Médiathèque Emile Zola. L’exposition consacrée à Frédéric Jacques Temple invite au parcours d’une expérience humaine jusqu’au 15 janvier.
La médiathèque Emile Zola, rend hommage à Frédéric Jacques Temple jusqu’au 15 janvier à travers une exposition permettant de découvrir une partie du fond légué par le poète à sa ville natale. Celui-ci vient enrichir les collections patrimoniales de la médiathèque centrale de Montpellier. Livres dédicacés, correspondances, photographies, tapuscrits, objets, sont autant de traces d’une vie en contact permanent avec l’écriture. « L’écrit n’est qu’une des nombreuses formes du vivre » confie avec simplicité l’auteur montpelliérain.
L’exposition présente plus de 200 pièces et documents sur un total de plus de 5 800 documents que compte la donation.
Né en 1921 à Montpellier, Frédéric Jacques Temple vit aujourd’hui dans un village du Gard. Il entretient très tôt une passion pour la littérature américaine : Melleville, Whiteman, Dos Passos, Faulkner, Hemingway… Il traduit notamment Lawrence Durell, Haniel Long, et Henri Miller avec qui il entretient une solide amitié.
Une vie d’engagements
A Alger où il suit son père nommé préfet en 1942, il rencontre l’éditeur de Camus Edmond Charlot qui publiera son premier recueil de poèmes. En 1943-1944, Frédéric Jacques Temple participe aux combats contre l’Afrikakorps en Tunisie, à la campagne d’Italie, et au débarquement de Provence. Cette expérience le pousse à écrire. Le recueil « poèmes de guerre » (1996) réunit ses textes inspirés de cette expérience.
De retour à Montpellier en 1948, l’écrivain entreprend une carrière dans la Radiodiffusion-télévision française. C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec Joseph Delteil et Blaise Cendrars.
Pour Temple, la vie compte davantage que la fréquentation des salons littéraires. Ses premiers recueils de poèmes ne sont réunis qu’en 1989 par Actes Sud dans une anthologie personnelle plusieurs fois rééditée, qui a obtenu le prix Valery Larbaud. Il a également publié cinq récits chez le même éditeur ainsi que des traductions et des essais. A l’instar de celle de son compagnon Max Rouquette, l’œuvre de Frédéric Jacques Temples se conjugue avec la nature méditerranéenne et une certaine nostalgie d’un paradis perdu.
En complément de l’exposition, une série de manifestations permettent d’approfondir l’œuvre de cet artiste en prise constante avec son époque. L’attraction qu’exerce la folie du monde nourrit le poète montpelliérain. Elle exhume ses forces élémentaires, le pousse à explorer sans jamais rompre avec les amarres de ses origines.
La carte blanche cinématographique offerte à l’auteur dans le cadre du Cinemed comme le colloque, ponctué d’un hommage musical organisé par l’université Paul Valéry, ont permis d’approcher l’univers de Frédéric Jacques Temple. La soirée Parcours d’écrits ouvrira prochainement une autre voie d’accès. Le comédien Julien Guill, le musicien Michel Bismut et le sound designer Armand Bertrand ont choisi avec l’auteur des extraits de son œuvre qui donneront lieu à une performance* forte et sensible.
Jean-Mari Dinh
* Le 14 décembre prochain à 19h à la Médiathèque Emile Zola.
Les éditions Actes Sud sont en deuil: leur fondateur, Hubert Nyssen, est mort samedi 12 novembre 2011, il avait 86 ans. La maison d’édition a publié deux Nobel et rencontré un immense succès commercial avec la saga «Millenium».
Né le 11 avril 1925 à Bruxelles, Hubert Nyssen – qui signifie, «fils de la nouvelle lune», en norvégien, naturalisé français en 1976, était docteur ès lettres et a enseigné dans les universités d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) et Liège (Belgique). Auteur de nombreux ouvrages, romans, essais, recueils de poésie, il avait fondé les Editions Actes Sud en 1978, avec sa femme, Christine Le Bœuf, en s’installant à Arles (Bouches-du-Rhône).
Dans l’ancienne bergerie, transformée en maison d’édition, il déclarait à Libération (en mars 2000), «Je suis un arbre en pot qui a trouvé son endroit, j’ai cassé le pot, je me suis enfoncé dans le sol.» Il fut bientôt rejoint par les autres fondateurs, Françoise Nyssen, Bertrand Py et Jean-Paul Capitani.
En 1998, il se retire progressivement tout en conservant une collection. Pour finir, en 2000, il passe le témoin à sa fille, Françoise Nyssen, qui devient présidente du directoire de la maison d’édition. Devenue célèbre ces dernières années pour la saga «Millenium» qui s’est vendue jusqu’ici à près de 4 millions d’exemplaires en grand format, selon le directeur de la collection Actes Noir, Manuel Tricoteaux.
La maison avait pris son essor grâce à l’entrée au catalogue de Nina Berberova avec «L’Accompagnatrice» en 1985 et Paul Auster. En 2002, un auteur publié par Actes Sud, Imre Kertész, obtient le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre.
En 2004, c’est le prix Goncourt qui couronne «Le Soleil des Scorta» de Laurent Gaudé, vendu à plus de 400 000 exemplaires. La même année, Actes Sud fusionne avec les Editions du Rouergue et prend une participation aux éditions Jacqueline Chambon et aux éditions Bleu de Chine.
Elfriede Jelinek, auteure découverte en France par Jacqueline Chambon, reçoit elle aussi le prix Nobel de littérature. Le Prix Femina est attribué en 2006 à Nancy Huston, publiée chez Actes Sud, pour son roman «Lignes de faille». C’est aussi l’année de la parution de plusieurs gros succès: «L’Immeuble Yacoubian» d’Alaa El Aswany et du premier tome de la trilogie «Millenium» du Suédois Stieg Larsson.
Installées depuis 1983, au lieu dit Le Méjan, à Arles, les éditions Actes Sud étaient gouvernées par deux mots-clés, «plaisir et nécessité».
Le dernier roman de Sorj Chalandon, Retour à Killibegs, vient d’obtenir le grand prix du Roman de l’Académie française. Il était également en lice dans la troisième sélection du prix Goncourt. Cela fait quelques années (1) que l’ancien grand reporter à Libération a transité par la fiction pour donner corps à son écriture.
Pour la seconde et dernière fois, prétend-il, il nous entraîne dans la lutte armée en Irlande du Nord sur les traces de son ami, Denis Donalson, un dirigeant de L’IRA passé agent au service des Britanniques. Une quête personnelle et intime qui a poussé l’auteur à plonger dans les profondeurs de son personnage, et à interroger l’authenticité de son engagement face à une vérité évanouie, faisant surgir une vraie démarche littéraire. Rencontre …
Dans Mon traître, vous abordiez le désarroi du trahi, avec Retour à Killibegs, il s’agit de celui du traître…
C’est sa vérité, son chemin de croix. Je me suis mis dans la peau de celui qui m’avait fait du mal. La nouvelle de sa trahison, nous a tous désespérée. Par rapport à sa famille, Je ne suis qu’une victime collatérale. Cela m’a pourtant bouleversé.
J’ai éprouvé le sentiment d’une femme qui découvre que son mari la trompe depuis des années. Mon traître exprimait un amour trahi. J’avais besoin d’écrire ce livre pour exprimer ma rancœur, mais cela n’a pas suffi. J’avais besoin d’aller plus loin. Avec Retour à Killibegs, je déboulonne la petite statue du Français trahi qui émerge dans Mon traître. J’ai voulu comprendre en cherchant le traître en moi.
Cette promiscuité devenue avec le temps une amitié que vous partagiez avec certains membres de l’IRA n’était-elle pas problématique dans le cadre de votre travail journalistique ?
J’ai été correspondant de guerre pendant plus de vingt ans en Irlande. J’ai aussi couvert le Libéria, l’Irak, le Liban, mais l’Irlande du Nord est le seul endroit où j’ai tissé des liens d’amitiés. Mes reportages en Irlande du Nord et sur le procès Barbie m’ont valu le prix Albert Londres ce qui signifie que mes pères ont estimé mon travail équilibré.
Dans mon métier de journaliste, j’ai toujours fait en sorte d’être à l’écoute des deux camps. Lorsque Libé m’a proposé d’être correspondant en Palestine, je leur ai demandé de m’envoyer d’abord en Galilée pour suivre la vie dans les kibboutz.
Dans le cas de la guerre civile irlandaise, la question ne se posait pas. Sur place, les choses s’imposaient naturellement à vous. Le sujet de Retour à Killibegs, est né du problème que j’ai rencontré avec l’un de mes amis. Sa trahison, ce n’est pas de l’info, cela touche autre chose. Je ne voulais surtout pas mettre un journaliste en scène. Je ne considère pas le journaliste comme un sujet mais un objet.
Le roman est inspiré de la vie du membre de l’IRA provisoire et du Sinn Féin, Denis Donalson, incarné dans le livre par Tyrone Meehan qui lui ressemble beaucoup…
Je me suis lancé sur ses traces pour suivre le processus du mensonge. En me mettant dans la peau de mon ami, je m’échappe un peu de l’histoire. Denis Donalson est mort à 55 ans, pas à 81 ans comme dans le livre.
Il n’est pas né en Irlande du Sud mais à Belfast. Il n’a pas de fils mais une fille… On l’a tué pendant l’écriture du roman. L’épilogue lui rend un peu sa vraie mort. Tyrone Meehan est le seul personnage fictif du livre, tout le reste est rigoureusement fidèle à ce qui s’est passé.
Je voulais que l’on puisse retrouver la douille de chaque balle tirée, que tout concorde et que les historiens se disent : C’est marrant, je ne connais pas ce Tyrone Meehan. En même temps je n’avais pas la volonté de faire un livre historique ou un Que sais-je sur la guerre d’Irlande.
A travers l’histoire tragique de cet homme, c’est le climat destructeur de la guerre qui est restitué…
Le nationaliste irlandais Michael Collins qui mourut dans une embuscade tendue par ses anciens amis disait : « Je n’en veux pas à mes ennemis de défendre leur camp, je leur en veux d’avoir fait de moi un tueur ».
Denis Donalson abattu en 2006, n’a jamais répondu à l’IRA sur les raisons de sa trahison. Il ne m’a rien dit non plus, ni à moi, ni à sa famille. Il a gardé le silence jusque dans sa tombe. Ce silence douloureux m’a poussé à faire ce livre.
« Ton pays avait besoin d’être trahi comme tu avais besoin de le trahir » lui dit son ami d’enfance le père Byrne, dans un passage où la religion se manifeste de manière transcendantale, mais à d’autres endroits, elle intervient comme un paramètre important voire ambigu dans le conflit ?
Dans cet échange, il y a une résonance spirituelle entre les deux amis d’enfance. J’ai vu des prêtres s’adresser aux combattants en ces termes : « Donne-moi ta part de mort, on va la porter ensemble ». Mais finalement chacun restait à sa place. La question de la religion demeure complexe dans le cadre politique irlandais.
Les Loyalistes disaient que les Indépendantistes étaient soutenus par Rome, alors que les membres de L’IRA étaient poussés à l’excommunion. En 1981, les curés ont fermé les églises aux prisonniers catholiques – morts de la grève de la faim parce qu’ils souhaitaient obtenir le statut de prisonniers politiques – sous prétexte qu’ils s’étaient suicidés.
J’ai des moments forts en mémoire comme quand dans l’église, le prêtre dit : « Ne viennent communier que les hommes qui n’ont pas de sang sur les mains », et que tous les hommes sortent. Durant le conflit, ils étaient généralement plus opprimés par la police ou les paras militaires en tant que combattant qu’en tant que catholique.
L’histoire de Tyrone Meehan est celle d’un homme projeté malgré lui dans un conflit violent. Vous en tirez une méditation profonde sur la non résolution d’un problème politique qui se transforme en guerre civile…
La vraie question, tout le problème posé à la Grande-Bretagne, était de trouver une solution pour parvenir à la paix. Ce qu’elle a tardé à faire. Cette guerre fut l’expression d’une volonté politique. Les combattants d’hier sont ministres aujourd’hui.
Sans les armes, l’IRA ne serait pas parvenu à se faire entendre. Ils disent : « Dieu nous a fait cathos, les flingues nous ont rendu égaux ». C’était aussi une piqûre de rappel à nos portes au moment où nous manifestions contre l’apartheid. Je ne voulais pas éluder tout cela parce que mon personnage était fait de ça, de cet isolement, de cette impossibilité.
A travers lui, je voulais sentir le traître en moi. J’ai présenté récemment le livre à des lycéens et j’ai demandé à l’un d’entre eu ce qu’il aurait fait à la place de Tyrone. J’avais très peur de sa réponse. Et il a dit : « Je ne sais pas ». J’ai trouvé ça formidable.
(1) Retour à Killybegs, éditions Grasset. Sorj Chalandon a été journaliste au quotidien Libération de 1974 à 2007. Grand reporter puis rédacteur en chef adjoint. Auteur, il a aussi publié quatre romans chez Grasset dont Une promesse, Prix Médicis 2006, et Mon Traître, en 2008.
L’expo Gallimard, Un siècle d’édition accueillie au Musée Fabre, retrace une affaire de famille. Ce que donne à voir la première salle d’exposition en localisant les lieux d’implantation successifs de la maison d’édition le confirme. Les images évoquent plutôt le cadre chaleureux d’un foyer, où le bureau du directeur jouxte la salle des auteurs, que les centres d’affaires impersonnels où se façonnent aujourd’hui les grands traits de l’hégémonie culturelle.
Lors de l’inauguration de l’exposition à Montpellier, Antoine Gallimard, un homme en phase avec son temps, a fait cette remarque à propos de l’histoire de son entreprise : « J’éprouve tout à la fois un sentiment de proximité et d’éloignement. » Comme si le Pdg de Gallimard s’interrogeait sur le destin de la maison, une des dernières réellement indépendantes à cette échelle. Il s’est ensuite attardé sur l’amitié que tissent à Montpellier Gide et Paul Valery en 1890. Cette relation se poursuivra dans les méditations entretenues par les deux jeunes auteurs sur le rôle de la littérature. « A l’heure du numérique, on dit la littérature menacée, mais elle résistera sous différentes formes parce qu’elle nous permet de vivre », affirme Antoine Gallimard.
Le patron de la librairie Sauramps, Jean-Marie Sevestre, qui entretient une complicité de longue date avec l’éditeur confirme : « Montpellier est une ville de lecture, une ville culturelle, une ville intellectuelle, si nous sommes là aujourd’hui c’est grâce à cet entourage. » Mais si le terreau de matière grise montpelliérain était fertile, il a aussi fallu la volonté politique de l’Agglo, qui prend en charge le budget de l’exposition (200 000 euros) et, à la différence de Paris, permet le libre accès à un siècle d’histoire littéraire.
L'inauguration à Montpellier
L’esprit Maison
La création de Gallimard en 1911 fait suite à la volonté de La Nouvelle Revue Française de prolonger l’aventure intellectuelle de la revue en éditant des auteurs auxquels elle croit. Le 31 mai 1911, André Gide et Jean Schlumberger qui président à la destiné de la NRF signent avec Gaston Gallimard l’acte de naissance des Editions Gallimard.
La première partie de l’exposition est consacrée au processus de l’édition. On découvre l’esprit d’ouverture de la maison, du premier livre de la collection blanche L’otage de Claudel au lancement de la série noire en 1945 par Marcel Duhamel avec les traductions de La môme vert-de-gris de Peter Cheyney ou du célèbre Pas d’orchidée pour Miss Blandish de James Hadely Chase. Dès 1919, Gaston Gallimard se lance dans l’édition pour enfant avec Macao et Cosmage dont l’histoire merveilleusement illustrée délivre un message écologique avant l’heure. Chez Gallimard, on a le goût du livre pour le fond et la forme.
La seconde partie du parcours donne à comprendre la complexité du métier d’éditeur. La stratégie éditoriale à long terme implique une gestion faite d’interventions multiples, des relations délicates avec des auteurs comme Camus, Céline, Giono, Sartre, Breton, Michaux… aux adaptations techniques, politiques et commerciales.
L’exposition fait sortir de la confidentialité des documents exceptionnels. A travers les extraits de correspondances, le visiteur trouvera des éléments clés pour approfondir les œuvres des plus grands auteurs du XXe et saisir le contexte de leur époque. A découvrir crayon ou iPhone en main.
Musée Fabre : Gallimard Un siècle d’édition jusqu’au 3 novembre
La bibliothèque de la Pléiade ici et maintenant
Musée Fabre. Gros plan sur les petites lettres d’une prestigieuse collection dans le cadre de l’expo Gallimard.
La bibliothèque de la Pléiade est une collection de référence qui rassemble les plus grandes œuvres du patrimoine littéraire. Abritée par les éditions Gallimard depuis 1933, le premier exemplaire est édité par Jacques Schiffrin qui publie le premier tome de l’œuvre de Baudelaire en septembre 1931. L’idée d’offrir au public des œuvres complètes d’auteurs classiques en format poche compact intéresse André Gide qui intercède en faveur de son ami Schiffrin auprès de Gaston Gallimard pour que celui-ci reprenne sa bibliothèque.
Dans la dernière salle de l’exposition Gallimard Un siècle d’édition, on peut appréhender l’impact de cette collection prestigieuse sur les auteurs à travers différentes correspondances. Deux ans après la disparition de Camus (1), René Char renonce à écrire la préface des œuvres de son ami (2) à paraître dans La Pléiade : « Je dois ajouter que l’affection fraternelle que j’éprouvais pour Camus fait encore écran à mes possibilités de jugement touchant son œuvre grande ouverte. »
Soucieux de la postérité de son œuvre, Céline manifeste dès avril 1951 le désir d’entrer de son vivant dans La Pléiade. C’est assez rare. Gide, Montherlant, Malraux y sont parvenus. Sa demande tourne à l’obsession. Un contrat est signé en 1959, mais le premier volume de ses œuvres ne paraît qu’en 1962. Quelques mois après sa mort.
A l’inverse, Henri Michaux prie son éditeur de ne pas le faire entrer dans La Pléiade. Le poète assimile cette reconnaissance imprimée sur papier bible à un enfermement, au fait de devenir définitivement un professionnel alors qu’il revendique son statut d’amateur. « Nous ne sommes pas un répertoire des monuments historiques de la littérature française ou internationale. Nous proposons des œuvres susceptibles d’être lues, ici et maintenant même si elles ont été écrites ailleurs, il y a trois, cinq ou vingt siècles », affirme aujourd’hui Hugues Pradier qui conduit cette Rolls-Royce de l’édition.
(1) Camus dispose à partir de 1946 d’une collection chez Gallimard qu’il baptise « Espoir »
(2) Concernant la relation Char Camus voir correspondance 1946-1957, Gallimard 2007.
Théâtre. Extinction le dernier roman dévastateur de Thomas Bernhard.
Serge Merlin
Le dernier roman de Thomas Bernhard, « Extinction », était cette semaine à l’affiche du Théâtre des 13 Vents dans une adaptation épurée de Jean Torrent, et une réalisation de Blandine Masson et Alain Françon. Edité trois ans avant la mort du sulfureux écrivain autrichien le texte prend l’allure d’un testament philosophique où s’ouvre béante la blessure d’une jeunesse baignée dans une idéologie nauséabonde. Ce spectacle fut créé dans le cadre d’une lecture radiophonique produite par France Culture en 2009 au Théâtre de la Colline. Le rideau s’ouvre sur une scénographie minimaliste. Assis derrière une table, le comédien Serge Merlin donne à entendre un monologue de 90 minutes interrompu par quelques cartes postales sonores d’où surgissent de placides paysages autrichiens.
Installé à Rome, Murau reçoit un télégramme de ses deux sœurs, lui annonçant la mort accidentelle de leurs parents et de leur frère aîné. Murau se lamente à l’idée de retourner dans le domaine familial de Wolfsegg dont la magnificence, symbolise dans son souvenir toute la monstruosité familiale. Le récit devient un travail où la libération intérieure du fils malvenu, touché au sein de sa propre cellule familiale*, prend une ampleur collective ; celle du rejet d’une Autriche gangrenée par le national-socialisme et le catholicisme. Ce retour contraint aux origines aboutit à une liquidation désespérée de l’héritage sous la forme d’une rédemption symbolique.
L’interprétation de Serge Merlin joue sur l’exagération chère à l’auteur dans une gestuelle économe qui évoque Artaud. Sur le chemin lucide de son anéantissement, le comédien alterne des sautes d’humeur entre calme et tempête. La systématie du jeu et l’humour plus moliéresque que caustique nuit quelque peu à l’intensité dramatique. Le spectacle aurait sans doute gagné a être joué en petite jauge.