Imaginez : Mediapart enquête sur la fraude fiscale de Jérôme Cahuzac mais les médias français s’offusquent (tous) de l’enquête et non de la resquille. Ou n’en parlent pas du tout. C’est ce qui est en train de se passer au Maroc et en Jordanie avec les SwissLeaks.
Les révélations du Monde sur l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent organisés par HSBC touchent directement les dirigeants de ces deux pays. Le roi marocain, Mohammed VI, aurait détenu jusqu’à 9,1 millions d’euros dans un compte en Suisse. Le souverain jordanien, Abdallah II, y aurait eu 41,8 millions
Contacté par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), Abdallah II a fait savoir par ses avocats à Washington que « le roi est exempté d’impôts et que le compte est utilisé pour des affaires officielles ». Affaires officielles qui ont nécessité le transfert dans un compte en Suisse de plus de 40 millions d’euros via un procédé financier plus que douteux.
Le roi du Maroc a refusé de répondre aux journalistes du Monde qui lui proposaient de donner une justification à l’existence de son compte.
Or la presse de ces deux pays offre un traitement médiatique de ce scandale… Comment dire ? Assez édifiant.
Au Maroc, on parle de « commanditaires »
Prenant de vitesse les journalistes du Monde, le site d’information marocain Le 360, proche du pouvoir, a publié mercredi 4 février un article accusant d’obscurs « milieux franco-marocains et algériens, soutenus par une horde de contestataires du royaume » de « se livrer à une ultime tentative dans l’espoir de générer une nouvelle tension entre Paris et Rabat ». (Mohammed VI était reçu par François Hollande ce lundi 9 février à Paris.)
L’article affirme que l’enquête, qui, rappelons-le, met au jour la fraude de 106 000 clients provenant de 203 pays, ne serait qu’une conspiration dirigée par Moulay Hicham, cousin du roi et bouc émissaire national.
Cet article aurait pu être comique s’il n’avait pas été massivement repris dans le pays. La seule voix nuançant le propos est celle de Tel quel. Cet hebdomadaire francophone, en opposition plus ou moins ouverte avec le roi – et dont la version arabophone, Nichane, a été poussée à la fermeture en 2010 –, parle de « conflit médiatique » entre Le Monde et Le 360.
Tel quel se permet tout de même de ressortir un dossier de mai 2013 sur la fortune royale comprenant quelques remises en question, comme la possibilité d’un conflit d’intérêts entre les fonctions de roi et d’homme d’affaires.
En Jordanie, une dépêche sans le roi
La presse jordanienne, encore sous le choc de l’assassinat d’un pilote de chasse, brûlé vif par l’Etat islamique autoproclamé, n’accorde pas une importance particulière au sujet.
Alghad, le quotidien le plus éloigné de la ligne officielle, reprend un article de la BBC sur l’affaire. Le roi Abdallah II n’y est pas nommé.
Source : Rue 89 09/02/2015
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Mohammed VI est désormais le premier banquier, le premier assureur, le premier entrepreneur de bâtiments de son pays. Il y joue un rôle dominant dans l’agro-alimentaire, l’immobilier, la grande distribution, l’énergie et les télécoms. La fortune personnelle du roi du Maroc a quintuplé en dix ans, et le magazine Forbes le classe désormais parmi les personnalités les plus riches du monde. Que s’est-il donc passé depuis l’avènement du fils d’Hassan II ? Par le biais des holdings que contrôle la famille royale, avec l’aide du secrétaire particulier de Sa Majesté et la complaisance de nombre de dignitaires et de valets du pouvoir, c’est à une véritable mise en coupe réglée de l’économie du royaume que l’on assiste depuis plus de dix ans. Et si l’absolutisme royal selon Hassan II visait à assurer la pérennité de la monarchie, la structure de gouvernement mise en place par son fils est tout entière tendue vers l’accaparement privé. Voici ce système, et les hommes qui en tirent les ficelles, pour la première fois mis au jour au terme d’une minutieuse enquête de terrain, d’un examen fouillé des dossiers sensibles, de nombreuses rencontres avec les principaux témoins de cette royale prédation, y compris parmi les proches du Palais. Voici comment le souverain d’un des régimes désormais les plus menacés par la vague démocratique dans les pays arabes a transformé ses sujets en clients, l’Etat en machine à subventionner les intérêts de la famille royale, et notre pays en complice d’un désastre politique et moral auquel contribue, à son corps défendant, le contribuable français.