L’hypnotique déraison de Marlène Monteiros Freitas fait vibrer les sens

Paradis hTh ce vendredi soir à 20h co-accueilli avec Montpellier Danse. Photodr

Après l’époustouflant Jaguar, Marlène Monteiros Freitas  nous accompagne au Paradis ce vendredi 08 mars à hTh.

Même si vous n’êtes pas très en forme, ce qui peut se comprendre par les temps qui courent, lâchez vos antalgiques pour allez voir Marlène Monteiros Freitas. On vous le prescrit sans ordonnance. Révélation de la scène chorégraphique actuelle, la chorégraphe finit son escale montpelliéraine ce soir. Elle vous libérera de tous vos encombrements et autres tracasseries morales ou économiques. Née au Cap-Vert, Marlène Monteiros Freitas vit à Lisbonne. Son parcours s’appuie sur les figures du grotesque et de la transgression derrière lesquelles perce une sensibilité qui transperce les murs.

En début de semaine, elle a présenté son dernier opus, Jaguar, au Théâtre La Vignette. Un duo de choc avec Andreas Merk de près de deux heures, vertigineux et bouleversant. « Jaguar est une scène de chasse hantée » indique la chorégraphe.

IMG_1444Dans la pièce, les corps des danseurs se font marionnettes et se laissent emporter par le rythme entraînant du carnaval capverdien. « J’aime la contradiction du laid et du beau que l’on trouve dans le carnaval. Je me souviens des cortèges funèbres qui passaient dans l’île. De cette coexistence entre les choses tristes et joyeuses, funèbres et érotiques ». Jaguar doit aussi beaucoup à l’oeuvre du Suisse Adolf Wölfli un héros fou et criminel emprisonné en hôpital psychiatrique à la fin du XIXe. «Je l’ai découvert en tombant sur un de ses dessins complètement saturé. Wölfli s’est réinventé une nouvelle vie. Il a aussi produit des peintures qui donnent le vertige.» Avec des serviettes éponge pour seuls outils, les deux danseurs enchaînent une séries de métamorphoses qui nous font changer de monde. « L’idée de la métamorphose traduit toujours un désir d’échange avec les autres, explique Marlène Monteiros Freitas. Elle permet d’instaurer une autre relation parce qu’un déplacement s’opère y compris chez celui qui regarde. La transformation se situe à un niveau collectif. Je travaille pour trouver des hybrides soit hétérogènes soit contradictoires, une énergie de la contradiction ».

Le paradis selon Marlène

Pour Paradis collection privée la seconde pièce présentée vendredi 8 mars au CDN, la chorégraphe s’inspire des Jardins d’Eden de Bosh ou de Cranach et des mosaïques de Santa Maria Assunta de l’île de Torcello. Ces mondes inquiétants et fantasmés, ambivalents, qui rendent poreuse la frontière entre le bien et le mal. « Mon envie de paradis se rapporte à une fiction, à un imaginaire totalement libre et pas à une idée au service de la morale. Le paradis est une idée inventée et réinventée dans l’histoire qui offre d’immenses possibilités artistiques. Le paradis est une porte possible qui s’ouvre sur un lieu où tout est permis. Chacun peut se faire son idée de ce lieu, ce qui est un danger, mais personne ne sait ce que c’est.»

Le travail de Marlène Monteiros Freitas pose un climat émotionnel, une forme d’engagement au détriment du sens qui mobilise l’ énergie première des souffrances et délices de l’enfance.

JMDH

Source : La Marseillaise 08/04/2016

Paradis https://youtu.be/upyS58TCob4

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hTh. Oh nuits d’young !

OHNUITS-1170x350« Et qu’en est-il du mal de crâne des adolescents d’aujourd’hui, qui vivent ici et maintenant dans le fratricide XXIe siècle, cette poubelle ensoleillée archipleine d’informations remixées et d’édifices qui tombent en lambeaux ? » interroge Rodrigo Garcia en préambule du festival pour adolescents Oh nuits d’young ! L’événement se tiendra du 5 au 13 mars à humain Trop humain et au cinéma Diagonal à Montpellier.

Au programme, trois spectacles qui mettent en scène des adolescents. Woe conçue et dirigé par Edit Kaldor évoque la violence. Dans ce spectacle, la hongroise résidant à Amsterdam, évoque la difficulté de raconter une violence subie pendant l’enfance. A quel point peut-on comprendre l’expérience de l’autre ?

Ces questions sont celles que se posent, les interprètes âgés de 16 et 17 ans de Woe donnée du 9 au 11 mars.

On n’a qu’une vie, pièce conçue et dirigée par Ana Borralho et João Galante, rapproche l’espace artistique de l’espace social en faisant intervenir des adolescents non professionnels. Il est question d’évoquer les rêves et les perspectives possibles pour la jeunesse d’aujourd’hui et de réclamer un futur ouvert (du 9 au 12 mars).

Pour Ethan, donné le 13 mars, est une pièce chorégraphique de Mickaël Phelippeau qui aborde « ce moment de la vie qu’est l’adolescence, ce moment où le corps connaît probablement les plus grands changements, les plus grands bouleversements, ce moment de transition entre l’enfance et l’âge adulte. »

Oh nuits d’young ! propose aussi plusieurs films internationaux en rapport avec l’adolescence projetés au Diagonal ainsi que des ateliers conférences et une fête pour le final.

Renseignements : www.humaintrophumain.fr

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Danse. Emmanuel Eggermont : Le corps face au trou noir

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Emmanuel Eggermont sur les traces invisibles. Photo dr

Danse. « Strange Fruit », création du chorégraphe Emmanuel Eggermont à l’Agora Studio Bagouet à Montpellier.

Donnée au Studio Bagouet, la création Strange Fruit d’Emmanuel Eggermont pose la première pierre d’une histoire originale et saisissante. Tout démarre quand l’historien Pierre Schill tombe par hasard sur une vingtaine de photographies dont il ignore l’origine. L’historien revient à ses études mais certaines de ses photos, qui témoignent de pendaisons collectives ne quittent pas son esprit. Il a alors la lumineuse idée de s’en remettre à des créateurs pour explorer les possibles.

Réceptif à la démarche, Emmanuel Eggermont se saisit de ce trou noir pour en proposer une lecture artistique. Son travail sensible joue sur les frontières  de l’espace et du temps en y adjoignant le poème d’un certain Lewis Allen Strange fruit interprété par Billie Holiday qui traverse l’histoire de la révolte. L’expression corporelle lente et posée d’Emmanuel Eggermont témoigne d’une inspiration profonde. Elle semble baigner dans un climat où les résonances du temps guident le danseur sur les traces d’une humanité alternative.

C’est le premier volet d’une exploration que poursuivra l’auteur Jerôme Ferrari à la Comédie du livre.

JMDH

« Strange Fruit« , création du chorégraphe Emmanuel Eggermont

Source ; La Marseillaise 20 02 2016

Voir aussi ;  Rubrique Danse, rubrique Histoire“Strange Fruit”, et Billie Holiday suspendit l’Histoire, rubrique Photo rubrique Montpellier,

Rodrigo Garcia : «Vivre joyeusement dans un monde détestable»

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Rodrigo Garcia : « Je suis profondément athée mais je pense que Dieu existe pour nous emmerder» Photo Marc Ginot

 

Deux ans après sa nomination à la direction du Centre dramatique national de Montpellier, l’auteur-metteur en scène hispano-argentin inscrit une ligne artistique qui renouvelle le paysage et les publics.

Réputé provocateur, Rodrigo Garcia considère aujourd’hui les controverses autour de son projet comme naturelles. Il évoque les fondements de son travail artistique qui bouscule la tradition du théâtre français, particulièrement «texto-centré», pour introduire une coexistence de formes et de pratiques qui se déploient sur le plateau. Un espace dans lequel l’esprit du spectateur serait l’ultime atelier dramatique.

A la mi-parcours de votre mission à la tête du CDN de Montpellier, on observe votre projet de manière contrastée. Le bon côté d’avoir nommé un artiste à cette fonction, c’est qu’il est contraint de rester fidèle à sa vision, contrairement à un directeur culturel qui sera par nature, plus poreux aux demandes de l’institution…

Cette porosité que vous évoquez est importante. Je dois tenir compte des attentes et en même temps, il m’est impossible de renoncer à mes idées. Je dois trouver un équilibre avec çà. Je ne peux pas être autiste. Ou du moins, je peux l’être dans ma création, mais pas dans ma programmation. Mes choix artistiques peuvent paraître radicaux si on les compare aux autres. Moi, je n’ai pas ce sentiment. La majorité de ce qui est programmé dans les CDN est radicalement conservateur, dans ce contexte, ma propre radicalité ouvre une fenêtre pour l’expression plurielle.

 

Quelle place occupe l’écriture dans votre quotidien ?

Je suis attentif à ce qui se passe, aux artistes. Mon écriture est liée à la littérature du corps qui n’est pas toujours ce que l’on croit qu’il est. Le corps et le texte sont sujets à d’infinis avatars. Dans la pièce de Marija Ferlin donnée ce soir *, on voit bien comment le chorégraphe est imprégné de la matière textuel.

 

Pouvez-vous évoquer la nature du jeu que vous entretenez avec vos comédiens, et l’importance qu’ils occupent pour monter le texte à la scène ? Ce ne sont plus vraiment des interprètes mais des créateurs…

Je connais mes comédiens depuis longtemps. Nous sommes ensemble depuis quinze ans. Cela facilite les choses et ça les complique aussi, parce qu’à un moment ma difficulté est de savoir comment je vais les surprendre. Je cherche à conserver une partie secrète. Lorsque nous travaillons, personne ne sait comment les choses vont finir ni où nous allons arriver. C’est un processus organique. J’injecte dans les corps et les corps absorbent, assimilent. Au fil des représentations le texte et la pièce prennent de l’épaisseur. Dans ma dernière création 4, en deux mois tout a changé alors que techniquement rien n’a bougé.

 

Le statut du texte se transforme sur le plateau…

Le texte est un problème fondamental du théâtre. Parce qu’il faut que les comédiens s’approprient des mots qui ne sont pas les leurs. Je rêve d’un théâtre complètement libéré. Ce ne serait sans doute pas la meilleure des choses… a minima, il faut que les comédiens soient d’accord. On travaille à tâtons.

 

Revendiquez-vous, comme Pasolini, le statut d’amateur ?

Amateur… Oui, ou plutôt chercheur. Pour moi, le mot professionnel est horrible. Cela signifie que tu détiens la règle. Moi je veux déconstruire pour découvrir ce que l’on peut faire avec nos limites. Et pourtant, je me répète. D’une pièce à l’autre les éléments sont les mêmes, je m’en rend compte avec le temps. C’est fatiguant de faire la même pièce depuis 27 ans.

 

Quand vous dites « Je ne supporte pas que l’on parle au public » cela lui confère de fait, une place active. Quelle rôle lui accordez-vous ?

Si vous m’aviez demandé cela avant la première de 4, je vous aurais répondu que cette place n’est pas majeure. Mais maintenant, j’ai conscience que cette place est très importante. La pièce provoque beaucoup de réactions auxquelles je n’avais pas pensé. Freud ou Lacan me diraient « tu le savais. Tu montres la folie .» Mais cela relève totalement de l’inconscient chez moi, comme la manière dont on vit sa vie quotidienne. Il y a des moments où les réactions des gens t’énervent. Parce que c’est toi qui t’exposes et que tu as peur. C’est normal. Le paradoxe c’est que quand les comédiens jouent mal, tu existes parce que c’est ton travail qui est en cause et quand ils sont dedans, tu ne sers plus à rien et tu disparais.

 

Vous n’attachez pas d’importance à la mise en scène de vos textes. Quel rapport entretenez-vous avec la notion d’oeuvre ?

Ce qui est écrit dans le livre m’appartient. La littérature est un récit de la pièce. Un metteur en scène qui travaille avec mon texte, pour moi, c’est un peu comme s’il le récupérait dans une poubelle. C’est étrange, mais je n’ai aucune curiosité pour les pièces auxquelles cela peut donner lieu.

 

Quel regard portez-vous sur cette première expérience à la tête du CDN de Montpellier ?

C’est une chose très importante dans ma vie. En tant qu’artiste on se regarde souvent soi-même. Cette fonction m’a ouvert à la société. Je regarde les autres artistes d’une autre façon. Je suis très attentif à la valeur de l’accueil. J’ai dans l’idée que cela relève de ma responsabilité. Pour moi, c’est une leçon d’humanité. Je suis heureux de voir les autres bien, et cela me fait plaisir. Au début ce n’était pas facile. Maintenant, je suis plus tranquille. J’accepte la controverse autour de mon projet et la conçois comme une chose naturelle.

 

Vous êtes vous fixé des perspectives d’ici 2017 ?

Rien de formel, je n’ai pas d’objectif précis. Je veux continuer à faire des propositions en relation avec les acteurs et les publics. Je conçois l’évolution dans un rapport dialectique.

 

Faire du théâtre au présent, est-ce travailler dans l’incertitude ?

Faire du théâtre aujourd’hui, c’est trouver la matière et l’envie de vivre joyeusement dans un monde détestable et difficile. Je suis profondément athée mais je pense que Dieu existe pour nous emmerder. Grâce à ces problèmes, je fais le théâtre que je fais.

 

Recueillli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 25/01/2016

Voir aussi : Rubrique Théâtre, Des idées pour renouveler le théâtre à Montpellier, rubrique Politique culturelle, rubrique Danse,  rubrique Montpellier, rubrique Rencontre,

Festival Actoral. La révolution par l’écriture

Grinshorn & Wespenmaler

Grinshorn & Wespenmaler. Photo Mezli Vega Osorno

Actoral. Le festival des écritures contemporaines se clôture ce soir. Les blessures intimes deviennent des langues à hTh.

L’escale montpelliéraine du Festival Marseillais Actoral dédié aux écritures contemporaines se conclut ce soir à hTh avec le poète sonore Anne-James Chaton et l’artiste de musique électronique Alva Noto dans le cadre de Analogie / digital. Flaubert, Jules Verne, mais aussi Descartes, Napoléon, Freud… sont convoqués à prendre un sacré coup de jeune.

Cette soirée clôture un festival captivant que l’on doit à la passion tenace d’Hubert Colas pour les écritures contemporaines. Depuis le 14 janvier le CDN est une terre d’aventure où se croisent des artistes d’horizons différents qui ont pour point commun d’être en prise avec de nouvelles formes de langage. « Ce ne sont pas des artistes doucereux qui viennent à Actoral », avait prévenu Hubert Colas. Il n’a pas menti.

A l’instar du drame patriotique international Grinshorn & Wespenmaler de l’autrichienne Margret Kreidl mis en espace par Marlène Saldana et Jonathan Drillet qui rend un vibrant et décalé hommage à l’Autriche d’Haider, le leader bronzé de l’extrême droite autrichienne, qui trouva la mort en sortant d’un club gay, ivre au volant de sa Volkswagen Phaeton.Le public qui est venu pour découvrir, perçoit et participe au rapport délicat entre la création et le monde insensé dans lequel il vit. En pleine dérive extrémiste, l’absurde reprend du poil de la bête.

L’inhumanité ordinaire

La société hyper sécurisée et tellement insécurisante inspire les artistes d’aujourd’hui qui baignent dans cette inhumanité ordinaire. Tous les domaines artistiques, sont concernés et notamment la littérature contemporaine. On a goûté au rationalisme irrationnel de Thomas Clec qui met trois ans à parcourir les 50 m2 de son appart parisien pour faire de l’autofiction un inventaire politique (Intérieur ed. L’arbalète/Gallimard).

On a zoomé avec Camera (ed, Pol) d’Edith Azam et sa véhémence nerveuse qui se rend à l’évidence du désespoir et n’existe que par la résistance du langage. On a entendu par les yeux et l’émotion le manifeste physique et tragique du jeune danseur chorégraphe croate Matija Ferlin. Ces rencontres surprenantes entre auteurs, metteurs en scène, chorégraphes, et publics se sont croisés dans l’espace de manière inédite, inspirant d’innombrables prises de positions.

Elles sont ce qui émerge. L’exceptionnelle tension et la passion qui en découlent demeurent le champ des appropriations de la langue. Cette approche des écritures semble découler de l’exploration de cet univers polémique dans lequel chacun se sent investi d’une mission, celle du CDN semble en tout cas bien ravivée.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 22/01/2016

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Politique culturelle, rubrique Livre Littérature française, rubrique Danse,  rubrique Montpellier,