ce qui se passe en Egypte est la chute de ce que l’on connaît comme étant l’islam politique », a déclaré le chef de l’Etat syrien au journal officiel As-Saoura.
« Où que ce soit dans le monde, quiconque utilise la religion dans un but politique ou pour favoriser certains par rapport à d’autres, est condamné à l’échec », a ajouté M. Assad, dont les extraits ont été diffusés sur sa page Facebook.
L’armée égyptienne a annoncé dans un message télévisé mercredi soir avoir écarté M. Morsi, suspendu la Constitution et annoncé la tenue d’une élection présidentielle anticipée en Egypte.
Les propos de Bachar al-Assad ont été publiés quelques heures après une déclaration de son ministre de l’Information, Omrane al-Zohbi, dans laquelle il avait assuré que le départ de Mohamed Morsi était nécessaire à la résolution de la crise égyptienne.
L’animosité entre le régime de Damas et les Frères musulmans dure depuis de longues années et l’appartenance à la confrérie est condamnée de la peine de mort en Syrie depuis les années 1980.
La branche syrienne des Frères musulmans joue aujourd’hui un rôle crucial dans le coalition nationale de l’opposition syrienne en exil, qui est reconnue comme représentante légitime du peuple syrien par plus d’une centaine d’Etats et organisations.
L’Egypte est un pays sunnite, de même que la plupart des rebelles syriens hostiles au régime de Bachar al-Assad tenue par la communauté alaouite, une branche de l’islam chiite, dont est issue le président syrien.
Mohamed Morsi de son côté a, comme de nombreux dirigeant arabes, appelé Bachar al-Assad à démissionner.
Depuis le début en mars 2011 du conflit en Syrie, qui a débuté par un soulèvement populaire pacifique et s’est militarisé face à la répression menée par le régime, plus de 100.000 personnes ont péri selon une ONG syrienne.
AFP 04/07/13
Neutralité chinoise
L’agence de presse officielle chinoise Xinhua se contente d’un communiqué annonçant l’entrée en fonction d’Adli Mansour, le nouveau président égyptien par intérim.
Le juge égyptien Adli Mansour a prêté serment jeudi en tant que président par intérim de l’Egypte après l’évincement de Mohamed Morsi. Il avait prêté serment plus tôt dans la journée en tant que chef de la Cour constitutionnelle suprême (CCS).
« Je prête serment devant Dieu tout-puissant de protéger sincèrement l’ordre républicain et de respecter pleinement la Constitution et l’état de droit, de prendre soin des intérêts du peuple, de préserver l’indépendance du pays et la sécurité de ses territoires », a proclamé M. Adli lors de la cérémonie.
Il a également promis de diriger « un pays moderne, constitutionnel, national et civil ».
Au moins 11 personnes ont été tuées et plus de 500 autres blessées mercredi soir dans des affrontements entre partisans et opposants du président évincé Mohamed Morsi.
L’intervention militaire française bénéficie d’un consensus en France mais aussi à l’échelle internationale, y compris en Afrique. Peu importe que la demande d’intervention, réécrite par la France, émane d’un président malien non élu, ou de l’absence de toute résolution expresse du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans la gauche française, personne ne s’est sentie floué par cette intervention alors que quelques mois auparavant, lors du discours de Dakar en octobre 2012, la doctrine du gouvernement Hollande affirmait que les Africains eux-mêmes devaient régler leurs problèmes : « Le futur de l’Afrique se bâtira par le renforcement de la capacité des Africains à gérer eux-mêmes les crises africaines ». Et pour que les choses soient claires, Hollande réaffirmait : « La France apportera un appui logistique. Mais à sa place. C’est dans cet esprit que je conçois la résolution de la crise malienne. » Le fait que ce soit la France qui intervienne et pas un autre pays semble naturel à tout le monde. Pourtant au niveau économique, elle n’occupe plus la première position, au niveau militaire elle n’a pas d’accord d’intervention et de protection, mais le fait qu’elle soit l’ancienne puissance coloniale lui confère une sorte de légitimité, ce qui en dit long dans l’inconscient collectif sur la réalité des indépendances des pays africains francophones.
Il est donc complètement intégré que c’est à la France d’assurer la stabilité des régimes de son pré carré africain, en dépit des nombreux dérapages dont le plus tragique fut le soutien aux génocidaires rwandais. Cette idée du « cela va de soi », n’a pu être que renforcée lors du débat parlementaire en France y compris quand Jean-Jacques Candelier déclare pour le groupe du FDG à l’Assemblée nationale : « Le Mali n’est pas l’affaire de la France, même si, en tant qu’ancienne puissance coloniale, nous avons une responsabilité. » [1]
Aucune voix au Parlement ne s’est opposée au prolongement de cette intervention militaire puisque les élus du Front de gauche se sont abstenus, faisant passer la France pour une alliée des Maliens alors que le gouvernement français a saboté toutes leurs tentatives de se prendre en mains, notamment en torpillant la mise en place d’une conférence nationale souveraine lors de la chute d’Amadou Toumani Touré, qui aurait permis au peuple malien de diriger lui-même la libération du pays contre les djihadistes qui sévissaient au Nord.
L’absence de toute opposition à l’Assemblée permet à Paris d’avoir les coudées franches pour imposer son propre plan de paix. Des élections bidon qui permettront aux caciques de l’ancien régime de rester au pouvoir et de fermer les yeux sur les agissements des différentes milices qui se présentent toutes comme représentatives des populations du Nord et dont l’enjeu est de conserver les pouvoirs régionaux permettant de continuer les trafics lucratifs.
Les troupes africaines défilent le 14 juillet 2013
Une nouvelle période
L’intervention militaire française au Mali hier, présentée comme une opération ponctuelle permet dorénavant à la France, mais aussi aux États-Unis, de bénéficier de camps militaires permanents dans de nouveaux pays comme le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger avec une base américaine de drones. L’opération Serval a démontré l’importance du stationnement des troupes françaises sur le continent, comme au Gabon, au Tchad mais aussi en Côte-d’Ivoire, stationnement qui est désormais officialisé dans le Livre Blanc de la défense nationale 2013. De plus, la hiérarchie militaire est à l’abri des coupes budgétaires, puisque les sommes allouées seront maintenues. De nouveau, l’influence politique de l’armée française dans les affaires africaines redevient majeure.
Mais l’intervention militaire au Mali censée restaurer État de droit et démocratie dans ce pays est une formidable aubaine pour les dictateurs africains de renforcer leur pouvoir. Le président Hollande reste dépendant diplomatiquement des gouvernements des pays africains qui ont accepté et soutenu l’intervention en participant à la fiction de la MISMA. Difficile pour Paris de se mettre à dos ces potentats locaux.
Au Togo, Faure Gnassimbé refait piteusement le coup de l’incendie du Reichstag en accusant les principaux dirigeants de l’opposition d’être coupables de l’incendie des deux grands marchés de Lomé et de Kara. Paris, qui a transmis au gouvernement togolais les résultats des enquêtes scientifiques menées sur place, refuse de les rendre publiques car cela serait un désaveu cinglant pour le gouvernement en place. Quand le Quai d’Orsay sort de son silence, c’est pour avaliser les mascarades électorales à Djibouti d’un Guelleh qui n’hésite pas à faire tirer sur des manifestants pacifiques. Idriss Déby, lui, se sent le vent en poupe, auréolé de l’efficacité de l’armée tchadienne, il vient de découvrir un nouveau complot qui lui permet d’embastiller pêle-mêle généraux, députés, journaliste et blogger, bref tous ceux qui représentent un danger potentiel.
Nous sommes bien loin du discours de Hollande à l’Assemblée nationale du Sénégal qui donnait comme priorité à son gouvernement la lutte pour les libertés sur le continent ou des manifestations d’humeur, somme toute assez puériles, d’Hollande, à Kinshasa lors du sommet de la francophonie à l’encontre de Joseph Kabila responsable de nombreuses violations des droits humains dans son pays.
Ce qui était présenté comme une opération de restauration de l’État de droit et de la démocratie au Mali a comme conséquence le maintien d’une clique corrompue et un renforcement des dictatures dans le pré carré africain, mais que pouvait-on attendre d’autre d’une intervention militaire de la France ?
10 juin 2013. Le Federal Bureau of Investigation (FBI) et l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) auraient accès aux serveurs de neuf des géants américains de l’Internet, dont Microsoft, Yahoo!, Google et Facebook et Apple, dans le cadre du programme «Prism», selon des révélations du Guardian publiées vendredi dernier. Des informations obtenues par le quotidien britannique grâce à un ancien employé de la CIA, Edward Snowden, qui a dévoilé son identité dimanche. En février dernier, Dan Schiller décrivait la tutelle des Etats-Unis sur le réseau mondial.
Multinationales, Etats, usagers
En France, le fournisseur d’accès à Internet Free reproche au site de vidéo YouTube, propriété de Google, d’être trop gourmand en bande passante. Son blocage, en représailles, des publicités de Google a fait sensation. Free a ainsi mis à mal la «neutralité d’Internet» — l’un des sujets discutés en décembre à la conférence de Dubaï. La grande affaire de cette rencontre a cependant été la tutelle des Etats-Unis sur le réseau mondial.
Habituellement circonscrite aux contrats commerciaux entre opérateurs, la géopolitique d’Internet s’est récemment étalée au grand jour. Du 3 au 14 décembre 2012, les cent quatre-vingt-treize Etats membres de l’Union internationale des télécommunications (UIT, une agence affiliée à l’Organisation des Nations unies) s’étaient donné rendez-vous à Dubaï, aux Emirats arabes unis, pour la douzième conférence mondiale sur les télécommunications internationales. Une rencontre où les diplomates, abreuvés de conseils par les industriels du secteur, forgent des accords censés faciliter les communications par câble et par satellite. Longues et ennuyeuses, ces réunions sont cependant cruciales en raison du rôle déterminant des réseaux dans le fonctionnement quotidien de l’économie mondiale.
La principale controverse lors de ce sommet portait sur Internet : l’UIT devait-elle s’arroger des responsabilités dans la supervision du réseau informatique mondial, à l’instar du pouvoir qu’elle exerce depuis des dizaines d’années sur les autres formes de communication internationale?
Les Etats-Unis répondirent par un «non» ferme et massif, en vertu de quoi le nouveau traité renonça à conférer le moindre rôle à l’UIT dans ce qu’on appelle la «gouvernance mondiale d’Internet». Toutefois, une majorité de pays approuvèrent une résolution annexe invitant les Etats membres à «exposer dans le détail leurs positions respectives sur les questions internationales techniques, de développement et de politiques publiques relatives à Internet». Bien que «symbolique», comme le souligna le New York Times (1), cette ébauche de surveillance globale se heurta à la position inflexible de la délégation américaine, qui refusa de signer le traité et claqua la porte de la conférence, suivie entre autres par la France, l’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Kenya, la Colombie, le Canada et le Royaume-Uni. Mais quatre-vingt-neuf des cent cinquante et un participants décidèrent d’approuver le document. D’autres pourraient le signer ultérieurement.
En quoi ces péripéties apparemment absconses revêtent-elles une importance considérable? Pour en clarifier les enjeux, il faut d’abord dissiper l’épais nuage de brouillard rhétorique qui entoure cette affaire. Depuis plusieurs mois, les médias occidentaux présentaient la conférence de Dubaï comme le lieu d’un affrontement historique entre les tenants d’un Internet ouvert, respectueux des libertés, et les adeptes de la censure, incarnés par des Etats autoritaires comme la Russie, l’Iran ou la Chine. Le cadre du débat était posé en des termes si manichéens que M. Franco Bernabè, directeur de Telecom Italia et président de l’association des opérateurs de téléphonie mobile GSMA, dénonça une «propagande de guerre», à laquelle il imputa l’échec du traité (2).
Fronde antiaméricaine
Où que l’on vive, la liberté d’expression n’est pas une question mineure. Où que l’on vive, les raisons ne manquent pas de craindre que la relative ouverture d’Internet soit corrompue, manipulée ou parasitée. Mais la menace ne vient pas seulement des armées de censeurs ou de la «grande muraille électronique» érigée en Iran ou en Chine. Aux Etats-Unis, par exemple, les centres d’écoute de l’Agence de sécurité nationale (National Security Agency, NSA) surveillent l’ensemble des communications électroniques transitant par les câbles et satellites américains. Le plus grand centre de cybersurveillance du monde est actuellement en cours de construction à Bluffdale, dans le désert de l’Utah (3). Washington pourchasse WikiLeaks avec une détermination farouche. Ce sont par ailleurs des entreprises américaines, comme Facebook et Google, qui ont transformé le Web en une «machine de surveillance» absorbant toutes les données commercialement exploitables sur le comportement des internautes.
Depuis les années 1970, la libre circulation de l’information (free flow of information) constitue l’un des fondements officiels de la politique étrangère des Etats-Unis (4), présentée, dans un contexte de guerre froide et de fin de la décolonisation, comme un phare éclairant la route de l’émancipation démocratique. Elle permet aujourd’hui de reformuler des intérêts stratégiques et économiques impérieux dans le langage séduisant des droits humains universels. «Liberté d’Internet», «liberté de se connecter» : ces expressions, ressassées par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton et les dirigeants de Google à la veille des négociations, constituent la version modernisée de l’ode à la «libre circulation».
A Dubaï, les débats couvraient une myriade de domaines transversaux. Au programme, notamment, la question des rapports commerciaux entre les divers services Internet, comme Google, et les grands réseaux de télécommunication, tels Verizon, Deutsche Telekom ou Orange, qui transportent ces volumineux flux de données. Crucial par ses enjeux économiques, le sujet l’est aussi par les menaces qu’il fait peser sur la neutralité du Net, c’est-à-dire sur le principe d’égalité de traitement de tous les échanges sur la Toile, indépendamment des sources, des destinataires et des contenus. Le geste de M. Xavier Niel, le patron de Free, décidant début janvier 2013 de s’attaquer aux revenus publicitaires de Google en bloquant ses publicités, illustre les risques de dérive. Une déclaration générale qui imposerait aux fournisseurs de contenus de payer les opérateurs de réseaux aurait de graves conséquences sur la neutralité d’Internet, qui est une garantie vitale pour les libertés de l’internaute.
Mais l’affrontement qui a marqué la conférence portait sur une question tout autre : à qui revient le pouvoir de contrôler l’intégration continue d’Internet dans l’économie capitaliste transnationale (5)? Jusqu’à présent, ce pouvoir incombe pour l’essentiel à Washington. Dès les années 1990, quand le réseau explosait à l’échelle planétaire, les Etats-Unis ont déployé des efforts intenses pour institutionnaliser leur domination. Il faut en effet que les noms de domaine (du type «.com»), les adresses numériques et les identifiants de réseaux soient attribués de manière distinctive et cohérente. Ce qui suppose l’existence d’un pouvoir institutionnel capable d’assurer ces attributions, et dont les prérogatives s’étendent par conséquent à l’ensemble d’un système pourtant extraterritorial par nature.
Profitant de cette ambiguïté originelle, les Etats-Unis ont confié la gestion des domaines à une agence créée par leurs soins, l’Internet Assigned Numbers Authority (IANA). Liée par contrat au ministère du commerce, l’IANA opère en qualité de membre d’une association californienne de droit privé, l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), dont la mission consiste à «préserver la stabilité opérationnelle d’Internet». Quant aux standards techniques, ils sont établis par deux autres agences américaines, l’Internet Engineering Task Force (IETF) et l’Internet Architecture Board (IAB), elles-mêmes intégrées à une autre association à but non lucratif, l’Internet Society. Au vu de leur composition et de leur financement, on ne s’étonnera pas que ces organisations prêtent une oreille plus attentive aux intérêts des Etats-Unis qu’aux demandes des utilisateurs (6).
Les sites commerciaux les plus prospères de la planète n’appartiennent pas à des capitaux kényans ou mexicains, ni même russes ou chinois. La transition actuelle vers l’«informatique en nuages» (cloud computing), dont les principaux acteurs sont américains, devrait encore accroître la dépendance du réseau envers les Etats-Unis. Le déséquilibre structurel du contrôle d’Internet garantit la suprématie américaine dans le cyberespace, à la fois sur le plan commercial et militaire, laissant peu de marge aux autres pays pour réguler, verrouiller ou assouplir le système en fonction de leurs propres intérêts. Par le biais de diverses mesures techniques et législatives, chaque Etat est certes à même d’exercer une part de souveraineté sur la branche «nationale» du réseau, mais sous la surveillance rapprochée du gendarme planétaire. De ce point de vue, comme le note l’universitaire Milton Mueller, Internet est un outil au service de la «politique américaine de globalisme unilatéral (7)».
Leur fonction de gestionnaires a permis aux Etats-Unis de propager le dogme de la propriété privée au cœur même du développement d’Internet. Quoique dotée, en principe, d’une relative autonomie, l’Icann s’est illustrée par les faveurs extraterritoriales accordées aux détenteurs de marques commerciales déposées. En dépit de leurs protestations, plusieurs organisations non commerciales, bien que représentées au sein de l’institution, n’ont pas fait le poids face à des sociétés comme Coca-Cola ou Procter & Gamble. L’Icann invoque le droit des affaires pour imposer ses règles aux organismes qui administrent les domaines de premier niveau (tels que «.org», «.info»). Si des fournisseurs nationaux d’applications contrôlent le marché intérieur dans plusieurs pays, notamment en Russie, en Chine ou en Corée du Sud, les services transnationaux — à la fois les plus profitables et les plus stratégiques dans ce système extraterritorial — restent, d’Amazon à PayPal en passant par Apple, des citadelles américaines, bâties sur du capital américain et adossées à l’administration américaine.
Dès les débuts d’Internet, plusieurs pays se sont rebiffés contre leur statut de subordonnés. La multiplication des indices signalant que les Etats-Unis n’avaient aucune intention de relâcher leur étreinte a progressivement élargi le front du mécontentement. Ces tensions ont fini par provoquer une série de rencontres au plus haut niveau, notamment dans le cadre du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), organisé par l’UIT à Genève et à Tunis entre 2003 et 2005.
En offrant une tribune aux Etats frustrés de n’avoir pas leur mot à dire, ces réunions préfiguraient le clash de Dubaï. Rassemblés en un Comité consultatif gouvernemental (Governmental Advisory Committee, GAC), une trentaine de pays espéraient convaincre l’Icann de partager une partie de ses prérogatives. Un espoir vite déçu, d’autant que leur statut au sein du GAC les mettait au même niveau que les sociétés commerciales et les organisations de la société civile. Certains Etats auraient pu s’accommoder de cette bizarrerie si, malgré les discours lénifiants sur la diversité et le pluralisme, l’évidence ne s’était imposée à tous : la gouvernance mondiale d’Internet est tout sauf égalitaire et pluraliste, et le pouvoir exécutif américain n’entend rien lâcher de son monopole.
Revirement de l’Inde et du Kenya
La fin de l’ère unipolaire et la crise financière ont encore attisé le conflit interétatique au sujet de l’économie politique du cyberespace. Les gouvernements cherchent toujours des points de levier pour introduire une amorce de coordination dans la gestion du réseau. En 2010 et 2011, à l’occasion du renouvellement du contrat passé entre l’IANA et le ministère du commerce américain, plusieurs Etats en ont appelé directement à Washington. Le gouvernement kényan a plaidé pour une «transition» de la tutelle américaine vers un régime de coopération multilatérale, au moyen d’une «globalisation» des contrats régissant la superstructure institutionnelle qui encadre les noms de domaine et les adresses IP (Internet Protocol). L’Inde, le Mexique, l’Egypte et la Chine ont fait des propositions dans le même sens.
Les Etats-Unis ont réagi à cette fronde en surenchérissant dans la rhétorique de la «liberté d’Internet». Nul doute qu’ils ont aussi intensifié leur lobbying bilatéral en vue de ramener au bercail certains pays désalignés. A preuve, le coup de théâtre de la conférence de Dubaï : l’Inde et le Kenya se sont prudemment ralliés au coup de force de Washington.
Quelle sera la prochaine étape? Les agences gouvernementales américaines et les gros commanditaires du cybercapitalisme tels que Google continueront vraisemblablement d’employer toute leur puissance pour renforcer la position centrale des Etats-Unis et discréditer leurs détracteurs. Mais l’opposition politique au «globalisme unilatéral» des Etats-Unis est et restera ouverte. Au point qu’un éditorialiste du Wall Street Journal n’a pas hésité, après Dubaï, à évoquer la «première grande défaite numérique de l’Amérique (8)».
Dan Schiller
Le Monde Diplomatique Juin 2013
Professeur de sciences de l’information et des bibliothèques à l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign.
(1) Eric Pfanner, «Message, if murky, from US to the world », The New York Times, 15 décembre 2012.
(2) Rachel Sanderson et Daniel Thomas, «US under fire after telecoms treaty talks fail», Financial Times, Londres, 17 décembre 2012.
(3) James Bamford, «The NSA is building the country’s biggest spy center », Wired, San Francisco, avril 2012.
(4) Herbert I. Schiller, «Libre circulation de l’information et domination mondiale », Le Monde diplomatique, septembre 1975.
(6) Harold Kwalwasser, «Internet governance», dans Franklin D. Kramer, Stuart H. Starr et Larry Wentz (sous la dir. de), Cyberpower and National Security, National Defense University Press – Potomac Press, Washington-Dulles (Virginie), 2009.
(7) Milton L. Mueller, Networks and States : The Global Politics of Internet Governance, The MIT Press, Cambridge (Massachusetts), 2010.
(8) L. Gordon Crovitz, «America’s first big digital defeat », The Wall Street Journal, New York, 17 décembre 2012.
Arabesques est un festival soutenu par le Conseil Général de l’Hérault, ouvert sur la Méditerranée, la diversité culturelle et la découverte des arts arabes. Chaque année la manifestation ouvre au Domaine d’O à Montpellier, la saison estivale du vaste espace dédié à la culture. Expositions, manifestations, débats, concerts, pièces de théâtre nourrissent ce rendez-vous autour d’une thématique. Pour sa huitième édition, le festival rend selon la volonté de son président Habid Dechraoui, un hommage aux Chibanis.
Histoire et mémoire
En Algérien, le terme signifie ancien, de manière étendue. Il fait référence à la population de travailleurs immigrés issus de l’Afrique du Nord. La présence des Chibanis en France métropolitaine est liée à la colonisation, et aux efforts de guerre des troupes musulmanes qui jouèrent un rôle décisif dans l’armée française en Afrique du Nord et dans la libération de la France. Cette présence atteint une importance inégalée avec l’immigration économique durant les trente glorieuses où les migrations de main d’oeuvre se transforment en implantation définitive. C’est dire si cet hommage qui éclaire les douloureux efforts consentis dans la solitude, tombe bien pour relire une période opportunément ignorée de notre histoire. A l’heure où la crise qui traverse le pays engendre un retour inquiétant de l’ignorance et de l’intolérance, revenir sur le parcours des Chibanis offre des clés de compréhension bien utiles.
Une démarche pédagogique
L’association Uni’Sons, qui porte le festival, rallie depuis ses premiers pas le jeune public à son travail. Des interventions artistiques sont conduites en partenariat avec les deux collèges du quartier de La Paillade. «Nous travaillons sur l’ouverture culturelle et sur l’identité en étroite collaboration avec les équipes pédagogiques», explique Abdou Bayou, le CPE du collège des Escholiers de la Mosson. Cette année une classe de 3e a travaillé sur l’histoire de l’immigration avec le concours des profs d’histoire, de français et d’espagnol. Après s’être documentés aux archives départementales en élargissant la recherche à d’autre pays comme l’Espagne, les élèves se sont rendus à plusieurs reprises dans les foyers Adoma de la ville pour échanger avec les Chibanis. «Beaucoup d’élèves qui habitent le quartier ignoraient l’existence de ces foyers. Concernant, les témoignages, nous avions convenu avec la directrice de laisser la porte ouverte. Certains sont restés un quart d’heure, d’autres du début à la fin de la rencontre. La traduction a favorisé l’échange. L’une des personnes à qui l’on demandait pourquoi elle peinait à user du français a eu cette réponse : Mon patron m’a toujours demandé de travailler, jamais de parler…»
Vertus de l’échange
Les élèves se sont passionnés pour ce travail d’enquête réalisé en dehors des heures de cours. « Cela les a amenés à s’interroger sur eux-même, et sur les autres, analyse Abdou Bayou, les ados se fabriquent des schémas de référence et oublient qu’ils en existent d’autres. Cette expérience les amène à comprendre que l’on doit cohabiter pour vivre ensemble. Je pense que c’était aussi positif pour les Chibanis qui n’avaient jamais eu l’occasion de transmettre, c’est valorisant d’être écoutés. Certains ont livré un regard critique sur le système, mais aucun n’a dit du mal de la France.»
Suite à ces rencontres les élèves ont écrit des récits de vie qui ont servi de matière à l’intervention artistique du metteur en scène Ali Merghache. «A partir des textes, nous avons travaillé sur le jeu d’acteur et construit une mise en scène». Celle-ci se compose de trois parties : le rapport à la guerre, quand les Chibanis portaient l’uniforme français, la vie quotidienne en France dans un foyer, et ce qui est resté là-bas, leur pays, leur femmes… « C’est un projet très intéressant qui est loin d’être anodin. D’un côté comme de l’autre, il y a une forte intensité. Pour beaucoup d’élève c’est un moyen d’interroger leurs racines. Les anciens qui ont vécu des vies très dures paraissent moins révoltés que nous. Ils étaient très touchés que l’on vienne à leur rencontre.»
Jean-Marie Dinh
Dans l’inconfort des habitudes
Arabesques. Nasser Djemaï porte sur les planches l’histoire de l’immigration à travers la figure des chibanis. Rencontre…
Martin, la trentaine, hérite d’un petit coffret avec un nom et une adresse qui vont être le point de départ d’une quête identitaire le conduisant à la rencontre des Chibanis. Invisible mis en scène par Nasser Djemaï a dépassé le cap des cent représentations. La pièce est programmée aujourd’hui et demain au festival Arabesques.
Comment vous êtes-vous lancé dans cette aventure ?
Cette histoire est un peu celle de mon père arrivé en France en 1968. J’étais donc sensibilisé à ce sujet, jamais traité au théâtre. C’est un sujet casse-gueule, le danger aurait été de vouloir tout raconter. J’ai tenté d’ouvrir une petite lucarne pour mettre en lumière la vie de ses hommes qui sont arrivés pour travailler en se coupant de tout. Certains ont vécu la guerre contre leur propre pays. Leur désir de réussite s’est étiolé avec le temps. Ils se sont usés pour finir pauvres et oubliés. Il y a une dimension proche des Danaïdes dans cette histoire digne des tragédies grecques.
Avez-vous approché la réalité vécue sur le terrain ?
Oui, comme l’indique le titre, c’est une génération invisible. J’ai effectué un travail d’immersion à Grenoble, où j’ai passé un bout de temps dans les cafés sociaux. Au foyer Adoma j’ai pu approfondir en rencontrant des personnes qui connaissent bien le vécu de ses hommes toujours très discrets.
Quelle place réservez-vous aux femmes ?
Les femmes sont traitées de manière virtuelle. Elles hantent l’espace comme des fantômes. Elles apparaissent immenses, projetées en fond de scène sur quatre mètres de haut. Leur absence nourrit les fantasmes…
Comment peut-on s’expliquer le fait que ces hommes soient restés seuls après la loi sur le regroupement familial ?
Cela est lié à plusieurs facteurs. Il y a d’abord l’illusion du provisoire. Les Chibanis ont toujours nourri l’espoir d’un retour au pays. Ils ne comptaient pas s’installer en France. Les années passant, ils ont compris que leurs salaires ne leur permettraient pas de revenir chez eux. Ils ne vivaient pas de grand chose, mais avec l’argent qu’ils envoyaient à leur famille il fallait toujours travailler plus. Les années défilent et les enfants grandissent sans vous. On finit par s’habituer à votre absence. Et puis il y a le mythe du tonton d’Amérique que l’on entretient lorsqu’on se rend au pays les bras chargés de cadeaux pour tous. Au final le décalage s’enracine et vous renoncez à accueillir vos proches pour les faire vivre dans des conditions qu’ils n’imaginent même pas.
Quelle a été la nature de votre travail avec les comédiens ?
Il y a six comédiens. Pour Martin, je voulais un jeune homme naïf avec une maîtrise de la langue française pour favoriser l’identification des spectateurs. Pour les Chibanis cela a été plus difficile de trouver des comédiens d’origine arabe de plus de soixante ans. Leur savoir faire s’est perdu parce que le théâtre ne leur donne pas de travail. Ils sont employés à la télé ou au cinéma. Il a fallu se remettre sur les rails, remuscler par la pratique. C’est un peu comme un piano que l’on accorde. Aujourd’hui ils usent de toutes leurs cordes pour passer de l’histoire intime à l’histoire universelle des hommes. Ce sont des personnages totem.
Recueilli par JMDH
Repères historiques
Les manoeuvres de la république
Durant les trente glorieuses, pour sa reconstruction puis sa croissance économique, la France a d’importants besoins de main-d’oeuvre. Elle fait appel à de jeunes hommes pauvres et isolés venus d’Afrique et du bassin méditerranéen. Peu formés, peu exigeants, et peu payés, ils sont souvent employés avec des contrats de travail à durée limitée comme manoeuvre dans les travaux publics et les entreprises du bâtiment mais aussi comme ouvriers spécialisés (OS) du travail à la chaîne, en particulier dans l’industrie automobile.
La différence de niveau de vie, de développement économique et de potentiel démographique entre le Nord et le Sud, entre la métropole et ses colonies, puis avec les pays du champ de coopération nourrit ce mouvement de population.
Les travailleurs vendent leur force de travail, dépensent le moins possible sur place, afin d’envoyer à leur famille la plus grande partie de ce qu’ils peuvent économiser et songent surtout à rentrer au pays dans l’espoir d’y mener fortune faite, ou au moins épargne cumulée, une vie plus heureuse et plus aisée sur le plan matériel. Leur conditions de vie sont souvent précaires.
On bâtit à la hâte des foyers de travailleurs immigrés sur fonds publics, comme ceux de la Sonacotra (société nationale de construction pour travailleurs immigrés) devenus les foyers Adona. Mais beaucoup sont exploités par les marchands de sommeil dans des conditions d’insalubrité et d’insécurité extrême. Cette réalité s’inscrit toujours aujourd’hui dans le paysage de Montpellier.
Voir : Histoire de l’Islam et des Musulman en France. Editions Albin Michel