Le cabinet de guerre de Donald Trump

 John Bolton (g.) ; Mike Pompeo (d.) Gage Skidmore 2018 (J. Bolton) ; CIA 2017 (Mike Pompeo).


John Bolton (g.) ; Mike Pompeo (d.)
Gage Skidmore 2018 (J. Bolton) ; CIA 2017 (Mike Pompeo).

En nommant Mike Pompeo à la tête du département d’État et John Bolton à celle du Conseil de sécurité nationale, Donald Trump a profondément remanié l’équipe en charge de la politique étrangère des États-Unis. Et donné un poids accru aux « faucons ».

Donald Trump entend-il lancer une guerre contre la Corée du Nord ou plus probablement l’Iran ? Si l’on ne peut répondre à cette question de façon catégorique, une chose est sûre : il prépare le terrain à cette éventualité. En nommant Mike Pompeo à la tête du département d’État, puis John Bolton à celle du Conseil de sécurité nationale, il a désigné deux des figures les plus belliqueuses du Parti républicain. Bolton, en particulier, incarne depuis trois décennies la propension à vouloir tout régler par la force militaire — hier contre Cuba ou en Irak, aujourd’hui contre l’Iran ou la Corée du Nord — au point de jouir, jusque dans des cercles républicains, du surnom de « Strangelove », le fameux Docteur Folamour du film de Stanley Kubrick, qui symbolise la folie nucléaire. Avec ces nominations (et celle de Gina Haspel à la tête de la CIA, une femme qui a personnellement dirigé un site américain de tortures après le 11-Septembre et a autorisé la destruction de cassettes montrant ces pratiques), Trump a mis en place l’équipe dirigeante la plus va-t-en-guerre de l’ère moderne américaine, une équipe idéologiquement très marquée à l’extrême droite, du moins pour les deux premiers nommés.

Depuis quarante ans, Bolton personnifie une vision unilatérale et exceptionnellement belliciste de la politique extérieure américaine, qui fait de la « guerre préventive », prohibée par le droit international, son fondement stratégique. Il appartient à l’école ultra-nationaliste agressive, dans la tradition de Douglas MacArthur, l’homme qui prônait en 1948 de lancer la bombe A sur la Chine pour contrer l’avancée communiste, puis en 1951 contre la Corée du Nord. Il incarne jusqu’à la caricature ce que le politologue Richard Hofstadter désigna dans un ouvrage célèbre de 19651 comme « le style paranoïaque » d’une droite radicale américaine où les théories du complot prolifèrent, accompagnées d’une insondable détestation pour tout ce qui viendrait enrayer la mission légitime des États-Unis de dominer le monde. Ainsi Bolton déclara-t-il à l’ONU : « Il faudrait recomposer le Conseil de sécurité et qu’il n’y ait plus qu’un seul membre permanent : les États-Unis »

La droite radicale qu’étudie Hofstadter n’hésite devant aucun mensonge ou fabrication pour justifier ses ambitions. Bolton non plus. Lorsqu’en 2002, George W. Bush invoqua son « axe du mal » entre la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak de Saddam Hussein, Bolton décréta immédiatement qu’il existait « des connexions puissantes entre les trois régimes » pour la fabrication d’armes de destruction massive. Ses outrances devinrent légendaires quand Bush le nomma ambassadeur à l’ONU, où il fit un passage éclair en 2005-2006. Vite marginalisé, y compris dans des milieux conservateurs, cela n’empêcha pas le Wall Street Journal puis Fox News, la chaîne de toutes les droites, de l’accueillir dès lors et jusqu’à ce jour avec bienveillance. L’homme eut tout loisir d’y déverser ses diatribes contre les innombrables menaces qu’affrontent les États-Unis — l’islam, l’Europe, la Chine, plus les ennemis intérieurs, eux aussi innombrables — et l’unique moyen qu’il connait pour les endiguer : frapper, encore et encore.

« Bombardons l’Iran »

Même si l’on se restreint au seul Proche-Orient, les citations affolantes de Bolton ne se comptent plus. Peu avant que l’accord international avec l’Iran sur le nucléaire militaire soit finalisé, il signe dans le New York Times un article titré : « Pour arrêter la bombe iranienne, bombardons l’Iran » (« To Stop Iran’s Bomb, Bomb Iran », 26 mars 2015). Cet appel advenait après des centaines d’autres. De 2002 à ce jour, Bolton n’a cessé d’annoncer que la menace nucléaire iranienne était « imminente ». En 2009, il déclare à l’université de Chicago : « Sauf si Israël est disposé à user de l’arme nucléaire contre le programme iranien, l’Iran aura une arme nucléaire dans un très proche avenir ». Comme l’écrit Uri Friedman dans The Atlantic (« McMaster is Out, and even Bigger North Korea Hawk is In », 22 mars 2018), c’est le seul cas connu où un politicien américain a justifié qu’un autre pays que les États-Unis, « puisse non seulement utiliser la bombe A, mais y est même encouragé. »

Car Bolton est également un grand ami d’Israël, ou plus précisément de sa fraction ultra. « La solution à deux États est un non-sens. Un État palestinien deviendrait inévitablement un État terroriste à la frontière d’Israël », a-t-il toujours expliqué, reprenant une vieille antienne israélienne. Sa nomination au Conseil national de sécurité américain a d’ailleurs été accueillie avec enthousiasme par le gouvernement israélien. « Le président Trump continue de nommer de vrais amis d’Israël à de hautes positions, et Bolton ressort parmi eux », a déclaré Ayelet Chaked, ministre de la justice et membre de l’extrême droite coloniale religieuse. À l’opposé, Hanane Hachrawi, une figure intellectuelle du nationalisme palestinien, a jugé qu’avec Bolton, l’administration Trump « s’adjoint les sionistes extrémistes, les fondamentalistes chrétiens et les racistes blancs ». Quant à l’islam, il suffit de rappeler que Bolton, adepte du « choc des civilisations », fit l’éloge en 2010 d’un ouvrage, The Post-American Presidency, signé par deux islamophobes des plus radicaux, Robert Spencer et Pam Geller, cofondateurs du mouvement Stop Islamization of America. Ils y assurent que Barack Obama est un musulman masqué, suggérant que le gouvernement américain est « infiltré » par un « complot islamique secret ». Qui s’étonnera que le sénateur républicain Rand Paul, après la nomination de Bolton, ait vu en lui un homme « dérangé » ?

 

« Nous savons que Jésus-Christ est notre sauveur »

Mike Pompeo, lui, est un radical d’un type différent, mais aux opinions similaires. Chrétien fondamentaliste, politicien de carrière — il a siégé huit ans à la Chambre — il a été proche de Steve Bannon, l’idéologue de l’« alter »-droite, et un leader important du Tea Party, mouvement qui a diffusé les attaques les plus désolantes et racistes contre l’ex-président Obama. Dès la victoire de Trump acquise, en novembre 2016, Pompeo s’exclame concernant l’accord sur le nucléaire signé avec l’Iran par les grandes puissances et validé par deux résolutions de l’ONU : « J’ai hâte d’abroger cet accord désastreux conclu avec le plus grand sponsor du terrorisme au monde ». Proche de Benyamin Nétanyahou, Pompeo déclarait en 2014, à Wichita, au Kansas, que le terrorisme islamiste « nous oblige à prier, nous battre et clamer que nous savons que Jésus-Christ est notre sauveur, qu’il est vraiment la seule solution pour notre monde ». Sa vision apocalyptique d’un combat engagé entre le « bien » (l’Amérique telle que Pompeo la conçoit) et le « mal » (tous les autres et l’islam d’abord) a été sa référence constante — jusqu’à ce qu’il minore cet aspect une fois nommé à la tête de la CIA. Sa définition de la politique ? « Un combat jamais fini… jusqu’à parvenir au ravissement ». Ce thème du « ravissement », qui doit marquer le retour de Jésus sur terre, est très ancré dans l’évangélisme américain. Enfin, Pompeo s’est vu décerner un prix d’honneur par ACT for America !, autre association réunissant de grandes figures de l’islamophobie radicale aux États-Unis.

Pourquoi avoir nommé deux figures si « identitaires », l’une de la droite nationaliste extrême et l’autre de l’évangélisme militant ? Ces derniers mois, Trump a multiplié les gestes, y compris sur le terrain international, qui montrent qu’il se préoccupe d’abord… de politique intérieure. Des propos menaçant l’Iran (et la Corée du Nord) proférés aux Nations unies jusqu’aux mesures de taxation accrue de l’acier étranger en passant par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, la liste est longue des décisions prises récemment par Trump destinées, en premier lieu, à conforter sa base électorale — laquelle, grossièrement, unit précisément des nationalistes protectionnistes aux évangélistes radicaux. Avec, dans les deux camps, une obsession à défendre l’homme blanc américain menacé dans son identité, parce que progressivement dépossédé de son statut dominant. À l’approche d’échéances électorales, flatter cette base et ses espérances est, pour Trump, un impératif.

Comme le président Nixon au Vietnam

Qu’attendre, désormais, de nominations si inquiétantes ? On sent poindre, parmi les commentateurs américains, deux écoles. Soit Trump continue de « faire du Trump », soit on est réellement entré dans une phase nouvelle de son mandat. Qu’est-ce que « faire du Trump » ? L’Institution Brookings a révélé, en octobre 2017, une discussion privée à la Maison Blanche entre Donald Trump et ses conseillers. Elle tourne autour d’un ultimatum à la Corée du Nord. Trump s’emporte. « Non, non, vous ne leur donnez pas trente jours [pour accepter]. Vous leur dites que s’ils n’acceptent pas les concessions exigées dès maintenant, ce fou peut balancer l’affaire à chaque instant » ! Bref, Trump, simule la « dinguerie » pour mieux obtenir ce qu’il exige par l’effroi qu’il suscite, reprenant à son compte la fameuse « madman theory », la « théorie du dingo » que le président Nixon aurait imaginée en 1969 pour faire croire aux Nord-Vietnamiens qu’il pourrait lâcher sur eux la bombe A pour gagner la guerre. Dans cette vision, à la veille de négocier avec Pyongyang, de proposer un « plan de paix » au Proche-Orient qu’il entend imposer aux Palestiniens et de remettre en cause l’accord nucléaire avec Téhéran, Trump aurait nommé Pompeo et Bolton dans le seul but d’effrayer ses interlocuteurs récalcitrants, afin de négocier en position favorable.

La seconde tendance estime que même si cette analyse correspond à l’unique méthode que connait Trump en toute situation — s’imposer par la peur — cela ne répond pas aux interrogations. Car si cette option ne porte pas ses fruits — ce qui, dans les trois cas, est hautement probable —, alors la seule issue pour son instigateur consiste à battre en retraite piteusement ou à passer à l’acte. C’est ici que les « scénarios Folamour » deviennent plausibles et que, comme l’a déclaré Bob Corker, le président (républicain) de la commission des affaires étrangères du Sénat, Trump risque de « nous mener sur la voie d’une troisième guerre mondiale ».

Car, pour s’en tenir au Proche-Orient, on voit mal comment les Iraniens, en position de force au regard du droit international, accepteraient de faire la moindre concession pour réviser un accord validé par deux résolutions des Nations unies. Téhéran a déjà réagi avec mépris aux appels de Trump à renforcer les sanctions. Or, avec les nominations de Pompeo et Bolton, les observateurs sont unanimes : le 12 mai prochain, à l’échéance qu’il a lui-même fixée, Trump retirera de manière formelle la signature des États-Unis de l’accord approuvé par son prédécesseur. Dès lors, les options guerrières vis-à-vis de l’Iran seront à nouveau sur la table. Par ailleurs, alors que l’administration Trump entend toujours imposer un « accord » israélo-palestinien qui verrait Israël préserver l’essentiel de ses colonies et la vallée du Jourdain dans une Palestine réduite à plusieurs bantoustans discontinus avec une capitale sise dans un faubourg de Jérusalem, on ne voit pas, quelle que soit la manne financière qui accompagnerait cet illusoire « accord de paix », quel dirigeant palestinien — et même, à vrai dire, quel dirigeant arabe — viendrait l’adouber publiquement.

Dès lors, la politique du « retenez-moi où je fais un malheur » a toutes les chances de se briser sur les réalités internationales. Mais c’est à ce moment que s’ouvriront les options les plus terrifiantes. Car si Kim Jong-un refuse d’abandonner son maigre arsenal atomique qui constitue l’unique arme de dissuasion dont dispose son régime paranoïaque pour garantir sa survie, Trump se retrouvera face à l’obligation d’élever le niveau des pressions. Jusqu’où ? De même, une fois le traité avec l’Iran annulé et de nouvelles pressions américaines votées contre Téhéran, combien de temps l’Iran acceptera-t-il de préserver son respect d’un accord saboté par son principal interlocuteur ? C’est là que, quel que soit l’état d’esprit réel de Trump — joue-t-il au fou ou l’est-il vraiment ? — la question est de peu d’importance. On entrerait dans une zone de turbulences où les nominations de Pompeo et Bolton pourraient s’avérer décisives.

L’Irak et la Syrie nouveaux champs d’affrontement ?

Pour la plupart des analystes, une attaque contre les sites de production atomique de la Corée du Nord semble quasi impensable. Chinois, Japonais et Sud-Coréens ont depuis longtemps mis en garde Washington contre les risques qu’une telle opération leur ferait courir. Une offensive contre des sites en Iran serait l’option que l’équipe Trump-Pompeo-Bolton devrait privilégier. Elle serait soutenue, activement ou tacitement, par Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avec d’autant plus de facilité que l’Iran, lui, ne dispose pas de l’arme nucléaire. C’est là qu’un Bolton et un Pompeo, bellicistes déterminés, pourraient « envoyer la politique de sécurité nationale américaine vers des eaux inconnues », écrit Richard Silverstein dans Middle East Eye (14 mars 2018). Avant même leur nomination, Robert Malley, président de l’International Crisis Group et ex-conseiller d’Obama sur le Proche-Orient, s’inquiétait vivement de l’éventualité d’un accrochage militaire entre Iraniens et Américains dans la région, par exemple en territoire irakien, qui provoquerait une « escalade » potentiellement incontrôlable. Avec Pompeo et Bolton aux manettes, le pire serait à craindre.

Certes, au vu du fonctionnement de Trump, qui peut prédire ce que sera leur influence réelle ? Mais pour beaucoup d’analystes, l’attitude des Européens, et notamment des Allemands et des Français, face à la fuite en avant belliciste de l’administration Trump, sera déterminante. S’ils optent de manière déterminée pour préserver l’accord signé avec Téhéran, il leur faudra mener une diplomatie visant à isoler le plus possible Washington, dans l’espoir d’amener l’administration Trump à prendre conscience des conséquences néfastes pour elle-même de son attitude. Il n’est cependant pas sûr que des personnalités telles que Trump, Pompeo ou Bolton y soient sensibles. Au contraire, on peut s’attendre à ce que les Européens — qui, de plus, ont rarement manifesté un courage débordant et surtout une unité sans faille face aux Américains sur la scène proche-orientale — craignent qu’un tel isolement américain pousse Trump et ses proches à tenter de sortir par le haut en s’engageant dans un conflit armé contre l’Iran. Si cette éventualité advenait, les conséquences, à l’échelle régionale et peut-être planétaire, pourraient être incommensurables.

Restent plusieurs inconnues. Bolton aura-t-il l’influence qu’on lui octroie ? Le général James Mattis au Pentagone et les généraux de l’état-major hostiles à une aventure guerrière contre l’Iran pourraient-ils contenir les velléités de la Maison Blanche d’attaquer si l’ordre était donné ? Indubitablement, le bellicisme de Trump reste loin d’être majoritaire aux États-Unis. Mais on sait combien les opinions publiques peuvent basculer une fois un conflit engagé. À Paris, l’ancien directeur du département Afrique du Nord Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères, Yves Aubin de la Messuzière, juge qu’il faut placer les États-Unis dans une situation d’isolement maximal. « La France, dit-il, s’honorerait en prenant l’initiative ambitieuse d’un appel commun entre Européens, Chinois et Russes sur le thème “respect de l’accord, rien que l’accord, tout l’accord” avec Téhéran, pour empêcher toute évolution guerrière aux conséquences imprévisibles ». Un tel appel bénéficierait de soutiens au sein même de la classe politique américaine. Car si les États-Unis attaquaient directement le territoire iranien, les Iraniens « pourraient réagir en bloquant le détroit d’Ormuz et en attaquant des cibles américaines en Irak et en Syrie. Les suites seraient inconnues ». Aubin veut croire que les dirigeants américains en sont conscients. La probabilité la plus grande, conclut-il, est que si Trump attaque les Iraniens, il lance une opération militaire contre eux en Syrie. « Ça n’aura pas le même poids, mais même là, les risques de dérapage incontrôlé et de conséquences à l’échelle régionale seront importants ».

1The Paranoid Style in American Politics ; traduit en français en 2012 sous le titre Le style paranoïaque dans la politique américaine, François Bourin éditeur.

Source :  Orient XXI 02/04/2018

Apple, la Chine, la confidentialité des données de ses utilisateurs… et nous

Atlantico. Sans surprise, Apple a cédé aux exigences chinoises. En effet, depuis le 28 février, Pékin n’a plus à demander l’autorisation aux autorités américaines pour avoir accès aux données personnelles des comptes utilisateurs chinois, puisque leur stockage se fera désormais à l’intérieur des frontières du pays. Quelles peuvent être les conséquences directes pour les données des utilisateurs chinois, in fine, si l’on se base sur le cas de Yahoo en 2005 ?

Franck DeCloquement : Comme vous le rappelez en introduction, il y a une dizaine d’années en effet, Yahoo laissait le régime chinois accéder aux données de ses utilisateurs. De triste mémoire, l’entreprise américaine avait ainsi rendu possible l’arrestation puis l’emprisonnement consécutif de deux opposants politiques chinois. Ainsi, l’affaire avait aussi contribué à éveiller les consciences et permis de jeter un regard très cru sur les conséquences funestes que pouvait entrainer la délégation d’un système technologiques à un régime autoritaire, aux méthodes policières particulièrement expéditives.

Sous la pression d’une possible interdiction des ventes ou l’abandon de ses services de Cloud dans le pays, Apple se retrouve elle aussi aujourd’hui confrontée à ce dilemme. Bien qu’aux États-Unis, la firme à la pomme ait fait mine de s’en désoler par communiqués de presse interposés, la messe est dite. Et pour la première fois, l’entreprise californienne très exposée aux décisions du régime chinois tourne le dos à ses valeurs fondamentales. Elle stockera donc désormais en République populaire de Chine, les clés numériques de chiffrement qui permettent de débloquer les comptes utilisateurs chinois de son service iCloud. La presse internationale c’est en effet faite l’écho de cette euphémique « transition significative » anticipée par les spécialistes du secteur. C’est bien entendu dans une optique business qu’Apple se soumet expressément à la nouvelle législation chinoise promulguée en 2017, et qui impose que toutes les données collectées auprès des utilisateurs locaux restent hébergées sur le sol national. Le régime dispos donc, dès à présent, d’un accès privilégié – « premium » diront certains – à toutes les informations personnelles de ses ressortissants, sans s’astreindre aux contraintes du droit américain. Une annonce sans surprise au demeurant pour les observateurs avisés, puisque Apple avait déjà cédé par le passé aux directives pressantes de Pékin qui avait exigé des nombreuses entreprises étrangères basées en Chine, de n’utiliser que des logiciels dûment validés par les autorités du pays pour accéder à la toile mondiale. Mais pour Apple, la Chine représente le troisième marché le plus lucratif après les États-Unis et l’Europe. Au dernier trimestre 2017, la firme à la pomme enregistrait d’ailleurs 19 % de ses revenus en Chine. Faisant d’elle, l’un des rares géants américains implantés dans le pays, puisque Google, Facebook ou encore Amazon sont absents du marché Chinois.

Il s’agit évidemment d’un jour funeste pour les défenseurs des droits humain fondamentaux, très soucieux de garantir la confidentialité des données personnelles, et leur protection subséquente des visées régaliennes en verve chez les régimes autoritaires. En tête de cortège, l’organisation Amnesty internationale qui rappelait cruellement sur son blog mardi 27 février, l’une des promesses emblématiques affichées en toutes lettres sur le site officiel de la marque à la pomme : « chez Apple, nous croyons que la vie privée est un droit humain fondamental. » Reste à savoir si Apple peut mettre ses mots en action, poursuit en substance laconiquement l’ONG dans le rédactionnel de sa page web pour clôturer sa réprimande.

Un renoncement qui passe d’autant plus mal chez les militants, puisque que la firme américaine s’était forgé la réputation d’être une puissante défenseure de la confidentialité et de la sécurité des données. Ce faisant, le PDG d’Apple, Tim Cook, avait d’ailleurs rédigé lui-même une lettre retransmise personnellement à tous les utilisateurs de sa marque, afin de leur expliquer l’importance que pouvait revêtir pour lui la confidentialité des données pour son entreprise, suite à une décision d’un tribunal américain qui permettait désormais au Bureau Fédéral d’Investigation (FBI) de contourner la sécurité du Smartphone le plus populaire du monde, pour des raisons de sécurité nationale.

En conséquence, et à partir de la date du 28 février, l’ensemble des données personnelles qui auront été sauvegardées sur le service iCloud de la firme de Cupertino  –  incluant les photos, les messages privés, les documents, les contacts, et les correspondances des utilisateurs Chinois  –  seront hébergées sur les serveurs de la société chinoise, Guizhou-Cloud Big Data Industry Development Co., Ltd (« GCBD »), et non plus aux États-Unis comme cela était le cas précédemment. Ce partenariat local qu’a privilégié Apple, est au demeurant une société très clairement financée et soutenue par les autorités de Pékin. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Cependant, l’accord en cause ne concerne pas les données stockées en local sur un iPhone ou un iPad, mais uniquement celles sauvegardées sur iCloud par un utilisateur chinois de la marque à la pomme. Toutefois, la firme américaine n’est pas au bout de ses peines en matière d’arbitrages futurs, et risque fort de se confronter à un véritable « casse-tête Chinois » quand il s’agira d’évaluer si les demandes d’information du gouvernement pourraient violer les droits humains des utilisateurs. Et personne ne saura vraiment dire à l’avance comment Apple répondra à ce type de missive sur le plan moral et éthique, jusqu’à ce qu’elle ne soit mise à l’épreuve des faits. Ce qui n’est probablement qu’une simple question de temps, étant donné que de très nombreuses dispositions de la loi chinoise ne protègent pas – ou très mal – la vie privée, ou la liberté d’expression individuelle. Et vérifier si les demandes d’information du gouvernement sont conformes à la loi chinoise ne déterminera pas au demeurant pour la firme, si le respect de la demande peut contribuer aux violations des droits humains des personnes visées. L’affaire qui se profile n’est pas simple.

Atlantico. En matière de souveraineté numérique, est-ce que ce véritable coup de force imposé par les autorités Chinoises à l’un des plus emblématiques GAFAS, ne pourrait pas servir de modèle, être appliqué ou reproduit au niveau européen au bénéfice des pays de l’union ? Est-ce seulement envisageable ?

« Tordre ainsi le bras » à Apple n’est pas imaginable en l’état au niveau européen, puisque le rapport de forces est quelque peu inversé si l’on se place dans la perspective européenne que vous évoquez. Le contexte géopolitique Chinois, la nature même du régime considéré ainsi que les enjeux de pouvoir ne sont pas comparables, et ne peuvent donc être comparés et mis en relation avec la situation européenne. En régime démocratique, les pays sont soumis à des contraintes institutionnelles, des arbitrages internationaux, économiques, budgétaires et réglementaires très forts qui leur interdisent d’imposer puissamment leur volonté « d’une seule voix », comme le pratique la Chine visàvis d’Apple.

La Chine assume totalement sa position de puissance, à l’égale des Etats-Unis d’Amérique. Ce qui n’est évidemment pas le cas de l’Europe et des institutions qui pilote sa destinée, ou le terme même de « puissance » est révéré. Et entre la protection des comptes de ses utilisateurs Chinois et de ses intérêts économiques manifeste en Chine – où rappelonsle, la firme à la pomme avait prévu d’investir 470 millions de Dollars US – Apple a eu tôt fait de céder aux injonctions de Pékin pour faire prospérer son business. Retirant illico de sa boutique d’applications téléchargeables pour ses Smartphone, les applications mobiles de VPN nonautorisées par les autorités du pays, puisqu’elles permettaient au demeurant de contourner les dispositifs de blocage informatique imposés par le régime, pour accéder sans entrave à la toile mondiale…

L’énorme pression politique des autorités de Pékin aura été la plus forte en l’occurrence, compte tenu des enjeux financiers. Obligeant sans ambages l’entreprise américaine à renier sa politique affichée dans le reste du monde, de protection de la confidentialité des données personnelles de ses utilisateurs. Dans les faits, cela signifie aussi que les autorités chinoises n’auront plus à solliciter les tribunaux américains avec les protections juridiques afférentes, pour obtenir des informations sur leurs ressortissants utilisant iCloud d’Apple. Elles pourront utiliser leur propre système judiciaire pour exiger d’Apple la remise des données personnelles d’utilisateurs Chinois. Exposant ces derniers aux investigations policières musclées aux normes locales, sans la garantie d’un contrôle judiciaire indépendant. A cet effet, lorsque les utilisateurs acceptent les conditions d’utilisation d’iCloud en Chine, ils acceptent aussi que leurs informations personnelles et leurs contenus soient transmis aux forces de l’ordre « si la loi l’exige ».

On le mesure ici à travers les différents rapports d’Amnesty : « le droit interne donne au gouvernement chinois un accès pratiquement illimité aux données des utilisateurs stockées en Chine, sans protection adéquate des droits des utilisateurs à la vie privée, la liberté d’expression ou d’autres droits humains fondamentaux. La police locale dispose d’un large pouvoir discrétionnaire et utilise des lois et une règlementation large et ambiguë pour réduire la dissidence à sa partie congrue, restreindre ou censurer l’information, harceler et poursuivre les défenseurs des droits humains au nom de la « sécurité nationale » et autres délits présumés ».

En conséquence, les internautes chinois peuvent très vite être confrontés à des arrestations et des emprisonnements discrétionnaires, pour avoir simplement accédé à des informations et des idées que les autorités réprouvent et interdisent. En outre, rappel Amnesty International dans son billet, la loi chinoise sur la cybersécurité exige des opérateurs de réseau qu’ils fournissent, « soutien et assistance technique » aux agents de la force publique, et à la sécurité de l’État Chinois :  « Cela signifie que lorsque les autorités s’adressent à l’entreprise partenaire d’Apple Guizhou-Cloud Big Data Industry Development Co., Ltd (« GCBD ») pour obtenir des informations sur un utilisateur d’iCloud aux fins d’une enquête criminelle, cette société aura l’obligation légale de le fournir, et peu ou pas de moyens légaux viables pour contester ou refuser la demande ». Sombre perspective.

Atlantico : Comment dès lors se protéger pour les utilisateurs chinois, si le service iCloud d’Apple est désormais à la main d’un régime autoritaire, et dont les pratiques connues sont bien différentes de celles usitées dans les Etats européens vis-à-vis de leurs populations ?

Pour les utilisateurs des services iCloud Chinois, les meilleurs moyens de se protéger dans un tel contexte sont encore d’éviter de stocker ses données personnelles sur des serveurs hébergés en Chine. Les utilisateurs disposant d’une carte de paiement et d’une adresse de facturation en dehors de la Chine pourraient s’en servir pour enregistrer leurs comptes, et ainsi conserver leurs données iCloud hors de Chine. Mais la seule option « réaliste » disponible serait de supprimer tout bonnement leurs comptes iCloud, et de désactiver définitivement le service. Les risques encourus sont à ce titre assez sérieux, car même si Apple affirme de son côté disposer de bonnes protections pour garantir la sécurité et la confidentialité des données en place, et affirmer qu’aucune backdoor ne sera créée dans les systèmes, de quelle garantie la firme dispose-t-elle face à un piratage toujours possible ?

Au demeurant, vous soulevez également dans cette dernière partie une question fondamentale quant à la responsabilité des entreprises de TIC, qui pourraient être amenées à agir et à prospérer lorsqu’elles opèrent en Chine. Les entreprises occidentales comme le rappel Amnesty Internationale : « ont la responsabilité de respecter tous les droits de l’homme partout où elles opèrent dans le monde. Les utilisateurs de leurs produits et services doivent recevoir des informations claires et spécifiques sur les risques auxquels ils pourraient être confrontés en matière de vie privée et de liberté d’expression en Chine, et sur les mesures prises par l’entreprise pour y répondre ». En outre, elles devraient procéder comme aux Etats-Unis et en Europe, à des évaluations régulières et vérifiables sur l’impact de la mise à disposition de leur technologie de contrôle dans un tel contexte. Et démontrer par la même publiquement qu’elles ont mis en place des mesures nécessaires de diligence et de responsabilité pour garantir le respect des droits humains. Enfin, et c’est aussi peut-être là un volet assez utopique, une firme de réputation mondiale telle qu’Apple devrait pouvoir faire tout ce qu’elle peut pour « influencer » le gouvernement chinois à limiter l’usage de ces technologies de contrôle, afin d’atténuer les risques élevés de violations des droits de l’homme consécutifs. Mais ceci est une autre histoire dans un contexte concurrentiel particulièrement durci, ou les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) menacent désormais l’hégémonie des GAFAM américains (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).

Source Atlantico 01 /04/2018

 

 

Franck DeCloquement  est praticien et expert en intelligence économique et stratégique (IES). Membre fondateur du Cercle K2 et ancien de l’Ecole de Guerre Economique de Paris (EGE), il est en outre professeur à l’IRIS (Institut de Relations internationales et stratégiques) en « Géo-économie et intelligence stratégique ». Il enseigne également la « Géopolitique des médias » en Master 2 recherche « Médias et Mondialisation », à l’IFP (Institut français de presse) de l’université de Paris II Panthéon-Assas. Franck DeCloquement est aussi spécialiste sur les menaces Cyber-émergentes liées aux actions d’espionnage économique et les déstabilisations de nature informationnelle et humaine. Il est en outre intervenu pour la SCIA (Swiss Competitive Intelligence Association) à Genève, aux assises de la FNCDS (Fédération Nationale des Cadres Dirigeants et Supérieurs), à la FER (Fédération des Entreprises Romandes à Genève) à l’occasion de débats organisés par le CLUSIS – l’association d’experts helvétiques dédiée à la sécurité de l’information – autour des réalités des actions de contre-ingérence économique et des menaces dans la sphère digitale.

Donald Trump envisage d’armer les enseignants

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Dans l’idée du président américain, les professeurs concernés porteraient leur arme de façon dissimulée et suivraient une formation spéciale préalable.

Et si les enseignants portaient des armes pour protéger les élèves en cas d’attaque semblable à celle qui a fait 17 morts la semaine dernière dans un lycée de Floride ? C’est ce qu’envisage le président américain Donald Trump. « Evidemment, cela s’appliquerait uniquement aux enseignants sachant manier une arme », a-t-il concédé, mercredi 21 février, en suggérant d’armer 20 % des effectifs des équipes pédagogiques.

Les professeurs concernés porteraient leur arme de façon dissimulée et suivraient une formation spéciale préalable, a précisé le président, sans annoncer de décision tranchée sur cette question éminemment controversée.

La NRA sifflée durant le débat

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Cette idée extrêmement controversée a été vivement critiquée mercredi soir, lors d’un débat organisé près de Miami par CNN, dans une salle rassemblant des milliers de personnes. « Vais-je devoir être formée comme une policière en plus d’éduquer ces enfants ? », a interrogé Ashley Kurth, une enseignante du lycée de Parkland où 17 personnes ont perdu la vie. « Vais-je devoir porter un gilet en kevlar ? »

« Je ne pense pas que les enseignants doivent être armés. Je pense qu’ils doivent enseigner », a, de son côté, réagi le shérif Scott Israel, qui est intervenu sur le lieu du carnage perpétré il y a une semaine par un jeune homme de 19 ans qui avait acheté légalement son fusil semi-automatique.

Lors de ce débat, le sénateur républicain Marco Rubio a soulevé un vent de fronde dans le public en refusant d’envisager une interdiction des fusils d’assaut. Mais, signe d’une inflexion, il a dit revoir sa position sur les chargeurs à grande capacité de munitions. Dana Loesch, la porte-parole très médiatique de la NRA, a, elle, été copieusement sifflée, esquivant les questions pour se concentrer sur la santé mentale de M. Cruz. « Je ne crois pas que ce monstre dément aurait jamais dû se procurer une arme à feu », a-t-elle martelé.

Les parents sermonnent le président

Tour à tour, des étudiants de différentes écoles endeuillées par les armes et des parents de victimes, assis en cercle autour de lui dans un vaste salon de la Maison Blanche, ont raconté leur détresse. Mais aussi avancé des propositions très variées.

Le chef d’Etat leur a promis de prendre des mesures « fortes » sur les vérifications des antécédents judiciaires et psychiatriques des acheteurs d’armes, en recevant à la Maison Blanche des rescapés de la fusillade de Floride. « Nous allons y aller très fort sur les vérifications d’antécédents », a déclaré le président américain.

Le locataire de la Maison Blanche a aussi promis la « fermeté » sur l’âge légal pour acheter une arme à feu, après que de nombreuses personnes ont relevé que Nikolas Cruz, le tueur de Floride, avait pu acquérir à 19 ans un fusil semi-automatique, alors qu’il faut avoir au moins 21 ans pour acheter de l’alcool. La NRA a immédiatement fait savoir son opposition à tout relèvement de l’âge légal pour acheter une arme, en estimant que cela reviendrait à « faire payer à des citoyens respectueux de la loi les actes malfaisants de criminels ».

Donald Trump a également critiqué le concept d’écoles sanctuaires où aucune arme n’est tolérée, en estimant que de tels sites jouaient un rôle d’aimant pour les « maniaques », qu’il a assimilés à des « lâches » qui privilégieraient les cibles, où ils risquent de ne pas se faire tirer dessus en réponse.

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Le « Plus jamais ça » des jeunes de Floride

« S’il vous plaît, M. Trump, il faut du bon sens », avait plaidé peu avant le père d’une victime, appelant à imposer sans tarder cette limite des 21 ans. Le long témoignage d’Andrew Pollack, dont la fille de 18 ans, Meadow, a été tuée au lycée Marjory Stoneman Douglas, a plongé la salle dans un silence total. « Combien d’écoles ? Combien d’enfants doivent-ils tomber sous les balles ? », a-t-il tonné, élevant la voix. « En tant que pays, nous avons échoué à protéger nos enfants. Cela ne devrait pas se produire. Je suis très en colère. »

Quelques heures plus tôt, des jeunes de Parkland avaient investi la petite capitale de la Floride, Tallahassee, pour tenter d’arracher un durcissement de la législation sur les armes aux élus de Floride au son de « Plus jamais ça », mot d’ordre répercuté sur les réseaux sociaux. « Que ces vies puissent être volées sans changement serait un acte de trahison à l’égard de notre grand pays », a déclaré Lorenzo Prado, un des nombreux orateurs à lancer des appels poignants au micro.

Les lycéens de Stoneman Douglas prévoient un grand rassemblement le 24 mars à Washington.

Source Le Monde et AFP 22/02/2018

Voir aussi : Vente d’armes,

Les risques de l’euro fort

 Xavier Timbeau Directeur de l’OFCE     Facebook     Twitter     Partager sur ...         LinkedIn         9Milliards         Mail Xavier Timbeau Directeur de l’OFCE     Facebook     Twitter     Partager sur ...         LinkedIn         9Milliards         Mail avier Timbeau Directeur de l’OFCE     Facebook     Twitter     Partager sur ...         LinkedIn         9Milliards         Mail Xavier Timbeau Directeur de l'OFCE

Chronique

Depuis mars 2017 l’euro s’est apprécié d’environ 20 % face au dollar. Lorsqu’on tient compte du poids de nos partenaires commerciaux dans les échanges de la zone euro, on obtient un « taux de change effectif » qui s’approche de son précédent record, à la veille de la crise de 2008 signalant une appréciation générale de la devise européenne.

Des effets négatifs

Ce mouvement réduit les parts de marché des exportateurs de la zone tout comme celle des producteurs nationaux sur les marchés internes, même si les économies se sont spécialisées et que la zone euro n’est plus en concurrence avec le reste du monde sur de nombreux produits. L’appréciation de la monnaie européenne accroit le pouvoir d’achat des consommateurs – on achète moins cher à l’étranger – tout en réduisant la compétitivité des producteurs : l’exemple du Royaume-Uni montre que ces deux effets peuvent se compenser.

A l’opposé, la difficulté de la France à rétablir sa compétitivité et équilibrer sa position extérieure est accentuée. Après les transferts massifs du CICE et du pacte de responsabilité pour gagner quelques points de compétitivité (autour de 5 points au total), l’appréciation récente de l’euro annule pratiquement tous ces efforts, du moins pour nos échanges en dehors de la zone euro.

Des risques pour la zone euro

Il faut s’inquiéter de cette évolution de l’euro. La nouvelle révolution industrielle fait des coûts salariaux un argument secondaire, la localisation des investissements à venir se fera en partie sur des considérations de taux de change. De plus, l’appréciation de l’euro va peser négativement sur l’inflation et réalimenter les craintes déflationnistes. Et elle n’est pas finie. La zone euro affiche un excédent considérable de ses échanges extérieurs de près de 400 milliards d’euros. Pour les rééquilibrer, il faudrait un taux de change de l’ordre de 1,35 dollar pour un euro. Depuis le début de l’année 2017 nous n’avons fait que la moitié du chemin !

Certes, plus d’inflation aux Etats-Unis obligera la Réserve Fédérale à monter les taux d’intérêt tandis qu’ils resteront bas en zone euro, ce qui pousse à l’appréciation du dollar. Mais si l’excédent de la zone euro n’est pas réduit (par plus de demande en Allemagne, par exemple), alors la pression à la hausse subsistera. En raison de la grande hétérogénéité des situations des pays européens, la conséquence profonde n’en sera pas seulement moins d’investissement en zone euro ou une dépréciation du montant de l’épargne accumulée sur le reste du monde. Ce sera le retour du risque d’éclatement de la zone euro.

Source Alternative Economique 19/02/2018

Atteintes à la liberté d’informer : ça commence à bien faire

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Médias

« La liberté de la presse aujourd’hui n’est plus seulement attaquée par les dictatures notoires, elle est aussi malmenée dans des pays qui font partie des plus grandes démocraties du monde », déclarait Emmanuel Macron lors de la cérémonie des vœux à la presse, le 3 janvier dernier. « Elle est malmenée jusqu’en Europe », précisait-il. Elle est malmenée jusqu’en France, est-on tenté d’ajouter, tant les menaces de restrictions de cette liberté fondamentale s’accumulent depuis quelque temps.

Le dernier épisode en date a vu notre confrère Challenges sévèrement condamné par le tribunal de commerce de Paris pour avoir informé ses lecteurs d’une procédure de « mandat ad hoc » concernant le distributeur de meubles Conforama, l’obligeant à retirer l’article incriminé et à ne plus traiter ce sujet sous peine d’amende. Nombre de sociétés de journalistes et de rédactions, dont celle d’Alternatives Economiques, se sont émues de cette condamnation, qui fait prévaloir le secret des affaires sur la liberté d’informer.

Coup de force

Cette décision, prise par des juges issus du monde de l’entreprise, ressemble à un coup de force destiné à créer un précédent : plusieurs initiatives législatives ayant pour but de consacrer le délit d’atteinte au « secret des affaires » dans le droit français ont en effet échoué ces dernières années. Et la controversée directive européenne de 2016, qui ménage un équilibre très incertain en la matière, doit encore être transposée par le législateur dans l’Hexagone d’ici le mois de juin.

Les poursuites judiciaires déclenchées par les grandes entreprises à l’encontre d’ONG, de lanceurs d’alerte ou de médias, sont devenues monnaie courante

Cette incertitude juridique a de quoi inquiéter. Les poursuites judiciaires déclenchées par les grandes entreprises à l’encontre d’ONG, de lanceurs d’alerte ou de médias, sont en effet devenues monnaie courante, comme l’a montré encore récemment le procès ouvert à l’encontre de trois médias et de deux ONG à la suite d’une plainte en diffamation déposée par deux entreprises liées au groupe Bolloré. Même si ces procédures n’aboutissent pas toujours, elles paraissent avoir pour objectif premier d’intimider et de faire taire les médias. Compte tenu du risque encouru et des difficultés économiques qui frappent nombre de titres de presse écrite, elles pourraient en effet avoir pour résultat d’éteindre toute couverture médiatique heurtant certains intérêts privés.

L’information de qualité menacée par la pression financière

La menace ne vient cependant pas toujours de l’extérieur : l’intégration croissante de nombre de médias dans de grands conglomérats confronte souvent ceux-ci à une pression financière incompatible avec le maintien d’une information de qualité. En témoigne le cas de l’ancien pôle presse du groupe Wolters Kluwer, éditeur de plusieurs publications de référence de l’information du secteur social et médico-social (Liaisons sociales magazine, Entreprise & Carrières ou encore ASH) : passant des mains d’un actionnaire à un autre, celui-ci a vu ses rédactions décimées en quelques mois, mettant en péril une expertise précieuse aussi bien pour les professionnels de son secteur que pour l’ensemble des médias.

Enfin, les pouvoirs publics eux-mêmes ont joué avec le feu. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la direction de France Télévisions a été mal inspirée, lorsque fin 2017, elle a tenté de réduire drastiquement les moyens des magazines d’investigation de France 2, Envoyé spécial et Complément d’enquête. Face au tollé de l’opinion, elle est revenue partiellement sur cette décision, mais l’épisode a laissé un arrière-goût de censure déguisée sous des motivations d’ordre économique.

Pour tarir les fuites concernant les ordonnances, le gouvernement n’a pas hésité à porter plainte

Quelques mois plus tôt, en juin 2017, le nouveau gouvernement, à peine installé, dégainait l’arme judiciaire dans le but de tarir les fuites publiées par le quotidien Libération concernant les futures ordonnances sur le marché du travail. En ayant recours à la plainte contre X pour « vol, violation du secret professionnel et recel », le ministère du Travail avait dans sa ligne de mire aussi bien les sources de Libération que le quotidien lui-même. Une épée de Damoclès a pesé par conséquent sur tous les médias, qui, à l’instar d’Alternatives Economiques, ont eu alors accès aux projets d’ordonnances et ont voulu en rendre compte à leurs lecteurs.

Si le gouvernement a fini par retirer la partie de sa plainte qui les visait expressément (le recel), il a maintenu celle visant l’origine des fuites et diligenté des enquêtes internes pour l’identifier. Une manière détournée de chercher à tarir l’information en s’attaquant à ses sources. L’intention affichée par la ministre de la Culture Françoise Nyssen en novembre dernier de « porter plainte contre X » après la publication par Le Monde de révélations tirées d’un document de son ministère sur la réforme de l’audiovisuel, montre que le gouvernement n’a pas renoncé à manier ce registre.

Le travail journalistique démonétisé

D’où qu’elles viennent, ces pressions alimentent un climat délétère autour de la liberté d’informer. Elles se conjuguent, pour le pire, avec d’autres évolutions inquiétantes : face au déferlement des fake news et au rouleau compresseur des grands infomédiaires du numérique, pour qui l’information n’est qu’une commodité comme les autres, le travail journalistique sérieux apparaît de plus en plus démonétisé.

Le système de distribution égalitaire et solidaire de la presse, destiné à garantir le pluralisme, pourrait prochainement sauter

La crise de son modèle économique qui en résulte place aujourd’hui la distribution de la presse écrite dans l’Hexagone au bord du gouffre, avec le risque de catastrophes en chaîne chez les éditeurs et marchands de presse. Au passage, le système de distribution égalitaire et solidaire, destiné à garantir le pluralisme, qui régit la presse en France depuis l’après-guerre pourrait bien sauter, si l’on en croit l’intention affichée aussi bien par le gouvernement que par nombre d’acteurs de la filière de revoir de fond en comble la loi Bichet.

De toutes ces « disruptions », on ne saurait tenir pour responsables les pouvoirs publics, ni même attendre d’eux qu’ils y apportent toutes les solutions. A minima cependant, on peut légitimement attendre de nos élus qu’ils confortent et garantissent la liberté d’informer. Ce n’est pas une simple revendication corporatiste, mais l’une des conditions sine qua non au bon fonctionnement de notre démocratie.

Marc Chevallier

Source : Alternative Economique 08/02/2018

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Médias, Entretien avec Laurent Mauduit autour de son livre « Main basse sur l’Information »,