Se remettre les idées en place sans crainte

Michela Marzano nous invite à aller vers les autres et à renouer avec notre propre altérité.

Michela Marzano est chercheuse au CNRS. Elle travaille sur des thèmes liés à la manipulation. Elle signe sur le stand Sauramps son nouvel essai Visage de la peur* qui met en perspective la notion de peur et ses différents visages.

Avec Visages de la peur vous semblez poursuivre le sillon de votre essai précédent ?

« Extension du domaine de la manipulation évoquait la réduction de l’individu à une mécanique programmable. Et mettait en évidence que le langage du management a quitté les sphères du privé pour envahir celles du public et du politique. Avec ce livre, j’ai voulu mettre en perspective la notion de peur dans nos sociétés contemporaines. C’est le second volet d’une trilogie. Dont le troisième s’intitule Fascisme un encombrant retour ?

Comment expliquer que ce sont dans les pays les plus sûrs que les gens ont le plus peur ?

C’est un grand paradoxe de nos sociétés contemporaines. La raison qui pourrait l’expliquer est que nous sommes appelés par une idéologie poussée à l’extrême du contrôle. Dans le sens où il faut se contrôler et contrôler les autres. Le contrôle est devenu une mission clé à travers laquelle on peut montrer que l’on est un winner. Quelqu’un qui contrôle ses émotions, son humeur, son langage, ses relations, est quelqu’un capable de réussir sa vie. Et en même temps, il faut aussi pouvoir contrôler l’autre pour éviter tout ce qui échappe ou est inconnu. Dans ce mouvement d’autocontrôle et de contrôle de l’autre, le résultat c’est l’émergence de la peur. Et finalement indépendamment des raisons objectives la peur ne cesse d’augmenter parce que nous sommes dans la prétention d’arrivée à un contrôle total à une sécurité maximale et à un risque zéro.

La peur est aussi un instrument du pouvoir ?

Le pouvoir politique a toujours su, comme le montre Machiavel, qu’en contrôlant la peur des citoyens on devenait maître de leur âme. Ce qui est inquiétant, dans les sociétés démocratiques censées faire sortir les citoyens du contrôle par la peur, est que ce n’est pas du tout le cas aux Etats-Unis, en France en Italie où l’on développe des politiques sécuritaires.

Présenté comme un remède la construction sécuritaire n’est pas un moindre mal…

On assiste à un double mouvement. Celui d’une institutionnalisation de la peur et d’une instrumentalisation de la peur. Les deux étant parallèles et pouvant se répondre. Quand je parle d’institutionnalisation, en faisant référence à Robespierre, j’évoque le fait de gouverner par la terreur, d’imposer aux gens qui sont en état de paralysie. C’est la logique reprise par le terrorisme extrémiste avec les attentats et par le biais des vidéos d’égorgements. Le problème c’est que la réponse qui a été donnée par les Etats-Unis et un certain nombre d’Etats européens a été une forme d’instrumentalisation de la peur. Pour éviter le danger du terrorisme, on a fait passer des mesures liberticides qui nuisent gravement aux libertés individuelles.

Avec quelles incidences sur le pacte social ?

On retire aux citoyens des moyens de contrôle du pouvoir mais aussi beaucoup d’autonomie et de liberté. Et au nom de la peur, les citoyens acceptent un contrôle toujours plus grand de leurs actes, de leurs gestes, voire de leur pensée. Ce qui met en question l’existence même de la démocratie.

Il y a-t-il un antidote ?

La peur en tant que telle fait partie de la condition humaine. C’est illusoire de vouloir l’éradiquer. Nous sommes des êtres fragiles et nos peurs enfantines nous suivent souvent en grandissant. La question est de savoir que faire de nos peurs. On peut parvenir à les supprimer dans certains cas où à les comprimer. En acceptant d’avoir peur, on accède au lâcher prise qui permet de s’ouvrir aux possibilités et d’agir ».

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Visage de la peur, 13 euros Editions Puf

Voir aussi : Rubrique Essai Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie,

« La crise implique de réinventer la démocratie »

Hier, Jorge Semprun  a captivé la salle Pasteur du Corum. PHOTO DAVID MAUGENDRE

Jorge Semprun grand témoin de la Comédie du livre 2009. Photo David Maugendre

Grandes Rencontres. Rescapé de Buchenwald, résistant, ministre de la Culture espagnole, écrivain, scénariste et académicien, Jorge Semprun est un grand témoin du XXe siècle.

Le contexte du roman éclaire une période assez méconnue, ici, de l’histoire espagnole qui concerne les oppositions monarchique et socialiste au Franquisme.

Après la persécution de l’opposition communiste écrasée, comme les anarchistes, par la répression postérieure à la guerre civile, il y a eu un vide assez long qui marque le revers de l’opposition. En 1956, elle trouve une nouvelle visibilité. Avec la jeune génération d’étudiants émerge une tendance qui est devenu importante. Certains membres sont encore actifs dans la politique aujourd’hui. Ce mouvement a refondé la social-démocratie en Espagne à travers un groupe qui s’appelait l’association Sasu, une association socialiste universitaire. C’était une première, parce qu’avant 1956 l’engagement socialiste était une activité d’exil basée à Toulouse, très figée dans ses positions liées à la guerre civile. 56 est le commencement d’un renouveau socialiste à l’origine de la social- démocratie en Espagne.

La contestation étudiante a pourtant été résorbée assez rapidement …

En tant que mouvement politique immédiat oui, mais cette contestation a produit des effets durables. Dans le sens où l’Espagne franquiste s’est habituée peu à peu à avoir une opposition avec des gens qui n’étaient pas forcément issus uniquement des vieux partis de la classe ouvrière de la guerre civile mais d’une nouvelle opposition qui pouvait être aussi bien inspirée par l’idée d’une monarchie parlementaire, que celle d’une république parlementaire. Bref une opposition libérale.
Une des grandes révélations de 56, c’est quand la presse a donné les noms des personnes arrêtées à ce moment-là, toutes issues de familles du régime. On s’est rendu compte alors que la contestation avait gagné le milieu des forces sociales du Franquisme.

Aujourd’hui estimez-vous que l’on en a fini avec l’histoire politique du Franquisme ?

Non, nous n’en avons pas fini dans la mesure où les répercussions de la longue domination franquiste ne sont pas seulement dictatoriales mais relèvent aussi d’une domination de la culture des mœurs, des habitudes. Aujourd’hui, à travers la question de la mémoire historique, on pose des problèmes qui sont liés au dépassement et à la compréhension du franquisme.
D’ailleurs le succès des livres espagnols qui portent sur la guerre civile ou sur les problèmes de la transition comme le livre de Javier Cercas Les soldats de Salamine ou encore le dernier livre qu’il a écrit sur la tentative de putsch du 23 février 1981 sont des ouvrages qui ont une énorme répercussion.

La transition vers la démocratie s’exprime par une effervescence artistique que l’on retrouve dans le cinéma et la littérature. Quel regard portez-vous sur cette période de la Movida ?

Un regard à la fois attendri et intéressé. Ce fut un moment d’éclatement dans tous les sens du terme, de liberté et d’exubérance qui arrivait après l’immobilisme. Il y a ce passage significatif : le parti unique franquiste s’appelait El Movimiento (le mouvement), et on est passé à la Movida. Les deux termes portent sur le mouvement, celui de Franco c’était l’immobilisme et la Movida exprimait une forme de renouveau, parfois caricatural, il ne faut pas se leurrer, mais qui a gagné par son esprit anarchique et libertaire toute la société espagnole. Aujourd’hui la jeunesse la plus extrême ne s’exprime plus de cette façon là. Mais la Movida reste un phénomène historique.

Aujourd’hui, on ressent une forme de désillusion qui s’exprime dans la sensibilité collective comme dans l’œuvre de certains écrivains…

Je crois que cela se produit dans tous les mouvements de ce type. On l’a vu en France avec les journaux de la résistance. A l’époque, l’entête du journal Combat était De la résistance à la révolution, et bien il n’y a pas eu de révolution. Donc on peut théoriser sur la désillusion qui exprime le retour au triste réel. Tous les grands mouvements qui signent la fin d’une époque dictatoriale de gauche ou de droite l’ont connue parce que la réalité ne correspond jamais aux rêves ou aux utopies de la lutte précédente. Mais l’Espagne a quand même réussi à créer la base d’une démocratie solide.

Vous qui êtes un partisan de la lucidité, comment regardez-vous la crise du système démocratique que nous traversons ?

C’est une crise de la démocratie représentative. C’est une crise des institutions, une crise des idées qui ne touche pas seulement l’Espagne mais l’ensemble de l’Europe. C’est un recul d’une conception de gauche active au sein de la démocratie. Cela touche profondément tout le système de représentation parlementaire à travers l’abstention massive, le manque d’utopie pour l’avenir et même d’utopie pratique. C’est vraiment une crise générale aggravée et multipliée par la crise économique. Nous sommes arrivés à un moment où il faut repenser, refonder, certains disent, réinventer la démocratie.

Le rescapé des totalitarismes nazi et stalinien que vous êtes y voit-il un danger ?

Dans les années 30, face à l’extension du totalitarisme nazi ou soviétique, le système démocratique était déprécié et attaqué de toute part. Aujourd’hui, la situation n’est pas vraiment comparable parce que nous sommes face à la montée de la mondialisation. C’est en quelque sorte une crise interne au système qui est basé sur le marché. Le danger vient de l’intérieur. Il faut réinventer, et ce n’est pas une tache facile pour les démocrates. C’est beaucoup plus difficile à repérer, à isoler, à analyser et à combattre. C’est une espèce de nouvelle maladie contre laquelle le vaccin n’a pas encore été trouvé.


Recueilli par Jean-Marie Dinh

La LDH dénonce un « recul des droits et libertés » en France en 2008

La Ligue des droits de l’Homme (LDH) dénonce dans son rapport annuel sur « l’Etat des droits de l’Homme en France » la poursuite d’un « recul des droits et libertés » en 2008, en soulignant la « surveillance » de « tous les citoyens » et le renforcement du « contrôle social ». « Le recul des droits et libertés qu’avait accéléré l’arrivée au sommet du pouvoir politique de Nicolas Sarkozy en mai 2007, a continué sans désemparer tout au long de l’année 2008 », écrit le président de la LDH Jean-Pierre Dubois dans ce rapport, publié jeudi aux éditions La Découverte. La LDH insiste sur l’avènement de ce qu’elle appelle « l’ère des miradors invisibles », quand « puces, caméras, lecteurs d’empreintes, bases de données et fichiers (…) pullulent », soulignant que  la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a elle-même « alerté sur la mise en place d’une +société de la surveillance+ ».

Selon l’organisation de défense des droits de l’Homme, ce sont « tous les citoyens, partout et toujours » qui sont « surveillés », et « tout particulièrement » (…) les défenseurs des droits et les lanceurs d’alerte ». Plus « l’Etat pénal avance », plus « l’Etat social recule », poursuit-elle, citant l’exemple du « fichage des chômeurs » qui « s’enrichit d’une surveillance de plus en plus inquisitoriale sur leur train de vie ». L’organisation parle également d’un renforcement du « contrôle social », en particulier à travers « des entraves à la liberté d’expression », s’inquiétant de ce que « le nombre de poursuites intentées pour outrage à l’autorité publique et pour injure et diffamation explose ».

Evoquant des « dérives sécuritaires », la LDH cite notamment à ce propos la loi sur la rétention de sûreté, qui « prive de liberté après la prison ». Elle condamne « une gestion de la police génératrice de dérives de plus en plus préoccupantes », particulièrement dans l’affaire de Tarnac où présomption d’innocence et secret de l’instruction ont été selon elle « piétinés »: des sabotages de lignes ferroviaires « qui n’ont mis en danger aucune vie humaine » y ont été « présentés » comme « une menace +terroriste+ de grande ampleur ». L’association parle d’une « dérive xénophobe de plus en plus ouvertement assumée », notamment concernant les sans-papiers, mais se réjouit de l’émergence  en 2008 de « résistances et réveils civiques face aux +contre-réformes+ », au cours de la campagne contre le fichier Edvige ou du mouvement de grèves de sans-papiers salariés.

Selon la LDH, « nul n’échappera au choix entre une société de solidarités durables, de prééminence démocratique du politique sur l’économique, de construction de libertés et d’égalités réelles » et « une société de surveillance dans laquelle des pouvoirs de plus en plus autoritaires chercheront à toujours plus +surveiller et punir+, pour réduire les citoyens à l’état de consommateurs et d’administrés dociles ».

Voir aussi : Rubrique Justice Affaire Villiers-le-Bel,

Propos hors antenne de Sarkozy: trois journalistes entendus par la police

Trois journalistes convoqués après une plainte de France 3 concernant la diffusion sur internet de propos tenus hors antenne par Nicolas Sarkozy, sont arrivés ce matin dans les locaux de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) à Paris pour y être entendus.Augustin Scalbert du site Rue89, Joseph Tual et  Karine Azzopardi de France 3, sont arrivés vers 9H10 devant le siège de la BRDP, accompagnés par une cinquantaine de journalistes venus manifester leur solidarité.
Peu avant, les représentants syndicaux de France Télévisions avaient dénoncé cette convocation « extrêmement grave » et « une tentative de mise au pas des journalistes que nous n’accepterons pas ».  Pierre Haski, directeur du site Rue89, rappelant pour sa part aux manifestants « nous sommes là pour défendre le droit à l’information » et jugeant les images diffusées sur internet d’éléments « parfaitement légitimes et intéressants d’information ».

Les trois journalistes ont été escortés par leurs confrères jusqu’à l’immeuble de la BRDP situé rue du Château des Rentiers (XIIIème) aux cris de « liberté d’information » certains brandissant des cassettes vidéo. Cette convocation fait suite à une plainte déposée le 8 juillet par France 3 pour « vol, recel et contrefaçon » après la diffusion sur internet, en particulier sur Rue89, d’une vidéo montrant Nicolas Sarkozy hors antenne, avant un passage au journal « 19/20 » le 30 juin.

Sur cette vidéo, qui avait été visionnée à plusieurs centaines de milliers de reprises, M. Sarkozy semblait irrité parce qu’un technicien de France 3 ne lui avait pas rendu son salut avant l’interview. Il avait également demandé au journaliste de France 3 Gérard Leclerc combien de temps il était resté « au placard ».

France 3 avait immédiatement lancé une enquête interne et « condamné avec la plus grande fermeté le piratage des images tournées pendant la mise en place de l’édition spéciale du 19/20 ». « Je suis serein, je ne suis ni un voleur, ni un contrefacteur, ni un receleur, je suis un journaliste du service public qui informe le public », a déclaré à son arrivée Joseph Tual.

La voix de Polanyi toujours actuelle ?

jeromemaucourantMaître de conférence de sciences économiques à l’université de Saint-Étienne, Jérome Maucourant revient sur les idées historiques, politiques et sociales de Karl Polanyi

« Si l’on dit que la redistribution rend la dette acceptable, cela veut dire que le politique qui est le vecteur de la redistribution doit intervenir. »


« Dans l’œuvre multiforme de Polanyi, certaines grandes idées se dégagent. Celle par exemple que le marché ne serait pas naturel ?

Effectivement, le paradigme que nous connaissons depuis vingt cinq ans est celui de la naturalité du marché. Le marché est pensé comme une institution qui ne proviendrait pas d’un dessein conscient. En réfléchissant à la montée des fascismes, à l’échec de l’étalon-or et à la crise des années 30, Polanyi en arrive à l’idée que le marché est une construction sociale et politique mise en place par des desseins délibérés.

Quelles sont les conséquences de cette construction?

Il a une formule assez forte qui dit que le laissé faire est planifié et la planification est spontanée. Il veut dire par-là que des politiques très particulières ont constitué des marchés et que les conséquences imprévues du fonctionnement de ces marchés ont crée des contre mouvements de protection de la société, qui ont rendu possible pour un temps, la société de marché. Sans cela la société n’aurait jamais supporté les conséquences du point de vue humain, social, culturel d’une fiction aussi grossière qui consiste à faire en sorte que, la terre, la monnaie et le travail soient constitués comme marchandises.

En quoi la fin de l’étalon-or s’avère-t-elle déterminante ?

Si la crise des années 30 a expulsé l’étalon-or des institutions, sa fin programmée s’annonce dès le XIXème en Grande-Bretagne puis aux Etats-Unis quand les banques centrales se constituent. C’est-à-dire que dès qu’on a voulu instituer la monnaie comme une marchandise, – la monnaie n’étant qu’une image de la marchandise alors que l’étalon-or était pensé comme un bien pouvant être échangé contre d’autres biens – les désordres économiques ont été tels, que les banque centrales sont entrées dans la politique. Dans les années 20, on assiste à une régulation de la macroéconomie pour essayer de mettre en œuvre la monnaie parce que cela ne marche pas tout seul et qu’il faut une intervention. Et très vite, les interventions prennent différentes formes ; monétaire budgétaire, etc.

Polanyi souligne que la gestion monétaire porte sur un contenu de classe…

Il y a effectivement un contenu de classe et plus globalement un contenu social. Polanyi montre que ce qui est fondamental dans toute société humaine c’est la question de la circulation de la dette. Ici, on se rend compte de l’importance de la politique monétaire. C’est elle qui permet d’assurer une bonne évaluation et circulation des dettes. Si l’on admet que la perpétuation des dettes et leur négociation permettent à la société de tenir debout, on réalise que la monnaie n’est plus quelque chose de purement technique mais permet de gérer les équilibre sociaux.

On pense à la crise actuelle…

Il est évident que l’effondrement de la finance est tout simplement l’effondrement d’un certain mode social d’accumulation des richesses. Il suffit de voir que la croissance américaine ne favorise qu’un pour mille de la population. Et la seule façon qu’on ait trouvé pour perpétuer ce système, est l’explosion de la dette dans les classes inférieures et moyennes de la société. Un compromis existait à la fois aux Etats-Unis et dans les pays émergents pour financer une dette qui était un peu le socle social de l’accumulation mondial du capital.

L’alternative appelle-t-elle une régulation ?

Oui, ce qui signifie une chose très simple, si l’on dit que la redistribution rend la dette acceptable, cela veut dire que le politique, qui est le vecteur de la redistribution, doit intervenir. Et le faire plus massivement qu’il ne le faisait.

essaiskarlpolanyi-df3f5

Les essais de Karl Polanyi, éd du Seuil

Effectivement, cette idée contredit certains historiens qui évoquent le terme de démocratie de marché. La survie de la société moderne est liée à une articulation fonctionnelle entre la sphère politique et économique. La sphère politique est fondée démocratiquement par le vote des citoyens selon l’idéal d’égalité et doit nécessairement se confronter à l’économie qui ne fonctionne pas sur ce principe. Il y a donc un risque de clash permanent. C’est tellement vrai que Polanyi invitait à prendre Hitler au sérieux quand celui-ci pose dans son discours de 1934, l’impossibilité de la coexistence de la propriété des moyens de production et du principe démocratique.

Polanyi s’inspire du Capital, comment se distingue-t-il de Marx ?

Son œuvre serait incompréhensible sans la lecture de Marx. Les textes qui sont publiés essayent de mettre en valeur une réactualisation du marxisme que Polanyi a pu faire dans les années 30 en tentant de saisir pleinement ce moment historique. Ce qui influence Polanyi c’est le Marx de l’aliénation, en revanche Polanyi est plus critique sur l’idée que l’économie serait le squelette de toute une société. Il concède cependant au marxisme ce fait dans la société capitaliste.

En quoi son œuvre peut-elle être utile à la gauche ?

Polanyi c’est toujours considéré comme un socialiste. Il a eu pleinement conscience, avant même son échec, de l’impossibilité d’une économie planifiée. S’il y a un message à donner aux gauches actuelles c’est que, si l’anticapitalisme se traduit par la négation absolue du marché, on court irrémédiablement à l’échec. Il y a énormément de confusions qu’il faudrait lever. Certains anticapitalistes sont peu conscients que le marché peut avoir une place dans une société qui n’est pas globalement capitaliste. Polanyi nous invite à penser au fonctionnement de la société à partir des méthodes de marché, de redistribution, et de réciprocités qui renvoient à l’économie solidaire.

Un autre message que l’on peut lancer à la gauche qui se dit libérale, c’est de créer un socialisme qui prenne en compte les problèmes de notre époque comme la question de l’environnement, de la brevatibilité du vivant et généralement de l’écologie. Il est évident que cela ne peut pas être résolu par des procédures marchandes. Or une bonne partie de la gauche libérale justement par son adhésion sans faille au traité européen, qui est un projet de privatisation de la société par le marché, n’est pas en mesure de proposer une alternative. Il serait bon que les socialistes libéraux tirent les conclusions de l’histoire et de leur échec au moment même où le capitalisme financier s’effondre. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

avez-vous-polanyi

Jérome Maucourant « Avez-vous lu Polanyi ?», éd. La dispute