ZAL. Formes littéraires non identifiées

Expérimenter la pluridisciplinarité  photo Fred Trobrillant

Expérimenter la pluridisciplinarité photo Fred Trobrillant

Littérature
La sixième Zone d’Autonomie littéraire ZAL se tient ce samedi salle Pétrarque. Quand les auteurs donnent vie à des expériences scèniques.

Balayée la tragédie de l’auteur(e) qui sort fébrile de sa tanière pour affronter ses lecteurs. Celle des plateaux littéraires traditionnels où il doit jouer à l’écrivain en répondant aux questions de l’animateur qui se prend pour un érudit.

La ZAL envisage et expérimente les nouveaux champs du littéraire à l’aune des années 90. Avec des textes qui montent sur scène, accompagnés de création sonore, vidéo, plastique, théâtrale, dans des formats courts, entre 15 et 20 minutes qui s’amorcent vite et nous saisissent par leur intensité. De quoi donner des cauchemars à Modiano.

« La ZAL concourt à une désacralisation du personnage de l’écrivain. On s’émancipe de l’image du génie solitaire et élitiste en ouvrant le champ littéraire à tous les domaines du spectacle vivant », indique Renaud Vischi,  membre fondateur de la manifestation et partie prenante de la revue montpelliéraine Squeeze.

Le projet philanthropique de cette structure d’édition s’inscrit dans une redéfinition « des critères d’appréciation, des règles d’élaboration, des goûts et du jugement qualitatif sur la création littéraire. »

L’opération, qui vise au dépoussiérage, ne jette pas pour autant le bébé avec l’eau du bain. « Le support privilégié reste le livre et les relations intimes qui s’opèrent  entre l’auteur, le texte et le lecteur. On ne défend pas une école. On se voit comme une porte d’accès pour intervenir sur l’image de la littérature qui n’est pas séparée des influences contemporaines », précise Renaud Vischi. « L’écriture et la mise en scène sont deux compétences très différentes, on ne se situe pas dans l’analyse. La ZAL reste périphérique par rapport au champ littéraire, le défi est de trouver des point d’accès variés, de proposer des moyens pour servir le travail d’un auteur sur scène

L’accent sur la poésie

La programmation 2016 s’est construite autour du texte, une implantation sélective d’éditeurs, et un bar convivial.  Une place de choix est réservée à la poésie. 25% des invités sont de la région. La manifestation rayonne de plus en plus au niveau national.  L’an dernier, le rendez a accueilli 2 000 visiteurs curieux de découvrir les travaux d’auteurs mal représentés ou restés dans l’ombre.

Ce mariage de la littérature aux arts visuels et sonores est une fête, une occasion à saisir pour interagir avec les textes et leurs auteurs.

JMDH


Entrée libre salle Pétrarque ce samedi de 14h30 à 23h.

Source : La Marseillaise 19/11/2016

Voir aussi Actualité Locale : rubrique Livre, Littérature, Poésie rubrique EditionEditions Espaces 34,   rubrique Théâtre, rubrique Montpellier,

Actoral 16

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Festival international des arts et des écritures contemporaines
propose de découvrir chaque automne à Marseille,
à travers le travail d’une cinquantaine d’artistes, la
richesse et la diversité des écritures d’aujourd’hui.
La 16eme édition se déroule actuellement
à Marseille jusqu’au 15 octobre

Notre époque aime les frontières. Elle aime cloisonner, simplifier,
rétrécir. Elle aime ce qui est facile à définir, facile à nommer, facile à
ranger. Elle aime nommer les incompatibilités : si c’est noir ce n’est pas
blanc, si c’est dehors ce n’est pas dedans, si tu es toi tu n’es pas l’autre.
Comme si le réel ne pouvait être défini que par ses bords, par la surface
qui l’oppose à ce qu’il n’est pas.
Mais ce que notre époque préfère entre tout, c’est l’identité. Son petit
plaisir, celui qui la fait vibrer et saliver, c’est la division en groupes,
sous-groupes et sous-sous-groupes, jusqu’à obtenir quelque chose
d’unique et d’absolument seul. L’individu, indivisible car isolé du reste,
défini par une liste sans fin de critères identitaires. Tu es celui qui aime
les chats mais pas les chiens, celui qui est né ici et pas là bas, tu crois
en cela et le reste t’est infâme, tu es moral à ta manière, tes goûts te
portent à tel endroit et tout le reste tu n’aimes pas, ça ne t’intéresse pas
car tu es comme ça, c’est cela que tu es.
Etonnant comme on se laisse enfermer par des limites imaginaires. Car
les frontières sont des concepts théoriques, qui n’engagent que ceux qui
y croient. Et dans le domaine de l’art, justement,
Hubert Colas n’y a
jamais cru.
Pour la 16ème fois cette année, il nous prouve l’inadéquation
des limites que l’on pose parfois entre les pratiques plastiques et
scéniques, musicales et écrites. Alors pour moi, qui ai tendance à
confondre scène et atelier, ma gauche de ma droite, c’est un immense
honneur que d’être invité à parrainer le Festival actoral.
Cette année encore, nous nous acharnerons à piétiner les limites.
Marseille, cette vieille transformiste folle qui a passé les siècles à se
réinventer, invite notre époque à la grande partouze. Elle y goûtera
enfin au plaisir des mélanges, allongée sur le dos, offerte entièrement
à la curiosité. Elle verra le musée s’accoupler au théâtre, la techno à la
philo, la science-fiction à la tragédie grecque. Les teuffeurs se mêleront
aux chercheurs, aux islamistes gays, aux chiens et aux chats, sous l’œil
bienveillant d’un Hubert Colas sévère et exigeant, déguisé en panda.
Les frontières sont ouvertes, passez quand vous voulez.
Théo Mercier
Voir aussi : Rubrique Festival, La révolution par l’écriture, Théâtre,  rubrique Livre Littérature française, rubrique Danse,

Pèse-nerfs

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Toute l’écriture est de la cochonnerie.

Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce

qui se passe dans leur pensée, sont des cochons.

Toute la gent littéraire est cochonne, et spécialement celle de ce temps-ci.

Tous ceux qui ont des points de repère dans l’esprit, je veux dire d’un certain

côté de la tête, sur des emplacements bien localisés de leur cerveau, tous ceux

qui sont maîtres de leur langue, tous ceux pour qui les mots ont un sens, tous

ceux pour qui il existe des altitudes dans l’âme, et des courants dans la

pensée, ceux qui sont esprit de l’époque, et qui ont nommé ces courants de

pensée, je pense à leurs besognes précises, et à ce grincement d’automate que

rend à tous vents leur esprit,

– sont des cochons.

Ceux pour qui certaines mots ont un sens, et certaines manières d’être, ceux qui

font si bien des façons, ceux pour qui les sentiments ont des classes et qui

discutent sur un degré quelconque de leurs hilarantes classifications, ceux qui

croient encore à des « termes », ceux qui remuent des idéologies ayant pris rang

dans l’époque, ceux dont les femmes parlent si bien et ces femmes aussi qui

parlent si bien et qui parlent des courants de l’époque, ceux qui croient encore

à une orientation de l’esprit, ceux qui suivent des voies, qui agitent des noms,

qui font crier les pages des livres,

– ceux-là sont les pires cochons.

Vous êtes bien gratuit, jeune homme !

Non, je pense à des critiques barbus.

Et je vous l’ai dit : pas d’oeuvres, pas de langue, pas de parole, pas d’esprit,

rien.

Rien, sinon un beau Pèse-Nerfs.

Une sorte de station incompréhensible et toute droite au milieu de tout dans

l’esprit.

Et n’espérez pas que je vous nomme ce tout, en combien de parties il se divise,

que je vous dise son poids, que je marche, que je me mette à discuter sur ce

tout, et que, disuctant, je me perde et que je me mette ainsi sans le savoir à

PENSER, – et qu’il s’éclaire, qu’il vive, qu’il se pare d’une multitude de mots,

tous bien frottés de sens, tous divers, et capables de bien mettre au jour

toutes les attitudes, toutes le nuances d’une très sensible et pénétrante

pensée.

Ah ces états qu’on ne nomme jamais, ces situations éminentes d’âme, ah ces

intervalles d’esprit, ah ces minuscules ratées qui sont le pain quotidien de mes

heures, ah ce peuple fourmillant de données, – ce sont toujours les même mots

qui me servent et vraiment je n’ai pas l’air de beaucoup bouger dans ma pensée,

mais j’y bouge plus que vous en réalité, barbes d’ânes, cochons pertinents,

maîtres du faux verbe, trousseurs de portraits, feuilletonistes, rez-de-

chaussée, herbagistes, entomologistes, plaie de ma langue.

Je vous l’ai dit, que je n’ai plus ma langue, ce n’est pas une raison pour que

vous persistiez, pour que vous vous obstiniez dans la langue.

Allons, je serai compris dans dix ans par les gens qui feront aujourd’hui ce que

vous faites. Alors on connaîtra mes geysers, on verra mes glaces, on aura appris

à dénaturer mes poisons, on décèlera mes jeux d’âmes.

Alors tous mes cheveux seront coulés dans la chaux, toutes mes veines mentales,

alors on percevra mon bestiaire, et ma mystique sera devenue un chapeau. Alors

on verra fumer les jointures des pierres, et d’arborescents bouquets d’yeux

mentaux se cristalliseront en glossaires, alors on vera choir des aérolithes de

pierre, alors on verra des cordes, alors on comprendra la géométrie sans

espaces, et on apprendra ce que c’est que la configuration de l’esprit, et on

comprendra comment j’ai perdu l’esprit.

Alors on comprendra pourquoi mon esprit n’est pas là, alors on verra toutes les

langues tarir, tous les esprits se dessécher, toutes les langues se racornir,

les figures humaines s’aplatiront, se dégonfleront, comme aspirées par des

ventouses desséchantes, et cette lubrifiante membrane continuera à flotter dans

l’air, cette membrane à deux épaisseurs, à multiples degrés, à un infini de

lézardes, cette mélancolique et vitreuse membrane, mais si sensible, si

pertinente elle aussi, si capable de se multiplier, de se dédoubler, de se

retourner avec son miroitement de lézardes, de sens, de stupéfiants,

d’irrigations pénétrantes et vireuses,

alors tout ceci sera trouvé bien,

et je n’aurai plus besoin de parler.

 

Antonin Artaud.

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The Encounter de McBurney. Interconnexion : la langue entre en jungle

Plongée dans l'univers cognitif de McBurney

Plongée dans l’univers cognitif de McBurney

«The Encounter», première française de l’auteur britannique Simon McBurney embarque le public du Printemps des Comédiens ici , là bas et ailleurs au fin fond de la forêt amazonnienne pour y vivre une expérience onirique qui frappe à la porte du réel.

« Je pensais que la seule façon de représenter l’endroit où la biodiversité est la plus riche sur la planète était de permettre au gens de l’imaginer. Et le voyage de McIntyre est avant tout intérieur comme une expérience somatique. Peut-être que  ce qu’il vivait intérieurement était plus difficile à surmonter que ses difficultés physiques », confie McBurney à propos de sa dernière création The Encounter (La rencontre) sur laquelle il a travaillé huit ans avec sa compagnie Complice.

Les liens que tisse cet artiste singulier semblent ténus mais ils trempent dans une expérimentation du réel qui les rend résistants à toute épreuve. En 1984, il s’était introduit clandestinement dans un bidonville au Chili pour jouer, puis diffuser en live ce spectacle dans les cinémas du monde entier. Cette fois il s’engage sur les pas de Loren McIntyre, un photographe parti en expédition en 1971 pour localiser la source de l’Amazone au Brésil. Ses voyages sont relatés dans le livre Amazon Beaming de l’écrivain Roumain Petru Popescu qui raconte comment le photographe se perd et se trouve capturé par une tribu indienne isolée non loin de la source du plus grand fleuve du monde.

Seul sur scène Simon McBurney réussit le tour de force de restituer un univers complexe au grand public. Le processus narratif prend pied dans la salle de spectacle avant de se transporter dans plusieurs espaces qui s’interconnectent pour dépeindre la perdition d’un occidental avec une puissance digne de Conrad. L’usage de la technologie produit des effets vertigineux où l’énoncé impossible qui ne peut être vrai dans un seul espace le devient dans plusieurs. McBurney fait renaître ce qui n’est pas là.

« Je me tiens debout devant le chef du Marajaì. Entassés dans sa hutte, la moitié des habitants du village, me regardent.

–  Pourquoi es-tu ici ? 

– Je suis ici parce que je ne suis jamais allé en Amazonie, je n’ai jamais vu la forêt tropicale. Je suis ici à cause du livre que j’ai décidé d’adapter… »

Lui raconte l’histoire dans des micros et vous entendez la parole qui se déplace dans votre casque, où différents niveaux de temps se superposent pour finalement conduire à son abolition. Une langue drôle, libre et insoumise, que nous rapporte McBurney,  la sienne, celle de sa fille, du photographe explorateur, celle des indiens du bout du monde … qui tourne dans notre crâne, s’y pose. Actionne des touches invisibles et nous transporte en plusieurs lieux simultanés.

Ainsi le corps parlant sur scène ne cherche pas à contrôler la parole. Le corps sur le plateau entraîne la naissance de la voix qui passe comme un liquide, comme le fleuve qui nous fait sentir l’anachronisme entre le monde extérieur et la création sensitive. Surgit le charme intrigant du personnage faillible et désenchanté qui ne renonce jamais à affronter la vie et donc apprend à la connaître dans la disparition de la personne dont elle porte le souvenir. Celle du matérialiste ?

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 21/06/2016

Voir aussi ;  Rubrique Théâtre, rubrique FestivalMontpellier,

Festival Actoral. La révolution par l’écriture

Grinshorn & Wespenmaler

Grinshorn & Wespenmaler. Photo Mezli Vega Osorno

Actoral. Le festival des écritures contemporaines se clôture ce soir. Les blessures intimes deviennent des langues à hTh.

L’escale montpelliéraine du Festival Marseillais Actoral dédié aux écritures contemporaines se conclut ce soir à hTh avec le poète sonore Anne-James Chaton et l’artiste de musique électronique Alva Noto dans le cadre de Analogie / digital. Flaubert, Jules Verne, mais aussi Descartes, Napoléon, Freud… sont convoqués à prendre un sacré coup de jeune.

Cette soirée clôture un festival captivant que l’on doit à la passion tenace d’Hubert Colas pour les écritures contemporaines. Depuis le 14 janvier le CDN est une terre d’aventure où se croisent des artistes d’horizons différents qui ont pour point commun d’être en prise avec de nouvelles formes de langage. « Ce ne sont pas des artistes doucereux qui viennent à Actoral », avait prévenu Hubert Colas. Il n’a pas menti.

A l’instar du drame patriotique international Grinshorn & Wespenmaler de l’autrichienne Margret Kreidl mis en espace par Marlène Saldana et Jonathan Drillet qui rend un vibrant et décalé hommage à l’Autriche d’Haider, le leader bronzé de l’extrême droite autrichienne, qui trouva la mort en sortant d’un club gay, ivre au volant de sa Volkswagen Phaeton.Le public qui est venu pour découvrir, perçoit et participe au rapport délicat entre la création et le monde insensé dans lequel il vit. En pleine dérive extrémiste, l’absurde reprend du poil de la bête.

L’inhumanité ordinaire

La société hyper sécurisée et tellement insécurisante inspire les artistes d’aujourd’hui qui baignent dans cette inhumanité ordinaire. Tous les domaines artistiques, sont concernés et notamment la littérature contemporaine. On a goûté au rationalisme irrationnel de Thomas Clec qui met trois ans à parcourir les 50 m2 de son appart parisien pour faire de l’autofiction un inventaire politique (Intérieur ed. L’arbalète/Gallimard).

On a zoomé avec Camera (ed, Pol) d’Edith Azam et sa véhémence nerveuse qui se rend à l’évidence du désespoir et n’existe que par la résistance du langage. On a entendu par les yeux et l’émotion le manifeste physique et tragique du jeune danseur chorégraphe croate Matija Ferlin. Ces rencontres surprenantes entre auteurs, metteurs en scène, chorégraphes, et publics se sont croisés dans l’espace de manière inédite, inspirant d’innombrables prises de positions.

Elles sont ce qui émerge. L’exceptionnelle tension et la passion qui en découlent demeurent le champ des appropriations de la langue. Cette approche des écritures semble découler de l’exploration de cet univers polémique dans lequel chacun se sent investi d’une mission, celle du CDN semble en tout cas bien ravivée.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 22/01/2016

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Politique culturelle, rubrique Livre Littérature française, rubrique Danse,  rubrique Montpellier,