Moubarak quitte le pouvoir, l’Egypte en liesse

La joie du peuple égyptien.

La joie du peuple égyptien.

Le président égyptien Hosni Moubarak, 82 ans, a quitté ses fonctions et remis le pouvoir à l’armée vendredi, après 18 jours de contestation populaire, provoquant une explosion de joie dans le pays sur lequel il régnait depuis trois décennies.

« Compte tenu des conditions difficiles que traverse le pays, le président Mohammed Hosni Moubarak a décidé d’abandonner le poste de président de la République et chargé le conseil suprême des forces armées de gérer les affaires du pays », a déclaré le vice-président Omar Souleimane dans une brève allocution télévisée.

Cette annonce est intervenue alors que plus d’un million de personnes manifestaient contre le raïs à travers l’Egypte. Les centaines de milliers de manifestants réunis place Tahrir au Caire ont explosé de joie à l’annonce de la démission du président, au pouvoir depuis 1981, ont constaté les journalistes de l’AFP sur place.

« Le peuple a fait tomber le régime! Le peuple a fait tomber le régime! », scandait une foule en délire sur cette place devenue symbole du mouvement de contestation déclenché le 25 janvier et qui a fait au moins 300 morts, selon l’ONU et Human Rights Watch.

Les manifestants hurlaient de joie et agitaient des drapeaux égyptiens. Certaines personnes se sont évanouies sous le coup de l’émotion. « Je pleure parce que je suis heureuse », a lancé une manifestante, Loubna Darwiche, 24 ans, tout en tempérant: « il reste beaucoup à faire ». « Le peuple doit contrôler cela. Nous aimons l’armée mais c’est le peuple qui a mené cette révolution et c’est lui qui doit la contrôler ».

« Félicitations à l’Egypte, le criminel a quitté le palais », a souligné sur son compte Twitter Waël Ghonim, un cybermilitant devenu icône du soulèvement en Egypte.

Un peu plus tôt, le Parti national démocrate (PND) de M. Moubarak avait indiqué que le chef de l’Etat avait quitté Le Caire pour la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, dans le Sinaï, où il dispose d’une résidence.

Au 18e jour de la mobilisation populaire, un million de personnes avaient manifesté au Caire, selon un responsable de la sécurité, tandis qu’elles étaient entre 400.000 et 500.000 à Alexandrie, selon un photographe de l’AFP.

Ailleurs dans le monde, des explosions de joie ont notamment eu lieu à Gaza et Tunis, où un mouvement de contestation similaire avait provoqué la chute le 14 janvier du président Zine El Abidine Ben Ali.

« C’est formidable! Deux dictateurs sont tombés en moins d’un mois! », exultait Nourredine, un étudiant de 23 ans, dans un concert assourdissant de klaxons, tandis que son copain Ahmed se demandait: « A qui le tour maintenant? »

Le vice-président américain Joe Biden a salué « un jour historique » en Egypte.

La chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton s’est félicitée de son côté que M. Moubarak ait « écouté la voix du peuple égyptien, » ouvrant ainsi la voie à des « réformes plus rapides et plus profondes ».

Pour sa part, Israël espère que la période de transition qui s’ouvre en Egypte se fera « sans secousse », a affirmé à l’AFP un responsable gouvernemental.

La chancelière allemande Angela Merkel a dit attendre de l’Egypte qu’elle respecte son traité de paix avec Israël.

Alors que les manifestations se déroulaient le plus souvent dans le calme depuis le 3 février, une personne a été tuée et 20 blessées vendredi lors de heurts à Al-Arich, dans le Sinaï égyptien, entre manifestants et policiers, selon un responsable des services de sécurité.

Le manifestant a été tué lors d’un échange de tirs entre policiers et protestataires qui tentaient de libérer des détenus dans un poste de police. Selon des témoins, un millier de manifestants ont lancé des bombes incendiaires sur le poste de police et mis le feu à des véhicules.

Jeudi soir, M. Moubarak avait annoncé qu’il déléguait ses prérogatives au vice-président Souleimane, mais qu’il restait de droit président jusqu’à la fin de son mandat en septembre, une annonce qui avait provoqué la colère des manifestants qui réclamaient son départ immédiat.

M. Moubarak avait aussi annoncé l’amendement de cinq articles controversés de la Constitution concernant la présidentielle. Mais il conservait encore de larges pouvoirs constitutionnels, et restait le seul à pouvoir dissoudre le Parlement et limoger le gouvernement, en vertu de l’article 82. Cela n’est désormais plus le cas.

L’armée égyptienne, colonne vertébrale du régime, s’était portée « garante » dans la matinée des réformes promises par M. Moubarak, en soulignant « la nécessité d’un retour à la vie normale ».

Le conseil suprême des forces armées avait assuré qu’il garantirait « une élection présidentielle libre et transparente à la lumière des amendements constitutionnels décidés » et promis de mettre fin à l’état d’urgence, en vigueur depuis 1981, « dès la fin des conditions actuelles ».

La foule avait réagi avec dépit aux annonces de l’armée: « Armée il faut faire un choix, le régime ou le peuple! », criaient des protestaires.

Le Caire redevient un modèle pour le monde Arabe

Les Egyptiens ont pour habitude de surnommer leur pays — et leur capitale tout à la fois — Oum al-dounia: la mère du monde. C’est ce que l’Egypte est redevenue ce soir, en menant une révolution populaire et pacifique. Une révolution unique, il faut le préciser, dans l’histoire égyptienne. Celle de 1919 visait l’occupation britannique, celle de 1952, menée par les «officiers libres», était en fait un coup d’Etat. Il sera toujours temps demain de voir si cette révolution sera confisquée, dévoyée ou accaparée par l’armée, les islamistes ou qui que ce soit d’autre. L’heure est aux réjouissances et ne boudons pas notre plaisir…

Après trois décennies d’immobilisme, de stagnation et de répression, l’Egypte bouge à nouveau. Nul ne sait encore où cela la conduira, mais le moment n’est pas à l’inquiétude et au scepticisme. On ne peut que se réjouir de ce qui vient de se passer parce que ce que l’Egypte vivait depuis des années, c’était une implosion, c’est-à-dire une explosion silencieuse et tournée vers elle-même. Une implosion alimentée par le chômage, la pauvreté, des injustices de plus en plus insupportables, un Etat-policier sorti d’un autre âge.

A ceux qui ont peur du changement, il suffit de rappeler les conséquences du statu quo: des tensions interconfessionnelles de plus en plus graves, une radicalisation de la frange jihadiste du mouvement islamiste, une méfiance de la population envers son propre Etat, le règne du chacun pour soi et l’absence de respect des lois et du vivre-ensemble. Seuls ceux qui n’ont jamais dépassé le lobby de leur hôtel de luxe ne le voient pas. Seuls ceux qui ne parlent qu’à une élite cooptée ne le comprennent pas. L’Egypte était en danger et elle se porte mieux ce soir qu’il y a un mois.

Cet immobilisme déprimant avait gagné aussi le seul véritable atout de Hosni Moubarak: sa capacité d’intermédiaire entre Israël et les Arabes. De plus en plus traitée comme quantité négligeable par Israël, ignorée par les Etats-Unis au moment d’envahir l’Irak, l’Egypte de Moubarak est devenue, non plus un partenaire, mais un subalterne occidental au Proche-Orient, voire un garde-chiourme quand il s’agit de participer au blocus de Gaza. Cela aussi a contribué à l’exaspération — voire plus — de nombre d’Egyptiens.

Le fait que moins de trois semaines de manifestations aient complètement emporté le régime Moubarak en dit long sur son absence d’enracinement et de pérennité. Cela en dit long aussi sur l’émergence d’une nouvelle Egypte: diverse, plurielle, concernée, pacifique et décidée. Une Egypte citoyenne faite d’individus qui s’accordent sur l’essentiel tout en respectant les différences.

Il a été dit que l’Egypte n’avait pas une classe moyenne éduquée suffisante, comme c’est le cas de la Tunisie, pour pouvoir basculer dans un processus véritablement révolutionnaire: c’était faux. Par son poids démographique, la vitalité de sa société, sa production culturelle et — évidemment — sa position géostratégique, aux portes d’Israël et de Gaza, l’Egypte reprend aujourd’hui, vis-à-vis du monde arabe, valeur de modèle et de référence.

C’est une bonne nouvelle, et pour l’Egypte et pour le monde arabe. Une bonne nouvelle aussi pour Israël et les Etats-Unis, qui seront peut-être plus enclins à écouter et à tenir compte des voix qui viennent du Caire. Surtout si elles émanent d’une véritable démocratie et non plus d’une autocratie payée pour se taire.

Christophe Ayad (Libération)

Voir aussi : Rubrique Egypte,

Fayyad : la conférence des donateurs doit être liée à la naissance de l’Etat palestinien

La conférence des donateurs pour la création d’un Etat palestinien en juin n’aura d’intérêt que si les Palestiniens ont le sentiment d’être à la veille de la naissance de leur Etat, espéré en septembre, a prévenu vendredi à Paris leur Premier ministre Salam Fayyad. »Quand nous nous rencontrerons, nous avons besoin d’être dans un contexte d’attente de naissance imminente de l’Etat palestinien. Si ce sentiment n’est pas là, nous ne voulons pas de cette conférence », a-t-il déclaré lors d’un débat à Paris organisé par l’Académie diplomatique internationale.

Les Palestiniens voudraient proclamer leur Etat en septembre, date butoir retenue par la communauté internationale pour la signature d’un accord israélo-palestinien, bien que les négociations soient au point mort.

Une deuxième conférence de donateurs aura lieu en juin à Paris. La décision a été annoncée jeudi soir à l’issue d’un dîner de représentants français, de l’Union européenne, de la Norvège et du Quartette (USA, ONU, Russie, UE) qui assurent le suivi de la première conférence de décembre 2007.

« L’argent n’est pas le principal objectif de cette conférence qui doit conditionner un processus politique », a martelé Salam Fayyad.

« Le calendrier (de septembre 2011) ne changera pas (…). Il est temps pour (le Premier ministre israélien Benjamin) Netanyahu de dire ce qu’il a en tête quand il parle d’un Etat palestinien. Cela ne suffit pas de dire qu’on soutient une solution à deux Etats », a-t-il répété.

La première conférence des donateurs, en décembre 2007 à Paris, s’est concrétisée par le versement sur 3 ans de l’intégralité des 7,7 milliards de dollars promis alors, dont 4,3 milliards d’aide budgétaire.

AFP

Egypte : Washington à la recherche du statu quo

Le tapis brûle

«Nous ne prônons aucune solution en particulier», a avoué Hillary Clinton hier sur CNN, résumant la position américaine. Pour Obama, qui avait fait de Moubarak son «ami» et «partenaire» pour la paix au Moyen-Orient, les soubresauts égyptiens sont une épreuve de vérité embarrassante. Les jours de Moubarak à la présidence sont certainement comptés, analyse-t-on en interne à Washington. Clinton a même parlé de «transition» vers un régime plus démocratique que les Etats-Unis appellent de leurs vœux.

Mais la Maison Blanche a aussi très peur de ce qui pourrait advenir en Egypte, et dans les pays voisins, si Hosni Moubarak est renversé par la rue. Pour cela, Barack Obama refuse encore de lâcher cet allié de trente ans. Après lui avoir téléphoné vendredi soir, le président américain a fait mine de croire que Moubarak pourrait encore «donner sens» à des réformes politiques, sociales et économiques pour «répondre aux aspirations du peuple égyptien». Obama s’est aussi abstenu d’appeler à des élections libres en Egypte.

Rempart. L’Egypte est un allié clé pour les Etats-Unis, garant de la paix avec Israël, gardien du canal de Suez et rempart face à l’islamisme iranien. Washington subventionne cette «amitié» à hauteur de près de 2 milliards de dollars par an depuis 1979, une aide devenue essentiellement militaire ces dernières années. «Ce que veut Obama en Egypte, c’est le statu quo, résume un diplomate à Washington. Si l’Egypte tombe aujourd’hui, c’est l’Arabie Saoudite, la Jordanie, le Yémen qui peuvent tomber demain. Et en Egypte même, si des élections libres sont organisées, seuls les Frères musulmans sont en mesure de l’emporter aujourd’hui. Tout cela explique que Washington y réfléchisse à deux fois avant de lâcher Moubarak».

L’épouvantail de nouveau agité ces jours-ci est celui de l’Iran, où le lâchage du Shah par les Etats-Unis en 1979 avait ouvert la porte au régime islamique. Cette analyse n’est pas forcément juste, mais elle inspire encore largement les dirigeants américains, observe John P. Entelis, directeur des études sur le Moyen-Orient à l’université Fordham de New York. «En Egypte, on ne devrait pas avoir si peur de voir les Frères musulmans s’emparer du pouvoir, explique cet universitaire. L’armée peut jouer un rôle de transition comme elle l’a fait par le passé en Turquie. Et il y a aussi en Egypte des hommes politiques valables, comme Mohamed el-Baradei ou Ayman Nour. Mais il est vrai que du point de vue de l’administration américaine, une transition interne, autour d’Omar Souleiman, peut être considérée comme une très bonne option.» L’administration Obama évite de le dire trop ouvertement pour ne pas saper ses chances, mais Omar Souleiman, le nouveau vice-président égyptien nommé vendredi soir par Moubarak, est en effet un homme bien connu et apprécié à Washington.

Pour Obama, ce soulèvement égyptien tombe d’autant plus mal qu’il avait particulièrement misé sur le régime de Moubarak. C’est au Caire que le président américain avait prononcé son grand discours proposant un «nouveau départ» au monde musulman, en juin 2009. Ce faisant, Obama avait délibérément mis la sourdine sur les violations des droits de l’homme en Egypte. L’analyse faite alors par son équipe était que les grandes leçons de démocratie proférées par l’administration Bush n’avaient pas mené à grand-chose dans la région, si ce n’est à la guerre d’Irak et la victoire du Hamas aux élections de 2006 en Palestine.

Ambition. Soucieux aussi de relancer le processus de paix au Proche-Orient, une de ses grandes ambitions, pour laquelle il avait besoin du soutien de Moubarak, Obama avait donc remisé à la sphère privée la question des droits de l’homme. Il pourrait le payer cher aujourd’hui. Les plus féroces commentateurs, comme Jackson Diehl, éditorialiste du Washington Post, l’accusent déjà d’avoir provoqué cette révolution en empêchant l’émergence d’une «opposition démocratique modérée» en Egypte.

Cette grande prudence d’Obama face au soulèvement égyptien contraste aussi avec sa hardiesse, il y a quelques jours, au sujet de la Tunisie : cette semaine encore, le président américain a salué la victoire du «peuple tunisien» sur le «dictateur» Ben Ali. «En Tunisie, on peut se permettre de prendre une position morale. En Egypte pas, les intérêts géostratégiques sont trop importants», résume John P. Entelis.

Dans l’ensemble, la retenue d’Obama fait pourtant plutôt consensus aux Etats-Unis. L’équilibre que l’administration Obama tente de préserver, entre soutien aux droits du peuple égyptien et soutien au gouvernement, est «raisonnable», souligne Haim Malka, chercheur au Center for Strategic and International Studies : «Les autres options, notamment appeler Moubarak à démissionner, risqueraient de provoquer une plus grande instabilité encore.»

Lorraine Millot (Washington Libération)

Israël nerveux à l’idée de perdre son allié

Si les Frères musulmans accèdent au pouvoir, l’Etat hébreu craint une remise en cause du traité de paix.

«Moubarak, ce n’est pas Ben Ali», ont répété comme un mantra les responsables israéliens aux premiers jours des manifestations en Egypte. Même les services de renseignements israéliens assuraient qu’elles ne constituaient pas de «danger pour la stabilité du régime». Depuis vendredi, tous ont dû se rendre à l’évidence : un renversement pur et simple du raïs égyptien, un des seuls chefs d’Etat de la région à maintenir des liens avec Israël, n’est pas exclu. Avec potentiellement de lourdes conséquences diplomatiques, stratégiques et militaires.

Le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’est fait l’écho, hier, de l’inquiétude qui s’est emparée d’Israël : «La paix avec l’Egypte dure depuis plus de trois décennies et notre objectif est que cela continue. Nos efforts portent sur la préservation de la stabilité et la sécurité dans la région.»

Nervosité. L’Egypte est le premier pays arabe à avoir signé un accord de paix avec Israël, en 1979, suivi de la Jordanie en 1994. Signe de la nervosité du gouvernement israélien, Nétanyahou, qui s’exprimait pour la première fois sur la crise égyptienne, a réitéré sa demande aux membres de son cabinet de ne pas faire de déclarations publiques sur le sujet. La chute de Moubarak serait probablement suivie d’une période de transition au terme de laquelle des élections auraient de grandes chances de porter les Frères musulmans au pouvoir, estiment la plupart des commentateurs israéliens. Les islamistes, hostiles à toute normalisation des relations avec l’Etat hébreu, pourraient alors remettre en cause le traité de paix entre les deux nations. «Alors que de nombreux pays considèrent avec satisfaction la chute d’un régime qui prive ses citoyens de leurs droits élémentaires, le point de vue israélien est complètement différent. Si le régime du Caire chute, cela aura une influence négative considérable sur la situation d’Israël. A long terme, cela risque de menacer la paix avec l’Egypte et la Jordanie, les deux atouts stratégiques les plus importants d’Israël après le soutien américain», résume Amos Harel, le spécialiste militaire du quotidien Haaretz.

Exagéré. Même si la paix signée avec l’Egypte a toujours été froide, limitée essentiellement aux aspects sécuritaires, elle a permis à Israël de désengager ses troupes du front sud. Sur le plan diplomatique, la perte de son partenaire égyptien, après la fin de son alliance avec la Turquie, laisserait Israël presque totalement isolé dans la région. A l’exception de ses relations avec la Jordanie, considérablement refroidies ces derniers temps en raison de l’intransigeance de Nétanyahou sur le dossier palestinien.

Certains analystes estiment cependant que le scénario catastrophe d’une dénonciation de l’accord de paix est exagéré. Il s’inscrit dans la «tendance des Israéliens à dramatiser les menaces», observe Uri Bar Joseph, professeur de relations internationales à l’université d’Haïfa. «Je ne crois pas à une révolution islamiste en Egypte en raison de sa grande dépendance vis-à-vis de l’Occident, explique ce spécialiste du renseignement. Même si les Frères accèdent au pouvoir, ils ne prendront pas le risque d’une dénonciation pure et simple de l’accord de paix avec Israël. Dans le pire des cas, l’ambassadeur israélien sera rappelé. Mais l’armée égyptienne ne leur laissera pas le champ libre dans le domaine de la collaboration sécuritaire avec Israël.»

Delphine Matthieussent (Jérusalem Libération)

L’onde de choc fait trembler les pays arabes

Du Yémen à la Mauritanie, des marches de contestation et des immolations par le feu ont lieu pour protester contre les difficultés économiques et les dictatures.

Risque immédiat de contamination, voire de contagion. C’est la lecture par les dictatures arabes des événements de Tunisie quand elles ont vu que ceux-ci avaient entraîné la chute du président Ben Ali. D’où des mesures prises rapidement dans plusieurs capitales arabes pour tenter de l’empêcher de se répandre. «On a prédit que la révolution du jasmin répandrait son parfum sur son voisinage. C’est chose faite et il semble que ses effluves aient atteint l’Egypte», écrivait hier l’éditorialiste du journal tunisien le Quotidien. Mais il n’y a pas que l’Egypte à être percutée par l’onde de choc tunisienne. Et la révolte égyptienne risque à son tour d’être un exemple, d’autant que ce pays est regardé par les populations des pays voisins comme la mère des nations arabes.

Jordanie. La contestation a débuté dès le 14 janvier, lorsque des milliers de personnes ont manifesté contre la politique économique. Plusieurs autres défilés ont eu lieu à Amman, malgré l’annonce de nouvelles mesures sociales. Le 28, plusieurs milliers de Jordaniens sont descendus dans la rue à l’appel des Frères musulmans, réclamant un changement de gouvernement et des réformes. Depuis plusieurs jours, le roi Abdallah II multiplie les initiatives pour tenter d’apaiser la grogne populaire.

Yémen. Les manifestations antirégime se multiplient depuis la mi-janvier. Le 27, elles ont pris de l’ampleur avec le défilé de milliers de personnes à Sanaa pour réclamer le départ du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978. Samedi, il y a eu des heurts entre opposants et partisans du régime. Le gouvernement a annoncé une augmentation des salaires. Au moins trois tentatives d’immolation par le feu et un décès ont eu lieu en quelques jours.

Algérie. Début janvier, cinq jours d’émeutes contre la vie chère ont fait cinq morts et plus de 800 blessés. Le mouvement de protestation a pris fin après l’annonce d’une baisse des prix des produits de base. Une marche «pour la démocratie» a été empêchée le 22 par la police, une autre pour demander le «départ du système» est prévue le 12 février à l’appel de la toute nouvelle Coordination nationale pour le changement et la démocratie. Deux décès par immolation et sept tentatives ont eu lieu depuis le 14 janvier.

Soudan. Les tensions politiques et les difficultés économiques ont provoqué des manifestations ces dernières semaines, et au moins un homme s’est immolé par le feu. Début janvier, des heurts avaient déjà opposé la police à des étudiants protestant contre la hausse des prix. Ils ont repris à Khartoum.

Mauritanie. Dès le 13 janvier, une marche et un meeting ont réuni plusieurs milliers de personnes à Nouakchott, à l’appel de l’opposition, et des lycéens ont manifesté contre la hausse des prix. Un homme d’affaire s’est immolé le 17. Face à la montée en flèche des prix, les autorités ont annoncé le 20 janvier une baisse de 30% sur les produits de première nécessité.

Maroc. Trois personnes ont tenté de s’immoler par le feu le 21 janvier, une autre le 25. Les autorités ont lancé des appels d’offres pour l’achat d’importantes quantités de céréales, afin d’éviter des pénuries.

Oman. Quelque 200 personnes ont manifesté le 17 janvier à Mascate pour protester contre la cherté de la vie et la corruption.

Syrie. Visiblement, la révolution du Nil n’a pas atteint l’Euphrate. Le régime de Damas, l’un des plus policiers du monde arabe, demeure néanmoins sur le qui-vive. Il a augmenté les subventions sur le fuel, resserré le contrôle sur Internet et un tribunal spécial a condamné à sept ans de prison un opposant pour avoir contesté le pouvoir absolu du parti Baas. Pourtant, la crise agricole est terrible. La mauvaise gestion de l’eau a transformé l’est du pays en désert et, selon un rapport des Nations unies, 800 000 personnes sont gravement affectées par cette pénurie. Mais les nombreuses minorités, le clientélisme, l’omniprésence des services secrets, l’érosion de la classe moyenne et le pauvre niveau d’éducation rendent difficile l’émergence d’une contestation.


Omar Souleiman, vice-président, vrai fidèle et possible successeur

Avec Omar Souleiman, le régime se replie sur lui-même

Le vice-président égyptien est un homme de l’ombre, plus connu des diplomates occidentaux que du grand public égyptien. Depuis une décennie, Omar Souleiman, qui dirige les moukhabarat, les très redoutés services de renseignements, était cité comme l’un des possibles successeurs du raïs. Il est désormais officiellement son dauphin et un recours en cas de vacance du pouvoir. En ces temps agités, Hosni Moubarak a fini par se résoudre à nommer un homme qui incarne la stabilité et la continuité du régime.

Depuis son arrivée au pouvoir, il y a vingt-neuf ans, Moubarak se refusait à pourvoir le poste de vice-président. Il était bien placé pour savoir qu’un vice-président a toutes les chances de succéder à son numéro 1, lui-même ayant repris les rênes après l’assassinat d’Anouar el-Sadate, par un commando de soldats islamistes, le 6 octobre 1981. El-Sadate lui-même avait remplacé au pied levé Gamal Abdel Nasser mort d’une crise cardiaque à l’automne 1970…

Fidèle. Mais Omar Souleiman n’a pas la fibre d’un putschiste. Fidèle d’entre les fidèles de Moubarak, il l’a sauvé à plusieurs reprises contre des tentatives d’attentats. Notamment en lui conseillant d’emmener sa propre voiture blindée au sommet de l’Organisation de l’unité africain (OUA), en juin 1995 à Addis-Abeba, où un commando d’islamistes égyptiens venu du Soudan avait mitraillé le cortège présidentiel, tuant un garde du corps mais ratant le raïs et son bras droit.

Omar Souleiman sait parfaitement dans quel état est l’Egypte, même s’il n’a jamais participé à la gestion du pays. «Au jour le jour, l’Egypte est gouvernée par un « cabinet noir » de cinq ou six conseillers, qui travaillent au palais présidentiel», assure un diplomate occidental. Omar Souleiman, lui, a surtout traité de deux dossiers : la répression de l’islamisme, depuis son arrivée à la tête des services de renseignements en 1991, et les dossiers régionaux, en particulier le conflit israélo-palestinien cette dernière décennie. Sur la lutte contre l’islamisme armé, il s’est montré implacable dans les répressions des Gamaat al-islamiya et du mouvement Al-Jihad, qui ont causé un millier de morts durant les années 90. Il est aussi bien connu et apprécié des services occidentaux, en particulier de la CIA américaine qui n’a pas hésité, depuis le 11 septembre 2001, à faire transférer illégalement plusieurs islamistes égyptiens au Caire afin qu’ils soient débriefés par les moukhabarat, connus pour ne pas prendre de gants durant les interrogatoires.

«En fait, Omar Souleiman est un ministre bis des Affaires étrangères», assure le diplomate. Il assiste à tous les entretiens importants, est chargé des missions les plus délicates et secrètes.

Depuis le début de la deuxième Intifada, il est plus particulièrement en charge du dossier israélo-palestinien. Il a négocié une bonne dizaine de trêves, plus ou moins éphémères, entre Israéliens et Palestiniens. A partir de 2005, il gère le dossier du Hamas, dont la montée en puissance inquiète autant Israël que l’Egypte. Les islamistes du Hamas sont en effet très liés aux Frères musulmans égyptiens que Souleiman combat et déteste. Malgré le soutien égyptien aux forces de sécurité de l’Autorité palestinienne, le Hamas s’empare du pouvoir dans la bande de Gaza en juin 2007, au grand dam de l’Egypte, qui doit désormais faire avec un régime islamiste à sa frontière orientale. L’Egypte participe au blocus de la bande de Gaza en contrôlant le point de passage de Rafah, mais lorsque l’armée israélienne lance l’opération Plomb durci, en janvier 2009, Omar Souleiman s’active pour obtenir un cessez-le-feu. Il travaille aussi à réconcilier Hamas et Fatah, sans succès. Sa nomination a été très appréciée à Washington, en Israël et dans les chancelleries occidentales qui le connaissent bien, ce qui n’est pas forcément bon auprès de l’opinion égyptienne.

Trop tard. Agé aujourd’hui de 74 ans, Omar Souleiman, sort de l’ombre peut-être trop tard pour incarner une véritable rupture. L’homme, originaire d’une famille aisée de Qena, en Haute-Egypte, est apprécié pour sa compétence et son peu de goût pour le luxe. Aucune affaire de corruption ne lui colle aux basques. Mais il est trop associé au règne de Moubarak et ne fait pas forcément l’unanimité dans l’armée, qui aurait probablement préféré le ministre sortant de la Défense, le maréchal Tantaoui, l’un des derniers héros de la guerre d’octobre 1973.

Christophe Ayad (Libération)

Voir aussi : Rubrique Egypte, politique, L’armée clé de la crise du régime, Moubarak joue avec le feu, Rencontre, Khaled Al Khamissi , rubrique Livre Sarkozy au Proche Orient, Politique internationale Vers un printemps démocratique arabe, rubrique Histoire Repères sur la bande de Gaza,

Le Liban renoue avec la crise

Nouvelle crise politique au Liban, cela ne surprend plus personne surtout pas dans ce pays qui a dû battre un record depuis son indépendance en 1943.

Encore que les Libanais souhaitent que cela ne déborde pas le cadre politique, car le contraire, toujours possible dans ce pays, peut mener au pire. Mais cette fois, la crise était dans l’air, et tout alors devenait une question de timing. Effectivement, la chute du gouvernement était effective à l’instant même où son leader franchissait mercredi le seuil de la Maison-Blanche. M. Saâd Hariri, qui devait s’entretenir avec le président Barack Obama, venait de perdre son gouvernement. Selon la formule consacrée, il était Premier ministre en exercice.

Dans un autre sens, les députés du Hezbollah se sont montrés conséquents pour avoir mis en garde contre une telle éventualité, laquelle consacrait l’échec de la médiation syro-saoudienne. Les dix ministres ont démissionné, obtenant aussi celle d’un député du PSP, depuis que le leader de ce parti, M. Walid Joumblatt, a redessiné la carte des alliances au Liban en lâchant ou en prenant ses distances avec M. Hariri, opposé quant à lui à tout compromis sur l’action du TSL (Tribunal spécial pour le Liban) chargé d’identifier et de juger les assassins de son père, l’ancien Premier ministre Rafic Hariri.

Depuis qu’elle a été mise sur pied par l’ONU, cette institution s’est surtout fait remarquer par un travail controversé avec un faisceau d’accusations (Syrie, services secrets libanais), le tout porté par des témoins qui s’avéreront faux. D’ailleurs, M. Hariri a été lui-même jusqu’à déclarer que la Syrie n’avait rien à voir avec cet assassinat commis en 2005, mais il a quand même servi, relèvent tous les observateurs, à précipiter le départ des troupes syriennes du Liban. Et après ? dira-t-on. Depuis peu, c’est le Hezbollah sinon des membres de ce parti qui sont accusés d’implication, ce que réfute ce dernier et accuse quant à lui Israël.

Le Hezbollah, qui accuse le TSL d’être «à la solde d’Israël et des Etats-Unis», s’attend à être mis en cause et a fait pression sur M. Hariri pour qu’il désavoue le tribunal qui doit rendre prochainement son acte d’accusation. Son chef du groupe parlementaire a laissé entendre que le Hezbollah et ses alliés envisagent même l’avenir, mais sans M. Hariri.  «Nous devons nous mettre d’accord (entre alliés) sur la manière de gérer le pays avec un gouvernement fort mené par un (Premier ministre) connu pour son soutien à la Résistance (le Hezbollah)», a-t-il dit. L’on apprend dans cet ordre d’idées que M. Joumblatt a rencontré dans la soirée de mercredi le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah.

En ce qui concerne le fond du débat, l’approche du Hezbollah laisse très peu sinon aucune place au doute. Selon un  de ses dirigeants, «l’orientation générale est celle de la mise en cause d’individus, avant de faire un pas supplémentaire vers la question de la responsabilité du supérieur hiérarchique de ces subordonnés… Ils ont commencé par la Syrie et écarté le Hezbollah, car il fallait limiter le champ des adversaires et, maintenant, ils se sont tournés vers le Hezbollah».

Pour la secrétaire d’Etat américaine, «la justice est nécessaire pour avoir la stabilité». Mme Clinton a souligné que «le gouvernement et le peuple du Liban doivent demander des comptes aux individus et non aux groupes auxquels ils appartiennent». «Les individus doivent être jugés en tant que tels et non en tant que membres d’un parti politique», a-t-elle souligné. Il y a lieu de relever cette réaction plutôt rare du Pentagone, annonçant que les Etats-Unis «surveillent de très près» la situation au Liban que certains comparent à celle qui prévalait en 2008. Autrement dit, des dérapages ne sont toujours pas exclus.

Mohammed Larbi ( El Watan)

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et le dirigeant qatari Hamad bin Khalifa sont arrivés lundi à Damas pour s’entretenir avec le président Bashar al-Assad, a rapporté dimanche l’agence SANA.

Les trois dirigeants doivent discuter des dernières évolutions dans la région dans le but de renforcer les relations entre les trois pays. Les entretiens concerneront également la crise politique au Liban.

Le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, en visite en Irak, rejoindra son Premier ministre à Damas et rencontrera les responsables de la Syrie et du Qatar, selon la même source.

Mohammed Larbi (El Watan)