Questions sur l’armement des Kurdes d’Irak

Photo Rick Findler. AFP

Photo Rick Findler. AFP

par Alain Gresh

La récente décision de la France, suivie par d’autres pays européens, d’armer les Kurdes d’Irak, a soulevé des commentaires plutôt positifs. Enfin, Paris se décidait à faire quelque chose au Proche-Orient, après une très coupable passivité, pour ne pas dire complaisance, face à l’agression israélienne contre Gaza. Pourtant, à l’examen, cet envoi d’armes suscite plusieurs questions.

Selon Le Monde (« Irak : la France décide de livrer des “armes sophistiquées” aux combattants kurdes », 14 août) : « La France va livrer des “armes sophistiquées” aux combattants kurdes en Irak pour les aider dans leur lutte contre l’Etat islamique (EI). L’Elysée a annoncé, mercredi 13 août, que François Hollande avait décidé, “en accord avec Bagdad, de faire acheminer des armes dans les heures qui viennent”. “Nous voulons aider les Kurdes et les Irakiens à éviter les massacres, et pour cela nous livrons des armes qui permettent aux combattants de combattre et, nous l’espérons, de l’emporter”, a expliqué Laurent Fabius, sur TF1. »

« Le ministre des affaires étrangères a indiqué que la France allait livrer des “armes sophistiquées”, en refusant de préciser le type d’armements et leurs quantités. Il s’agit, selon M. Fabius, de “rééquilibrer les forces”. “Les terroristes ont des armes extrêmement sophistiquées qu’ils ont prises aux troupes irakiennes et qui, à l’origine, étaient américaines”, a souligné le ministre. »

Décision prise en accord avec Bagdad ? Mais qui à Bagdad ? Il n’y a plus de gouvernement légitime, Nouri Al-Maliki ayant refusé de démissionner. Le moins que l’on puisse dire est que « Bagdad » reste un concept flou. Est-ce avec M. Maliki que Paris a négocié une telle livraison ? C’est peu probable, car la France demandait qu’il quitte son poste de premier ministre. Avec son successeur désigné ? Mais il n’a formé ni gouvernement, ni coalition.

D’autre part, la position de Paris a toujours été qu’une intervention militaire nécessiterait une décision du Conseil de sécurité de l’ONU. Il ne s’agit certes pas d’une intervention, mais on peut penser que les armes « sophistiquées » seront livrées avec les conseillers chargés d’en apprendre le maniement aux Kurdes. Début d’un engrenage ?

La décision d’armer les Kurdes semble aller de soi. Le gouvernement régional du Kurdistan (KRG) est souvent présenté comme un modèle de démocratie, de bonne gestion et de respect des droits humains. Pourtant, rien n’est moins sûr. Certes, en comparaison avec ce qui se passe à Bagdad, la situation dans la région autonome du Kurdistan est meilleure. Mais cela n’empêche « ni le clientélisme, ni les dérives autoritaires ». Et, surtout, la division en deux zones que se sont partagées (dans tous les sens du terme) les deux partis au pouvoir à Erbil, nonseulement les stratégies de ces deux formations sont contradictoires, mais leurs alliances aussi : ainsi, le Parti démocratique du Kurdistan est allié avec Ankara, et l’Union patriotique du Kurdistan regarde vers Téhéran. Sans parler du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de Turquie, dont les combattants affluent pour faire face à l’Etat islamique, mais qui sont considérés par l’Union européenne comme une « organisation terroriste ».

Enfin, dans le cadre de quelle stratégie ces armes seront-elles utilisées ? Pour défendre les Irakiens contre la poussée de l’Etat islamique ? On peut en douter, quand on voit comment les peshmergas (les combattants kurdes) ont abandonné à leur sort les chrétiens d’Irak qu’ils auraient très bien pu défendre. Plus probablement, pour affirmer l’autonomie grandissante de leur région, voire leur volonté d’indépendance, ce qui serait un pas décisif vers l’éclatement de l’Irak.

Il est bon de rappeler, comme le fait Elias Muhanna dans The New Yorker, (« Iraq and Syria’s Poetic Borders », 13 août), que, loin d’être une entité artificielle, l’Irak a une longue histoire et de fortes particularités depuis les débuts de l’islam et que, malgré les empires qui se sont succédé à la tête du pays, il a conservé sa cohésion à travers les siècles.

Que faire alors, face à l’avancée de l’Etat islamique ? Il n’existe sans doute pas de réponse facile, tant les problèmes se sont accumulés depuis la guerre menée contre l’Irak en 1990-1991, le long embargo qui s’en est suivi et l’invasion irakienne qui ont détruit non seulement l’Etat mais la fabrique sociale de la société (lire sur ce blog « “Pétrole contre nourriture” : qui jugera les responsables de la destruction de l’Irak ? », 23 janvier 2013). En tous les cas, le pouvoir ne pourra se recomposer sur la base confessionnelle que Washington a imposée en 2003.

Même si je ne partage pas, loin de là, toutes les analyses de Stephen M. Walt (« Ne pas faire (plus) de mal : cela devrait être l’objectif des Etats-Unis au Moyen-Orient », Slate, 14 août), il faudrait que les Occidentaux suivent ses conseils :

« Les Etats-Unis ont passé une bonne partie de ces dix dernières années à traquer cet insaisissable Graal, et le résultat en a justement été le genre de chaos et de rivalités religieuses à l’origine de cette toute dernière crise. Nous avons peut-être la possibilité de faire un peu de bien aux minorités en danger, mais, par-dessus tout, qu’on ne fasse pas davantage de mal, ni à la région, ni à nous-mêmes. »

Alain Gresh

Source Nouvelles d’Orient les blogs du Diplo 18/08/14

Voir aussi :  rubrique  Méditerranée, rubrique Moyen Orient, Irak, Iran, Syrie, Cinglante débâcle de la diplomatie française, rubrique  Rencontre Gilles Kepel, Antoine Sfeir,

Turquie: Erdogan élu président dès le premier tour

668991-pm-and-presidential-candidate-erdogan-walks-toward-crowd-after-he-voted-during-presidential-election

Selon des résultats partiels, le chef du gouvernement islamo-conservateur, au pouvoir depuis 2003, a obtenu près de 52% des voix.

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a été élu dimanche président de la République turque dès le premier tour du scrutin disputé pour la première fois au suffrage universel direct, ont rapporté les chaînes de télévision.

Le chef du gouvernement islamo-conservateur, 60 ans, au pouvoir depuis 2003, a obtenu près de 52% des voix, contre près de 39% au principal candidat de l’opposition Ekmelettin Ihsanoglu et plus de 9% à celui de la minorité kurde, Selahhatin Demirtas.

Sûr de sa victoire, le favori a voté en début d’après-midi en famille à Istanbul et a répété devant la presse sa volonté de garder les rênes du pays. «Le président élu et le gouvernement élu œuvreront main dans la main», a-t-il dit.

A la manière d’un rouleau-compresseur, le Premier ministre a écrasé la campagne par son charisme et la toute-puissance financière de son Parti de la justice et du développement (AKP) qui n’ont laissé que peu de chance à ses deux rivaux. Le candidat des deux partis de l’opposition social-démocrate et nationaliste, Ekmeleddin Ihsanoglu, un historien réputé de 70 ans qui a dirigé l’Organisation de la coopération islamique (OCI), n’a pu opposer qu’une image de grand-père rassurant mais sans relief.

«La campagne a été injuste, disproportionnée mais nous avons confiance dans le bon sens de notre nation», a déploré Ekmeleddin Ihsanoglu en votant. «Nous allons remporter facilement le premier tour», a-t-il pronostiqué contre tous les sondages.

Répression

Candidat des kurdes, le troisième candidat de ce premier tour, Selahattin Demirtas, un avocat de 41 ans au sourire photogénique, a fait des droits et des libertés sa priorité, mais ne devrait guère mordre au-delà de cette communauté de 15 millions d’âmes.

Paradoxalement, d’Erdogan intervient au terme d’une année politique très difficile pour son camp. En juin 2013, des millions de Turcs ont dénoncé dans les rues sa dérive autoritaire et islamiste. La sévère répression de cette révolte a sérieusement écorné l’image du régime.

L’hiver dernier, c’est un scandale de corruption sans précédent qui a éclaboussé le pouvoir. Erdogan a dénoncé un «complot» de son ex-allié islamiste Fethullah Gülen, avant de purger la police et de museler les réseaux sociaux et la justice.

Mais, même contesté comme jamais, Recep Tayyip Erdogan a remporté les élections locales de mars et reste très populaire dans un pays qu’il a débarrassé de la tutelle de l’armée et dont la majorité religieuse et conservatrice a profité de la forte croissance économique sous son règne.

Source  : AFP 10/08/145

Voir aussi :Actualité internationale, Rubrique Turquie,

Le parti d’Erdogan largement en tête aux élections municipales

Photo AFP

Photo AFP

Ankara — Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan a proclamé dimanche soir sa victoire aux élections municipales et promis à ses adversaires de leur faire «payer le prix» des critiques et des accusations qui le visent depuis des mois.

«Le peuple a aujourd’hui déjoué les plans sournois et les pièges immoraux […] ceux qui ont attaqué la Turquie ont été démentis», a lancé M. Erdogan devant des milliers de partisans réunis devant le siège de son Parti de la justice et du développement (AKP) à Ankara.

Après le dépouillement de près de 80 % des bulletins de vote, l’AKP était nettement en tête du scrutin avec 44,9% des suffrages, bien devant son principal rival, le Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche) qui recueillait 28,4% des voix, selon les chaînes de télévision.Sauf grande surprise, la formation de M. Erdogan, au pouvoir depuis 2002, devrait conserver les deux premières métropoles, Istanbul et Ankara.

L’AKP, qui a remporté tous les scrutins depuis son arrivée au pouvoir en 2002, avait obtenu 38,8 % des suffrages lors des précédentes élections locales de 2009, et presque 50 % lors de son triomphe aux législatives de 2011.

Large victoire

Ce vote de confiance constituerait une très large victoire pour le Premier ministre, défié dans la rue, contesté par ses opposants et éclaboussé depuis des mois par un scandale de corruption sans précédent.

Sûr du soutien d’une majorité de Turcs, M. Erdogan a exprimé sa confiance avant même les premiers résultats, en glissant dimanche son bulletin dans l’urne à Istanbul.

« En dépit de toutes les déclarations et de tous les discours prononcés jusque-là pendant la campagne, notre peuple dira la vérité aujourd’hui », a-t-il déclaré. « Ce que dit le peuple est ce qui est, et sa décision doit être respectée ».

L’ampleur de la victoire qui se dessine devrait déterminer la stratégie à venir de M. Erdogan, dont le troisième et dernier mandat de Premier ministre s’achève en 2015.

Selon les analystes, ce score pourrait le décider à briguer en août la présidence de la République, disputée pour la première fois au suffrage universel direct. Un score plus serré l’aurait incliné à prolonger son mandat à la tête du gouvernement lors des législatives de 2015, au prix d’une modification des statuts de l’AKP.

Charisme

Après douze ans de règne, M. Erdogan, 60 ans, reste le personnage le plus charismatique du pays mais est aussi devenu le plus controversé : acclamé par ceux qui voient en lui l’artisan du décollage économique du pays, mais peint par les autres en « dictateur » islamiste.

Encore au faîte de sa puissance il y a un an, le « grand homme », comme l’appellent ses partisans, le « sultan », comme le moquent parfois ses rivaux, a subi une première alerte en juin 2013, lorsque des millions de Turcs ont exigé sa démission dans la rue.
Et depuis plus de trois mois, il est à nouveau sérieusement mis à mal par de graves accusations de corruption qui éclaboussent tout son entourage.

M. Erdogan a contre-attaqué en durcissant son discours pour mobiliser son camp. Et il a déclaré la guerre à ses ex-alliés de la confrérie de l’imam Fethullah Gülen, des « traîtres » soupçonnés d’avoir formé un « État parallèle » et de distiller sur Internet des écoutes téléphoniques pour nuire à son régime.

Malmené par ces révélations, le gouvernement a répondu par des purges et des mesures autoritaires, notamment le blocage de Twitter et de YouTube qui lui a valu une avalanche de critiques, en Turquie comme à l’étranger.

Renforcement de la démocratie

« Notre démocratie doit être renforcée et nettoyée », a répété en votant Kemal Kiliçdaroglu, le président du Parti républicain du peuple (CHP), le principal mouvement d’opposition. « Nous allons construire une démocratie apaisée », a-t-il promis.

Dans ce climat hypertendu par l’enjeu, les 52,7 millions d’électeurs turcs ont très largement voté mais restent très divisés. « Nous sommes ici pour montrer par nos suffrages qu’Erdogan peut résister à toutes les attaques », a assuré une électrice d’Istanbul, Nurcan Caliskan. « Je ne pense pas qu’il ait croqué de l’argent sale. Et même s’il l’a fait, je suis sûre que c’était pour le bien du pays ».

« Erdogan a démontré qu’il était […] prêt à tout pour rester au pouvoir », s’est indigné en écho Arif Dokumaci, un étudiant de 22 ans. « Aujourd’hui nous avons une chance de dire adieu à l’autocratie, mais c’est peut-être la dernière ».

De l’avis des analystes, le scrutin de dimanche ne devrait toutefois pas signer la fin de la crise politique. « La légitimité d’Erdogan restera posée après les élections, quels qu’en soient les résultats », estimait le journaliste réputé Hasan Cemal.

Burak Akinci

Source : Le Devoir AFP 31/03/14

Voir aussi : Rubrique Actualité Internationale, rubrique Turquie, rubrique Politique,

Egypte : après l’enthousiasme, les doutes. Revue de presse internationale

carte-des-manifestations-moyen-orient

Après les cris de joie et les feux d’artifice, après les images de ces drapeaux égyptiens portés à bout de bras s’étalant à la Une de toute la presse, l’enthousiasme a cédé la place au doute. Partout, les mêmes questions fleurissent à présent dans les colonnes des journaux : L’Egypte a-t-elle été le théâtre d’un coup d’Etat ? Le vrai Printemps arabe est-il en train de commencer ? Quelle lueur d’espoir apporter au monde arabo-musulman, entre la sombre cruauté des dictatures et l’obscurantisme des partis religieux ?

Quelle que soit la suite des événements, écrit L’ORIENT LE JOUR, la crise égyptienne ne fait finalement que souligner, dit-il, une série de paradoxes. Lorsque pour les uns, l’armée n’a fait que servir le peuple et l’a aidé à accomplir une deuxième révolution, pour d’autres, elle vient de commettre un coup d’Etat contre le premier président égyptien élu. ». En clair, pour les «gagnants» du jour c’est une victoire de la démocratie et pour les «perdants» c’est une atteinte à la démocratie.

Imaginez simplement, que toutes les forces qui sont sorties dans la rue, lançant le début des manifestations qui ont précipité le renversement de Morsi, s’étaient rendues dans le même nombre dans les bureaux de vote, pour sanctionner les candidats des Frères musulmans à la députation ? Un tel Parlement, analyse THE FOREIGN POLICY cité par SLATE aurait permis de mettre sur pied, un véritable équilibre des pouvoirs au sein d’institutions démocratiquement élues et empêché le président de confisquer tous les pouvoirs électoraux. La démocratie aurait fonctionné. Sauf qu’une fois de plus, c’est la loi du plus fort qui règne en Egypte se désole son confrère néerlandais LOYAUTE (TROUW), un principe qui menace de réduire à néant la jeune démocratie égyptienne à tous les niveaux.

Car même si l’ex président était sans doute le mauvais homme, à la mauvaise place, au mauvais moment, résume THE FINANCIAL TIMES, pour autant, prévient LE TEMPS de Genève, la neutralisation du président islamiste ne règle rien, elle propulse seulement l’Egypte dans le brouillard. Ainsi, l’Egypte se trouverait à nouveau à un carrefour dangereux, renchérit THE IRISH TIMES, sans la garantie qu’une seconde révolution ne s’avère plus réussie que la première. Car même si le pire a été évité, reconnaît THE FOREIGN POLICY, l’Egypte court désormais le risque réel de se retrouver entraîné dans une spirale sans fin d’échecs gouvernementaux, d’interventions de l’armée et de soulèvements populaires. Et d’en conclure, l’opposition a certes prouvé sa capacité à mobiliser la rue sur les questions de fond, mais elle demeure aussi divisée sur le plan intérieur qu’auparavant et n’a pas le moindre programme politique cohérent. En clair, l’intervention de l’armée est en soi l’admission de l’échec de toute la classe politique égyptienne, à commencer par les Frères Musulmans, lesquels ont laissé passer une chance historique.

Mais ce coup d’Etat ne concerne pas seulement, l’Egypte, ce pays central du monde arabe, non ses effets se répercutent aujourd’hui dans une région en plein bouleversement, prévient encore LE TEMPS de Genève. Et particulièrement dans l’émirat du Qatar, aussi minuscule qu’immensément riche. Il y a deux ans, c’est sur Al-Jazira, la chaîne établie dans l’émirat, qu’une bonne partie du monde s’enthousiasmait devant le courage des révolutionnaires de la place Tahrir du Caire. Or ces derniers jours, sur la même chaîne, il n’y avait pratiquement pas d’images de cette foule, pourtant bien plus considérable encore, réunie pour réclamer le départ du président Morsi.

A l’inverse, autre indice de l’état d’esprit dans la région, la rivale d’Al-Jazira, Al-Arabiya, la chaîne arabe appartenant à des membres de la famille royale saoudienne, cette fois-ci, a suivi avec passion les événements qui ont conduit à la chute du président Morsi. Car le sort du premier chef de l’Etat issu de la mouvance des Frères musulmans était devenu une question pratiquement existentielle pour des pays du Golfe qui ont multiplié les commentaires négatifs sur la manière dont les autorités égyptiennes dirigeaient le pays.

Et l’article de préciser, à la lumière des derniers évènements en Egypte, on voit donc bien comment la guerre est désormais pratiquement déclarée entre le petit émirat et les vrais poids lourds du Golfe que sont l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. En l’occurrence, la démission de Morsi est un revers considérable pour le Qatar, l’émirat qui s’était profilé comme le parrain éclairé du monde arabe de demain, apportant un soutien d’autant plus appuyé aux mouvements révolutionnaires issus du Printemps arabe, que ceux-ci étaient proches de la mouvance des Frères musulmans.

Même analyse pour son confrère libanais L’ORIENT LE JOUR : En remplissant sa mission, l’armée égyptienne est en même temps en phase avec les derniers développements dans la région.  D’abord en Turquie, où le parti d’Erdogan était en quelque sorte le chef de file des Frères musulmans dans leur image modérée. Brusquement, et à travers les protestations populaires, cette image a été ébranlée. Puis ce fut le tour de l’Égypte d’être le théâtre d’un changement spectaculaire qui n’était même pas envisageable il y a quelques mois encore.

Or le risque prévient le quotidien flamand DER STANDAARD, c’est qu’il peut s’avérer dangereux et contre-productif de chasser les Frères Musulmans de la politique ou de les priver de leurs victoires électorales, deux ans seulement après leur arrivée au pouvoir. Car il y a une forte probabilité que des éléments radicaux au sein des Frères musulmans mais plus encore que des groupes salafistes y voient la preuve qu’il ne sert à rien de respecter les règles démocratiques. Certains pourraient alors faire dissidence et recourir à la violence.

Revue de presse de Thomas Cluzel

Source : France culture 05/07/13

Voir aussi : Rubrique Egypte, L’armé met fin au règne Morsi,

 

Deuxième jour d’affrontements à Istanbul

turquie 13

Un « printemps turc » est-il en train de naître ? Taksim est-elle la « place Tahrir » d’Istanbul, comme certains manifestants le clament ? A coup sûr, la mobilisation qui s’est enclenchée cette semaine aux abords de la grande place centrale d’Istanbul va marquer un tournant politique en Turquie.

Lancée par une poignée de manifestants « marginaux », comme aime les qualifier le premier ministre, Tayyip Erdogan, pour la sauvegarde d’un morceau de jardin public, elle s’est transformée en un vaste mouvement d’union contre la politique du chef du gouvernement, encouragé par une violente répression policière et un usage excessif de la force.

De l’extrême gauche à la droite de l’échiquier politique, le mouvement cristallise tous les griefs accumulés contre celui qui monopolise le pouvoir depuis maintenant dix ans. Les laïques s’émeuvent, chaque jour un peu plus, de l’irruption de la religion dans l’espace public et de son instrumentalisation par M. Erdogan pour gouverner.

C’est ainsi que, en quelques jours, une loi a été votée pour restreindre la consommation d’alcool. Sevan Nisanyan, un intellectuel arménien de Turquie, a été condamné pour « blasphème » à treize mois de prison après avoir critiqué le prophète Mahomet. Et la mairie d’Ankara a appelé les citoyens « à adopter un comportement conforme aux valeurs morales ».

Les partis de gauche et d’extrême gauche, les étudiants, ainsi que les organisations syndicales, sont éreintés par la répression des manifestations et les vagues d’arrestations dont ils ont été la cible depuis des mois au nom de la lutte contre le terrorisme. Les alévis turcs, une branche minoritaire et libérale de l’islam, s’estiment victimes de discriminations de la part du gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP), qui ne reconnaît pas leur particularisme cultuel. La liste est longue.

Tous dénoncent, à l’unisson, la dérive autoritaire du chef du gouvernement turc, son style brutal, les projets urbains mégalomaniaques dont il affuble Istanbul et le système clanique qu’il s’est bâti dans la ville lorsqu’il en était maire, il y a près de vingt ans.

Adossé au départ au processus de négociations d’adhésion à l’Union européenne et à une dynamique réformatrice, le pouvoir de M. Erdogan était encadré. Il a été renforcé par deux élections, qui ont tourné au plébiscite, en 2007 et 2011, avec respectivement 47 % et 50 % des voix à l’AKP.

Cette mainmise électorale a permis à M. Erdogan de se débarrasser de tout contre-pouvoir en interne. L’armée, l’appareil bureaucratique et judiciaire, la presse, qui lui étaient autrefois opposés, sont devenus des instruments au service de l’AKP, le parti majoritaire, et de son chef.

Ainsi, pendant que les émeutes éclataient à Taksim, les chaînes de télévision montraient M. Erdogan tenant une conférence pour le jour de la lutte contre le tabac. Les forces de l’ordre, dont les effectifs ont triplé depuis l’arrivée de M. Erdogan au pouvoir, ont fait preuve d’une violence inouïe contre les manifestants, en toute impunité.

En 2014, c’est la présidence de la République que M. Erdogan souhaite conquérir, après avoir fait réformer la Constitution et fait évoluer la Turquie vers un régime présidentiel. Ce qui fait craindre à beaucoup un nouveau tour de vis.