L’amoralité menaçante de Jake Hinkson

Photo Lilian Bathelot

Rencontre. L’écrivain traumatisé Jake Hinkson présente l’enfer de church street à la librairie Sauramps.

Geoffrey Webb est en train de se faire braquer sur un parking par une petite frappe. Et cette situation lui convient bien, il en redemanderait même. Après avoir repris le contrôle de la situation, il lui offre les trois mille dollars qui se trouvent dans son portefeuille, en échange de cinq heures de voiture jusqu’à Little Rock.

Les premières pages de L’enfer de Church street, seul roman de Jake Hinkson traduit dans la toute nouvelle collection Néonoir chez Gallmeister, embarqueront à coup sûr les sombres amateurs du pessimisme. C’est le genre de bouquin qu’on se fait en deux paires d’heures et une plaquette de cachetons pour la cirrhose de l’âme. L’auteur que l’on découvre en vrai dans le cadre des excellents K-fé-Krime proposés par la librairie Sauramps ne déçoit en rien. Il nous explique très sérieusement qu’il a grandi dans une fa- mille très religieuse et qu’il lisait en cachette des romans noirs. Et que son livre est en quelque sorte une synthèse de ces deux univers.

Voilà qui inspire tout suite la confiance. Pourtant, avec sa barbe d’évangéliste Jake Hinkson n’apparait pas fondamentalement machiavélique. Si on passait en noir et blanc, ce serait le genre de type capable de vous faire jaillir la cervelle à coups de batte de baseball et de sortir un mouchoir blanc bien plié de sa poche pour essuyer le sang que vous avez laissé sur ses lunettes.

Mais tout va bien. On est toujours en couleur et on l’écoute parler de cette première scène. « Peut-être à cause des personnages qui fument dans la bagnole, je me disais que c’était comme une sorte de chambre à gaz sur roues… Pourquoi Geoffrey kidnappe son kidnapper… Je crois qu’il fait cela parce qu’à ce moment c’est le grand vide. Il veut se purger de son histoire. Et il n’a plus personne d’autre autour de lui pour le faire – faut dire qu’il a flingué pas mal et trahi tous les gens qu’il avait séduits… mais bon. –

Donc, une fois dans la chambre à gaz, on découvre l’histoire de Geoffrey qui arrive dans un trou perdu et se fait embaucher par un pasteur évangéliste comme diacre pour s’occuper de la jeunesse. On peut pas dire qu’il ait vraiment la vocation. Pour lui, la religion est un moyen de prendre du pouvoir rapidement et de se faire de l’argent facilement. Le truc, c’est qu’il se fera aussi la fille mineure du pasteur, ce qui précipitera sa fuite en avant dans le noir mais ça, on vous laisse le plaisir amoral de le découvrir.

« En allant à l’église j’ai rencontré des gens merveilleux, j’ai des prêcheurs et des pasteurs dans ma famille, mais j’ai aussi vu des gens sans coeur ni moralité; confie Hinkson, avec ce livre j’ai pris plaisir à m’en amuser mais j’avais aussi de la colère à exprimer.» Un peu comme son alter égo romanesque…

Jean-Marie Dinh

Source : L’Hérault du Jour 28/03/2015

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Jean-Bernard Pouy : « Le roman noir est militant »

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Auteur de plus de 100 polars, père du Poulpe, amateur de musique punk et de jeux de mots, Jean-Bernard Pouy est l’une des figures qui relancèrent la Série noire. A l’heure où la collection fête ses 70 ans, il caresse le genre dans le sens du poil. Ou pas.

La Série noire fête ses 70 ans. Au milieu des années 1980, vous en avez été l’un des dignes représentants, avec Didier Daeninckx, Thierry Jonquet, puis Daniel Pennac, Tonino Benacquista… Quels souvenirs avez-vous de cette époque?

Robert Soulat, le patron d’alors, cherchait du sang neuf pour dynamiser la collection. Moi, je suis lecteur de la Série noire et j’aime la veine critique sociale présente dans ces bouquins. Surtout chez les Américains, mais également chez Manchette, qui a filé un coup de fouet au genre en y apportant un style et une langue. Le premier roman à faire du bruit, c’est Meurtres pour mémoire, de Daeninckx, en 1984. Le bouquin n’est pas très bon mais il traite d’un sujet peu lu en France : la guerre d’Algérie. La presse se jette dessus.

L’école du néopolar français est née. Elle compte une quinzaine d’auteurs, tous différents : un militant, un historien, un raconteur, un déconneur… Je suis le déconneur. Il y a, chez nous, la volonté de faire simple, lisible, et de ne pas copier les Américains. Ce mouvement est porté par de nombreux festivals, la plupart situés dans des régions viticoles. Beaucoup d’auteurs se sont perdus dans le raisin. Le succès du polar français est aussi dû au fait qu’il n’est pas du tout parisien.

La Série noire publie en un volume cinq de vos romans. Que ressentez-vous ?

Pas grand-chose. Je ne pense ni à la reconnaissance ni à la notoriété.

Vous avez toujours défendu la littérature populaire. Quelle définition en donnez-vous ?

Une littérature qui peut être lue par le plus grand nombre parce qu’elle ne met pas en avant des présupposés culturels. Cette littérature a été tuée par le nouveau roman, qui décréta la vacuité des intrigues. Et puis il y a eu l’autofiction, la psychanalyse, le roman germanopratin. Le polar, lui, est obligé de fournir une lecture immédiate. Il y a évidemment des contre-exemples, comme James Ellroy, mais le genre réunit le notable, le serveur de bistrot, l’ado et le retraité.

Aujourd’hui, les frontières entre littératures « noire » et « blanche » semblent davantage poreuses…

Oui et non. D’abord, dans les années 1990, des « blancs » se sont essayés au noir : Edgar Faure, Pascal Lainé… Une franche rigolade. Aujourd’hui, Franz-Olivier Giesbert et Jean-Louis Debré s’y mettent avec plus ou moins de bonheur. Mais ces écrivains ne se risquent jamais à la critique sociale. Cela reste du roman policier, du thriller ou du roman à énigme.

Le roman noir, lui, parce qu’il est militant, résiste à cette porosité. C’est la différence entre un auteur et un écrivain. Entre un type qui joue dans l’équipe de Mantes-la-Jolie et celui qui veut signer au PSG. Un écrivain se prend pour un écrivain, un auteur publie des romans. Je suis auteur. Un écrivain a un chat et écoute Mozart. Moi, du punk. Je suis un papier gras collé à la chaussure de James Joyce. Les écrivains peuvent se comparer à lui, je peux juste envisager d’écrire un roman aussi bon qu’un polar de Chandler. Cela ne m’est pas encore arrivé mais c’est possible.

N’avez-vous pas d’autre ambition?

J’ai celle de raconter des histoires. J’ai écrit plus de 110 bouquins et 350 nouvelles. Tout n’est pas bon mais c’est mon boulot. Je devais écrire quatre romans par an pour pouvoir vivre et gagner environ 2000 euros par mois.

Comment expliquer le succès actuel du genre?

La mode est revenue avec le thriller américain et le roman policier nordique. Ce genre-là est rassurant. Il est amusant de noter que le roman noir nordique de critique sociale, incarné par Sjöwall et Wahlöö dans les années 1970, n’avait pas le même succès. Loin de là. Aujourd’hui, le policier est intello, lit de la poésie transcendantale chinoise, écoute de la musique contemporaine. On est loin du réalisme mais ça rassure le lecteur.

Vous avez poussé beaucoup de gens à écrire : Daniel Pennac, Tonino Benacquista… Puis ceux que vous avez publiés dans la collection le Poulpe. Tout le monde peut donc écrire?

A priori, oui, même si j’avais repéré des types capables de le faire. Le Poulpe, dont on fête les 20 ans, est une aventure particulière. Nous sommes en 1995, l’année des grandes grèves, de la dissolution, de Juppé droit dans ses bottes. Je me rends compte qu’il n’y a aucun personnage populaire pour relayer l’état d’esprit de ces mouvements. Un soir, Patrick Raynal, Serge Quadruppani et moi imaginons le Poulpe. Nous buvons beaucoup, mais la poésie vient aux alcooliques : le truc marche. Les premiers titres se vendent à 80000 exemplaires ! Un soir, j’annonce au Grand Journal de Canal+ que je publierai tous les manuscrits reçus. Erreur funeste. J’ai tenu parole : on en a édité huit par mois, et pas que du bon.

Quelle tête aurait le Poulpe aujourd’hui?

Je ne sais pas. Le polar français actuel est sérieux. Aux animaux la guerre, de Nicolas Mathieu, est un très beau livre, mais ça ne rigole pas beaucoup. Il y est question d’une fermeture d’usine. Les romans de Caryl Férey, Zulu ou Mapuche, sont des trucs costauds mais pas drôles. L’époque veut ça : pas facile de faire marrer avec des licenciements. Il faudrait peut-être écrire des pastiches de la littérature populaire comme les bouquins de Katherine Pancol ou Cinquante nuances de grey. J’appellerais ça Pastiche 51.

Vous êtes spécialiste des premières phrases plus ou moins énigmatiques. Celle de Suzanne et les ringards, par exemple.

Se moquant de Balzac, Paul Valéry a déclaré qu’on ne pouvait plus écrire une phrase comme « La Marquise sortit à 5 heures. » La littérature méritait mieux. J’ai donc fait mieux : « Je sortis de la Marquise à 5 heures. » Certains lecteurs ne sont pas rendus pas compte que la Marquise est une dame. Le Cinéma de papa commence ainsi : « Ma mère est morte et la langouste est excellente. » Allusion à L’Etranger, de Camus, un grand roman noir.

Quand le lecteur se marre dès la première phrase, c’est gagné. Si écrire est une version édulcorée du suicide, pourquoi écrire? L’écrivain aime dire qu’il souffre parce que les mecs à la mine ou à l’usine ne peuvent pas croire un type qui bosse chez lui en écoutant de la musique. C’est l’image du gars qui écrit trois lignes, arrache la page et la jette dans la poubelle. Cela ne m’arrive jamais. C’est aussi pour cette raison que je ne suis pas un écrivain.

Quels sont les écrivains d’aujourd’hui? Michel Houellebecq?

Houellebecq, c’est Flaubert. J’aime la démarche de ces écrivains, pas leurs romans. Ils écrivent sur le rien, la bassesse, la faillite humaine. Mais sans aucun jugement, ce qui est remarquable. Madame Bovary, c’est l’histoire d’une pauvre femme de province qui se fait avoir par tout le monde, qui lit des romans à la con et se suicide parce qu’elle ne sait pas aimer. Le roman est sauvé par le style. L’Odyssée, d’Homère : même chose. C’est l’histoire d’un crétin qui part à la guerre avec ses potes, couche avec des filles, revient et tue tout le monde. Mais le style élégiaque est extraordinaire. Houellebecq est un styliste, ce qui le place haut.

Vous avez écrit Le Merle, qui éclaire les milieux littéraires…

Tout commence lors d’un débat. Un spectateur se lève et gueule : « Il n’y a que la littérature allemande qui vaille le coup. » Ça me fait marrer et je me promets d’être un jour rangé sur les rayons de littérature allemande. Mais il faut du temps. Je crée donc Arthur Keelt, je lui invente une biographie et je le cite dans plusieurs de mes livres. C’est l’auteur d’un seul roman, Le Merle, écrit en 1954, traduit en France en 1968 aux éditions Dubois ; jeu de mots que personne ne remarque. Un jour, sur France Culture, Serge Koster déclare avoir lu Le Merle. Très beau livre épuisé, ajoute-t-il. L’éditeur m’appelle et me raconte ça : il a donc fallu que je me mette à écrire Le Merle. Signé Arthur Keelt et traduit par Jean- Bernard Pouy. Voilà comment je me suis retrouvé sur les rayons de littérature allemande. Ce genre de truc m’amuse et me sauve. L’écriture devient un jeu.

Tout doit disparaître. Recueil de 5 romans: Nous avons brûlé une sainte, La Pêche aux anges, L’Homme à l’oreille croquée, Le Cinéma de papa, RN 86. Gallimard/Série noire.

Source  : Lire

Voir aussi : Rubrique Livre, Roman noir, Pouy ; j’ai fait l’aérotrain, Editions,

Fred Vargas:  » C’est Viviane Hamy qui m’a quittée  »

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Fred Vargas publiera son prochain polar chez Flammarion, après avoir été éditée pendant vingt ans par la petite maison indépendante de Viviane Hamy.

Pas question de quitter Viviane Hamy, qui l’édite depuis 1994, assurait Fred Vargas l’année dernière dans les colonnes de L’Express:  » Mon éditrice me soutient depuis des années malgré mes débuts laborieux. Me barrer Ce serait d’une ingratitude crasse! Et pour de la thune Au secours !  » Et la romancière aux millions d’exemplaires vendus de balayer la rumeur persistante selon laquelle son agent, le très influent François Samuelson, chargé de négocier les droits audiovisuels de ses deux derniers romans, l’inciterait à céder aux offres de la concurrence. « J’ai choisi Samuelson non pas pour l’argent, mais pour me décharger, insistait alors la créatrice du flic Adamsberg. L’idée de parler fric, pourcentages, de discuter un contrat me rendait malade. Il s’entend avec Viviane, elle sait que je ne partirai pas. »

Quelle surprise, donc, lorsque Livres Hebdo annonce ce 2 décembre que le prochain polar de Fred Vargas paraîtra en mars chez Flammarion sous le titre Temps glaciaires – une information officieuse glanée dans les couloirs de la dite-maison. Que s’est-il passé ? « Je n’ai pas trahi, soutient aujourd’hui la romancière. C’est Viviane Hamy qui m’a virée, c’est elle qui m’a quittée. Je l’ai appris par une lettre du 29 janvier 2014 : Viviane me faisait savoir qu’elle ne voulait plus travailler avec mon agent. « Dès l’instant où tu garderas François Samuelson, les conclusions sont imparables« , m’écrit-elle.

« Mes livres représentent 85% de son CA »

Je n’y comprends rien : Sam est un homme attentif, sensible, il lui envoyait des fleurs et n’est pas le tueur que certains dépeignent. Je réponds à Viviane le lendemain, nous échangeons plusieurs mails. Mais elle ne veut rien savoir. « Tu as voulu rentrer dans la norme », m’écrit-elle encore. Cette lettre m’a assommée. A ce moment-là, j’avais commencé un nouveau polar sans en parler à quiconque, exceptés mon fils et ma soeur. Pour convaincre Viviane Hamy de revenir sur sa décision, je l’informe que j’ai déjà écrit 90 000 signes de mon prochain livre. Ca n’a rien changé pour elle, alors que mes livres représentent environ 85% de son chiffre d’affaires.

J’ai donc continué à écrire, sans me soucier de trouver un éditeur. Or je connais Teresa Cremisi [PDG de Flammarion] depuis longtemps, et tout le service de distribution qui est aussi celui de Viviane Hamy, les commerciaux de J’ai Lu [filiale de Flammarion] qui m’édite en poche. Ca s’est fait naturellement. J’ai dit à Viviane que c’était triste mais je ne voulais pas céder à son chantage. Comme il me paraissait discourtois d’aller chez un autre éditeur sans la prévenir, je l’ai fait en la remerciant, dès que le contrat a été signé avec Flammarion. Aucune réponse de sa part« . Et Fred Vargas de conclure, visiblement émue : « Je ne suis pas partie comme une voleuse. Je ne suis pas devenue une femme d’argent, il n’y a rien de plus faux. Je n’ai pas changé et je veux pas qu’on me mette tout sur le dos. De moi-même, je n’aurais jamais quitté Viviane Hamy, je sais ce que je lui dois. » Sollicitée par L’Express, l’éditrice n’a pas donné suite. Son attachée de presse, Sylvie Pereira, a évoqué pour sa part « une décision purement professionnelle de ne plus accepter d’intermédiaires entre nous et nos auteurs.« 

Source L’Express 05/12/2014

Voir aussi ; Rubrique Edition, rubrique Livre, Roman noir, rubrique Rencontre, Fred VargasRespect, tendresse et compréhension tacite…

Deon Mayer : « Je ne dresse pas d’agenda politique »

Photo Rédouane Anfoussi

Le Sud-africain Deon Mayer signe Kobra (ed Seuil) et 7 jours (éd Point).

Dans le dernier Deon Mayer Kobra (Seuil 2014) Benny Griessel, membre de l’unité d’inspecteurs sud-africains surnommés les Hawks (Faucons) est toujours rivé sur le nombre de jours d’abstinence après 13 ans d’alcoolisme lié à son passé de flic durant l’apartheid. Sur la piste d’un mystérieux britannique Paul Anthony Morris, Benny et ses collègues ont pour seul indice : des douilles de cartouches gravées d’une tête de cobra. Dès le début, Benny se heurte à la réticence du consulat et de sa hiérarchie. Quand le disparu, se révèle être l’inventeur d’un logiciel permettant de repérer le parcours de l’argent sale dans les transactions financières mondiales, les choses se compliquent. Rencontre avec l’auteur afrikaner de roman noir à l’occasion de la présentation de son livre à Montpellier.

Votre livre est très bien ficelé avec une intrigue qui tient en haleine, pourquoi avoir choisi le thème mondial de l’argent sale et le contextualiser en Afrique du Sud ?

La sphère financière est l’objet d’une somme incroyable de manipulations. C’est un phénomène international qui concerne tous les pays à des degrés différents et bien-sûr l’Afrique du Sud, où l’on observe une grosse croissance des produits de télécommunication et d’information connectés à Internet. Aujourd’hui, on peut tout faire à partir d’un simple téléphone mobile ce qui redessine en partie les zones d’influence et de pouvoir. Cela me fascine.

En toile de fond de l’action, vous évoquez l’état de votre pays mais plutôt en creux, pourquoi cette retenue ?

Ma priorité est de faire parler les personnages. Je ne dresse pas un agenda politique, ce serait malhonnête de la part d’un auteur. J’explore le sujet à travers mes personnages ce qui apporte plusieurs points de vues en parallèle et offre une perspective globale.

La disparition du chercheur soulève des réactions différentes, tandis que certains se préoccupent de l’image nationale, d’autres ne font pas confiance au pouvoir pour gérer la situation…

En Afrique du Sud, la police reste très politisée même si elle travaille bien, on l’utilise parfois à des fins politiques. Face à la résonance que prend l’affaire Cobra, on trouve des policiers très soucieux de préserver l’image du pays et d’autres beaucoup plus méfiants. Cela représente des courants d’opinions qui circulent en Afrique du Sud aujourd’hui.

Votre livre laisse filtrer des problématiques sociales comme l’éducation où l’immigration, et politiques comme la question des inégalités…

Durant les vingt dernières années, nous avons fait d’énormes progrès en matière d’éducation. Nous sommes parvenus à un seul système pour tous, le problème demeure la pauvreté qui ne permet pas à tout le monde de suivre une scolarité. Au sud de l’équateur les populations des pays voisins veulent rejoindre l’Afrique du Sud dont l’économie n’est pas assez puissante pour accueillir le flux d’immigrants. C’est comparable à l’Europe.»

Recueilli par JMDH

Source : La Marseillaise, 11/10/2014

Voir aussi :  Rubrique Livres, Roman noir, rubrique Afrique, Afrique du Sud,

 

Michel Gueorguieff incorrigible combattant de l’imposture

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21/11/1950 02/09/2013

Choses de sa vie

Humble et séducteur, provocant et diplomate, Michel renvoie une image digne de son parcours indéfinissable et loin des sentiers battus. C’est une figure majeure du monde littéraire national très attaché à ses racines montpelliéraines. Un homme pudique passionné. Derrière chaque auteur de noir se cachait à ses yeux une relation. Un grand pro, mais combien peuvent passer d’une rencontre à l’autre avec la même vérité ? Mieux, en tirer une relation à chaque fois unique, souvent gravée dans les mémoires. Michel Gueorguieff est de ceux-là.

En 62 ans de passion, il a épousé toutes les causes auxquelles il croyait, sans faillir. Qu’il soit élève retors, fermement engagé pour défendre ses convictions, ombrageux fonctionnaire territorial, militant dévoué, combattant impitoyable de l’imposture intellectuelle, formateur compréhensif, animateur exigeant, découvreur littéraire éclairé, personne n’a oublié sa touche personnelle, onction invisible qui fait la différence entre une personne que l’on sent contrainte et un homme libre.

Filez lui un polar, il vous cuisinera son auteur pour s’en faire un complice et peut-être un ami, passez lui une robe d’avocat, il sera le plus touchant des défenseurs, tentez de pervertir la noblesse du bonhomme et vous trouverez la foudre… Bref, l’artiste transfigure les rôles et réussit la prouesse paradoxale de faire briller les œuvres et les auteurs tout en ayant l’humilité de s’effacer derrière eux. La classe.

S’il est resté un cas à part dans le monde littéraire, c’est que Michel Guorguieff a un credo. Sa théorie : « le roman noir est un roman qui parle de la littérature d’aujourd’hui. » Et de choisir son chemin en veillant toujours à favoriser le coup de cœur sur le coup de fric, offrant son savoir faire aux auteurs débutants, devenant maître de ses choix par indépendance, prêtant sa voix et sa crédibilité aux causes qui lui semblaient justes. Il n’a jamais voulu écrire, ce n’était pas sa place estimait-il. Mais chacun sait que réussir la mise sur orbite d’un festival comme le FIRN est plus difficile que de faire un livre. Les thématiques des festivals autour desquels il articulait la programmation montrent comment il aimait varier, tenter, risquer, déjouer la routine et le confort qui enterrent les vaniteux.

Un anticonformisme puisé dans l’enfance, comme pour briser le corset d’une éducation. Né le 21 novembre 1950, chez lui place Albert 1er à Montpellier, il est le fils de Krastu Ivanoff Guorguieff et de Eliane, Lina, Rose Capelle. Elle est aveyronnaise d’origine, habite à Montpellier d’où elle est diplômée des Beaux-arts, « Michel l’adorait » confie sa nièce Christine. Lui, ingénieur chimiste bulgare, polyglotte, qui a fuit le régime communiste. La légende familiale veut qu’il fut l’inventeur de la mayo en tube, avant l’heure.

A l’école, Guorguieff junior est en avance, ce qu’il doit en partie à son arrière grand-mère qui le contraint à lui lire le journal dès son plus jeune âge. Primaire, collège, lycée, fac de droit, puis de lettres, Michel poursuit ses études à Montpellier. Il passe son bac dès la première en 68. En fac il est élu à l’UNEF avant d’en devenir le président.

« Nous étions très mobilisés dans le débat sur l’avortement, une forme d’anticipation à la loi Veil» se souvient son ami d’enfance Richard, lui-même secrétaire du syndicat étudiant. Michel est très respectueux des femmes, pas misogyne pour un sous. En 1978, il épouse Marie-Martine Geazi qui décède dix ans plus tard des suites d’un cancer, le laissant jeune veuf. Dans ses lectures, peu lui importe le sexe. Ce qui ne l’empêche pas d’être séducteur, sensible. Sur ce point, les mots justes reviennent à son pote Serguei « Il se blindait à mort mais à l’intérieur c’était du cristal ».

Pour Michel, l’engagement est un moteur. Il milite au PS, tendance CERES, l’aile gauche du PS puis devient mittérandiste. Il se présente aux cantonales sur Montpellier sans succès, rejoint l’équipe municipale en 83 mais il n’a jamais fait partie de la frêchie. « C’était un homme de gauche au regard critique qui avait des convictions, des valeurs, une expérience politique et d’élu. Frêche s’en méfiait. », soutien Michel Crespy. Sa volonté de changer les choses se heurte à une ascension lente en politique à laquelle s’ajoutent des intrigues de cabinet et une kyrielle d’emmerdements.

Sa sortie de la sphère politicienne lui redonne des ailes. Viendra la rencontre avec Martine avec qui il collabore dans la rubrique art contemporain du journal Regard au milieu des années 80. Le couple se consolide dans la complémentarité, la complicité, et les grands voyages improvisés pour aller à la rencontre des monstres de la littérature américaine. Les Bonnie and Clyde du noir attaquent le genre sous toutes ses formes et transmettent leur passion contagieuse.

La reconnaissance du FIRN ne tarde pas à s’établir dans le milieu littéraire, du local à l’international en passant par le microcosme de l’édition parisienne où il tisse de solides amitiés comme avec François Guérif. Au gouvernail, Martine maintient fermement le cap d’exigence. Michel se prend toujours aussi facilement de sympathie pour les hommes libres ou empêchés de l’être comme Battisti. Là encore, il part au combat au côté de Fred Vargas dont il apprécie la capacité à se mettre en danger compte tenu de sa notoriété. Pierre Bouldoire, le Maire de Frontignan mouille sa chemise. En 2004, il consacre Cesare citoyen d’honneur de Frontignan, et le Firn poursuit son histoire folle d’humains et de militants.

Michel était un personnage, exigeant avec lui-même « Quand on le croisait dans la rue il ne paraissait jamais satisfait » relève l’ancienne maire Hélène Mandroux. En ville, il en effrayait plus d’un. Les imposteurs le redoutaient mais l’intéressé s’en amusait, car il n’avait rien d’un ogre et cultivait la discrétion. Bien qu’appréciant les grands espaces américains, la campagne n’était pas trop son truc, à cause des insectes qui le rendaient dingue. Michel ne craignait ni dieu ni la mort mais les petites bêtes…

Jean-Marie Dinh

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