La Comédie du Livre donne rendez-vous à l’Italie littéraire

Milena Argus son roman Mal de pierres sera porté au cinéma par N. Garcia.  dr

Milena Argus son roman Mal de pierres sera porté au cinéma par N. Garcia. dr

La 31e Comédie du Livre se déroulera du 27 au 29 mai 2016. L’événement se classe dans le top 5 des manifestations littéraires françaises . Plus de 100 000 visiteurs sont attendus.

Après la littérature Ibérique en 2015, la manifestation confirme l’ancrage méditerranéen de la Métropole en mettant cette  année à l’honneur la littérature italienne. Le plateau d’auteurs invités compte pas moins de 35 écrivains italiens. La disparition de géants mondiaux comme Antonio Tabucci en 2012, ou plus récemment Umberto Ecco démontre la fertilité de la péninsule italienne en matière de monstres de la littérature. C’est-à-dire la capacité de l’Italie à produire des écrivains dont les oeuvres structurent notre imaginaire et notre rapport au monde.

Parmi ceux qui seront présents à Montpellier Claudio Magris héritier de la La Mitteleuropa qui connaît un grand succès public et critique, ou encore Erri De Luca dont les écrits lumineux frappent l’imaginaire autant que ses textes plus engagés. Luviana Castellina ex députée européenne, incarnera  l’une des  grandes consciences politiques en l’Italie tandis que Milena Agus représentera la nouvelle vague littéraire sarde.

Les maisons d’édition réputées pour leur catalogue italien débarquent avec leurs auteurs : Francesca Melandri, Giorgio Vasta, Andréa Bajani, et Ronerto Innocenti pour Gallimard, Stefano Benni, Giorgio Pressburger Valerio Magrelli et Antonella Cilento, pour Actes Sud,  ou encore Paolo Giordano, Marcello Fois, pour les éditions du Seuil. Michela Murgia les Antonio Moresco, Walter Siti et l’historien Giacomo Todeschini pour Verdier. A noter que l’éditeur invité cette année viendra aussi accompagné de talentueux auteurs français tels que Patrick Boucheron, Pierre Bergounioux et David Bosc.

Cette liste n’est pas exhaustive, mais elle révèle déjà le vaste panorama littéraire italien qui sera offert à travers la vitalité de ses écrivains, y compris dans le domaine  du Roman noir et policier où les auteurs mettent souvent au centre de leurs intrigues les mensonges et les secrets de l’histoire officielle représenté par Maurizio De Giovanni et Luca Poldelmengo (Rivages) ou Giancarlo De Cataldo, l’auteur de Romanzo criminale qui est à la fois écrivain, scénariste et magistrat accompagné de Carlo Bonini (Métailié) et Paola Barbato (Denoël).

Le grand dessinateur Lorenzo Mattoti (Casterman) qui signe l’affiche de cette édition viendra illustrer l’élégance et la pureté du trait très présentes dans la bande dessinée italienne. Pour conclure, on doit se préparer à tout et prendre un peu d’avance sur les lectures.

JMDH

Les préfaces en médiathèques : L’Italie à l’heure des bilans

Massimo Tramonte

Massimo Tramonte

Le réseau des médiathèques de la Métropole propose un avant goût de la 31e Comédie du livre jusqu’au 26 mai 2016. Aujourd’hui à 18h30, au Grand auditorium de la Médiathèque Emile Zola à Montpellier, le maître de conférence Massimo Tramonte donnera une conférence sur le thème :  L’Italie à l’heure des bilans.

L’universitaire entend dresser un bilan réaliste et sans concession. « L’Italie est l’un des pays fondateurs de l’Union européenne et de la zone euro. Malgré cela l’Italie vit depuis de nombreuses années une crise économique, politique et morale dont on ne voit pas l’issue.

Des écrivains comme Roberto Saviano et Giancarlo De Cataldo, entre autres, ont bien décrit dans des ouvrages de fictions construites comme des enquêtes journalistiques, les dérives de l’Italie actuelle.

L’Italie est un pays en déclin avec des inégalités toujours plus importantes où 5% des familles les plus riches détiennent 35% de la richesse du pays et où 20% des plus pauvres s’acheminent vers une pauvreté absolue. Un pays où un jeune de 27 ans, qui a la chance de travailler, gagne en moyenne 26% de moins qu’un jeune de 27 ans en 1993 (données officielles).

Un pays où la distance entre la politique et la réalité du pays est toujours plus grande.  A l’heure des bilans, il faudrait, pour « sauver » l’Italie, comme le disait il y a quelques années l’historien Paul Ginsborg : faire confiance à des éléments fragiles mais toujours présents dans le passé de l’Italie : l’expérience des autonomies locales, l’européisme, les aspirations égalitaires et l’idéal de la paix, toutes choses inscrites dans cette Constitution qu’on voudrait changer en profondeur. »

Le 8 avril Dominique Fernandez présentera son dictionnaire amoureux de l’Italie.

Source : La Marseillaise

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Enki Bilal : Bleu comme la Terre

arton28844-750abDans la Couleur de l’air, Enki Bilal rêve d’une planète qui reprend le pouvoir pour digérer les horreurs du XXe siècle. Et repartir à neuf.

Gris. Marron. Bleu. Fin de la « Trilogie du coup de sang ». Après sa « Trilogie Nikopol » et sa « Tétralogie du monstre », Enki Bilal boucle avec la Couleur de l’air son dernier opus bédéïque. Soulagement : malgré « le dérèglement climatique brutal et généralisé qui s’est abattu sur la Terre », malgré les teintes sombres des deux premiers volets, l’air est bleu comme la haute mer, comme la nuit. Une atmosphère plus douce que l’apocalypse à laquelle l’artiste nous avait habitués. Cette ultime histoire commence à bord d’un vaisseau qui traverse des masses nuageuses cependant que ses passagers dissertent sur Dieu, Nietzsche et Bakounine. L’appareil, cercueil atomique en pilotage automatique, avance à l’énergie solaire vers rien. « C’est dérisoire, ça va très mal, mais nous sommes toujours vivants », commente Anders, qui tient un journal. Il y a du Transperceneige [1] dans ce lancement : une machine progresse sans but dans un reste de nature envahissante, conduisant des passagers en perdition à se concentrer sur des élucubrations à la fois belles et menacées de vanité.

Même teintes, mêmes coups de crayons et de pinceaux que pour les nuages, la séquence suivante se situe en milieu aquatique. Kim se cramponne à la nageoire dorsale d’un dauphin hybride qui la conduit avec Bacon dans une maison volante. Sur la terre ferme, le troisième groupe de survivants se laisse guider en voiture par un nuage en forme de flèche. La nature, déesse de cette histoire, s’auto-sculpte et se métamorphose. La Terre est en recomposition. Elle est « une entité vivante, qui réagit ». Décidée à engloutir et à digérer tous les déchets produits par l’homme. Une nouvelle fois, l’œuvre de Bilal se présente comme un long poème déstructuré et halluciné, inspiré de citations philosophico-écolos, d’éléments technico-futuristes et de dialogues presque triviaux qui tentent de rattacher l’humain à ce qui le tient : manger, boire, pisser, faire l’amour. Mais aussi aimer, paniquer, imaginer, ironiser, dire des bêtises, jouer à la poupée… Bilal lâche la mécanique pour sublimer l’animal, mammifères marins, chevaux rayés, varan, koala et gorille. Il fait converger les personnages des deux premiers albums et insère des images satellites qui miment comme un superdiagnostic de la catastrophe. Après le coup de sang, le Maroc s’est retrouvé collé à l’Espagne, Le Nil scinde l’Afrique, la Sardaigne et la Sicile ont rejoint Tunis, l’Italie les Balkans. « C’est la planète qui nous dit stop, qui nous dit merde », analyse Esther, tandis que des fillettes jumelles citent des infos réelles : nombre de morts engendrées par les guerres du XXe siècle, Karl Marx et sa célèbre phrase sur la préhistoire de l’humanité. On ne peut plus clair…

Les trois groupes de survivants forment trois séquences qui progressent de concert et s’interrompent pour que le récit saute de l’une à l’autre, comme dans le montage d’une série. L’ensemble, tendu dans le mouvement et la surprise, est déstabilisant, absurde, ésotérique et captivant. Quand l’une des séquences reprend des couleurs, c’est pour que l’autre plonge dans l’horreur, coulée noire et concentré de puanteurs : cadavre, napalm, gangrène, urine, sueur… Bilal crache et rêve. Ce dernier album est une allégorie en plans larges, un fantasme, un western philosophique à l’ère post-Internet, une BD à thèse, moraliste et réenchantée. Recyclant des mythes et des chansons chers à sa mémoire. Presque des mantras. Une sorte de grand reset général. Et positif.

Ingrid Merckx

La Couleur de l’air, Enki Bilal, Casterman, 96 p., 18 euros.

Source Politis: 06/11/2014

Voir aussi  : Rubrique Livre, BD, rubrique Rencontres, Bilal : Entre coup de sang et coup de foudre,

Bilal : Entre coup de sang et coup de foudre

« Je voulais que le texte de Shakespeare s’invite dans la bouche des personnages ». Photo Rédouane Anfoussi

 

en 1951 à Belgrade, l’auteur de bande dessinée Enki Bilal figure parmi les artistes les plus visionnaires de sa génération. L’œuvre de Bilal pourrait être rangée aux côtés de celles des grands explorateurs d’imaginaire tels que Wim Wenders ou Jim Jarmusch. Elle rencontre une adhésion qui transcende les générations : « La chance que j’ai, c’est de ne pas vieillir avec mes lecteurs. » Son enfance dans la Yougoslavie de Tito et son exil en France nourrit l’univers envoûtant de ses albums. « L’exile oui, cela fait partie de moi. On retrouve manifestement une partie de cette expérience dans mes histoires et mes  personnages. » Plus solitaire que taciturne l’homme est d’un accès facile. «  J’ai de très bons amis  dans tous les domaines mais je mondainise peu… »

Julia & Roem, le dernier opus du dessinateur, est le second album d’une trilogie qui peut se lire en one shot. Il s’inscrit dans l’univers post-apocalyptique de Animal’Z, sorti  en 2009 et actuellement en cours d’adaptation cinématographique. Après les bleus et les gris du liquide, la gamme chromatique où dominent les beiges et les bruns, évoque la terre. L’action se situe dans un désert soumis à un dérèglement climatique brutal. « J’ai choisi d’appeler la catastrophe Coup de sang parce que cela fait référence à l’humain. On est dans l’anticipation. Si ce  type d’accident arrivait, toutes les productions humaines pourraient soudainement disparaître. Il ne resterait que la planète qui est vivante et la mémoire qui s’inscrit dans l’album à travers la présence de la littérature. »

Fragments recyclés du drame shakespearien

On plonge dans l’univers fantastique de Bilal comme on entre dans l’eau tempérée d’un lagon avec l’incertitude en plus. Ceux qui connaissent l’humour de résistance de l’auteur, savent comment il en tire parti face aux pires événements. Les survivants d’une catastrophe naturelle évoluent dans une géographie totalement chamboulée, seuls quelques Eldorados réunissent toutes les conditions de survie. C’est dans l’un d’entre eux, une ruine d’hôtel inachevé, que va se rejouer le drame de Roméo et Juliette. « J’ai travaillé sans avoir plus de trois pages de scénario d’avance. Je voulais que le texte de Shakespeare s’invite dans la bouche des personnages, explique l’artiste qui souhaitait depuis longtemps croiser la route du dramaturge. Je réglais les problèmes au fur et à mesure et Shakespeare venait valider. »

Les personnages secondaires se révèlent de manière improbable les acteurs du drame. A l’instar du narrateur Howard Lawrence, un ancien aumônier militaire multiconfessionnel qui se dit fou et va tenter de déjouer l’emballement de l’histoire qui se rejoue. « J’ai épuré pour arriver à quelque chose de très  western. La trame écrite du drame original est très simple. Je voulais garder cette fraîcheur »,  indique l’auteur.

Entre réel et irréel, l’ambiance générale de l’album fascine. Elle donne aussi envie de revisiter nos classiques. Bilal conserve la complexité des sentiments des personnages en démystifiant la mécanique et donne à la montée dramatique une nouvelle issue. On attend avec impatience le dernier album de cette série qui devrait nous porter vers l’air !

Jean-Marie Dinh

Julia & Roem, éditions Casterman, 18 euros

 

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