Finalement, les conclusions de la mission d’information parlementaire sur l’attentat de Karachi ne sont qu’une série de points d’interrogation et un constat de relative impuissance. On n’en parle plus! Encore une affaire d’Etat qui a l’air de passer comme une lettre à la Poste. Au-delà du fond de l’affaire, voilà qui incite à s’interroger sur la faiblesse du contrôle législatif en France. Le rôle des parlementaires (sénateurs et députés) est double, dans une démocratie équilibrée: légiférer, bien sûr, et aussi contrôler l’application des lois, contrôler l’exécutif.
Cette deuxième mission, le contrôle, est, en France, le parent pauvre du parlement. Les députés et sénateurs français n’ont pas l’habitude ni l’envie (ou tout simplement le courage politique) d’exercer cette mission. Ils sont guidés par une logique majoritaire qui prime sur la logique parlementaire. Les possibilités que la constitution ou le règlement du parlement offrent aux élus de la nation sont largement sous-employées. La mission d’information sur l’attentat de Karachi en est l’exemple flagrant.
Sur cette question qui met en jeu d’éventuels cas de corruption, avec comme éventuels protagonistes de hauts responsables de l’Etat des années 1990, et notamment un ancien Premier ministre et plusieurs ministres de la Défense… n’importe quel parlement d’un autre pays démocratique aurait tout mis en œuvre pour en savoir le maximum. La mission d’information n’est pas en cause en tant que telle mais le problème, c’est qu’elle n’a été qu’une mission d’information et pasune commission d’enquête. S’il y avait eu une commission d’enquête, les moyens d’investigation auraient été largement supérieurs et plus efficaces.
La majorité avait refusé la constitution d’une commission d’enquête pour une raison qui, de prime abord et du point de vue des grands principes, parait imparable. Il s’agit de respecter la séparation des pouvoirs. Le parlement ne peut pas enquêter parallèlement à la justice. La justice est saisie de cette affaire, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif seraient sur le même terrain s’il y avait une commission d’enquête… C’est l’application d’une ordonnance de 1958.
Une ordonnance qui date du temps où le pouvoir gaulliste se méfiait du contrôle parlementaire… mais les temps ont changé et cette règle était tombée en désuétude. Elle n’est plus mise en œuvre systématiquement. Par exemple, il y a eu des commissions d’enquête parlementaire sur l’affaire Outreau ou sur l’Erika alors qu’il y avait des actions judiciaires en cours. Le refus d’accepter une commission d’enquête sur l’attentat de Karachi est donc très politique.
Les parlementaires UMP ont agi en favorisant le fait qu’ils étaient de la majorité plutôt que de se considérer d’abord comme des parlementaires face à un pouvoir exécutif qui -à l’évidence- se protège à l’excès. C’est, en fait, l’application stricte de cette vieille ordonnance d’avant la démocratie adulte qui met à mal le principe même qu’elle entend défendre: la séparation des pouvoirs est plus atteinte par l’impossibilité faite au parlement de contrôler le gouvernement que de mettre le parlement et la justice sur une même affaire. Surtout que le parlement ne vise qu’à établir des responsabilités politiques et pas judiciaires (députés et juges n’ont pas le même objectif).
L’ironie de l’histoire c’est que le rapport Balladur, il y a deux ans, qui avait fait des propositions pour moderniser la constitution, prévoyait de supprimer cette vieille ordonnance qui empêche d’utiles commissions d’enquête de voir le jour. Cette mesure n’a pas été retenue dans la réforme qu’a voulue le président et qui a été votée à l’été 2008. Et c’est Edouard Balladur qui doit (finalement) être content, lui qui est au centre des suspicions qui font de l’affaire de l’attentat de Karachi une affaire pas résolue… donc une affaire d’Etat.
Mai 2002, à Karachi, la carcasse du bus de la Direction des constructions navales victime d'une voiture piégée. Photo AFP
En 1994 la France conclut avec le Pakistan un contrat de vente pour trois sous-marins de la classe Agosta. Il s’agit de sous-marins d’attaque à propulsion classique conçus dans les années 1970. La vente a été accompagnée de commissions, légales à l’époque, d’un montant total de 83 millions d’euros. Mais le versement des commissions est annulé ce qui pourrait expliquer l’attentat de Karachi en 2002.
Une partie des commissions, soit environ 6,25% du montant contrat, était destinée à des personnalités politiques pakistanaises. D’autres commissions, représentant environ 4% de la transaction ont été concédées à la demande du cabinet du ministre de la Défense de l’époque, François Léotard, dans des conditions troublantes, selon la commission parlementaire française.
Sur demande expresse du président Jacques Chirac, le versement des 4% a été annulé vers la fin de 1995 ou au début de 1996. Jacques Chirac soupçonnait que les commissions aient donné lieu à des rétro-commissions, c’est-à-dire de l’argent qui revient en France. Une partie de ces rétro-commissions aurait été utilisée par l’ancien Premier ministre Edouard Balladur, rival de Chirac à l’élection présidentielle, pour financer sa campagne électorale.
Un sanglant attentat anti-français à Karachi
Le 8 mai 2002, un attentat anti-français secouait la ville de Karachi, capitale économique du Pakistan. A 8 heures du matin, un kamikaze au volant d’un faux taxi bourré d’explosifs percute un bus de la marine pakistanaise. A son bord se trouvent des techniciens français qui travaillent sur le chantier des sous-marins Agosta, vendus par la France. Le bilan est de 14 morts, dont 11 employés français de la DCNS (Direction des constructions navales). Très vite, les soupçons se portent sur le réseau terroriste al-Qaïda. La justice pakistanaise condamne à mort deux islamistes, le 30 juin 2003. Mais le 5 mai 2009 les deux hommes sont acquittés et remis en liberté. La piste islamiste paraît alors s’effondrer.
Enquêtes parallèles, zones d’ombre et démentis
Un ancien de la DST (Direction de la surveillance du territoire) enquête dès 2002 pour le compte de la DCNS. Il conclut que l’attentat de Karachi est lié à l’arrêt du versement des commissions. Mais cette version est démentie par Edouard Balladur et qualifiée de « grotesque » par le président Nicolas Sarkozy qui était en 1995 porte-parole de l’ancien Premier ministre.
A l’été 2009, après des révélations dans la presse, deux parlementaires socialistes demandent et obtiennent une mission d’information au sujet de l’attentat de Karachi. Le 12 mai 2010, la commission de la Défense de l’Assemblée nationale adopte à l’unanimité le rapport, qui entretient les soupçons. Le ministre de la Défense Hervé Morin annonce le même jour la transmission de « nouveaux documents » réclamés par les juges chargés du dossier.
Tudor Tepeneag RFI 12/05/10
France-Pakistan-enquête-terrorisme : le procureur de Paris tente « d’éteindre l’incendie ».
L’avocat des familles des victimes de l’attentat de Karachi, Olivier Morice, a accusé le 26 avril 2010 le procureur de Paris Jean-Claude Marin de tenter « par tous les moyens d’éteindre l’incendie » face aux soupçons de rétro-commissions qui auraient bénéficié à la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995.
« Le procureur de la République de Paris Jean-Claude Marin tente par tous les moyens d’éteindre l’incendie au mépris de la recherche de la vérité », a déclaré l’avocat à l’AFP. « Cette soumission au pouvoir politique est indigne d’une vraie démocratie », a-t-il estimé. En 2007, les policiers de la Division nationale des investigations financières (Dnif) avaient découvert une note mentionnant l’aval pour la création d’une société off-shore – baptisée Heine et par laquelle transitaient des commissions sur le contrat avec le Pakistan- du directeur de cabinet de M. Balladur à Matignon, Nicolas Bazire, et du ministre du Budget d’alors, Nicolas Sarkozy.
Cette note laissait « supposer des relations ambiguës avec les autorités politiques en faisant référence au financement de la campagne électorale de M. Balladur », estimaient les policiers. Le parquet de Paris n’avait à l’époque pas donné suite. Libération révèle dans son édition de lundi que la campagne présidentielle d’Edouard Balladur de 1995 pourrait avoir bénéficié de rétro-commissions sur un contrat de vente de sous-marins au Pakistan, auquel s’intéresse un juge antiterroriste enquêtant sur l’attentat de Karachi en 2002. « Le procureur sait depuis novembre 2007 que le président de la République est directement concerné par ce scandale comme étant au coeur de la corruption », a réaffirmé l’avocat. M. Sarkozy a qualifié cette « fable » de « grotesque ».
Ministre du Budget d’Edouard Balladur entre 1993 et 1995, Nicolas Sarkozy avait été le porte-parole de sa campagne présidentielle. Le parquet a toutefois ouvert fin janvier une enquête préliminaire à la suite d’une plainte des familles des victimes, notamment pour corruption et entrave à la justice. Cette plainte vise notamment le chef de « corruption » contre le club politique créé en 1995 par Edouard Balladur.
AFP
Karachi: « amnésie » d’anciens ministres
Les membres de la mission d’information sur l’attentat de Karachi en 2002 ont été confrontés à « l’amnésie » d’anciens ministres qu’ils ont auditionnés, a affirmé aujourd’hui le président UMP de la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale, Guy Teissier.
Le rapport de la mission d’information sur l’attentat de Karachi, au Pakistan, en 2002, dans lequel 11 Français ont trouvé la mort, a été adopté mercredi à l’unanimité par la commission de la Défense, selon M. Teissier.
« Le travail (des membres de la mission, ndlr) ne leur a pas toujours été facilité compte tenu d’une affaire judiciaire en cours et d’un certain rapport +Nautilus+ qui n’a aucun fondement et qui s’appuie sur des thèses assez farfelues de rétrocommissions », a déclaré à la presse M. Teissier après l’adoption du rapport.
Après avoir privilégié la piste islamiste pendant plusieurs années, les enquêteurs se sont orientés depuis 2009 sur la piste de commissions en marge d’un contrat d’armement franco-pakistanais, sur la foi de témoignages et d’un document interne à la Direction des constructions navales (DCN) intitulé « Nautilus ».
Le rapporteur socialiste de la mission, Bernard Cazeneuve, avait dénoncé le 28 avril l’attitude de « l’exécutif », affirmant n’avoir « jamais » rencontré « autant de difficultés » pour mener à bien son travail.
Pour M. Teissier, l' »entrave n’a pas été systématique ». « Il est vrai que les parlementaires toutes tendances confondues ont fait part de leurs difficultés à obtenir des informations », a-t-il ajouté.
Selon lui, les membres de la mission, composée de cinq députés (deux UMP, un Nouveau Centre, un PS et un PCF) « ont consulté tous les anciens ministres, François Léotard, Charles Millon, Pierre Joxe… et le président de la mission (Yves Fromion, UMP, ndlr) a estimé qu’il y avait un mal qui répandait la terreur chez tous les anciens ministres qui était l’amnésie, puisque aucun de ces ministres n’a voulu aller au-delà de certaines banalités ».
Tant décriés aujourd’hui, les Soviétiques ont pourtant réussi en Afghanistan ce que la coalition occidentale cherche à faire sous le nom d' »afghanisation », c’est-à-dire partir sans débandade en laissant derrière soi un gouvernement et une armée alliés, qui ont tenu plus de trois ans… jusqu’à la disparition de l’ Union soviétique.
« Le dernier soldat soviétique à franchir le «pont de l’Amitié» sur l’Amou-Daria, ce 15 février 1989, s’appelait Boris Gromov. Il était alors un jeune général de 45 ans, à la tête de la 40e armée soviétique. Deux décennies plus tard, Gromov est gouverneur de la région de Moscou. Belle carrière. Le pont, d’une longueur de 800 mètres et construit en poutrelles métalliques, est toujours là. Il sépare désormais l’Ouzbékistan de l’Afghanistan. Les Russes ont quitté ce pays, mais la paix n’y est pas revenue. Pourtant, leur retrait – réussi – pourrait servir d’exemple aux Occidentaux quelque peu empêtrés en Afghanistan. Alors que se tient jeudi à Londres une grande conférence internationale sur l’avenir du pays, l’expérience soviétique devrait paradoxalement inciter à l’optimisme. Oui, la stratégie de transfert de responsabilités aux autorités et à l’armée afghanes – connue sous le nom d’«afghanisation» – peut marcher. La preuve ? Les Soviétiques y sont parvenus dans un contexte beaucoup plus difficile. L’Amérique d’Obama devrait au moins réussir à faire aussi bien. L’expérience soviétique montre en effet qu’il est possible de trouver une porte de sortie en laissant derrière soi un régime suffisamment stable et présentable pour partir sans honte. Que ce régime soit viable à long terme est une autre histoire…
Le problème, c’est qu’on l’avait oublié. Dans l’imaginaire collectif, hérité des dernières années de la guerre froide, l’armée soviétique a été chassée militairement d’Afghanistan par les moudjahidin soutenus par l’Occident. La réalité est un plus nuancée que cela. Lorsque les Soviétiques quittent volontairement le pays au début de l’année 1989, ils laissent derrière eux un régime prosoviétique qui se maintiendra au pouvoir plus de trois ans. Et s’il disparaît, au printemps 1992, c’est parce que son principal soutien, l’Union soviétique, a entre-temps disparu…
Retour sur ce moment de la longue histoire de la guerre civile afghane qui entrera, en avril prochain, dans sa trente-deuxième année. Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir en mars 1985. L’Armée rouge est en Afghanistan depuis plus de cinq ans : elle y est entrée au lendemain de Noël 1979 pour sauver un régime communiste menacé par le soulèvement populaire. Comme le montrent les archives du Politburo du Parti communiste d’Union soviétique, désormais accessibles, cette opération militaire était loin de faire l’unanimité au sein de la direction soviétique. En 1985, l’enlisement militaire et politique est là. Dès l’été 1986, Gorbatchev prend la décision de se retirer d’Afghanistan, mais il veut le faire dans des conditions politiques acceptables. La guerre coûte cher, de l’ordre de 50 milliards de dollars par an, elle mobilise des dizaines de milliers d’hommes, les pertes s’accumulent et la population grogne devant les «cercueils de zinc» qui rentrent au pays. Il y aura, au total, 15 000 morts en neuf ans dont une majorité par maladie, les conditions sanitaires étant épouvantables. Gorbatchev doit trouver une porte de sortie.
Première étape : Moscou débarque le dirigeant afghan Babrak Karmal, installé au pouvoir fin 1979 après que les spetsnaz (forces spéciales) du KGB eurent assassiné son prédécesseur communiste Hafizullah Amin. Karmal, lui, a la vie sauve mais il doit céder le pouvoir au docteur Najibullah, le chef des services secrets, lui-même membre du KGB depuis les années 60. Agé de 39 ans, marié à une femme de la famille royale, ce Pachtoune est surnommé «le taureau». Sa réputation souffre des méthodes expéditives et cruelles des policiers du Khad. Il va néanmoins conduire avec un certain succès une politique d’ouverture et de réconciliation nationale. C’est la méthode Gorbatchev transposée en Afghanistan. Alors que le régime s’était fait détester de la population par ses attaques contre la religion, Mohammed Najibullah tend la main à l’islam : une nouvelle Constitution, adoptée en 1987, est placée sous les auspices du «Dieu clément et miséricordieux». Le commerce est libéralisé et Najibullah joue à fond la carte des fidélités tribales et locales avec une politique clientéliste traditionnelle.
Deuxième temps : la diplomatie. Des négociations s’engagent à Genève entre l’Afghanistan, le Pakistan, l’Union soviétique et les Etats-Unis. Elles aboutissent à un accord signé le 14 avril 1988. La résistance n’est pas partie prenante de ces pourparlers, qu’elle dénonce, mais le retrait soviétique se fait donc dans un cadre de légalité internationale. Gorbatchev ne se fait pas prier : dès le mois de mai, les troupes de Moscou quittent Kandahar et Jalalabad. En août, la moitié des effectifs (130 000 hommes au total) est déjà partie.
Pour les militaires soviétiques, la situation sur le terrain s’était terriblement dégradée les deux dernières années, lorsque les Etats-Unis ont autorisé le transfert de missiles antiaériens portables Stinger et Blowpipe aux moudjahidin. En quelques semaines, les Soviétiques perdent la maîtrise du ciel. On estime que 250 avions et hélicoptères ont été abattus en trois ans… Leur défaite militaire est toutefois relative, car ils gardent le contrôle des grandes villes et des principaux axes de communication. Sans lésiner sur les moyens pour l’obtenir, avec l’usage de l’artillerie lourde contre les villages ou la pose de dizaines de milliers de mines antipersonnel.
Le 15 février 1989, le général Gromov quitte l’Afghanistan, mettant fin à plus de neuf ans de présence militaire sur le terrain. A Moscou, c’est le soulagement ; en Occident, on crie victoire. Sur le terrain, la réalité est plus contrastée. La résistance, divisée entre de nombreux groupes rivaux et parfois hostiles, perd ce qui l’unissait : la présence de l’ennemi soviétique dans le pays. La guerre oppose désormais des Afghans à d’autres Afghans. Le Pakistan reste un acteur important et pousse ses alliés, les islamistes du Hezbi-i-Islami de Gulbudin Hekmatyar – les mêmes qui affrontent aujourd’hui les soldats français dans le district de Kapissa – à passer à l’action pour renverser le régime postcommuniste.
L’assaut est donné contre la ville de Jalalabad. Au bout de quelques semaines de combat, c’est un échec militaire pour les islamistes. Les troupes fidèles au régime de Kaboul ne se sont pas débandées, bien au contraire. En partie à cause d’actes de sauvagerie commis par des djihadistes arabes, comme le raconte l’historien afghan Assem Akram (1). Une soixantaine de militaires avaient été faits prisonniers et ils furent «exécutés, coupés en morceaux, emballés dans des caisses de fruits et envoyés à la garnison de Jalalabad avec ce message : voilà ce qui attend les mécréants !» Les «mécréants», fidèles au régime de Najibullah, continuèrent le combat. D’autant qu’ils avaient les moyens de le faire. L’Union soviétique versait environ 8 millions de dollars d’aide militaire par jour. Surtout, elle avait laissé derrière elle d’importants stocks d’armes et une armée à peu près formée. L’armée afghane utilisa massivement des missiles sol-sol Scud, les même que ceux de Saddam Hussein. Les experts militaires estiment que 1 700 de ces engins furent tirés par les Afghans – ce qui fait d’eux les premiers utilisateurs au monde.
Parallèlement, le docteur Najibullah parvint à débaucher d’anciens résistants, achetant des chefs de guerre et des seigneurs locaux. «Le régime ne s’effondre pas et les moudjahidin s’avèrent incapables de gagner», constate Gilles Dorronsoro (2), l’un des meilleurs spécialistes français de ce pays. «La résistance afghane, ayant gagné sa guerre, ratait sa paix», ajoute l’Américain Michaël Barry (3). Le début de la fin commence en août 1991, lorsqu’une tentative de putsch à Moscou fragilise définitivement Gorbatchev. En décembre, l’Union soviétique disparaît et Eltsine entre au Kremlin. L’Afghanistan est le cadet de ses soucis. Ce n’est pas le cas des Pakistanais, qui détestent le docteur Najibullah et son régime postcommuniste installé à leurs portes.
A Kaboul, la décomposition du pouvoir s’accélère, faute du soutien politique et financier de Moscou. Rachid Dostom, chef de guerre ouzbek dont la milice personnelle formait la 53e division de l’armée afghane, rallie les opposants, dont le commandant Massoud. Le régime aura tenu trois ans et deux mois après le départ de ses protecteurs. Le 16 avril 1992, Najibullah démissionne alors que les milices entrent dans la capitale, où elles vont s’affronter durant des mois à l’arme lourde. Refusant de fuir en Inde, Najibullah se réfugie le 17 avril dans un bâtiment des Nations unies. Il y restera enfermé plus de quatre ans, jusqu’en septembre 1996. A cette date, les talibans entrent victorieux dans Kaboul. Ils n’ont que faire de l’immunité diplomatique des Nations unies et capturent l’ancien président de la République. Il est sauvagement assassiné, castré et son cadavre pendu à un lampadaire. La guerre civile afghane continuait sous une autre forme. Elle se poursuit toujours.
Jean-Dominique Merchet
(1) Histoire de la guerre d’Afghanistan (Balland, 1996). (2) La Révolution afghane (Karthala, 2000). (3) Le Royaume de l’insolence (Flammarion, 2002).
Voir aussi « Mourir pour l’Afghanistan » de Jean-Dominique Merchet aux Editions Jacob-Duvernet, 2008. Le blog de l’auteur
Le juge français qui enquête sur l’attentat de Karachi en 2002 et un lien éventuel avec des commissions sur un contrat d’armement s’intéresse à des faits de corruption imputés avant son élection au président pakistanais Zardari, et sur lesquels la Suisse et le Royaume-Uni avaient enquêté. Le juge antiterroriste Marc Trévidic a adressé le 12 janvier des commissions rogatoires internationales à la Suisse et au Royaume-Uni pour obtenir les éléments de ces enquêtes à la demande des familles de victimes de cet attentat qui fit 14 morts, dont 11 salariés de la Direction des constructions navales (DCN) le 8 mai 2002, a-t-on appris vendredi de sources proches du dossier. Après avoir privilégié la piste Al Qaïda, le magistrat a réorienté son enquête sur l’hypothèse d’un contentieux franco-pakistanais en marge du contrat de vente de trois sous-marins Agosta dont les salariés de la DCN travaillaient à la construction. Ce sont des rapports internes réalisés à la demande de la DCN et baptisés « Nautilus », qui ont amené le magistrat sur la piste d’un arrêt d’une partie des commissions versées sur ce contrat comme possible mobile de l’attentat. Leur versement, soupçonné d’avoir donné lieu à des rétro-commissions vers la France, avait été stoppé en 1996 sur ordre de Jacques Chirac.
Des responsables de la DCN interrogés ces derniers mois par le juge ont accrédité le rapport Nautilus, selon ces sources. Le magistrat cherche donc à vérifier cette hypothèse en reconstituant le circuit des commissions évaluées à environ 80 millions d’euros, c’est à dire 10,25% du montant du contrat Agosta. L’un des rapports Nautilus, daté du 7 novembre 2002, affirme que les commissions versées à des décideurs politiques pakistanais « s’effectuaient selon un ordre établi par Asif Ali Zardari ». Veuf de l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto, M. Zardari, devenu président en septembre 2008 et longtemps surnommé « M. 10% », demeure le symbole de la corruption sous les gouvernements de son épouse dans les années 1990. En 1997, après la chute de Mme Bhutto, la justice pakistanaise avait lancé une vaste enquête sur les avoirs du couple, s’intéressant notamment aux contrats d’armement, dont le contrat Agosta, susceptibles d’avoir généré des commissions au profit de M. Zardari.
C’est dans ce cadre qu’elle avait demandé aux justices suisse et britanniques d’enquêter. Londres avait ainsi été saisie dès le 21 octobre 1997 d’une demande d’entraide dans une affaire de drogue, très vite élargie à des faits de corruption imputés à Asif Ali Zardari. C’est le contenu de ces enquêtes que le juge Trévidic souhaite désormais connaître, a expliqué l’une de ces sources. Asif Ali Zardari avait été incarcéré de fin 1996 à 2004 mais la justice pakistanaise a abandonné toute poursuite à son encontre peu avant son arrivée au pouvoir. D’autres décideurs pakistanais ont en revanche été condamnés pour avoir perçu des commissions sur des contrats d’armement. L’amiral Mansurul Haq, directeur des arsenaux puis chef d’état-major de la marine pakistanaise, avait ainsi été conduit début 2002 à plaider coupable et à rembourser la somme de 7,5 millions de dollars. Selon le rapport Nautilus du 7 novembre 2002, Mansurul Haq était partie prenante du circuit de versement des commissions sur le contrat Agosta. « L’amiral Mansurul Haq prenait en charge les versements pour l’armée et les services de soutien aux guérillas islamistes de l’ISI » (services secrets), soutient son auteur, Claude Thévenet, un ancien de la DST.
La France et l’Union européenne ont le devoir de se doter d’une défense antimissile autonome face à la prolifération d’armes de destruction massive et de missiles balistiques, estiment en substance des députés dans une étude rendue publique mercredi. « Il serait irresponsable pour la France de (…) négliger, par souci immédiat des coûts financiers, cette prolifération balistique », écrivent les auteurs de ce document publié par les Cercles interparlementaires d’étude air-espace et naval de défense.
Christophe Guilloteau (UMP), Francis Hillmeyer (NC) et Gilbert Le Bris (PS) pointent une situation géopolitique brouillée par « de nombreuses organisations telles qu’al-Qaïda, des Etats instables aux pouvoirs illégitimes, une course aux armements et aux capacités NBC (nucléaires, biologiques et chimiques, ndlr), une recherche de moyens balistiques ».
« Inde, Chine, Pakistan, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Israël, Russie détiennent l’arme nucléaire ; peut-être la Corée du Nord, mais plus encore demain, dans des horizons de temps différents : l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, la Turquie, l’Algérie, le Brésil, voire le Japon », font-ils valoir.
Si « la dissuasion nucléaire demeure le meilleur outil pour prévenir l’utilisation de certaines menaces provenant d’Etats clairement identifiés », estiment les députés, la « défense antimissile prend tout son sens » dans ce contexte. Pour eux, il s’agit d’un « complément de la dissuasion » et non d’un nouveau « risque de course aux armements ». Il en va, ajoutent-ils, de « l’autonomie stratégique » de la France et de l’UE face aux Etats-Unis engagés dans une politique de « couverture globale ».
La France, relèvent-ils également, s’apprête à se doter d’une « capacité initiale de défense antimissile balistique de théâtre » et pourrait s’appuyer sur le missilier européen MBDA « concepteur et développeur des capacités françaises et européennes actuelles ». Si toutefois Paris et l’UE décidaient d’une politique « a minima », ajoutent-ils, il faudrait « veiller à maintenir (une) maîtrise technologique afin (…) d’éviter une vassalisation complète de notre pays et des Européens ».
Pour Gilbert Le Bris, interrogé par l’AFP, « il faudra bien que les Européens et les Français qui ont le leadership dans ce domaine aient quelque chose à dire » lors du prochain sommet de l’Otan, prévu fin 2010 ou début 2011 à Lisbonne, sauf à laisser « les Américains décider pour eux et leur demander de participer financièrement à leur programme ». « Il ne faut pas croire que ça coûte des milliards », assure-t-il aussi, parlant d’une « adaptation progressive de notre outil de défense d’un coût annuel de l’ordre de 200 à 250 millions d’euros sur dix ans qui pourrait être partagé avec des partenaires européens ».