« J’ai pris la liberté de filmer ma culture avec du recul »

Corps traversés: présenté dans le cadre de Quartiers libres. Photo DR

Il n’est jamais trop tard pour réveiller notre conscience culturelle. L’installation vidéo de Mehdi Meddaci y contribue efficacement.

« Le manque d’une culture est le point aveugle du film » souligne Mehdi Meddaci en parlant de son travail autobiographique, 17 minutes d’un journal filmé. Projeté à l’aide de quatre projecteurs sur une structure de 16 m2 l’œuvre propose plusieurs entrées sur des lieux intérieurs.

Sur fond de nuit s’opère un rite de passage composé de paysages intimes, flux d’images subjectives qui retracent une culture : « ma grand-mère et mon amie avaient toutes deux un appartement dans le quartier. J’ai travaillé sur les lieux d’habitation dans le décor de vie des habitants, avec les clichés, tout y est ! ». D’un appartement à l’autre, le même cortège d’objets intérieurs. L’examen d’une galerie de portraits de famille chez la grand-mère vire au poétique.

On sent des tensions silencieuses autour de la fête de l’Aid al kébir au moment du sacrifice du mouton. « On est impressionné enfant, la première fois que l’on voit ça. En même temps, c’est un geste qui a traversé les temps. » Priorité est donnée à l’image. Pas de dialogue, pas de mise en scène, pas de symbole, juste des signes.

Mehdi aborde la vie inconsciente de sa culture sans avoir mis les pieds en Kabylie. Pourtant ce qui émerge de ce continent englouti résonne comme un appel à l’immersion.  Le film a été réalisé entre 2004 et 2005. Pour l’essentiel, les prises ont été tournées à domicile ou dans des voitures.

Il y a peu d’extérieur, à l’exception d’un plan sur des pigeons qui mangent un kébab et d’une sortie sur la plage. «  Ici, beaucoup de jeunes issus de l’immigration se rendent au bord de la mer. Ils longent la Méditerranée, avec une attirance pour l’autre côté… »

Un passage du film s’ouvre sur Beyrouth. « J’ai séjourné là bas avant les événements. Dans le film, ce moment symbolise la fracture entre les communautés qui est très perceptible sur place. Après la guerre civile, la ville a été reconstruite sans souci de mixité sociale. Je voulais aussi un regard professionnel plus distancié. »

Ce passage se raccroche aux intérieurs de La Paillade, où la caméra de l’artiste suit les fils de télévision pour savoir où ils conduisent. « C’est l’idée du transport de l’image qui m’a intéressé. En suivant les câbles, on se rend compte au final que les fils de la cité constituent une forme de réseau fermé. Dans la bande-son, j’ai mixé des bruitages qui évoquent la circulation de l’image. »

L’artiste accepte les règles de l’action culturelle, mais redoute le cliché sociologique. « Je ne veux pas être récupéré. Ce n’est pas un travail sur un quartier réalisé par un jeune issu de l’immigration. De la même façon, quand je discute avec les jeunes, je leur dis qu’il n’y a pas que le rap comme mode d’expression. »

Il a raison et il le démontre avec Corps traversés, un parcours qui s’apparente à celui d’un équilibriste, entre le rêve et le réveil, à la lisière des cultures comme un appel au prochain voyage.

Jean-Marie DINH

(1) Corps traversés est présenté dans le cadre de Quartiers libres

Quand M. Frêche entonne un chant colonial

 

Le conseil régional de Languedoc-Roussillon était en pleine discussion sur son budget, mercredi 30 novembre, lorsque Georges Frêche a pris la parole. Le président socialiste de la région a l’habitude de faire connaître ses avis, iconoclastes ou brutaux, sur à peu près tous les sujets. Cette fois, revenant sur le débat parlementaire de la veille qui avait opposé les socialistes à l’UMP sur  » le rôle positif de la colonisation française  » , M. Frêche a lancé :  » Il est juste de reconnaître le rôle positif de la présence française en Algérie.  » Puis il a développé :  » La colonisation, je veux bien qu’on la condamne. Mais on s’acharne sur rien du tout. Si je suis d’accord pour stigmatiser les gros colons, je salue le très bon boulot des instituteurs en Afrique du Nord.  » Qualifiant de  » gugusses du PS qui font une opération politicienne  » les parlementaires montés au créneau pour faire abroger l’article de loi, M. Frêche a dû faire face au  » grand malaise  » de ses amis socialistes. Et a essuyé une bronca des élus communistes et Verts réclamant une suspension de séance.

Profitant de l’interruption, M. Frêche entonna alors à tue-tête, du haut de son perchoir régional, le chant colonial C’est nous les Africains qui revenons de loin, repris en chœur par quelques élus du Front national. A la fin du couplet, le leader régional du FN, Jean-Claude Martinez, applaudit :  » Bravo Frêche ! Et s’ils te virent, tu sais que tu as toujours une bonne soupe de côté au FN. « 

Au déjeuner, M. Frêche a pris à partie le porte-parole du groupe communiste, Jean-Louis Bousquet :  » Tu as eu raison de réagir comme cela. A ta place, j’aurais fait pareil. Mais moi, tu comprends, je ne suis pas à Nantes [comme le président du groupe PS de l’Assemblée nationale, le député et maire Jean-Marc Ayrault], où il n’y a pas l’ombre d’un rapatrié. Ici, à Montpellier, c’est eux qui font les élections.  » 

François Martin-Ruiz, Le Monde

Voir aussi : Rubrique politique locale Le Musée de la France en Algérie, Pourquoi la gauche doit rompre avec Frêche,

Christian Chesnot : « je ne suis pas un kamikaze, et je n’ai pas une âme suicidaire »

christian-chesnot-et-georges-malbrunot libérés le 21 12 2004

Spécialiste du Moyen- Orient, Christian Chesnot est journaliste pour Radio France Internationale (RFI) et Radio France, ainsi que pour la Tribune de Genève. Il était basé à Amman en Jordanie avant sa libération. Il a travaillé à de nombreuses reprises avec Georges Malbrunot avec qui il a été retenu en détention durant quatre mois en Irak.

Votre venue à Montpellier s’inscrit-elle en soutien, à Florence et Hussein ?

Oui, à ma libération, j’avais été invité par des amis journalistes qui sont membres du Club de la Presse. Nous avions convenu d’une date pour rencontrer les Montpelliérains et les remercier de leur soutien. Et puis entre temps Florence s’est fait enlever donc cette rencontre est bien sûr pour la soutenir.

Comment avez vous vécu votre détention et quelles en ont été les étapes ? Espoir et faux espoir…

Il est vrai que lorsque vous passez 4 mois en détention, vous vivez, des phases d’optimisme et des phases de détresse. Au début vous êtes content parce que vous êtes en vie, parce que le kidnapping s’est fait sans violence et puis vous réalisez que la situation est périlleuse. Lorsque vous êtes otage, vous espérez toujours être libéré. Et quand on vous annonce une libération pour le lendemain et qu’il ne se passe rien votre moral en prend un coup. Il y a des moments de doute et des fois, des vrais drames. Par exemple le 8 novembre quand un responsable nous a expliqué que nos vies étaient menacées. Il y a aussi des périodes où il ne se passe rien. Des périodes de 15 jours 3 semaines où vous n’avez aucune nouvelle, où personne ne vient vous voir hormis les geôliers qui vous apportent à manger. Dans ces moments-là on garde espoir. On se dit que tant qu’on ne nous menace pas, ça va. On n’a jamais été frappés, mais on avait quand même à faire à des hommes en armes et puis on connaît le sort d’autres otages.

A quoi pense-t-on ? Vers où se sont portées vos réflexions pendant la détention ?

Je pensais à mes proches, à ma famille, à mes amis, à ce que je n’ai pas fait dans ma vie. Vous avez une spiritualité qui est un petit peu exacerbée. On replonge aussi dans son enfance… Et puis vous vous dites que si vous vous en sortez vous vivrez encore plus intensément.

Ressort-on renforcé d’une telle expérience ?

Oui je pense qu’on est vraiment des miraculés. On s’en sort bien, on n’a pas été maltraités. Nous disposons pleinement de notre intégrité physique et morale. Mais il faudra un peu de temps pour digérer tout ça, parce que c’est quand même du stress à haute dose. Le fait de pouvoir en parler avec des rencontres comme celle-ci permet d’évacuer progressivement la pression accumulée. Et puis on met la dernière main à un livre qui retrace dans le détail, nos quatre mois de détention. Sa sortie est prévue au mois de mai. Maintenant, l’objectif est de retrouver une vie normale de journaliste à Paris. Je vais reprendre le travail à partir du premier avril.

Y a-t-il des choses qui vont changer dans la pratique de votre métier ?

Fondamentalement non, mais en même temps, mon rapport au risque a changé. C’est-à-dire que quand vous avez survécu à ce genre d’expérience, vous êtes plus prudent. On me demande souvent est-ce que tu vas revenir à Bagdad ? Bagdad certainement pas, je ne suis pas un kamikaze, et je n’ai pas une âme suicidaire.

Faut-il être suicidaire pour travailler aujourd’hui à Bagdad ?

Cela fait débat. Maintenant il faut savoir que les risques sont quand même très élevés. Je suis à la fois bien placé et mal placé pour me prononcer la dessus. Je connais bien l’Irak, pour avoir labouré le pays avec Georges durant deux ans, et en même temps, sortant de cette expérience, je n’ai pas forcément envie de retourner au feu. Instinctivement je préférerais la prudence, mais c’est quand même notre boulot de journaliste de témoigner et de se rendre là où les citoyens ne peuvent pas aller.

Dans quelles conditions ?

Dans la profession il y en a qui disent, qu’il vaut mieux y être. Même si l’on reste à l’hôtel sans en sortir. Je considère personnellement qu’il vaut mieux ne pas y aller dans ces conditions. Si c’est pour rester dans une chambre et voir des Irakiens qui passent de temps en temps, ce n’est pas très satisfaisant. Moi j’aime le travail sur le terrain, aller au contact des gens… Je n’ai pas envie de me déplacer avec une escorte armée et porter un gilet par-balles dès que je sors. Le débat est ouvert. Il n’est pas évident.

Cela relève-t-il malgré tout du choix des journalistes où est ce qu’il revient au gouvernement de prendre les mesures qu’il juge utile pour assurer leur sécurité ?

Le gouvernement ne peut pas interdire aux journalistes de se rendre sur le terrain. Pour revenir sur l’intervention qu’a faite Jacques Chirac en mettant en garde les journalistes qui souhaitent partir en Irak, je pense que chacun doit tenir son rôle. Ce qui implique que les journalistes doivent aussi faire des choix responsables. L’ambassade de France, ce n’est pas la sécurité sociale des journalistes.

Comment assurer le droit à l’information ?

On peut par exemple, être basé à Amman où il est possible de collecter énormément d’information sur l’Irak et puis quand la situation le permet ou pour un besoin précis passer une semaine en Irak. Il faut décrocher parce que plus on reste longtemps en Irak, plus on est vulnérable. D’abord, parce que vous êtes repérable mais aussi parce qu’avec le temps, vous gagnez en confiance et vous baissez votre garde.

Repartirez-vous en reportage au Moyen Orient ?

Bien évidemment oui. Je suis toujours autant passionné par cette région. Il y a encore beaucoup de choses à dire et à expliquer.

Comment analysez-vous la prise de position de la France pour le retrait des forces syriennes au Liban ?

La France est encore très présente au Moyen-Orient. C’est sans doute un des derniers gros dossiers internationaux où elle à son mot à dire et où elle est entendue. C’est vrai que même si la position française soutient l’indépendance des Libanais, on a l’impression que les choses se sont précipitées. Ce qui met la Syrie au pied du mur alors que la France est une alliée de la Syrie et du Liban. La France reste un des derniers pays occidentaux à avoir maintenu le dialogue avec Damas.

Fallait-il pousser la Syrie dans ses derniers retranchements ?

Je sais qu’il y a beaucoup de Libanais qui remercient la France d’avoir encouragé l’opposition à manifester et à réclamer l’indépendance. Mais il y a aussi beaucoup de Libanais et d’Arabes qui pensent que la France se mêle de ce qui ne la regarde pas.

Comment cet interventionnisme, qui fait le jeu de la stratégie américaine au Moyen-Orient, est-il ressenti dans le monde Arabe ?

Grâce à sa position sur l’Irak, la France à gagner beaucoup de crédit au Moyen-Orient. Mais dans cette affaire libano-syrienne, le fait qu’elle emboîte le pas aux Américains est plutôt mal perçu. Il ne faut pas oublier que la France était la puissance mandataire au Liban et en Syrie. Certains interlocuteurs m’ont fait comprendre qu’elle risquait de réveiller de vieux démons. Le monde arabe vit en ce moment une période très critique et l’équilibre reste fragile.

Recueilli par
Jean-Marie DINH

Voir aussi :  Rubrique Médias, F.Aubenas juge les déclarations de Guéan blessantes, rassemblement de soutien aux otages , Montpellier 2010 soutien à Stéphane Taponier,et Hervé Ghesquière ,