Boris Charmatz : « Il fallait que l’on se remette en mouvement »

Boris Charmatz «Le spectacle c’est ce que nous faisons ensemble avec le public.»

Le chorégraphe Boris Charmatz a ouvert la saison de Montpellier danse avec sa pièce Danse la nuit. Insolite et risquée, cette proposition co-accueillie par hTh , est conçue pour être donnée dans la rue. Elle correspond à une démarche singulière qui fait bouger les corps et les lignes.

Ce type de performance donnée dans l’espace public impulse-t-elle à vos yeux un nouveau champs d’exploration ?

La création Danse la nuit a émergé dans un contexte particulier. Elle est née il y a un peu moins de deux ans à Rennes, nous étions sur le projet de Musée de la Danse qui vise à bousculer l’idée que l’on se fait du musée, et l’idée que l’on se fait de la danse, mais nous n’avions pas encore le bâtiment ce qui nous a poussé à sortir dehors. Nous avions programmé ce spectacle en janvier 2015. C’était juste après l’attentat de Charlie Hebdo.

Finalement, nous nous sommes retrouvés coincés sur l’Esplanade Charles de Gaulle dans une manifestation d’une ampleur sans précédent. Il y avait 115 000 personnes. Ce qui est complètement incroyable pour une ville de 220 000 habitants. On ne pouvait plus bouger. Face à cette situation, paradoxale, c’était à la fois extraordinaire de ce retrouver si nombreux et effrayant d’être contenu de la sorte, je me suis dit qu’il fallait que l’on se remette en mouvement.

Ce qui est devenu de plus en plus compliqué à notre époque dans l’espace public. Pour toute une série de raisons, qui vont de la loi sur le voile, à la privatisation de l’espace public, en passant par les luttes contre les SDF ou la peur des attentats. A partir de cette expérience, nous avons imaginé différentes postures pour réinvestir l’espace public.

Le fait de quitter la salle dédiée au spectacle produit-il de l’insécurité ?

C’est un peu une manière de prendre les choses à contre-pied au moment où les spectacles de rue et les arts du cirques opèrent plutôt un mouvement dans le sens inverse. Avec la danse, on n’a pas besoin de scène, de lumière. C’est un médium d’expression qui installe une perméabilité entre les corps, un endroit d’échange et de questionnement pour réaffirmer une liberté de parole et de corps. A Montpellier, nous avons donné Danse la nuit dans une petite forme, la pièce peut également être interprétée dans une version massive ce que nous avons fait a Tempelhof l’aéroport berlinois désaffecté, avec un spectacle de 10 heures réunissant 20 000 personnes.

Peut-on voir dans l’espace public un effet transgressif du corps singulier au milieu du corps social ?

Ce que j’aime dans la danse c’est qu’on peut danser ensemble ou être tout seul. Quand les danseurs vous disent bouge, bouge, ils usent de cette malléabilité qui permet de changer la situation, de dissoudre les points de résistances. Je ne me sent pas transgressif, j’use de la tension réelle, mais l’intervention dans l’espace public pose effectivement la question de savoir jusqu’où on peut aller, et d’évaluer ce que l’on risque.

Pour dissoudre la résistance passive du public qui se réfugie dans sa posture de spectateur les danseurs puisent en eux-mêmes des ressources impressionnantes…

La danse c’est du corps et c’est un espace mental. Lorsqu’il y a des corps partout on baigne dans l’énergie. C’est une pièce extrêmement stressante pour les danseurs. La danse sur le béton est très brute. Il faut réagir en temps réel. On affirme des choses, il y a un geste d’auteur, de solidité et en même temps c’est très fragile en raison des conditions urbaines imprévisibles ou de la météo. S’il se met à pleuvoir ça ne ressemble plus à rien. Le spectacle c’est ce que nous faisons ensemble, avec le public. J’aime ce principe d’assemblée chorégraphique…

 

 

Boris Charmatzvery_large_135099_608648_montpellier-danse-de-nuit-de-boris-charmatz-a-la-p
« Nous avons créé la pièce à Rennes
sur l’Esplanade Charles de Gaulle.
On a commencé au moment de
l’attentat de Charlie Hebdo et on s’est
d’un coup retrouvé coincé à 115 000
personnes. C’était magnifique d’être
si nombreux et symbolique de ne
plus pouvoir bouger. Il fallait que l’on
puisse se mettre en mouvement pour
réaffirmer la liberté de parole et la
liberté des corps.»

 

Jean-Paul MontanariIMG_4166
« Le politique est en train de changer
de l’intérieur, les partis disparaissent.
Etre militant dans un parti , on ne
comprend plus ce que cela veut
dire. La nature même de la pensée
politique est en train de changer. Et,
il n’y a aucune raison que le monde
du spectacle soit à l’écart de cette
réflexion.
Boris est celui qui la porte
aujourd’hui le plus loin».

Rodrigo GarciaIMG_4158 - Version 2
« En général pour un spectacle de
rue on sait à quoi s’attendre, de la
musique Hip Hop ou des choses très
spectaculaires qui ne présentent
aucun intérêt.
Je suis curieux de découvrir
comment un artiste comme Boris,
avec ce qu’il a l’habitude de faire,
peut s’attaquer au territoire de
l’espace public, un peu à contre
emploi.»

 

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise le 11/10/2017

 

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Montpellier : Danse radicale avec Charmatz et Chaignaud

«?Radio Vinci Park?» un coefficient élevé de beau et de bizarre. Photo JMDI

«?Radio Vinci Park?» un coefficient élevé de beau et de bizarre. Photo JMDI

Deux spectacles et deux chorégraphes pour une soirée de feu proposée par hTh. Boris Charmatz reprend (sans titre) (2000) de Tino Sehgal et François Chaignaud se livre à un rituel motomachique dans un parking souterrain.

Soirée danse à vif, contestataire et transgressive comme on les aime, avec deux propositions à l’image d’artistes aux oeuvres significatives par leur sincérité et leur intensité. C’est Boris Charmatz qui ouvre le bal sur la scène du CDN avec une reprise de la création de Tino Sehgal. Il est nu sur la scène vide et exécute en solo les figures majeures de l’histoire de la danse contemporaine, sans musique dans une salle éclairée. Et voilà que la magie de la scène qui habituellement prend vie quand les lumières s’éteignent, s’inverse. Voilà que la nudité rapproche, que la neutralité du corps devient la page blanche où s’inscrit le poème. Mais cette neutralité reste toute relative car les mouvements de Nijinski, Cunningham, Bausch, Brown et bien d’autres, prennent vie dans l’espace et le temps à travers la pulsion d’énergie propre à chaque danseur. Cerise sur le gâteau, de brèves interactions avec le public s’opèrent selon une pensée situationniste empruntée à Guy Debord.

Changement de lieu et de situation opéré par les bus de la Tam -?une première pour le Théâtre Grammont?-, qui transportent les spectateurs vers l’inconnu. Ceux-ci s’engouffrent dans l’obscurité d’un parking pour suivre Radio Vinci Park. Première pose dans le sombre couloir de béton pour écouter Vivaldi, Mozart, Haendel, interprétés au clavecin par Marie-Pierre Mercier. On s’enfonce ensuite un peu plus loin sous la terre pour assister à une fascinante scène de séduction entre un motard casqué et une créature blonde juchée sur des talons aiguilles à toute épreuve. Dans cet environnement singulier, la prouesse corporelle et mécanique prend du relief. François Chaignaud convoque à la fois l’esthétique et la voix du bel canto pour parvenir à ses fins et le monstre se réveille.

JMDH

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Montpellier Danse : 34e édition, sous les cygnes la politique

montpellier-danse-2014Montpellier Danse. Le festival se clôture. Le bilan artistique a rempli ses objectifs même si l’avenir s’annonce avec quelques incertitudes.

La 34e édition du festival Montpellier Danse se conclut aujourd’hui. L’événement de la danse contemporaine en Europe a été marqué par le mouvement de mobilisation contre l’accord Unedic ratifié par le gouvernement durant le festival. Cela, même si l’impact a surtout été symbolique – du point de vue budgétaire, le manque à gagner sur la billetterie est estimé par la direction à 40 000 euros soit 1,2% du budget global – mais dans l’en- vironnement de la danse contemporaine, le symbolique compte. Au-delà de la façon dont s’est exprimé le conflit, (voir ci-dessous) il a rouvert une fenêtre de réflexion pour les artistes et les publics qui avaient tendance à déserter la sphère politique.

Toujours artistiquement exigeante, la programmation, qualifiée par le président Michel Miaille de « bien équilibrée et tempérée » a globalement répondu aux attentes diverses d’un large public. Les performances d’Israel Galvan et de Marlene Monteiro Freitas reste- ront dans les mémoires, aux côtés de la création Empty moves (parts I, II, &III ) d’Angelin Preljocaj qui a payé un lourd tribu au mouvement social avec un spectacle donné sur cinq prévus.

La création Atomos du britannique Wayne McGregor et le spectacle Enfant de Boris Charmatz sont parvenus à défendre au Corum un vrai langage sans céder aux sirènes du spectaculaire. Ce n’est pas le cas de Sidi Larbi Cherkaoui & Yabin Wang avec Genesis dont la programmation à Montpellier Danse peut interroger sur la notion de « programmation tempérée » car jusqu’ici, avec plus ou moins d’inspiration, Montpellier Danse a toujours privilégié la création et la volonté d’éveiller une conscience culturelle en s’ouvrant au monde et aux nouvelles formes.

Il faut certes savoir tirer parti de la connaissance du public sans oublier pour autant que la danse contemporaine requiert du public une position active et engagée. A l’heure où la succession de Jean- Paul Montanari est évoquée, sans que celui-ci ne semble s’en inquiéter, ( » Je suis en CDI, je continue. ») tenir un positionnement exigeant relatif au mode de perception du public, reste un enjeu de taille pour l’avenir du festival. D’autant qu’en ces temps de crise, la tendance sécuritaire ou opportuniste pousse certains artistes à répondre aux attentes de consommation culturelle.

L’équipe de Montpellier Danse se prépare pour la 35 e édition du festival en dépit de l’absence de Philippe Saurel et du vice président délégué à la culture de l’Agglo Bernard Travier qui étaient attendus pour le bilan et ont décommandé, un signe ?

JMDH

 

Le festival dans la tourmente

10432959_1472392903001595_1522817321310144576_nMouvement social. La lutte politique secoue l’ensemble du monde culturel.

Aprés l’annulation du Printemps des Comédiens en 2003, la direction de Montpellier Danse avait suivi la volonté des artistes en annulant à son tour le festival. Cette année après avoir pris l’avis des artistes invités Jean-Paul Montanari s’est prononcé pour jouer. Fortement perturbé à ses débuts, cette position de ne pas annuler le festival tenait aussi à une logique financière.

Le collectif unitaire des intermittents et précaires déplore la manière dont la direction du festival a géré la crise, notamment « un black out sur la communication ». De son côté la direction dénonce « des actions violentes ». Au final le Festival s’en sort assez bien avec 38 spectacles joués sur 48 programmés soit dix spectacles annulés dont un pour raison météorologique. Le bras de fer a débuté par des blocages puis a évolué.

Le collectif a déployé des trésors d’inventivité pour s’adapter au jour le jour à la situation en trouvant sa cohérence. Il a convaincu une partie des techniciens à faire grève, et su faire passer son message au public du festival. Percevant l’enjeu intermédiaire que re- présentait Montpellier Danse, par rapport à l’annulation du Festival d’Avignon, le ministère s’est mobilisé pour soutenir les décisions de la direction.

Cette période cruelle pourrait souligner un écart plus grand entre artistes reconnus et techniciens que dans le monde du théâtre. Mais rien de sûr car de talentueux chorégraphes comme ceux programmés dans le cadre d’Uzes Danse ou de Mouvement sur la ville, se sont engagés pour une gréve totale. Reste le pouvoir du public. Acteurs ?

JMDH

Source : L’Hérault du Jour 09/07/2014

Voir aussi : Rubrique Danse, rubrique Festival, Montpellier Danse 2014, rubrique Montpellier

« Enfant » : Charmatz ouvre le Festival d’Avignon avec brio

Enfant. Photo Gérard Julien

Cour d’honneur 22h. Le Palais des Papes est comble pour l’ouverture du festival. C’est l’heure H, un moment symbolique fort. Un artiste prend le micro. Il dénonce les coupes dans les budgets culturels, liées à la politique libérale. Evoque l’échéance 2012 et demande au monde politique un débat de fond. « Il y a urgence, dit-il, nous voulons un engagement clair en faveur de la démocratisation culturelle, cela passe par le développement de l’esprit critique et l’émancipation citoyenne. Nous voulons une Europe libre et sociale. En France, une nouvelle étape pour la décentralisation culturelle s’impose. Il  faut maintenir le régime chômage des professions artistiques… »

Grande ovation dans le public. Frédéric Mitterrand, qui ne pouvait manquer ce rendez-vous, affiche le sourire entendu de sa fonction. Mais le public se lève, bat des pieds et maintient les applaudissements durant une bonne minute, le sourire du ministre se fige puis s’efface.

Noir. Sur le plateau, une grue bobine le long câble qui redessine l’immense volume scénique de la cour. Des plaques en taule tombent avec fracas à proximité de trois corps inertes. Le fil d’acier entraîne l’un d’eux, puis un second. Il les soulève, les fait tourner, les pose l’un sur l’autre. Les masses inanimées semblent exécuter un duo au royaume d’Hadès. Comme dans le préambule, on ne sait pas qui contrôle le mouvement mais des choses importantes s’expriment. Le raccord est parfait.

Langage des corps

Artiste associé du festival, Boris Charmatz s’attache à l’histoire qui n’a pas d’historien, celle de l’enfance. Dans la seconde partie de sa création, l’impact de la machine sur l’homme se transmet de l’adulte à l’enfant. Désormais sur leurs pieds, les danseurs activent les petites silhouettes passives de leurs descendants. On est saisi par le réalisme du langage des corps qui décrit l’enfant comme nouvel objet d’un système cannibale. Dixit le processus de transmission des valeurs et des savoirs, dans un monde où rites d’initiation, structure familiale et lien social sont en voie de disparition.

Au fil de la pièce, l’angoisse et la souffrance des aînés s’équilibrent progressivement dans l’intention des gestes. La volonté protectrice apparaît bien illusoire, mais il est perceptible que la violence provient de l’extérieur. Les corps se touchent, s’enchevêtrent, se protègent sans ambiguïté. Comme si l’artiste voulait nous rappeler que le contact physique est toujours normal!

On bifurque franchement dans la dernière partie, avec une cornemuse qui monte dans les tours et sonne l’émancipation retrouvée. Le soutien d’un chœur de corneilles aidant, on passe du vol bien rangé des grues à la vibrante folie des martinets. On ne touche plus le sol. Les tableaux d’enfants affranchis sont d’une virtuosité  jubilatoire. Il y avait Enfance de Sarraute, il y aura Enfant de Charmatz.

Jean-Marie Dinh

Festival D’Avignon: Cours d’honneur jusqu’au 12 juillet.

Voir aussi : Rubrique Théâtre, Karski mon nom est une fiction, rubrique Festival, Festival d’Avignon 2011 la force artistiqueJean Varela,  rubrique Danse, Boris Charmatz : danse des ténèbres, rubrique Politique Culturelle

Festival d’Avignon : La force artistique

Vincent Baudriller, directeur du festival d’Avignon a répondu à l’invitation du Printemps des Comédiens pour nous entretenir de la manière dont il a conçu son rôle au côté d’Hortense Archambault. Répondant aux questions de l’universitaire Gérard Lieber, le directeur est revenu sur les partis pris de la programmation depuis 2004. Ceux-ci participent des principes fondateurs du festival posés par Jean Vilar : celui d’un lieu de création qui  s’adresse à un large public.

Mots de circonstance qui prennent toute leur force dans la capacité de saisir leur temps démontrée par les deux directeurs. Le pari de la création s’affirme ainsi à travers la remise en question de leurs propres convictions en complicité avec les artistes associés issus de différentes origines et pratiques artistiques. Thomas Ostermeier en 2004, Jan Fabre en 2005, Josef Nadj en 2006, Frédéric Fisbach en 2007, Valérie et Romeo Castelluci en 2008, Wajdi Mouawad en 2009, Olivier Cadiot et Christoph Marthaler en 2010, la liste des artistes est parlante, elle révèle le goût du risque et celui de la confrontation incarnés cette année par le chorégraphe Boris Charmatz.

L’autre axe prioritaire concerne le désir de convier le spectateur dans l’aventure artistique de la modernité en lui réservant un espace. L’école d’art d’Avignon est à cet effet devenu le foyer des spectateurs pour échanger et penser un théâtre d’idées où l’art renoue avec sa dimension symbolique et solidaire. Le temps démontre que les spectateurs sont prêts à jouer le jeu. Le jour de l’ouverture de la billetterie, 30 000 places ont été vendues. Signe concret et réjouissant d’une énergie artistique nouvelle qui déconstruit l’individualisme en faisant lien entre l’intime et la dynamique collective.

Jean-Marie Dinh

Le Festival d’Avignon se tient cette année du 6 au 26 juillet .

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Festival,  Jean Varela,  rubrique Danse, Boris Charmatz : danse des ténèbres,