« Ne pas toucher à la dignité »

Cinemed. Les Hors-la-loi, de Tewfilk Farès, film ovni du cinéma algérien

Les Hors-la-loi Tewfilk Farès

Les Hors-la-loi Tewfilk Farès

Tournée en 1969, Les Hors-la-loi est le premier film en couleur du cinéma algérien. C’est aussi le film qui a fait le plus d’entrée en Algérie et un très bon score en France, où il est resté à l’affiche une semaine avant d’être victime de la censure. Quarante ans plus tard, le film reparaît au Cinemed grâce à la sagacité du distributeur Splendor film. L’action se déroule en Kabylie autour de 1948. Le film conte l’histoire de trois bandits d’honneur qui jouent bien des tours aux administrateurs. Pour s’être opposés aux injustices subies par la population, ces redresseurs de torts sont demeurés de véritables héros populaires en Algérie. Ceux sont aussi les premiers à avoir rejoint le maquis, avant l’apparition de l’armé de libération nationale. « Quand j’ai tourné ce film en 1968, tous les réalisateurs algériens faisaient des films autour de l’indépendance. Moi je voulais faire à la fois un film historique et populaire. Je récuse l’appellation western qui me semble un peu réductrice, même si j’ai utilisé certains codes. Les Algériens qui étaient très cinéphiles à l’époque aimaient çà. Je me souviens les voir spontanément se lever et crier de joie à l’arrivée de la cavalerie, sans forcément réaliser qu’ils étaient du côté des indiens », explique Tewfik Farès. L’espace naturel, participe au vent de liberté qui se dégage de ce film rythmé par la guitare de Georges Moustaki. Le regard du réalisateur restitue subtilement l’organisation familiale où la femme tient un rôle de pilier. Il s’avère également remarquable dans la direction d’acteur, tous très convaincants Sid Ahmed Agoumi, Cheikh Nourredine, Jacques, Monod, Jean Bouise… Un film plein de respect, élégant, intelligent, drôle, qui n’a pas pris une ride. Peut-être parce que Farès se préoccupe de préserver la dignité. Après une expérience fructueuse à la télévision avec les documentaires de Télécité réalisés par les jeunes des quartiers en difficultés, on attend avec impatience son retour au cinéma : « Il ne faut pas que l’on fasse de ces gosses des hors-la-loi… » dit-il.

JMDH

Voir aussi : rubrique cinéma Féraoun une vision lucide, Cinemed 2009 un cinéma libéré,autour du film de Bouchareb, rubrique livre Laurent Mauvignier Des hommes, Todorov la signature humaine, rubrique politique locale le musée de la France en Algérie,


Quignard au-delà du savoir

pascal_quignardOn ne naît pas impunément dans une famille de grammairiens. Mais que l’on se rassure, voir et entendre Pascal Quignard est une chose toute différente que de le lire. L’occasion nous en était donnée cette semaine à l’auditorium du Musée Fabre où le lettré était l’invité de la librairie Sauramps. Avant d’évoquer son dernier livre, Boutès, avec Nathalie Castagné, l’auteur en a lu le premier chapitre. Pris par l’expédition des Argonautes pour retrouver la toison d’or, le héros, Boutès, rencontre les sirènes. Mais à l’inverse d’Ulysse, qui reste attaché à son mât, Boutès plonge dans la mer. Ce geste, à première vue insensé, ne l’est certainement pas, suggère l’écrivain dont le cheminement vise à y trouver un sens. C’est autour de ce saut, « l’élan de Boutès vers l’animalité intérieure » que tourne son livre.

« Après La nuit sexuelle, je voulais m’accorder un peu de répit, indique Pascal Quignard, mais il y a eu cet épisode au Banquet de Lagrasse (1) qui m’a donné un sursaut pour défendre les lettres. » Retour donc vers ce mythe grec méconnu pour évoquer « la musique qui a le courage de se rendre au bout du monde. » Boutès répond à l’appel ancien de l’eau, un irréel qui n’est pas du passé, affirme l’écrivain.

JMDH

Pascal Quignard, Boutès, Éditions Galilée, 2008

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En 2007 lors du festival qui avait pour thème La nuit sexuelle en hommage à Pascal Quignard, 12 000 livres ont été saccagés par un mélange de gas-oil et d’huile de vidange dans l’abbaye rachetée pour partie par le Conseil général (des moines traditionalistes vivent dans l’autre partie de l’abbaye). A ce jour l’enquête du SRPJ n’a toujours pas abouti.

Cinemed, 30 ans d’ouverture et toujours de l’inédit

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En ouverture du festival le film de Paolo Sorrentino, Il divo

Une sirène assise sur le chiffre 30 sur fond de soleil couchant : « C’est une affiche signée Caza qui ne connaît pas la crise », commente le directeur du Cinemed, Jean-François Bourgeot. A l’aube de cette trentième édition, tout se passe comme si l’identité du festival et son âge respectable lui permettaient d’observer avec une certaine sérénité les bouleversements qui secouent la planète. Cette présentation de l’édition 2008 a permis aux pères fondateurs Pierre Pitiot et Henri Talvat de revenir sur le chemin parcouru depuis cette semaine consacrée au cinéma italien, initiée en 1979. « On n’est jamais prophète en son pays a souligné Pierre Pitiot, mais je me réjouis de la reconnaissance acquise autour de la Méditerranée. Et j’ai la certitude que le festival est devenu le phare de ce cinéma qui nous unit et nous fascine », a confié celui qui entame sa dernière présidence de l’événement.

Une identité essentielle

Voilà de quoi rassurer le public (85 000 spectateurs attendus) sur la question de l’identité de la manifestation qui conserve sa destinée. Le débat soulevé l’an dernier par le président de l’Agglo tendant à élargir la vocation du Cinemed en dépassant la dimension méditerranéenne ne semble plus à l’ordre du jour. Du moins en ces termes, car bien plus que de se poser en gardien de l’identité méditerranéenne, les organisateurs cinéphiles savent que le cinéma est un regard spécifique qui se nourrit d’autres apports. Le Cinemed offre un espace d’expression aux réalisateurs méditerranéens dont les œuvres renvoient à une multitude d’horizons. A cet égard on peut citer le film Baby Doll Night de l’Egyptien Adel Adeeb, qui donne, pour la première fois dans l’histoire du cinéma arabe, une représentation de la Shoa. Dans l’environnement mondial, il ne s’agit plus de rester circonscrit aux seuls territoires concernés mais de les dépasser. Et si le manque de visibilité nationale, dont peut souffrir le Cinemed, correspond à sa spécificité, le festival s’inscrit, comme l’a souligné Michaël Delafosse, dans la nécessaire volonté de « montrer des œuvres de l’esprit face à une industrie très concentrée. »

La richesse de la diversité

Avec 120 films inédits répartis dans la programmation et ses rétrospectives issues des sélections concoctées par ses nombreux invités, l’édition 2008 offre un panorama d’une riche diversité. 14 pays du bassin méditerranéen sont représentés dans la compétition longs métrages, dont le film turc Les trois singes de Nuri Bilge Ceylan, (Prix de la mise en scène à Cannes). Dans la section Panorama, la place importante accordée aux courts métrages participe pleinement à la révélation de nouveaux talents. Parmi les 21 courts en compétition, on trouve des points d’entrée percutants comme le film Insights du réalisateur israélien Dana Keidar, où un sniper observe une jeune palestinienne dans sa lunette. A cela s’ajoute un panorama des meilleurs courts métrages produits entre 2007 et 2008 et les 11 films de la compétition documentaire.

Les grands rendez-vous

La soirée d’ouverture s’annonce comme un clin d’œil à l’histoire du festival avec Il divo, projeté à Cannes cette année. Le film italien de Paolo Sorrentino dresse le portrait sans complaisance D’Andreotti, vieil homme politique rompu à la pratique du pouvoir qui prépare sa réélection. L’hommage qui sera rendu aux frères Taviani à travers la sélection d’une quinzaine de leurs films, comme celui consacré au réalisateur espagnol Jaime Camino pour son œuvre sur la fin de la guerre civile espagnole, renoue avec les thématiques politiques.

Autres temps forts, l’avant première de Mesrine de Jean-François Richet, un concert de musiques de film avec le compositeur algérien Safy Boutella et l’hommage à Youssef Chahine avec la projection de l’Emigré.

Jean-marie Dinh

L’agglomération de Montpellier est le premier partenaire financier de l’événement avec un financement de 455 000 euros.

Affaires étrangères : le quai d’Orsay sort de ses murs

Montpellier est la première escale d’Eric Chevallier, conseiller spécial de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, qui entreprend une tournée dans les grandes villes de l’hexagone. Jeudi dernier, le diplomate a rencontré les médias locaux avant d’aller débattre avec les étudiants de la fac de droit.  » Le ministre souhaite donner aux Français une plus grande visibilité de la politique internationale française (…) car les enjeux concernent directement leur vie quotidienne. « 

L’idée semble d’autant plus heureuse qu’elle coïncide avec l’omniprésence du président de la République sur la scène internationale. On a vu comment, avec plus ou moins de réussite, Nicolas Sarkozy use du levier que lui offre la présidence du Conseil de l’Union européenne. La démarche n’est pas sans rappeler celle de son prédécesseur à l’Elysée qui,  au plus bas dans les sondages, avait trouvé l’occasion de redorer son blason en distillant quelque poncifs humanistes dans les conférences internationales.

Plus touche à tout qu’homme de conviction, Sarkozy souhaite absolument imprimer sa marque dans les affaires du monde. Le 13 juillet dernier, le projet d’Union méditerranéenne inauguré à Paris, a permis à 43 pays de figurer sur la photo. On peut cependant s’interroger sur cette initiative qualifiée de réussite par le représentant du quai d’Orsay, dès lors qu’ elle demeure vide d’idée et de moyen. Sarkozy peut se brûler les doigts, comme il l’a démontré avec la Chine aux JO, mais il peut aussi bénéficier de sa bonne réactivité comme dans la crise géorgienne.

De l’aveu d’Eric Chevallier, le plan mis en place dans l’urgence par la médiation européenne est imparfait mais il a le mérite d’exister.  » Nous avons procédé par étapes. Dans un premier temps, il fallait aboutir au cessez-le-feu. La seconde étape vient de débuter avec le déploiement d’observateurs internationaux. Les Russes ont annoncé qu’ils procéderaient au recul de leurs troupes. Nous allons voir s’ils tiennent leurs engagements. La troisième étape aura lieu à Genève où seront abordées les questions politiques comme celles de la sécurité ou de l’intégration des réfugiés.  » A un autre niveau, le diplomate juge moins importante l’entrée éventuelle de la Géorgie au sein de l’U.E que la présence de l’Europe dans cette région. Un jugement visant à nuancer l’atlantisme avéré et silencieux du président français sur les grands enjeux internationaux.

Les relations avec nos partenaires étasuniens sont qualifiées par Eric Chevallier de  » plus confortables, avec des points de désaccords…  » Désaccord peu probant sur le front afghan, où la France s’engage dans une guerre sans issue qui réduit moins le terrorisme qu’elle n’en aggrave les motivations.  » Nous ne nous sommes pas engagés sur un calendrier de retrait. Ce serait mentir aux gens, car on ne sait pas exactement quand on sera en mesure de se retirer. « 

Pas grand chose non plus sur le conflit israélo-palestinien, dont la résolution est un élément essentiel de lutte globale contre le terrorisme. Sur ce terrain la Françe figure comme remorque de la diplomatie américaine en désignant du doigt les vilains Iraniens. Bien qu’elles n’aient pas été abordées, il semble que, malgré l’agitation, les préoccupations d’ordre intérieure empiètent considérablement sur la détermination de notre politique étrangère.

Le stéréotype dans les discours coloniaux

 L'image du "nègre" chez Hellé

Paul Siblot est linguiste analyste du discours en science du langage à l’université Paul Valéry. Il vient de coordonner un colloque avec l’ethnologue Paul Pandolfi sur le thème du stéréotype dans les discours coloniaux

Ce colloque fait suite à un programme interdisciplinaire, comment a-t-il été mis en place ?

Le point de départ tient à un projet qui avait deux objectifs. La perspective de la création de la Maison des sciences de l’homme, ce qui est chose faite depuis septembre à Montpellier, et le projet qui a démarré en 2003. Il s’agissait de produire une expérience où nous aurions vu comment des gens de différentes disciplines étaient capables de travailler ensemble dans le champ d’un programme réunissant des ethnologues, historiens psychologues linguistes, spécialistes de la littérature…

Quelle est la vocation de la Maison des sciences de l’Homme de Montpellier ?

Cette structure intègre un ensemble de maisons qui sont en réseau et qui ont pour but de fédérer des disciplines qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. La fédération se fait sur des projets innovants. A Montpellier nous avons retenu la thématique, des interactions euro-méditerranéennes, identité territoire et développement.

Pourquoi choisir l’étude des stéréotypes dans les discours coloniaux ?

Les images toutes faites qui se présentent à l’esprit sitôt que l’on évoque une catégorie humaine exercent leurs emprises sur la perception même de la réalité. Cela intéresse à peu près toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. Il est apparu que dans le contexte colonial on avait des discours ou les représentations des autres, vont jusqu’à la caricature. Le trait est particulièrement grossier du fait de la nature conflictuelle des relations et de l’emprise de la domination exercée. Ces discours sont d’une certaine manière exemplaires pour ce type d’étude.

Outre l’interdisciplinarité, vous semblez attaché à la participation des chercheurs du Sud …

Dans un contexte général animé par une guerre des mémoires coloniales, il était important de dépasser ce cadre conflictuel où des communautés s’affrontent à travers des porte-parole plus ou moins légitimes. On a eu un débat sur des bases d’une scientificité partagée avec nos collègues des ex-pays colonisés et il n’y a eu vraiment aucun problème. Nos interlocuteurs qui étaient parfois venus avec l’idée de défendre leur point de vue avec pugnacité, l’on fait mais sur le terrain scientifique. Je trouve que toutes les opérations qui se font dans le champ du lègue colonial, n’ont de validité et de pertinence que si elles sont en mesure de se faire avec les gens représentant les anciennes sociétés colonisées.

Avez-vous un point de vue sur le projet du Musée de l’histoire de la France en Algérie prévu à Montpellier ?

Pour ma part, ce projet qui semble-t-il, n’a pas pris sur lui de s’engager dans un projet avec les scientifiques du Sud n’a aucune espèce de pertinence à mes yeux. Il s’agit là d’un préalable scientifique. Si nous ne sommes pas capables de travailler avec des scientifiques d’ex-pays colonisés ou si l’on construit un projet qui les ignorent dès le départ, c’est que l’on a la volonté de reconduire actuellement dans une étude prétendument scientifique, le type de relations que l’on avait auparavant.

Comment les représentations des XIX et XXe siècles ont-elles conduit à distinguer les hommes civilisés des indigènes ?

Il faut partir de plus haut et ne pas oublier que dans l’antiquité les Grecs et les Romains appelaient barbares tout ceux qui n’appartenaient pas à leur propre espace. La civilisation méditerranéenne est dans son ensemble un fait colonial.

Au XIXe cette division se superpose avec un classement par race…

Ce qui apparaît au XIXe c’est une théorisation sous la forme de l’anthropologie culturelle et physique qui va essentialiser cette différence pour en faire une hiérarchisation sociale sous les espèces. Le racisme connaît à cette époque une rationalisation scientifique et intellectuelle qui sera légitimée politiquement par Jules Ferry.

Aujourd’hui les conflits identitaires, ethniques ou religieux, s’imposent dans le désordre mondial. N’est-ce pas là un retour aux représentations coloniales mises entre parenthèses par la guerre froide ?

C’est un problème complexe. Il est remarquable que le régime soviétique n’ait pas véritablement remis en question le rapport de l’empire colonial tsariste. Je pense aussi qu’au nom de l’universalisme, l’idéologie républicaine française rejette la dimension de l’ethnicité comme elle ignore celle du sacré religieux. Mais ce principe est théorique. Il ne correspond ni à la réalité du vécu, ni à celle du fonctionnement de la république. Comment peut-on admettre cette idée d’un indigène qui est une catégorie juridique privée des droits de citoyens et qui reste en même temps sous la devise liberté, égalité, fraternité ? De ce point de vue la France n’a pas encore porté le regard critique au niveau qui se doit, pour que l’on puisse estimer que nous avons dépassé cet héritage. Nous sommes encore dans une période post-coloniale.

L’Europe forteresse qui se construit ne consomme-t-elle pas le divorce entre l’espace économique et l’espace humain ?

Sur l’ensemble de notre planète, l’Europe est probablement l’un des espace qui a le plus accueilli des personnes de l’extérieur.

La volonté de s’en tenir au strict domaine scientifique ne condamne-t-elle pas le savoir à rester dans sa tour d’ivoire alors que les impacts sociaux sont de plus en plus préoccupants ?

Un travail scientifique bien fait doit s’imposer à tous quelques soient les options politiques que l’on peut avoir par ailleurs. Je crois que ce qu’une réflexion scientifique peut apporter de plus utile et fondamental dans le débat social, c’est précisément ce qu’elle peut faire en tant que construction de connaissances objectivées et démontrables. On n’est jamais plus politique que lorsque l’on fait ce travail avec une rigueur scientifique où les arguments ne sont pas motivés par les affaires de la cité.

Quelle sont les possibles évolutions des relations euro-méditerranéennes sur le plan identitaire ?

Il y a tout lieu d’être inquiet. Le terme même de dialogue euro-méditerranéen apparaît comme une formule incantatoire. Les deux points de contacts géographiques qui existent sont à ce titre symboliques. On trouve à une extrémité les barbelés des enclaves espagnoles avec tout ce qui s’y passe, et à l’autre, le mur qui traverse Jérusalem. Le fossé se creuse. L’échec récent de la rencontre de Barcelone sur le projet méditerranéen le démontre. C’est la raison pour laquelle tout en nous battant sur des objets propres aux sciences sociales comme le stéréotype, nous remplissons une fonction sociale pour éviter que cette fracture n’aille vers des aggravations irrémédiables.

Recueilli par
Jean-Marie DINH