Situation de pensées et d’actions humaines

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Tzvetan Todorov « Il est toujours dangereux d'ériger un mur entre le mal commis et nous-même. » Photo Dr

Intellectuel et plutôt honnête homme, Tzvetan Todorov était l’invité de la onzième soirée Rabelais. Dans une salle comble, l’écrivain chercheur a évoqué son dernière essai La signature humaine. D’une grande érudition tout en restant accessible, ce livre reflète la personnalité de son auteur. Il se présente sous la forme d’une compilation de textes écrits entre 1983 et 2008 et réactualisés. La somme de réflexions et d’expériences contenues dans cet ouvrage s’entend selon l’auteur, comme la trace d’humanité qu’on laisse en essayant d’aller toujours plus loin dans la compréhension.  « C’est une sorte d’autoportrait à partir des œuvres qui m’ont marqué et des rencontres que j’ai faites. Tout cela constitue mon univers intérieur. » On parcourt avec intérêt, sans ordre imposé, cet ouvrage frappé du sceau de la conscience.

L’homme d’origine bulgare est une des figures de proue du structuralisme. Son travail, notamment sur le sens de l’opposition entre totalitarisme et démocratie, le positionne comme un intellectuel français de premier plan. Historien des idées, philosophe, linguiste fort d’une solide approche scientifique, Todorov n’a cessé de se consacrer à la littérature qui demeure à ses yeux la mère des sciences sociales. « La littérature a toujours transporté la sagesse humaine. Le romancier dispose de moyens extraordinaires pour faire revivre un monde. Cela ne relève pas seulement d’une ingénieuse conception mais aussi des pensées et des affirmations qu’il formule. »

Les différents genres littéraires qui composent le livre situent l’essayiste au carrefour des chemins ultérieurement explorés. La première partie se compose d’une série de portraits de personnes ou d’œuvres  qui l’ont marqué. Au premier rang desquelles se trouve  l’ethnologue et résistante Germaine Tillion. « J’ai beaucoup d’admiration pour cette femme que j’ai rencontrée dans les dernières années de sa vie. Elle a toujours su mêler son parcours d’étude avec ses expériences humaines. » Figurent aussi Raymond Aron, les linguistes russes Jacobson et Bahktine et le Palestinien exilé Edward Said qui ne voyait pas non plus de frontière entre sa vie et son œuvre.

La seconde partie du livre concerne des épisodes liés aux mondes totalitaires. Dans un des chapitres, l’auteur cherche à comprendre pourquoi la Bulgarie n’a pas déporté les juifs vivants sur son territoire vers l’Allemagne nazie. « En regardant l’histoire de près, je me suis surpris de l’étonnante fragilité du bien » constate Tzvetan Todorov. Un peu plus tard dans le débat, il souligne l’effet toujours dévastateur  de  la formule « délivre-nous du mal » de l’évangile de St Mathieu. « Il est toujours dangereux d’ériger un mur entre le mal commis et nous-même. L’inhumanité fait partie de l’humain, le reste est un pieux mensonge », disait Romain Gary. L’ouvrage se termine sur des analyses littéraires autour d’auteurs proches de ses centres d’intérêts : La Rochefoucault, Goethe, Beckett…

Au fil des pages, l’univers de Todorov se dessine en creux. Il ignore les héros triomphants pour retenir la beauté des existences sensibles et le sens de leur démarche. Et si l’intellectuel concède que « la vie n’est jamais une incarnation parfaite des idées que l’on développe », il ne s’interdit pas de se prononcer, contre le débat sur l’identité nationale, ou le devoir de mémoire : « Je ne me reconnais pas dans cette formule qui ne précise pas d’objectif. »

L’humanisme des lumières associé à l’idée d’un progrès illimité a vécu. En revanche, l’être humain se constitue toujours à travers les rencontres qu’il fait et les expériences de sa propre vie, nous rappelle à bon escient  Todorov.

Jean-Marie Dinh

La signature humaine, aux éditions du Seuil, 23 euros

Voir aussi : rubrique rencontre Tzvetan Todorov, Daniel Friedman, Rolan Gori,

La Russie soutient la politique de la Serbie à l’égard du Kosovo

Lors de sa visite officielle en Serbie, mardi, le président russe Dmitri Medvedev a assuré son soutien au pays et a remis en question l’indépendance du Kosovo. Le quotidien Delo commente : « Le président serbe Boris Tadi? a raison quand il prétend que l’on ne peut occulter la Russie, ce pays faisant partie des acteurs principaux sur le plan de la politique internationale. De ce point de vue, il est évident que le Kosovo ne deviendra pas membre des Nations Unies tant que la Russie soutiendra l’unité territoriale et la souveraineté de la Serbie, comme Medvedev l’a souligné. Celui-ci a fermement assuré aux Serbes que l’indépendance du Kosovo … ne pouvait être définitivement proclamée tant que la Serbie n’aurait pas dit son dernier mot à ce sujet. Cette promesse en poche, Tadi? a renforcé la position de Belgrade consistant à ne jamais reconnaître l’indépendance du Kosovo. »

Retour au pays des âmes piégées

Nicolaï Maslov est né en Sibérie en 1953. Ses deux livres de BD apportent un regard créatif qui renouvelle le genre en ouvrant un champ d’expression inédit. Dans Les Fils d’octobre, son dernier-né, l’auteur que l’on peut résolument situer dans le champ littéraire, nous entraîne sur les pas d’un homme qui lors d’une visite, retrouve les lieux de son enfance. La Sibérie de l’après communisme nous ouvre sur la réalité méconnue du monde rural russe. Celle qui a perdu ses kolkhozes, ainsi que la structure économique et sécurisante qui les accompagnait. Il reste peu de monde sur place, mais toujours beaucoup d’espace. Le temps très perceptible semble s’être arrêté pour les habitants qui sont restés là. Et pour ceux qui n’ont pas grossi le flux de l’immigration urbaine, l’alcool a souvent remplacé le travail.

Mais la puissance de la nature demeure comme une mémoire d’enfance. « Le sujet met longtemps à mûrir en moi, explique l’auteur. J’accumule les infos qui entrent. Puis vient un désir fou de partager avec les autres ce qui m’émeut. Peu importe ce qui est reçu. Je dessine juste pour enlever le fardeau qui pèse sur mon cœur. L’écrivain n’a rien à apprendre à personne ». Maslov le pense. Mais ses livres ont tout de suite été salués par un large public. Peut-être parce que  ses dessins disent l’indicible et que l’homme est sincère…

L’image prédomine largement sur le texte. Elle insuffle une forte charge poétique. « Je décris une situation où l’être est tellement embourbé, qu’il a du mal à travailler sur lui-même pour changer sa vie. Je n’ai pas besoin de beaucoup de mots pour cela. » Après avoir été accueilli à La Maison des Auteurs d’Angoulême, Maslov est retourné à Moscou où il vient d’entamer une histoire de la Sibérie.

Les Fils d’octobre, éd Denoël.

Nicolaï Maslov un auteur à découvrir.

Photo : Rédouane Anfoussi

Trois nouvelles lignes de fuite

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Exils, éd l'inventaire 16 euros

Née en 1974 dans l’Oural, la romancière Natalia Jouravliova grandit dans une région fermée où étaient déportés les représentants du clergé, comme le fût son arrière grand-père qui était prêtre. Les héros de son second recueil de nouvelles sont en partance.

Ils sont deux hommes et une femme, héros de ses trois nouvelles suspendues dans le non-temps du voyage, de l’exil, volontaire ou forcé. Le premier est à l’hôpital, la seconde vit depuis peu à l’étranger, le troisième est fait prisonnier par les Allemands durant la première guerre mondiale et se retrouve dans une ferme du Nord de la France.

L’écriture de Natalia Jouravliova résonne comme un appel à peine distinct mais terriblement profond. Comme chez Tchekhov, le mot n’éclaire pas le sentiment mais le dissimule. L’auteure porte la voix originale des existences piégées. Ses personnages semblent s’éveiller en proie à un désir nouveau qui les conduit au cœur d’un moment charnière de leur vie.

« Un soir, Nikolaï n’était pas rentré. Pourquoi ? Autant essayer d’expliquer comment on s’enrhume soudain au printemps, quand on s’y attend le moins. » Juste un moment, court passage du nocturne au diurne, quand le désir enfoui surgit pour révéler une réalité différente…

Jean-Marie Dinh

Vladimir le sulfureux

Né en 1955, Vladimir Sorokine revendique Rabelais, Sade et Céline comme maîtres d’écriture. Il s’impose comme un auteur fulgurant de la génération posmoderne russe  et affirme la modernité caustique de son écriture. Ce qui lui vaut quelques déconvenues avec  les jeunesses poutiniennes qui brûlent son livre Le Lard Bleu en place publique en raison d’une scène sadomaso entre Staline et Khrouchtchev.

Les personnages de Sorokine côtoient la folie furieuse pour mieux décrire l’instabilité d’une époque. Dans son dernier livre Journée d’un opritchnik, l’auteur nous plonge au sein des troupes de choc de l’oligarchie qui règne en russie en 2028. Le héros opère au sein de la garde rapprochée du souverain unique garant de la terre d’église infaillible. Cette confrérie opérationnelle obéit aux lois sans limite d’une mission messianique. La fiction romanesque de Sorokine bouscule la logique chronologique en s’appuyant sur des ressorts historiques de la Russie. Les opritchniks sont à l’image des célèbres gardes d’Ivan le Terrible qui assurèrent son autorité par la terreur. L’auteur arrache le commando des années noires du Tsar (réhabilité par Staline), pour le transposer dans l’après communisme.

La journée bien remplie d’Andréi Danilovitch, un des chefs de cet ordre puissant, commence dans son jacuzzi. Mais dès sa première mission, on entre en plein dans l’opaque période Eltsine. Temps fébrile et basculement radical où le parti communiste se reconvertit dans les affaires. « Notre souverain s’est attaqué  à la noblesse avec pugnacité. Eh bien il a raison. Dès l’instant que la tête est partie, inutile de pleurer sur les cheveux. Quand le vin est tiré il faut le boire. Et dès qu’on a la main levée, on n’a plus qu’à sabrer. »

Le roman ne porte pas le débat, il affiche la collision entre les sphères privée, publique et religieuse au profit du pouvoir d’une petite minorité. Les considérations supérieures d’Andréi Danilovitch se traduisent dans son rapport avec le peuple. C’est dans la calme et froide assurance de servir l’intérêt supérieur de l’État que l’homme puise son aveugle détermination. Le livre n’est ni militant, ni contestataire, ni didactique, ni moral. C’est une biopsie du réel qui explique comment une poignée de dirigeants ont pu surpasser les limites de la raison pour s’emparer du pouvoir.

Journée d’un opritchnik, ed de l’Olivier, 20 euros

Vladimir Sorokine

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