Lorca à la recherche du chant profond du peuple

urlComédie du livre rencontre littéraire. Le cycle de l’association Coeur de livres consacré aux grandes figures littéraires ibériques se conclut  avec Serge Mestre autour de Garcia Lorca.

L’ombre massive du poète dramaturge Gabriel Garcia Lorca n’a pas fini de hanter l’imaginaire collectif. Si l’artiste espagnol fut pour les contemporains du XXe siècle l’emblème de l’écrivain  antifasciste – il a signé dès 1933 un manifeste contre l’Allemagne de Hitler et salué l’avènement du Front populaire en 1936 – il est perçu aujourd’hui comme un des grands écrivains de la littérature mondiale. Son oeuvre protéiforme et tumultueuse exprime toujours l’angoisse de l’homme moderne. Au-delà de la légende, la rencontre littéraire organisée ce soir à 19h salle Pétraque avec l’écrivain Serge Mestre par l’association Coeur de livre permettra d’approcher, la vie et la réalité qui transparaît dans son oeuvre notamment politique.

Federico García Lorca naît à Fuente Vaqueros près de Grenade le 5 juin 1898 ; son père s’emploie à faire fructifier ses terres, sa mère est institutrice. La famille s’installe à Grenade où il fait des études de droit, mais surtout de la musique. Ses parents lui interdisant de poursuivre dans cette voie, il bifurque vers la littérature et plus particulièrement la poésie. Durant ses années d’études, Garcia Lorca découvre l’Espagne et commence à écrire Impressions et paysages qu’il publie en 1918. L’année suivante, il écrit et met en scène sa première pièce en vers, El maleficio de la mariposa (Le Maléfice du papillon). Contrairement à ses recueils de poèmes, le texte sera assez mal reçu. Il met en scène l’amour impossible entre un cafard et un papillon et annonce un goût certain pour le fantastique.

A la Résidence des étudiants à Madrid, le jeune Lorca fait des rencontres décisives, comme le futur cinéaste Luis Buñuel… Il compose chansons, romances et poèmes qu’il récite en musique à ses amis. En février 1923, Salvador Dalí intègre la résidence des étudiants. Lorca entretient avec lui une amitié amoureuse. Lorca conquiert sa célébrité grâce à l’accueil triomphal fait à son recueil de chansons et aux représentations de sa pièce Mariana Pineda.

url

L’écrivain Serge Mestre traducteur de Lorca lui consacre son prochain livre

« Lorca est souvent traité comme un poète qui n’aurait pas pris position politique, explique l’écrivain et traducteur Serge Mestre.* « Pourtant, dès l’arrivée de la seconde République espagnole en 1931, Il monte La Barraca, une troupe de théâtre qui tourne dans tout le pays avec la volonté de porter la culture au peuple. Lorca se sert de l’imprégnation populaire de son enfance, reprend des contes et des classiques comme Cervantès ou Calderon pour les rendre accessibles. Il a dans l’idée que c’est à travers l’éducation du peuple, en grande partie analphabète à l’époque, qu’on fera la révolution.»

Artiste complet, le poète engagé se lance aussi des défis artistiques. Il publie Romancero Gitano, un recueil qui tente la transposition en littérature de la méthode musicale de Manuel de Falla et la synthèse entre la poésie populaire de Lope de Vega et le lyrisme précieux de Gongora. En 1930 souffrant d’un mal-être en partie liée à son homosexualité il part pour les Etats-Unis. Il enseigne à la Colombia University, découvre Whitman, et se trouve déconcerté par Harlem et le jazz.

« Il était de tous les combats, indique Serge Mestre qui prépare un livre sur Lorca notamment celui des noirs dont il prend conscience aux Etats-Unis. Il fait d’ailleurs un rapprochement entre celui-ci et le traitement des gitans en Espagne. Lorca est un des premiers morts de la guerre d’Espagne. Il est arrêté par la garde civile franquiste et fusillé juste un mois après le 19 juillet 36 qui marque l’entrée en guerre. Il n’avait que 38 ans. C’est un peu le Rimbaud espagnol

L’échec des excavations menées par des archéologues près de Grenade dans le but de retrouver les restes du poète dans une fosse commune coïncide avec le combat mené par l’association espagnole pour la récupération de la mémoire historique. Et valide aussi quelque part, la démarche politique de l’artiste.

Jean-Marie Dinh

* Serge Mestre naît à Castres de parents républicains espagnols et réfugiés en France. Ses premiers livres sont publiés chez Flammarion, dans la collection Textes, au début des années 1980. Puis il se consacre à la traduction de l’espagnol et du catalan. Il a traduit de nombreux auteurs dont Manuel Rivas, Mayra Montero, Fernando Savater, Jorge Semprún, Alejandro Rossi… Il est l’auteur de La Lumière et l’Oubli sélectionné pour le Goncourt (Denoël, 2009 ; Folio, 2011). Les Plages du silence, édition Sabine Wespieser. Serge Mestre travaille actuellement à un livre sur l’engagement de Gabriel Garcia Lorca à paraître chez Sabine Wespieser début 2016.

Source La Marseillaise 29/05.2015

Voir aussi : rubrique Edition, rubrique Lecture, rubrique Littérature, Les grands auteurs classiques ibériques, Littérature Espagnol,  rubrique Livres, rubrique Montpellier,

Les festivals couteaux suisse de la culture ?

monegros-desert-festival

Directeur de recherche au CNRS, Emmanuel. Négrier co-dirige le livre : « Festival de musique un monde en mutation » qui osculte la redéfinition des pratiques.

Un festival de musique pour quoi faire ? Peut-on identifier un socle de valeurs commun des politiques soutenant ces festivals ? Emmanuel Négrier pour la France, Michel guérin pour la Belgique, Lluis Bonet pour l’Espagne croisent leurs expériences autour de ces questions. Après l’avènement de l’économie de marché dans le domaine artistique et les défis que cela induit pour l’intervention publique, les festivals se retrouvent désormais au coeur des politiques culturelles.

Quel rôle vont tenir les festivals dans le mouvement engagé de requalification des enjeux artistiques en enjeux des industries créatives ? Les trois chercheurs qui viennent d’assurer la codirection d’une étude à partir d‘un panorama international ( limité au champ musical) de 390 festivals livrent des éléments de réponse dans un ouvrage qui vient de paraître*. Le livre propose un double parcours. Une première partie fait le bilan des résultats de l’enquête. La seconde partie analyse le déploiement du modèle festivalier dans neuf pays.
L’étude des festivals présente un intérêt particulier et quelques difficultés de comparaison en raison du foisonnement, de leurs diversités et de leur envergure financière très hétérogène. 10% des festivals modestes ne dépassent pas un budget de 45 000 euros et les 10% des plus puissants dépassent 2,1 millions d’euros.

Depuis les années 70,  les festivals ont connu une croissance continue. Un essor à croiser avec celui des pouvoirs locaux, ou le retour de la démocratie pour des pays comme l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Attachés à leurs contextes territoriaux, les festivals sont aussi liés à la personnalité de leur fondateur et aux collectivités qui assurent une partie de leur financements.

« Le festival présente l’avantage de répondre à des perspectives aussi diverses que la démocratisation culturelle, la légitimation des pouvoirs locaux, la transformation des genres artistiques, la diversité culturelle» , souligne Emannuel Négrier. Faut-il y voir une prédestination à servir de vitrine ? Les festivals s’y prêtent, en raison de leur caractère temporaire, festif et commercial par opposition à la permanence, au « sérieux » des programmations culturelles publiques. Comme il pourrait être un moyen de s’en affranchir à moindre coût.

L’étude fait ressortir l’articulation des festivals avec les saisons régulières. Ces structures disposent toujours d’un bon potentiel de développement lié à leur profil qui les inscrit facilement dans un univers de gestion privé avec l’aide de fonds publics dont ils ne peuvent se couper.

Jean-Marie Dinh

* Festivals de musique un monde en mutation, éd. Michel de Maule.

Voir aussi : Rubrique Festival, Vers un Domaine d’O multipolaire, rubrique Politique, Politique Culturelle, Rubrique Livre, rubrique Musique,

Please kill me  » Le punk n’est pas ma tasse de thé « 

MATHIEU-BAUER-PLEASE-KILL-ME-PHOTO-DROn l’avait compris et Mathieu Bauer, qui met en scène, l’avait  précisé : en adaptant le livre d’entretiens de Legs McNeil et Gillian McCain, Please kill me au théâtre, il ne s’agissait pas de reconstituer un concert punk. Ce bouquin feuilleté sur la scène du Rockstore sert de matière première. Les anecdotes des protagonistes célèbres qu’il renferme, suffisent à faire rêver. Elles nous propulsent au coeur d’un univers de dingue peuplé d’hallucinés, des Stooge aux New York Dolls, en passant par MC 5 Télévision, Ramones ou les Talking Heads. On croise des figures singulières comme Lou Reed, Sid Vicious ou Malcom McLaren… Il est même question de cette étrange et historique collision entre l’underground new-yorkais et le punk anglais. Désœuvrement d’une jeunesse dont tout le monde se foutait aux States et lutte des classes en Angleterre. Deux visions témoignant surtout d’un état d’esprit, que les acteurs ne visent pas à faire revivre. Et c’est tant mieux.

« La musique punk ce n’est pas ma tasse de thé » considère Mathieu Bauer qui revendique une esthétique de la fragmentation. La mise en scène joue habilement  sur les tableaux mythiques pour passer de l’extrême au convenu en réduisant le fossé qui sépare le théâtre des scènes nationales des concerts trashs. Sur scène les rixes ne sont pas crédibles, pas plus que l’arrachage de Tee-shirt. Bref, ça manque un peu de rage authentique. Le play-back et le sens de l’auto-dérision sont salvateurs. Le long plan cinématographique final est très réussi. Entre célébration et implication, le public campe un peu entre deux chaises. Il est jeune et semble percevoir le décalage entre l’intensité vécue par les jeunes à cette période et le patinage actuel. Punk is dead. Aujourd’hui les aspirations de la jeunesse prennent bien d’autres formes mais savons-nous bien lesquelles ?

JMDH

Please kill me éditions Allia

Voir aussi :  Rubrique Théâtre, rubrique Musique, rubrique livre,

Lumière sur les résidants invisibles

Louis Sclavis et Luc Jennepin ©Sophie Pourquié

Louis Sclavis et Luc Jennepin © Sophie Pourquié

« Chibanis la question », le projet lauréat du prix de l’audace artistique et culturel de l’EN poursuit sa route

Le projet lancé par Uni’sons  avec la Caravane Arabesque allait de soi comme les caravanes qui passent et traversent l’histoire avec un grand H. Dans leurs sillages, il y a des vies qui glissent de nos mémoires un peu comme les mirages économiques qui justifient l’austérité, jusqu’au jour où le pays se déclare dans l’incapacité de rembourser sa dette ou dans l’incapacité de reconnaître le travail des hommes qui ont fondé son existence. C’est précisément le sort des Chibanis en France.

Ce sont ces vies qui se poursuivent dans l’oubli du monde et des villes aveugles que le photographe Luc Jennepin met en lumière actuellement à la médiathèque Jean-Jacques Rousseau jusqu’au 21 décembre.

Une juste émotion
Le projet est itinérant, à la croisée de l’histoire, de l’action culturelle et de la démarche artistique (photographique, musicale et littéraire). Il présente l’intérêt de circuler à l’intérieur des villes étapes pour trouver d’autres témoins muets de cette histoire perdue loin de ses racines. Après Montpellier où il a vu le jour dans le foyer d’insertion Adoma, le projet partira dans toute la France. Il est attendu dans des espaces prestigieux de l’architecture contemporaine à Toulouse, Marseille, Bordeaux, Lyon, Nantes, Paris et s’enrichira à chacune des étapes de nouveaux portraits.

Grand amateur d’aventure sans frontière, le clarinettiste Louis Sclavis a créé une bande dédiée aux Chibanis. Les plumes de Nasser Djemaï, Magyd Cherfi, Pascal Blanchard, sont également mobilisées autour de Chibanis la question qui trouve ainsi un relais littéraire. Il suffisait d’aller à leur rencontre, les acteurs de cette aventure l’on fait avec un esprit juste et beaucoup de talent.

JMDH

Source : L’Hérault du Jour 05/12/13

Voir aussi : Rubrique Société, rubrique ExpositionPhoto, rubrique Festival,

Après Einstein, the beach

Il y a toute une histoire derrière cette photographie*. Quand tu ne tires pas la langue, tu fait partie de notre vie nous ont fait comprendre Bob Wilson, Philippe Glass et Luncinda Child, avec leur conte onirique Einstein on the Beach. C’est comme la toile cirée à carreau rouge et blanc sur la table de la cuisine. Elle est là et n’existe pas, sauf si on regarde fixement les carrés. Au bout d’un certain temps, on commence à voir bouger des choses à l’intérieur.

Albert, la rumeur dit que tu es mort, mais c’est des conneries. On ne sait pas comment tu es entré au Corum mais t’étais bien là ce week-end. Scarpitta, le nouveau directeur de l’Opéra a une allure délicate. Il aime lancer des roses blanches et ressemble un peu à un fantôme illuminé. C’est lui qui aurait retrouvé ta piste. Les histoires de contrat, de gros sous, de déficit, tout ça n’a pas été déterminant pour lui. Il voulait que tu viennes juste pour produire un choc entre le bling bling et le minimalisme.

Avec le son givré et hypnotique de Glass, et cette lumière expressionniste à la Tim Burton, une chape de temps est descendue sur le plateau. Toute la salle vibrait. Dans les carrés rouges de la nappe, Bob invente les tableaux et Luncinda Child trace le mouvement des corps dans les carrés blancs.

Ca déménage vraiment de voir les notables circuler librement dans l’opéra comme s’ils étaient dans une house party. La plupart ont connu Woodstock, tu me diras. Une partie des plus jeunes s’est enmmerdée, l’autre se marrait.

Malgré ton âge, ton histoire avec des champignons nous fait toujours rêver. Elle est parfaitement conciliable avec ce qui se passe. Tu es le père de la mégascience O mon Superman dirait Laurie Anderson qui s’y connaît en apocalypse.

On espère que tu savais ce que tu faisais. Mais on y croit pas vraiment. Les gens se mettent à devenir des noyaux invisibles, des blocs. L’atome, peut-être que ce truc est une évolution naturelle… Tu as un petit côté antéchrist sur cette photo. On fait quelques pas avec toi, puis on regarde de nouveau vers la fenêtre pour voir si une grande lueur apparaît.

Jean-Marie Dinh

* Créé en 1976, Einstein on the Beach commençait sur une photographie d’Einstein debout dans son bureau de Princeton qui n’est pas libre de droit.

Voir aussi : Rubrique Chroniques, rubrique Musique, Rêver de quoi en attendant Einstein, rubrique Danse, rubrique Montpellier,