La parole donnée au noir

Au-delà des séances de dédicaces qui gardent pleinement leur vocation, le Firn est un lieu où l’on forge sa pensée critique. Les nombreuses tables rondes organisées permettent d’approfondir la noire parole souvent bien plus édifiante que les austères critiques.

Samedi à l’heure où le soleil touchait à son zénith, un beau plateau d’auteurs mettait le couvert autour de la question : crime social et crime historique. Lorsqu’on demande à l’auteur américain Adam Braver, dont l’ouvrage 22 novembre 1963 sur l’assassinat de JF. Kennedy vient d’être traduit, s’il a du nouveau sur cette affaire, il répond que ce n’est pas ce qui l’intéresse. « Ce meurtre est un pavé dans la mare. Moi je m’attache aux petites ondes sur la surface de l’eau.  Il s’agit davantage de parler du présent que de dénoncer quoi que ce soit. Parce qu’aux États-Unis tout devient très vite un mythe et se retrouve, de la sorte, gravé dans le marbre. Avec ce livre je m’intéresse à ce qui se passe dans la société autour de cet événement. Je voulais lui redonner une dimension humaine. »

daeninckxLe roman noir est ici envisagé comme un moyen d’échapper à l’usine à rêve. Pour David Peace, il permet d’écrire une histoire qui n’est pas officielle : « Si on ne s’intéresse pas aux répercussions économiques sociales et politiques d’un fait on ne comprend pas ce qui se passe. » Didier Daeninckx dont l’œuvre confirme une volonté d’ancrer ses intrigues dans la réalité explique comment cela lui est venu : « L’histoire de ma rencontre avec la mémoire mondiale a débuté par l’assassinat par la police de Papon de quelqu’un qui m’était proche. » L’auteur de Meurtre pour mémoire a signé depuis une quarantaine d’ouvrages. Son dernier livre Galadio narre l’histoire d’un jeune Allemand, né à Duisbourg en 1920, qui découvre qu’il est également Galadio Diallo, l’enfant d’un tirailleur de l’armée française originaire du Mali et part à la recherche de ses origines africaines.

denis_robert_poingLe journaliste Denis Robert engagé dans la lutte contre le crime financier témoigne des difficultés qu’il a rencontrées dans son enquête sur l’affaire Clearstream. « Ce que je n’avais jamais mesuré auparavant, c’est la faiblesse des hommes, des journalistes, et des juges… Après un de mes procès perdus en appel, on a retiré un de mes livres des mains des lecteurs qui venaient l’acheter dans les Virgin et les Fnac. Le plus incroyable, dans un pays comme la France, c’est que personne n’en a vraiment parlé. » Le livre documentaire et le roman noir demeurent néanmoins de l’avis général un espace d’expression privilégié pour aborder des sujets dont on ne peut parler ailleurs. Même s’il faut lutter contre la censure à l’image de la journaliste et auteur turque laïque Mine G.Kirikkanat qui trouve dans la fiction un moyen de la dépasser.

Jean-Marie Dinh


Imbrication des intérêts et déviances financières

Jeudi avec les boîtes noires de la mondialisation financière, les invités de France Culture ont abordé l’un des chapitres incontournables de la thématique de cette 23e édition : « L’Etat de droit n’est-il plus qu’une illusion ? » Vue sous cet angle, la réponse semble évidente. Il suffit d’écouter Renaud Van Ruymbeke décrire comment les paradis bancaires et fiscaux cachent à merveille les points de passage et d’arrivée des capitaux sales. Le constat d’impuissance de la justice donne une idée de la dérive. « Au-delà d’un million d’euros, on franchit un cap qui paralyse toute enquête. » Lorsque l’on sait que 50% des transactions financières passent par les paradis fiscaux, on mesure la faille. « Cela ne veut pas forcément dire que 50% de l’économie vient de l’argent sale, mais on ne dispose d’aucune information sur la provenance financière de cet argent. » Le juge Van Ruymbeke qui fut un des signataires de l’Appel de Genève*, initié par le journaliste Denis Robert en 1996, sait de quoi il parle.

Qu’est ce qui a changé douze ans après ? : « La corruption internationale se porte bien. Les problèmes se sont amplifiés et les Etats se sont désarmés », indique le sérial Cleaner Arnaud Montebourg. En tant que législateur, le député PS de Saône-et-Loire témoigne « La question qui est posée est celle de la responsabilité politique. Avec la commission d’enquête contre la fraude fiscale, on ne veut pas empêcher les gens de jouer. On cherche à imposer des règles. Parce qu’il n’est pas acceptable que les paradis fiscaux pratiquent des taxes à 6% contre les 30% pratiqués dans les pays qui ont un niveau de dépense publique supérieur. Ca s’appelle du dumping fiscal. » Conséquence logique du laissé faire politique, après la fuite fiscale, les Etats qui ne peuvent plus payer se retournent pour taxer le revenu du travail.

Le phénomène parait d’autant plus préoccupant quand on entend l’économiste Olivier Pastré nous annoncer que nous sommes à l’aube d’une crise économique largement sous-estimée par les médias. Sur les 50 000 milliards de dollars que représente le chiffre d’affaires mondial, l’actif détenu dans les paradis fiscaux est estimé entre 1 500 à 11 000 milliards, cela dans le silence assourdissant de l’ensemble des acteurs du système. « Le système économique est mort, affirme Montebourg. Maintenant on appelle le politique au secours pour régler les problèmes mais on ne peut pas s’en sortir sans réguler le système. » «  On ne parle jamais de ces questions dans les campagnes présidentielles », entend-t-on dans le public.

En 1996, Denis Robert réunit sept grands magistrats anti-corruption pour lancer l’Appel de Genève pour un espace judiciaire européen. Cet appel a fait l’objet d’un livre de Denis Robert « La justice ou le chaos » paru en 1996 chez Stock.