« Still life », légende contemporaine du peuple européen. Crédit DR
Avec Still Life, le chorégraphe Dimitris Papaioannou fait décoller l’Opéra Berlioz de Montpellier pour deux soirs célestes
Le fil rouge méditerranéen de cette 36e édition du festival devient fil d’Ariane avec Dimitris Papaioannou qui nous embarque avec Still Life dans une odyssée plastique et chorégraphique d’une classe infinie.
Sur le plateau, la nature brute de la roche où se traîne l’humanité est surplombée d’une sphère massive, globe suspendu emplie de gaz, qui circule comme le fond les nuages et les courants liquides sur la planète. Dans la beauté de l’espace se rejoue le mythe de Sisyphe que le chorégraphe assimile à « des héros de la classe ouvrière ».
C‘est la première fois que Dimitris Papaioannou est invité à Montpellier. Il a étudié aux Beaux-Arts d’Athènes, travaillé auprès du peintre grec Yannis Tsarouchis, puis dansé avec Eric Hawkins et le chorégraphe butô, Min Tanaka, à New York. Au début des années 1990, il suit de près certains spectacles de Bob Wilson.
En 2004, on est venu le chercher dans un squat où il travaillait avec des artistes depuis dix sept ans pour mettre en scène les cérémonies d’ouverture et de clôture des JO d’Athènes. Depuis il créé librement et rencontre succès et reconnaissance sans changer ses habitudes.
Still Life enchaîne les tableaux de l’existence dans une recherche constante d’équilibre qui s’effrite. L’utilisation de matériaux brutes et d’huile de coude renvoie aux efforts et aspirations constantes du peuple face à un monde hors sol qui s’impose comme une fatalité.
Les Sisyphe de Still Life s’évertuent à avancer, à construire des remparts avec leurs corps pour repousser la catastrophe. Se laissant parfois aller aux chimères absurdes du moment, ils renouent par défaut avec le sens et la pensée européenne dans un élan candide et poétique qui semble plus que jamais à l’ordre du jour.
Une dimension narrative qui alterne avec des passages plus abstraits. dr
La vie un tout et un pas grand chose…
Avec Du désir d’horizons Salia Sanou approche l’indicible et l’absurde condition de vie d’un camp de réfugiés.
Depuis l’automne 2014, le chorégraphe Salia Sanou et les danseurs de La Termitière, Centre de développement chorégraphique de Ouagadougou, conduisent des ateliers dans le camp de réfugiés maliens de Sag-Nioniogo au Burkina Faso. L’action s’inscrit dans le cadre de Refugies on the move, un programme d’African Artists for Development initié en 2009. La danse y est support de médiation sociale, afin de réduire la violence intra et intercommunautaire, de favoriser le dialogue avec l’extérieur et de redonner estime de soi aux déplacés.
En commençant ces ateliers, Salia Sanou s’interrogeait sur les désirs pour l’avenir « dans ce lieu hors du temps où l’histoire semble s’être arrêtée, les liens aux autres et au monde semblent perdus ». Au centre de cette interrogation, les 35 000 réfugiés qui avaient fui la guerre et le texte Limbes/Limbo, un hommage à Samuel Beckett de l’auteure canadienne Nancy Huston. Le spectacle élaboré avec sept danseurs, certains des interprètes sont issus du camp, n’est pas une illustration du texte ni des réalités des exilés. La danse, porte l’énergie des femmes qui « réinventent chaque jour un peu de vie, dit le chorégraphe, la musique et le rythme m’apparaissent comme un moyen de retour à la vie, même si… ».
D’abord le silence, et le mouvement du corps, celui d’une femme. Le corps parle de la brutalité violente de la vie. Le corps danse. Il est rejoint, par d’autres corps qui se nouent et se dénouent, se nourrissent d’états vécus, de rires et de douleurs, de tensions et de solidarités. La vie est là, puissante et fragile, sans assurance.
La vie est le risque de chaque instant qui repousse l’idée de futur, de rêve et de projet. Parce qu’ici et maintenant, ouvrir une perspective passe inévitablement par son corps que l’on met en danger.
L’oeuvre de Salia Sanou intègre depuis sa rencontre avec Mathilde Monnier, l’héritage de la danse africaine et de la danse contemporaine. Par la force de son propos, cette création, pousse le chorégraphe burkinabé à une grande liberté d’expression très perceptible sur le plateau.
Salia Sanou s’approprie les codes et les pratiques de la danse contemporaine et les ordonnent en intégrant une dimension narrative qui alterne avec des passages plus abstraits. Cette approche infléchit plusieurs directions de recherche, qui évoquent le concept de comédie musicale, brandissent l’étendard de la nouvelle danse française des années 80, virent à l’escapade grecque, sans se départir des évidences naturelles africaines qui s’imposent comme préalable.
L’impulsion demeure la base qui dessine les identités spatiales et entraîne dans son sillage le sentiment de vitesse et d’accélération du temps où la danse tisse une partition avec le texte absurde. L’usage de l’énergie africaine adossée à l’édifice de la danse contemporaine raconte une histoire. Celle d’hommes qui éprouvent, vivent et finalement produisent le monde dans lequel ils vivent. Désirs d’horizons ?
La grenouille avait raison de James Thierée Au Printemps des Comédiens
La trentième de tous les records, plus de 60 000 spectateurs, 90% de taux de remplissage… Mais demain ?
Eh bien voilà. Eteints les derniers projecteurs, baissé le rideau rouge de la Grenouille de James Thierrée, dissipées les ultimes acclamations. Et comme chaque année, à l’heure où se termine le Printemps des Comédiens, c’est dans un mélange de nostalgie et de satisfaction que l’équipe du festival veut remercier son public. Pour l’avoir suivi sur des pistes pas toujours balisées. Il a fallu cette année bien des listes d’attente, bien des prises d’assaut de la billetterie pour tenter de satisfaire un public venu en rangs plus serrés encore que de coutume.
Ne rien sacrifier de l’artistique
Car cette édition du 30e anniversaire est celle de tous les records. Jean Varela, le directeur artistique du Printemps, voulait «un acte fort» : « Revenir à une durée plus longue après des années de baisse. Ne rien sacrifier de nos ambitions artistiques et maintenir le festival dans ce qui est sa marque : un mélange de publics, familles, enfants, amateurs plus pointus, un mélange de genres : cirques, théâtre de texte, croisement des disciplines comme avec Triptyque…»
C’est peu dire que le pari est réussi : la fréquentation du festival atteint un chiffre jamais vu en trente ans. Plus de 60.000 spectateurs ! Un remplissage des lieux de spectacle qui dépasse 90%… Il est vrai que ce chiffre bénéficie de l’effet Zingaro qui, installé dans le domaine de Bayssan à Béziers, accueillera jusqu’au 10 juillet entre 20 et 25000 spectateurs. Mais Zingaro, c’est le Printemps. Une sorte de retour aux sources même, puisqu’aux temps héroïques, le festival promenait ses tréteaux dans tout le département. Une affirmation du Conseil départemental aussi : marquer, aujourd’hui en terre biterroise, que la culture est plus que jamais une nécessité.
Dosages subtils
« Voilà donc le rideau baissé. Et à cet instant, chaque année, le dernier mot nous était évident : à l’an prochain, disions-nous à notre public. A l’an prochain avec des grands noms de la scène (…) Pouvons-nous le dire cette année ? Hélas, nous n’en savons rien : le transfert des compétences entre Conseil départemental et Métropole plonge l’avenir du festival dans l’incertitude. Ce n’est pas le lieu de s’immiscer dans des discussions où la politique et les exigences budgétaires s’entremêlent.
Mais peut-être est-ce le moment de rappeler qu’un festival, même fort de 60 000 spectateurs, est une construction fragile. Que la culture, la joie du public, le bonheur d’être ensemble dans un lieu magnifique, tout cela est une alchimie dont les dosages sont subtils. Puissions en préserver la recette l’an prochain pour un nouveau sacre du Printemps.»
Comment après la réussite d’une programmation artistique si ambitieuse, et l’accomplissement d’une mission culturelle publique de cette ampleur, validée par le plus grand nombre, une équipe est-elle amenée à s’interroger de la sorte ? Désormais, il appartient sans doute à ce large public de questionner les représentants du peuple, pour connaître leurs véritables projets derrière leurs silences, leurs chiffres et leurs coups de menton…
1- L’auteur de l’affiche 2016 du festival Jorge Aderete expose son oeuvre dans les rues et sur les places de la ville
Ils sont 43 auteurs à venir célébrer le genre sous le signe de l’humour pour cette 19e édition du FIRN qui bat son plein à Frontignan. Les coups de feu vont résonner jusqu’à dimanche très tard dans la nuit…
A la fin du printemps, la ville n’attend qu’une chose : que les manettes du festival ouvrent les vannes de la saison chaude qui démarre depuis dix-neuf ans à Frontignan par un grand bain de liberté autour du roman noir. L’origine de l’événement en 1997/98 tient à une conjonction de planètes.
« Le contexte local était morose après les fermetures successives des sites industriels sur la commune, se souvient le maire Pierre Bouldoire (PS), et la société de cette ville ouvrière nourrie par différents apports migratoires se trouvait face à un grand vide. C’est à ce moment que nous avons pris la décision de relancer une dynamique à partir d’une politique culturelle avec deux grands axes. Le cinéma, en s’impliquant dans le miniplexe Cinémistral, qui programme des films à la fois grand public et Arts et essais; et la lecture publique. Nous nous sommes engagés dans un plan local d’éducation artistique, un fait rarissime pour une commune de notre taille, et nous avons pleinement soutenu le festival. Le genre du roman noir est populaire. C’est aussi une littérature sociale qui évoque parfois un univers assez proche de ce qu’a pu vivre la ville. »
Suite à l’ouverture de la médiathèque l’année dernière, la structure enregistre une fréquentation 30% supérieure aux villes de taille comparable. « Ce qui couronne nos efforts en matière de lecture publique et nous encourage à poursuivre notre engagement dans le festival. »
Voilà un feu vert politique qui s’ouvre au noir avec discernement ! Pour ceux qui n’auraient pas compris le discours, c’est une façon de dire que dans un monde à feu et à sang, on oublie facilement les humains pour une poignée de pognon. Et que faire confiance à des écrivain(e)s comme les auteurs de roman noir qui n’ont pas la mémoire courte et réfléchissent un brin sur ce qui se passe, ça peut faire avancer les choses…
L’humour dans le roman noir
Le FIRN s’est donné pour mission d’apporter un regard neuf sur la littérature noire contemporaine – à l’époque de son lancement, largement sous-estimée -, de donner ses lettres de noblesse à un genre qui n’a rien de mineur et qui a considérablement enrichi la littérature.
Les spécificités de ce festival consistent en une thématique forte autour de laquelle sont invités des auteurs venus d’horizons différents. Le thème de cette édition : Mort de rire, ouvre cette année sur les différentes facettes de l’humour dans le roman noir. Elles seront déclinées dans de multiples rencontres : Rire, c’est bon pour les rides, le royaume des déjantés, la langue dans tous ses états, à gorge déployée ; l’humour, arme de critique sociale.
Situé dans un environnement populaire, au centre-ville et au coeur de la vie, le festival est aussi l’occasion de faire le plein de lectures pour l’été. On peut se faire dédicacer les ouvrages et échanger avec les auteurs qui apprécient le contact direct qui s’opère avec le public dans une approche sensible, décomplexée et décomplexante.
Cette année le FIRN accueille deux nouvelles librairies aux côtés de La plume bleue frontignanaise. La librairie toulousaine Série B , spécialisée dans le genre, où le festival est allé présenter son édition à l’ouest de notre grande région, et la Nouvelle librairie sétoise qui accueille régulièrement des auteurs dans ses murs. A Frontignan, on considère l’ensemble de la chaîne du livre et notamment son dernier maillon souvent oublié, le lecteur !
l Infos pratiques : http://www.firn-frontignan.fr/
Consignes de survie dans le noir absolu
Martine Gonzalez Soleil noir.
Note de service
La ville semble désormais sous l’emprise de cette sombre littérature…
FrontiGang
Pour satisfaire à l’ère sécuritaire que nous traversons, nous rappelons en premier lieu aux personnes ayant récemment subi une opération de l’appendicite que la ville de Frontignan leur est rigoureusement interdite durant trois jours sous peine d’entrer une fois pour toutes dans les annales du FIRN sous l’épitaphe « Ci-gît un amateur trop zélé du festival mort de rire ».
Force est de constater qu’il est en effet difficile d’échapper au noir dans cette ville. Le ver est entré dans le fruit, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, après qu’un couple surnommé les Bonnie & Clyde de Frontignan, répondant aux noms civils de Martine Gonzalez et Michel Gueorguieff, ont introduit le virus. Ce dernier décédé en septembre 2013 était un redoutable diplomate dont le passé trotskiste ne l’a pas empêché de pactiser avec un représentant du Vatican, en la personne du curé du village, pour déréglementer la sonnerie des cloches de l’église. Il était aussi en contact avec le premier magistrat de la ville qui a fait citoyens d’honneur de Frontignan, présumons-nous sous son influence, l’activiste italien reconverti dans le roman noir Cesare Battisti. Le maire a également baptisé Gueorguieff un passage vers le Square de la Liberté pour rendre hommage à cet individu. Sa compagne Martine Gonzalez continue de sévir au sein de Soleil noir.
Depuis l’ouverture de cette 29e édition, les activistes ont infiltré la population, des écoles aux maisons de retraite. Aujourd’hui nos services nous rapportent qu’une cinquantaine d’auteurs venus de France mais aussi des Etats-Unis, de Grande Bretagne, du Portugal, de Suisse et d’Argentine animent des réunions en présence des citoyens auprès de qui ils diffusent leurs livres. Ce soir ils iront boire et manger ensemble sur la plage des Mouettes. Et demain écouter la musique de Despentes et du groupe Zéro.
Avec La nuit des durs à cuire, on pourra voir trois films sur la plage. Des dessins bizarres d’un certain Alderete sont partout sur les maisons. Salle Izzo se tient une expo collective en lien avec le dessinateur Goossens connu pour nous ridiculiser. Le mal pénètre le coeur même de nos services. Certains de nos agents lisent des polars en cachette, d’autres voudraient se mettre à écrire. Je crains bien que nous ayons perdu le contrôle. Je dois vous quitter, pour rejoindre une table ronde qui va commencer…
Christa Faust auteur US à découvrir à Frontignan Crédit Photo dr
Le festival international du roman noir de Frontignan accueille une cinquantaine d’invités sur trois jours. L’écrivaine Christa Faust qui a fréquenté le milieu du fétichisme et de la domination à NY vient évoquer « Money Shot » un roman noir sans concession qui expédie le lecteur derrière le décors des dociles jeunes filles qui font de l’œil en vitrine.
Ex-star du porno, Angel Dare s’est reconvertie en fondant une agence qui fournit les services de jeunes actrices et danseuses pour les clubs de strip-tease. Mais, lorsqu’elle reçoit un appel de son vieil ami le réalisateur de films X Sam Hammer, qui la supplie de venir le dépanner sur un tournage, Angel ne peut résister à l’appel de sa gloire passée. C’est ainsi qu’elle va se jeter dans la gueule du loup : tabassée, violée et laissée pour morte, avec plusieurs balles dans le corps, Angel se réveille quelques heures plus tard dans le coffre d’une voiture, abandonnée sur un parking.
C’est dans le coffre de cette vieille Civic pourrie que débute Money Shot. L’héroïne, Gina Moretti, dites Angel Dare, s’en extirpe meurtrie avec une rage au ventre qui ne la lâchera pas jusqu’à la dernière page du roman. Le coffre, réceptacle courant des macchabés et autres passagers de l’oubli s’impose d’entrée comme une unité de lieu délabré, à l’image du milieu américain du porno sud californien peuplé de cannibales sans scrupule qui font tourner le business juteux de l’industrie pornographique.
«Personnellement, je n’ai jamais compris ce qui attirait les gens dans cet endroit. L’Eye Candy était une machine bien huilée, qui n’existait, comme tout à Vegas, que pour une unique raison : vider les portefeuilles (…) L’Eye Candy ne vendait pas de la chatte. Il vendait du rêve de chatte. C’était un miroir aux alouettes sans fin, que du fantasme et rien de concret au bout.»
Il est perceptible à la lecture, que Christa Faust, ancienne professionnel du X, parle en connaissance de cause. Elle compte plusieurs livres érotiques à son actif et signe avec Money shot, un premier polar sans bavure. Il n’est pas plus question de dériver dans des scènes hot que de donner dans l’angélisme féminin puritain. Le personnage d’Angel Dare n’a pas froid aux yeux. Elle assume son goût pour le sexe et le risque qui n’est du reste pas tout à fait étranger avec la situation inextricable dans laquelle elle va se retrouver.
C’est une femme pragmatique qui a su décrocher à temps pour monter son agence de jeunes actrices, une sorte de mère maquerelle qui connaît la vie hard et offre des garanties à ses filles. C’est aussi une femme tout court, attachée à son pouvoir de séduction qui peut parfois jalouser les propositions de tournage dont elle s’est mise bien raisonnablement à l’abri. Un des ressorts du roman réside dans cette ambivalence. On sait la piètre capacité du bonheur en matière de séduction.
Ce qui nous séduit rappelle l’auteure, répond généralement à une voie qui nous détourne de celle qu’on serait naturellement destinée à suivre. C’est notamment le cas d’un paquet de filles qui tombes dans les pattes cruelles et sordides que nous décrit Christa Faust. Son héroïne sort des sentiers battus telle « Une méchante brune dans un monde de gentilles blondes » comme l’a dit à son sujet Quentin Tarantino.
Animée par l’énergie de la haine, elle inverse le processus d’exploitation en tirant partie de son pouvoir de séduction pour faire bouffer la poussière aux gros nazes avec l’aide d’un ancien flic au passé louche et quelques unes de ses copines. L’écrivaine nous baigne dans le côté sombre et glauque du milieu X mais avec beaucoup d’humour et un goût achevé de l’autodérision. Christa Faust démontre avec ce premier roman traduit en français, son sens du récit et de l’insoumission.
JMDH
Christa Faust Money Shot Editions Gallmeister. Rencontre avec l’auteure aujourd’hui à 17h Tente de la liberté et dimanche à 16h