Egypte : L’armée, clé de la crise du régime

Les militaires accueillis comme des héros au Caire. Photo Reuter.

C’est désormais l’armée qui tient entre ses mains l’avenir de l’Egypte. Descendue en force dans les rues du Caire, elle a complètement remplacé la police, honnie de la population, responsable de plus d’une centaine de morts en six jours et totalement débordée par les événements. Que vont faire les militaires, qui jouissent encore de la sympathie de la population, mais sont aussi les piliers d’un régime qui les a couverts de privilèges ? C’est désormais la question centrale des heures et jours à venir.

«Blanc-bec». Très affaibli par une contestation violente et concentrée sur sa personne, Hosni Moubarak a dû se résoudre, ce week-end, à se tourner vers la «grande muette», dont il est issu, comme tous les chefs d’Etat en Egypte depuis 1954. Il a donc pratiqué une manœuvre audacieuse bien que peut-être trop tardive : l’autocoup d’Etat. Après avoir annoncé la démission du gouvernement, vendredi soir, le raïs a nommé samedi après-midi deux haut gradés – respectivement Omar Souleiman vice-président et Ahmed Chafik Premier ministre (voir ci-dessous) – pour reprendre la situation en main. Ce faisant, il met définitivement fin aux ambitions dynastiques de son fils cadet Gamal Moubarak, un jeune homme d’affaires, poussé par sa mère Suzanne et entouré d’affairistes détestés d’une population épuisée par l’inflation et le chômage. Progressivement, Gamal Moubarak avait pris le contrôle du Parti national-démocrate (PND, au pouvoir), suscitant le mécontentement d’une partie des caciques du pouvoir. Il avait aussi fait nommer un proche au poste de Premier ministre, Ahmed Nazif, présenté comme un technocrate réformiste, qui n’a ni gouverné efficacement ni réformé. Les militaires non plus ne voyaient pas d’un bon œil l’ascension de ce «blanc-bec» n’ayant même pas terminé son service militaire. Exit Nazif et Gamal Moubarak donc, représentants d’une bourgeoisie libérale et pro-occidentale. C’est d’ailleurs cette dernière qui a lancé la contestation du régime via Facebook…

Contraint ou de son propre chef, Moubarak vient d’opérer un retour aux fondamentaux. La police discréditée, le parti attaqué par les manifestants, il ne lui restait plus que l’armée comme soutien. Reste à savoir si cela suffira à le remettre en selle. La solution de la répression massive paraît écartée. Les soldats qui se sont déployés – des militaires d’active et non pas des conscrits – ont volontiers fraternisé avec les manifestants, comme le fait remarquer l’intellectuel Mahmoud Hussein: «Le message est clair, ils ne tireront pas», assure-t-il, malgré les démonstrations de force comme le passage à basse altitude d’hélicoptères et de chasseurs F-16, probablement destiné à effrayer les habitants du Caire.

La popularité de l’armée égyptienne repose en fait sur une immense ambiguïté. Elle est perçue par l’opinion comme une institution «propre», exempte des magouilles des hommes d’affaires qui gravitent dans l’entourage de Gamal Moubarak. Dans la réalité, l’armée égyptienne est – grassement – payée pour ne pas se battre. «C’est le deal passé au moment des accords de paix de Camp David avec Israël, en 1979», explique une source diplomatique connaissant bien l’Egypte. En échange de sa passivité face à l’Etat hébreu, l’armée égyptienne reçoit, depuis trente ans, un milliard de dollars par an des Etats-Unis. Cet argent lui a permis de s’équiper et de développer un complexe militaro-industriel qui lui rapporte beaucoup d’argent et assure une aisance certaine aux officiers, qui jouissent d’avantages non négligeables. L’armée égyptienne est en effet le premier producteur de pain du pays…

La «grande muette» n’a donc aucun intérêt à une démocratisation véritable ou à un changement du système. Mais participer à la répression lui ferait perdre la légitimité et le prestige dont elle jouit. Elle marche donc sur la corde raide. D’autant que, Souleiman et Chafik, jugés tous deux trop proches de Moubarak, risquent de ne pas incarner une vraie rupture…

Mesures fortes. Malgré la diminution du nombre de manifestants, hier, Moubarak est plus que jamais l’objet du ressentiment populaire. Tel le pharaon tout-puissant, il incarne tous les maux du pays : l’absence de démocratie, de projet politique et économique, la brutalité d’une police qui recourt à la torture et l’arbitraire, l’état d’urgence en place depuis son arrivée au pouvoir il y a vingt-neuf ans… Il y a de fortes chances que les manifestations ne cessent pas tant que le raïs ne partira pas ou n’annoncera pas des mesures fortes comme la suppression de l’état d’urgence, l’annulation des législatives de novembre, entachées de fraude massive, voire une élection présidentielle anticipée et réellement ouverte. Sinon, l’armée égyptienne, qui ne voudra pas couler avec le raïs, pourrait finir par le débarquer, malgré sa tradition légitimiste.

Christophe Ayad

Ahmed Chafik, un képi Premier ministre

ahmed_chefikLe nouveau Premier ministre est l’une des rares personnalités du gouvernement sortant à pouvoir se targuer d’un bilan plutôt positif. Cet ancien général de l’armée de l’air, 69 ans, qui fut major de l’aviation entre 1996 et 2002, est une personnalité respectée y compris dans les rangs de l’opposition. De nombreux analystes avaient évoqué son nom pour éventuellement succéder au président Moubarak en cas de vacance du pouvoir. Né en 1941 dans une famille cairote il a suivi le cursus typique de nombreux officiers de l’armée de l’air et avait un moment servi sous les ordres d’Hosni Moubarak. C’est un technocrate qui dispose de très bonnes entrées à Washington, au point d’être appelé parfois le «candidat des Américains», mais aussi à Paris où il a été plusieurs années en formation. Il bénéficierait de la confiance de l’armée tout en rassurant la vieille garde du Parti national démocrate au pouvoir et pilier du régime.

Egypte: deux manifestants et un policier tués lors des manifestations

Photo AFP Mohammed Abed.

Deux manifestants ont été tués lors de heurts avec la police mardi à Suez (nord de l’Egypte), et un policier est mort des suites de blessures au Caire, selon des sources médicales et sécuritaires. Les deux manifestants de Suez sont décédés après heurts marqués par des jets de pierres contre la police, qui a répliqué avec de tirs de gaz lacrymogènes, selon des sources médicales et de sécurité.

Le policier au Caire a succombé après avoir été battu par des manifestants lors d’un rassemblement dans le centre ville, selon la sécurité égyptienne. Des milliers de personnes ont défilé mardi à travers toute l’Egypte  pour demander le départ du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis trois décennies, prenant exemple sur les manifestations tunisiennes qui ont provoqué le départ précipité du président Zine El Abidine Ben Ali.

«Moubarak dégage», ont scandé sans précaution de langage des milliers d’Egyptiens venus exprimer leur ras-le-bol d’un régime devenu pour eux synonyme de pauvreté et de répression. Parmi la foule sur la grande place Tahrir, au centre du Caire, Ibrahim, un juriste de 21 ans, ne mâche pas ses mots: «nous avons un régime corrompu qui veut poursuivre l’oppression sans fin».

Ahmed, un avocat de 28 ans, a lui aussi suivi avec passion la fuite sous la pression populaire du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali, après 23 ans de pouvoir, contre presque 30 pour Hosni Moubarak. «Nous devons aujourd’hui nous tenir debout comme des hommes, enfin», affirme-t-il. Mohamed, un technicien informatique, renchérit; «moi aussi, je suis venu parce qu’il faut renverser ce régime», assure-t-il.

«Moubarak dégage, tu es injuste, tu nous affames, tu nous tortures dans tes commissariats, tu es un agent des Américains», lançait une mère de famille venue manifester dans le quartier de Mohandessine, dans l’ouest du Caire, un drapeau égyptien à la main. D’autres manifestants prenaient d’assaut les caméras des télévisions étrangères avec le même mot à la bouche ou sur des pancartes: «dégage». Ailleurs, ce sont les slogans tunisiens qui ont fait mouche, comme «Pain, Liberté, Dignité».

Le départ de Ben Ali alimente aussi les «nokta», les blagues politiques dont les Egyptiens sont friands, du genre: Ben Ali appelle Moubarak depuis l’avion à bord duquel il part en exil pour Djeddah, en Arabie saoudite: «Allo Hosni, regarde ce qu’ils m’ont fait. Tu peux m’héberger cette nuit»? Moubarak répond: «Bien sûr que non. Tu es cinglé? Regarde dans quel pétrin tu nous a tous mis. Vas en Arabie Saoudite, et dis-leur que je pourrais bien faire un pèlerinage anticipé cette année».

Environ 15.000 personnes ont manifesté dans plusieurs quartiers du Caire, notamment aux abords des bâtiments officiels du centre-ville, selon les services de sécurité. La police a utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour tenter de disperser les manifestants. Selon des spécialistes, ces manifestations anti-gouvernementales sont les plus importantes depuis les émeutes de 1977 provoquées par une hausse du prix du pain.

AFP 25/01/11

Voir aussi : Rubrique Egypte, politique, Moubarak joue avec le feuLegislatives: les frères musulmans annoncent leur défaite , Rencontre, Khaled Al Khamissi , rubrique Livre Sarkozy au Proche Orient, Politique internationale Vers un printemps démocratique arabe,

Tunisie Algérie : la jeunesse se mutine

La Tunisie en flammes

L’émeute et le suicide sont devenus les modes d’expression privilégiés du malaise maghrébin. Depuis trois semaines, la Tunisie est en proie à une agitation multiforme, qui a débuté par le geste de colère et de désespoir d’un jeune diplômé chômeur, qui s’est immolé par le feu à Sidi Bouzid, et affecte désormais tout le pays et plusieurs secteurs de la société : avocats, lycéens, qui ont violemment manifesté vendredi à Tala (ouest) et à Regueb (centre), où cinq manifestants auraient été blessés. En Algérie, c’est une brutale hausse des prix de plusieurs denrées de base qui a jeté la jeunesse dans la rue depuis le début de la semaine. Après une pause dans la matinée, les troubles ont redémarré vendredi après-midi à Alger, Oran (ouest) et Annaba (est), forçant le pouvoir à une réunion d’urgence samedi pour étudier les moyens de juguler l’inflation.

1983 en Tunisie, 1988 en Algérie : les émeutes du pain avaient déstabilisé les pouvoirs en place, entraînant, en Tunisie, un «coup d’Etat médical» de Ben Ali contre Bourguiba quatre ans plus tard, et en Algérie, une démocratisation mal maîtrisée, qui a mené les islamistes du FIS aux portes du pouvoir et le pays à la guerre civile. Ces deux nations, dont la taille, l’histoire et les économies ne sont pas comparables, partagent pourtant deux points communs de taille : des systèmes politiques autoritaires et sclérosés et une jeunesse pléthorique et sans espoir. C’est aussi le cas du Maroc et de l’Egypte et de telles explosions sociales y sont tout à fait possibles, voire probables. Paralysées, l’Europe et la France, sont restées quasiment muettes depuis le début de cette crise. Seuls les Etats-Unis ont convoqué, vendredi, l’ambassadeur tunisien pour lui faire part de leur «préoccupation» et lui demander que soit respectée la «liberté de rassemblement».

Les raisons de la colère

En Tunisie, c’est le geste de Mohamed Bouazizi qui a mis le feu aux poudres. Ce diplômé chômeur de 26 ans, dont la famille est étranglée par les emprunts, s’est immolé par le feu, le 17 décembre, devant la préfecture de Sidi Bouzid après la confiscation de la marchandise qu’il vendait à la sauvette. Grièvement brûlé, il est mort mardi. Chômage, absence d’emploi et de perspective d’avenir, mépris des autorités qui ont refusé de le recevoir : le cas Bouazizi a ému les habitants de Sidi Bouzid et fait des émules. La violence de la répression policière a alimenté la colère de la jeunesse : une semaine plus tard, la police tuait deux manifestants à Menzel Bouzaiane (dans le centre du pays). Des avocats qui entendaient manifester leur solidarité ont été violemment battus le 28 décembre. D’où la grève générale de la profession observée jeudi. Depuis une semaine, ce sont surtout les lycéens qui entretiennent la flamme de la contestation.

En Algérie, une hausse brutale des prix des denrées de première nécessité (23% pour les produits sucrés, 13% pour les oléagineux, 58% en un an pour la sardine) a entraîné des troubles à Oran, puis en Kabylie et à Alger. Le rituel de l’émeute sociale n’est pas nouveau en Algérie, mais ce qui l’est, c’est la simultanéité et l’ampleur des troubles.

Qui se soulève ?

En Algérie, comme dans le reste du Maghreb, ils sont ceux qu’on appelle «les diplômés chômeurs». En Tunisie, le taux de chômage des jeunes diplômés, officiellement de 23,4%, frôlerait en réalité les 35%. En Algérie, le même indicateur toucherait plus de 20% des jeunes diplômés, très loin des 10% officiels. Au Maroc, où le mouvement des diplômés chômeurs est institutionnalisé depuis plus d’une décennie, six d’entre eux ont d’ailleurs tenté de s’immoler devant le ministère du Travail, à Rabat, dans les jours qui ont suivi l’affaire de Sidi Bouzid. L’effet de miroir et de contagion est désormais facilité par Al-Jezira, la chaîne arabe d’information qui a supplanté les chaînes françaises.

Entre les lycéens tunisiens, qui sont devenus le moteur de la mobilisation, et la jeunesse pauvre d’Alger s’attaquant à une bijouterie dans le quartier chic d’el-Biar, ce sont, en fait, tous les jeunes qui sont en ébullition. Pas étonnant dans des pays où les moins de 20 ans représentent près de 50% de la population, alors qu’ils sont dirigés (à l’exception du Maroc) par des hommes nés entre les deux guerres.

Spécificité tunisienne, la révolte a touché d’autres couches comme les avocats, au nom de la défense des libertés publiques. C’est dans ce pays que la liberté d’expression a été la plus caricaturalement réprimée, ajoutant au sentiment d’étouffement de toute la société.

Des régimes autoritaires et corrompus

Le produit intérieur brut algérien a triplé au cours des dix dernières années. Résultat : dès 2005, l’Algérie rattrapait la Tunisie en terme de PIB par habitant, dépassant même largement le voisin marocain. Mais la bonne fortune de cette performance ne tient qu’en un mot : hydrocarbures. Avec à la clé un énorme bémol sur ce qui pouvait ressembler à un rattrapage économique. Car quand un pays à du pétrole et du gaz à revendre, il ne cherche pas forcément à développer son tissu industriel. «Et c’est exactement ce qui s’est passé en Algérie, note un universitaire local sous couvert d’anonymat. Certes les émeutes peuvent s’expliquer par la hausse des prix des matières alimentaires de bases, mais le malaise de notre société a des racines bien plus profondes.» En effet, le pouvoir algérien a mené de 1992 à 1999 une «sale guerre» pour éradiquer l’islamisme dans laquelle ont péri 100 000 à 200 000 personnes. Mais la fin des Années de plomb ne s’est pas accompagnée d’une ouverture politique : au contraire, les élections sont truquées comme jamais ; la rue est gérée à la trique, et les islamistes – tant qu’ils désertent le champ politique – sont libres de dicter leurs vues à la société. Pendant ce temps, le pouvoir et la richesse nationale restent confisqués par la petite clique politico-militaire qui dirige le pays, comme l’a révélé le scandale de la Sonatrach, qui a éclaté il y a un an et a conduit à la démission du ministre du Pétrole, un proche de Bouteflika.

En Tunisie, les frasques et l’avidité de la belle-famille de Ben Ali font les délices des télégrammes américains – qui parlent d’un Etat «quasi-mafieux» – révélés par WikiLeaks. Elles amusent moins les Tunisiens, qui touchent du doigt les limites du «miracle» qu’on leur chante tous les jours dans les médias officiels. La presse indépendante n’existe plus, et les partis d’opposition ont été réduits à des clubs privés qui passent leur temps à tenter de se réunir. Désormais, le seul espace de liberté est Internet : c’est sur Facebook que se passe la mobilisation lycéenne, et c’est sur la Toile qu’une «cyberguérilla» – emmenée par un groupe nommé les Anonymes – attaque les sites gouvernementaux. D’où les arrestations de blogueurs (dont celles de Slim Amamou et El Aziz Amami) qui se multiplient depuis jeudi.

Même le Maroc, le pays où les libertés sont les plus importantes au Maghreb et celui où les partis ont un vague rapport avec la réalité, est en pleine régression démocratique. La vie politique est gérée depuis le palais, qui contrôle aussi l’essentiel du secteur privé.

Des pouvoirs sans projet

En Algérie, l’après-pétrole se fait toujours attendre. Craignant que les investisseurs étrangers ne fassent main base sur le tissu économique local, Alger a promulgué du jour au lendemain l’année dernière une nouvelle loi interdisant à tout étranger de posséder plus 49% d’une entreprise locale. «Du jour au lendemain nous avons assisté à un effondrement des investissements étrangers, comme si tout le monde craignait subitement un retour à une économie totalement administrée», explique un universitaire algérois.

La Tunisie, elle, souffre d’un excès de main-d’œuvre qualifiée, qui ne demande qu’une chose : un travail en relation avec sa formation, souvent au rabais. La Tunisie à certes réussi à développer des secteurs comme le tourisme ou encore le textile et la confection. Mais cette stratégie initiée pendant les années 70 est dans l’impasse. Elle révèle surtout à quel point le pays n’a pas su monter en gamme, pour rompre sa trop forte dépendance aux commandes européennes.

Christophe Ayad Vittorio de Filippis (Libération)


Le régime Moubarak joue avec le feu intégriste

chretiens-egyptiens1Les silences et les non-dits sont parfois plus forts que le vacarme des mots. Au-delà de sa condamnation de l’attentat d’Alexandrie, dans une allocution télévisée aussi inhabituelle que grave, le président Hosni Moubarak n’a pas jugé bon de décréter un deuil national à la mémoire des 21 victimes. Ce «détail», qui n’a pas échappé à la communauté copte (lire ci-contre), est vécu comme une preuve supplémentaire que l’Etat la traite comme un corps étranger au sein de la société. Autre motif de colère des chrétiens : le raïs, dans son allocution, s’est refusé à reconnaître toute spécificité chrétienne à l’attentat, qui aurait visé, selon lui, «le pays tout entier et non une communauté en particulier».

Un tel déni de réalité n’est pas une surprise pour tous ceux qui s’intéressent à l’Egypte, ce géant malade du monde arabe. Mais la plupart des touristes, qui découvrent souvent l’existence d’une communauté chrétienne une fois sur place, se voient servir le discours lénifiant sur l’Egypte éternelle et son indéfectible «unité nationale», défendue par un régime «modéré» adepte d’un islam «tolérant». Le plus étonnant, c’est que même les chancelleries occidentales continuent de faire semblant de croire à cette fiction, probablement au nom de la préservation des accords de paix avec Israël signés à la fin des années 70 par Anouar al-Sadate. Ce qui lui coûta la vie en octobre 1981, déjà dans un contexte de fortes tensions communautaires…

Entrave. Mais c’est ce même Sadate qui a initié une politique d’islamisation de la société afin d’en finir avec les restes de la gauche nassérienne. C’est lui qui, se faisant appeler «le président de la science et de la foi», a élargi les Frères musulmans alors en prison. Lui qui a cru bien faire en allégeant la taxe foncière des immeubles dans lesquels un local était réservé à une salle de prière. D’où l’explosion des zawiya, dirigées par des imams autoproclamés. Cette multiplication des lieux de culte musulmans se double d’une politique d’entrave draconienne à la construction d’églises. La communauté copte étant travaillée par le même mouvement de réveil religieux que les musulmans, elle vit ces limitations comme une injustice.

Après l’assassinat de Sadate – par un commando islamiste -, Moubarak a continué sur la même voie, alimentant le feu qu’il cherchait à éteindre. Pour montrer qu’il était inattaquable sur le chapitre de la bigoterie, il décréta l’interruption des programmes télévisés cinq fois par jour pour la prière. Il laissa Egyptair bannir l’alcool de ses menus, etc. Autant de petits symboles qui, mis bout à bout, ont contribué à polariser la société sur la question religieuse.

Prêches. Un nouveau coup d’accélérateur fut donné après 2006, suite à la percée électorale des Frères musulmans, la hantise du régime. Pour faire pièce à leur islamisme politique, les autorités ont encouragé le salafisme, variante ultrarigoriste de l’islam sunnite qui a l’avantage de prôner le quiétisme politique, c’est-à-dire le retrait des affaires du monde. Un calcul à courte vue car, dans sa version la plus extrême, le salafisme débouche sur le jihadisme, qui encourage la lutte armée contre les régimes impies et tous ceux considérés comme des infidèles (chrétiens, chiites, etc).

Dès lors, rien ne sert à l’Etat de tenter de contrôler les prêches dans les mosquées, alors même que l’islam d’Etat est gangrené par l’intégrisme le plus rétrograde. L’université d’Al-Azhar, dont le grand imam est nommé par décret présidentiel, n’a eu de cesse, ces dernières décennies, de vouloir s’arroger un pouvoir de censure sur la production culturelle et éducative de l’Etat.

Cette crispation touche l’ensemble de la société. Une grande partie de la presse, les journaux officiels en tête, fait ses choux gras depuis six mois sur le sort supposé de chrétiennes converties à l’islam et retenues de force dans des monastères. La communauté copte n’est pas en reste : chauffée à blanc par des chaînes satellitaires proches de la droite chrétienne américaine, elle bruisse de récits invérifiables de chrétiennes kidnappées et converties de force à l’islam.

En ciblant les coptes, les terroristes ont frappé le point le plus sensible de la société égyptienne. Ils savent qu’en cas d’affrontements interconfessionnels, les autorités sont incapables de stopper l’incendie. La police laisse faire quand elle ne prend pas cause pour la foule musulmane, comme ce fut le cas lors du pogrom antichrétien de Zawiya al-Hamra, dans la banlieue du Caire, lors de l’été 1981. Trois décennies plus tard, l’Egypte est plus que jamais un pays divisé, en crise et en proie à une interminable fin de règne…

Christophe Ayad (Libération)

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Histoire de l’Egypte : Chronologie

Histoire de l’Egypte (depuis l’Egypte ancienne, jusqu’à l’Egypte moderne) présentée chronologiquement :

• 7000 av. J.C. : les premiers habitants de la Vallée du Nil s’installent.
• 3000 av. J.C. : les royaumes de la Haute-Egypte et de la Basse-Egypte s’unissent. Les dynasties qui s’en suivent voient abondance, commerce prospère et développement des grandes traditions culturelles. L’écriture, dont les hiéroglyphes, est largement utilisée. La construction des pyramides (vers 2500 av. J.C), où sont enterrés rois et pharaons morts, est un des véritables exploits d’ingénierie de l’histoire.
• 669 av. J.C. : les Assyriens de Mésopotamie conquièrent et dirigent l’Egypte ancienne.
• 525 av. J.C. : conquête des Perses.
• 332 av. J.C. : Alexandre le Grand, de l’ancienne Macédoine, conquiert l’Egypte et fonde Alexandrie. La dynastie macédonienne règne sur le pays et son histoire.
• 31 av. J.C. : l’Egypte est soumise aux Romains. La reine Cléopâtre se suicide après la défaite de ses forces face à l’armée d’Octave.

 

• 642 : les Arabes conquièrent l’Egypte.
• 969 : le Caire est établie comme capitale du pays.
• 1250-1517 : les Mameloukes (signifiant esclave soldat) règnent sur l’Egypte. Période d’histoire de l’Egypte prospère avec des institutions civiques bien établies.
• 1517 : l’Egypte est absorbée dans l’empire Ottoman.
• 1798 : les forces de Napoléon Bonaparte envahissent le pays, mais sont repoussées par les Britanniques et les Turcs en 1801. L’Egypte refait encore partie de l’empire Ottoman.
• 1859-69 : construction du Canal de Suez.
• 1882 : les Britanniques prennent le contrôle de l’Egypte.
• 1914 : l’Egypte est sous le protectorat de l’Angleterre.
• 1922 : Fouad I est proclamé Roi d’Egypte. Le pays gagne son indépendance, mais reste plus ou moins sous contrôle britannique.
• 1936 : Farouk succède à son père en tant que roi d’Egypte.
• 1948 : l’Egypte, l’Iraq, la Jordanie et la Syrie attaquent Israël.
• 1952 : Soulèvements contre la présence britannique. Gamal Abdel Nasser monte un coup d’état qui alors met en place Muhammad Najib comme Président et Premier Ministre de l’Egypte.
• 1953 : Najib déclare le pays comme République. Une première dans l’histoire de l’Egypte.
• 1954 : Nasser devient Premier Ministre ; et, en 1956, Président. Les dernières troupes anglaises quittent définitivement l’Egypte.
• 1956 : crise du Canal de Suez. A cause de la nationalisation du Canal, l’Angleterre, la France et Israël attaquent. Un cessé-le-feu est déclaré en Novembre.
• 1967 : la guerre des six jours. L’Egypte, la Jordanie et la Syrie se mettent en guerre contre Israël et sont défaits. Israël annexe alors le Sinaï, les hauteurs du Golan, la bande de Gaza, Jérusalem Est et la Banque Ouest.
• 1970 : Nasser meurt et est remplacé par son Vice-Président, Anouar el-Sadate.
• 1971 : la nouvelle constitution est introduite, et l’Egypte est renommée République arabe d’Egypte. Un traité est signé entre le pays et l’Union Soviétique. Le Haut Barrage d’Aswan est achevé, et aura de grandes répercussions sur l’irrigation, l’agriculture et l’industrie en Egypte.
• 1973 : l’Egypte et la Syrie vont en guerre contre Israel durant « Yom Kippour » pour reprendre les terres perdues en 1967. L’Egypte commence les négociations afin de récupérer le Sinaï.
• 1975 : le Canal de Suez ré-ouvre pour la première fois depuis sa fermeture en 1967.
• 1976 : fin de l’alliance avec l’Union Soviétique.
• 1978 : signature des accords de Camp David pour la paix avec Israël.
• 1979 : signature d’un traité de paix entre l’Egypte et Israël ; ce qui vaudra à l’Egypte d’être expulsé de la Ligue Arabe (qu’elle re-intègrera par la suite en 1989).
• 1981 : Sadate est assassiné. Hosni Moubarak est dorénavant le nouveau président égyptien.

Voir aussi : Rubrique Histoire, rubrique Egypte,