L’amoralité menaçante de Jake Hinkson

Photo Lilian Bathelot

Rencontre. L’écrivain traumatisé Jake Hinkson présente l’enfer de church street à la librairie Sauramps.

Geoffrey Webb est en train de se faire braquer sur un parking par une petite frappe. Et cette situation lui convient bien, il en redemanderait même. Après avoir repris le contrôle de la situation, il lui offre les trois mille dollars qui se trouvent dans son portefeuille, en échange de cinq heures de voiture jusqu’à Little Rock.

Les premières pages de L’enfer de Church street, seul roman de Jake Hinkson traduit dans la toute nouvelle collection Néonoir chez Gallmeister, embarqueront à coup sûr les sombres amateurs du pessimisme. C’est le genre de bouquin qu’on se fait en deux paires d’heures et une plaquette de cachetons pour la cirrhose de l’âme. L’auteur que l’on découvre en vrai dans le cadre des excellents K-fé-Krime proposés par la librairie Sauramps ne déçoit en rien. Il nous explique très sérieusement qu’il a grandi dans une fa- mille très religieuse et qu’il lisait en cachette des romans noirs. Et que son livre est en quelque sorte une synthèse de ces deux univers.

Voilà qui inspire tout suite la confiance. Pourtant, avec sa barbe d’évangéliste Jake Hinkson n’apparait pas fondamentalement machiavélique. Si on passait en noir et blanc, ce serait le genre de type capable de vous faire jaillir la cervelle à coups de batte de baseball et de sortir un mouchoir blanc bien plié de sa poche pour essuyer le sang que vous avez laissé sur ses lunettes.

Mais tout va bien. On est toujours en couleur et on l’écoute parler de cette première scène. « Peut-être à cause des personnages qui fument dans la bagnole, je me disais que c’était comme une sorte de chambre à gaz sur roues… Pourquoi Geoffrey kidnappe son kidnapper… Je crois qu’il fait cela parce qu’à ce moment c’est le grand vide. Il veut se purger de son histoire. Et il n’a plus personne d’autre autour de lui pour le faire – faut dire qu’il a flingué pas mal et trahi tous les gens qu’il avait séduits… mais bon. –

Donc, une fois dans la chambre à gaz, on découvre l’histoire de Geoffrey qui arrive dans un trou perdu et se fait embaucher par un pasteur évangéliste comme diacre pour s’occuper de la jeunesse. On peut pas dire qu’il ait vraiment la vocation. Pour lui, la religion est un moyen de prendre du pouvoir rapidement et de se faire de l’argent facilement. Le truc, c’est qu’il se fera aussi la fille mineure du pasteur, ce qui précipitera sa fuite en avant dans le noir mais ça, on vous laisse le plaisir amoral de le découvrir.

« En allant à l’église j’ai rencontré des gens merveilleux, j’ai des prêcheurs et des pasteurs dans ma famille, mais j’ai aussi vu des gens sans coeur ni moralité; confie Hinkson, avec ce livre j’ai pris plaisir à m’en amuser mais j’avais aussi de la colère à exprimer.» Un peu comme son alter égo romanesque…

Jean-Marie Dinh

Source : L’Hérault du Jour 28/03/2015

Voir aussi : Rubrique Livre, Roman noir, rubrique Société, Religion

Graig Johnson : parfois l’habit fait le moine

ecrivain_cow_boy_0191

Graig Johnson : une empathie ciselée pour les gens ordinaires. Photo David Maugendre

En dépit de son look veste Malboro, chapeau de cow-boy et regard défiant du shérif, Graig Johnson ne joue pas sur les clichés. Il incarne vraiment sa culture. L’écrivain était jeudi l’invité de K-fé-Krime pour évoquer son dernier livre Le camp des morts dont l’intrigue conduit le lecteur sur les pas d’un flic mélancolique enquêtant à travers les hautes plaines enneigées du Wioming. C’est dans ce fief incontournable de la tradition western que l’auteur possède un ranch sur les contreforts des Bighorn Moutains. Un peu plus au nord dans le Montana, l’attrait de l’or a conduit à la défaite de Custer face à une coalition de Cheyennes et de Sioux sous l’influence de Sitting Bull. Mais dans le Wioming, on ne trouve que du cuivre, ce qui explique qu’il n’y eut jamais d’expansion. C’est un état aride, le moins peuplé des États-Unis. Il représente la moitié de la France en surface et compte à peine deux fois plus d’habitants que Montpellier. Dans ce lieu paumé loin des villes et des archétypes trompeurs, Graig Johnson puise sa matière littéraire.

Outre-atlantique, il est considéré comme une étoile montante par le Los Angeles Time quand le Washington Post parle de  » polars irrésistibles « . En France, il figure au catalogue des éditions Gallmeister qui s’attachent avec talent à faire découvrir les richesses de l’Ouest américain avec un penchant pour les grands espaces et l’écriture noire offrant une vision contestataire de l’Amérique. Graig Johnson entre dans cette famille. Il y a chez lui une empathie ciselée pour les gens ordinaires.  » En zone urbaine il faut quelques heures pour obtenir le résultat d’une analyse ADN, dans le  Wioming cela peut prendre un an, explique l’auteur. On est ailleurs, dans un hors temps. Dans le camp des morts, le shérif entreprend une vraie enquête, la science lui est de peu de secours. Il doit travailler avec des humains pour faire avancer son affaire.  »

Le style Graig Johnson tient beaucoup de cette façon de voir avec les yeux d’autrui, du rapport à la sensibilité, à la nature. D’un certain réalisme humain perdu, isolé, qui à bout de force, bascule dans la dimension spirituelle que cultivent de longue date les tribus indiennes qui vivent sur place. 

Jean-Marie Dinh

Le camp des morts, éditions Gallmeister, 23,50 euros