Imbrication des intérêts et déviances financières

Jeudi avec les boîtes noires de la mondialisation financière, les invités de France Culture ont abordé l’un des chapitres incontournables de la thématique de cette 23e édition : « L’Etat de droit n’est-il plus qu’une illusion ? » Vue sous cet angle, la réponse semble évidente. Il suffit d’écouter Renaud Van Ruymbeke décrire comment les paradis bancaires et fiscaux cachent à merveille les points de passage et d’arrivée des capitaux sales. Le constat d’impuissance de la justice donne une idée de la dérive. « Au-delà d’un million d’euros, on franchit un cap qui paralyse toute enquête. » Lorsque l’on sait que 50% des transactions financières passent par les paradis fiscaux, on mesure la faille. « Cela ne veut pas forcément dire que 50% de l’économie vient de l’argent sale, mais on ne dispose d’aucune information sur la provenance financière de cet argent. » Le juge Van Ruymbeke qui fut un des signataires de l’Appel de Genève*, initié par le journaliste Denis Robert en 1996, sait de quoi il parle.

Qu’est ce qui a changé douze ans après ? : « La corruption internationale se porte bien. Les problèmes se sont amplifiés et les Etats se sont désarmés », indique le sérial Cleaner Arnaud Montebourg. En tant que législateur, le député PS de Saône-et-Loire témoigne « La question qui est posée est celle de la responsabilité politique. Avec la commission d’enquête contre la fraude fiscale, on ne veut pas empêcher les gens de jouer. On cherche à imposer des règles. Parce qu’il n’est pas acceptable que les paradis fiscaux pratiquent des taxes à 6% contre les 30% pratiqués dans les pays qui ont un niveau de dépense publique supérieur. Ca s’appelle du dumping fiscal. » Conséquence logique du laissé faire politique, après la fuite fiscale, les Etats qui ne peuvent plus payer se retournent pour taxer le revenu du travail.

Le phénomène parait d’autant plus préoccupant quand on entend l’économiste Olivier Pastré nous annoncer que nous sommes à l’aube d’une crise économique largement sous-estimée par les médias. Sur les 50 000 milliards de dollars que représente le chiffre d’affaires mondial, l’actif détenu dans les paradis fiscaux est estimé entre 1 500 à 11 000 milliards, cela dans le silence assourdissant de l’ensemble des acteurs du système. « Le système économique est mort, affirme Montebourg. Maintenant on appelle le politique au secours pour régler les problèmes mais on ne peut pas s’en sortir sans réguler le système. » «  On ne parle jamais de ces questions dans les campagnes présidentielles », entend-t-on dans le public.

En 1996, Denis Robert réunit sept grands magistrats anti-corruption pour lancer l’Appel de Genève pour un espace judiciaire européen. Cet appel a fait l’objet d’un livre de Denis Robert « La justice ou le chaos » paru en 1996 chez Stock.


Rencontres de Pétrarque : L’État de droit face au piège

Le retour à la politique est au menu des Rencontres de Pétrarque, espace de réflexions et de débats organisé à Montpellier par France Culture en partenariat avec Le Monde. Sur le thème « L’État de droit n’est-il plus qu’une illusion ? » la XXIIIème édition renoue avec un large public. En début de semaine lors de la leçon inaugurale, Guy Carcassonne a rappelé l’histoire de l’État de droit en se félicitant que la Constitution garantisse les libertés. Mais dans son propos introductif, le constitutionnaliste a également évoqué la fragilité de l’édifice, en appelant les citoyens et les gouvernants à plus de sagesse face à la surabondance des textes de piètre qualité. « Tout sujet au 20h est devenu virtuellement une loi ».

Contre le terrorisme, tout est-il permis ?

Tout aussi provocatrice, la question de mardi, « Contre le terrorisme, tout est-il permis ? », devait trouver une réponse mesurée et une unanime condamnation de la torture dans le cercle des invités. Blandine Kriegel, l’ex-conseillère de Jacques Chirac, a souligné l’intérêt d’un regard critique sur l’Etat avant de reposer les fondements de L’Etat de droit, « une nouvelle doctrine du pouvoir qui s’oppose à l’empire et organise un espace politique unifié, où la puissance publique est assujettie à la loi et limitée par le droit individuel », la philosophe a rappelé la position kantienne qui voyait l’horizon déterminé par la guerre tant que l’Etat de droit ne se serait pas imposé à l’échelle de la planète. Blandine Kriegel ne se range cependant pas sous les mêmes auspices, pour considérer le débat sur la morale politique de la loi. « La conception pratique de Kant qui sépare la morale (les raisons pratiques) et ce qui sort de la morale (les raisons pragmatiques), est le fondement de l’idée que contre le terrorisme on peut remettre en cause les principes de l’Etat de droit.  Or il n’y a pas deux mondes mais un seul avec l’idée que la morale est inscrite dans la nature des humains. »

Dans un registre moins classique, Michel Terestchenko, philosophe et chercheur en sciences politiques, est revenu sur le débat justifiant la torture aux Etats-Unis. En soulignant le rôle des juristes. « L’argumentation qui défend le fait que le droit international ne peut s’appliquer aux taliban qui ne le respectent pas, aboutit à la loi votée en 2006 qui introduit les commissions militaires que l’on avait pas vues depuis 1942. » L’autre aspect du débat soulevé par Terestchenko démontre la teneur du péril. Il concerne la construction d’une doctrine morale de la torture défendue par certains théoriciens de la gauche américaine. « L’argumentation morale repose sur la situation d’exception. Imaginez qu’un terroriste ait posé une bombe dans l’ école d’un de vos enfants. On l’arrête. Il refuse de parler. Est-ce que l’emploi de la torture n’est pas légitime ? C’est l’idée que torturer un individu pour en sauver 100, c’est non seulement un moindre mal mais c’est un bien tout court. »

Le juge Gilbert Thiel, spécialiste de l’antiterrorisme, s’est quant à lui lancé dans une longue énumération des attentats terroristes sur le sol français avant d’admettre un danger potentiel dans le fait que « toute forme de contestation ou de révolte pouvait aujourd’hui être assimilée à du terrorisme. » Et le directeur de l’institut international Pascal Boniface, de revenir à la réalité. « Lorsqu’on bombarde un mariage taliban, on ne lutte pas contre le terrorisme. »

En marge de la propagande étatique qui considère toute mise en cause de l’action antiterroriste comme un soutien tacite « aux assassins », les Rencontres Pétrarque proposent un peu d’air.


Le juge Thiel armé pour le débat

Rédouane anfoussi

Le conservatisme en politique

Les XXII es Rencontres de Pétrarque rediffusées sur France Culture abordent la question du conservatisme. Un statu quo qui s’applique bien à la politique française…

Les juillettistes ont manqué les XXII Rencontres de Pétrarque consacrées à la question « sommes-nous de plus en plus conservateur ? » Si le sujet les intéresse, ils peuvent se rattraper en écoutant France Culture qui rediffuse actuellement les enregistrements réalisés dans la Cours des Ursulines durant le Festival de Radio France. Nous revenons également cette semaine sur deux des débats abordés au cours de ces rencontres : Aujourd’hui le conservatisme en politique.

Messieurs les anglais tirez les premiers. Seul étranger autours de la table, le député travailliste Denis Mc Shane qui fut ministre aux affaires européennes dans le gouvernement Blair se lance. Avec un certain goût pour la provocation, il oppose « la révolutionnaire et libérale Margaret Thatcher au conservateur François Mitterrand. Oui, affirme le député britannique, la France est aujourd’hui le pays le plus conservateur d’Europe Chez vous, tout changement est refusé. La France ne bouge pas. Et quand le conservatisme ne marche pas, il fait naître des gens qui sont prêts à changer. » C’est ainsi que le travailliste s’explique l’avènement de Sarkozy. Au centre de son constat, les partis figés qui ne souhaitent pas le changement parce qu’ils sont incapables de changer leur propre fonctionnement. Silence, un troupeau d’éléphants passe sans bruit. Mc Shane poursuit. Tout en distinguant les conservateurs britanniques de leur homologues français, le social démocrate décomplexé prédit à la gauche française 15 ans de traversée du désert pour s’adapter au peuple. Vision cauchemardesque et pragmatique dont la clarté dérange ses co-conférenciers, mais qui oriente, dans le même temps, cette question du conservatisme vers la gauche.

Longue tirade d’Alain Finkielkraut qui observe de loin notre entrée dans un autre monde. « C’est le triomphe de la pensée calculante et la défaite de la pensée méditante. La culture s’engloutit dans le culturel». Le monde peut s’écrouler, Finkielkraut fera toujours du Finkielkraut. Reste que les néo conservateurs, Thatcher, Bush et Sarkozy, ne sont pas des conservateurs. Ils importent ou exportent un système idéologique et sont prêts à tout bousculer pour l’imposer. « Face à cette droite avide, les socialistes sont ils confiants dans leurs croyances ? » S’interroge Daniel Lindenberg « La défaite de Ségolène Royal est réelle. Elle n’est pas cosmique », précise l’historien des idées, la gauche immobiliste doit tirer les enseignements de cette droite qui pratique la guerre du mouvement. » pour Lindenberg, les lignes politiques bougent. Et en se réappropriant le culte de l’autorité et de la tradition, la gauche ne se projette pas dans l’avenir. Elle cède simplement à la tentation du repli.

Georges Frêche coiffe sa casquette d’historien pour rappeler que « La conservation et le progrès n’ont jamais été égaux. Le changement est bref et le conservatisme est long. » En France depuis deux siècles la vrai gauche n’a gouverné que onze petites années souligne le président de Région qui rejoint Mc Shane pour annoncer au PS son entrée dans un long purgatoire. « Ne tentons pas d’être absolument moderne. Mais efforçons-nous d’être contemporain.» recadre Antoine Compagnon qui enseigne la littérature au Collège de France.

La volonté de faire du passé table rase est un axe essentiel des politiques totalitaires. Il y a des libertés de la modernité qui reste à défendre et d’autre à contenir comme la liberté économique. Celle que l’anarchiste conservateur, Georges Orwell que personne ne cite, définissait comme « une liberté qui est le droit d’exploiter l’autre à son profit » Percutant non ?

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Débat politique Présidentielles 2007 victoire de  Sarkozy, Rubrique Essai Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie,