Les Tunisiennes déchaînées contre le «No woman no fly» des Emirats

Des Tunisiennes lors d'une manifestation à Tunis lundi pour protester contre les mesures de sécurité prises par Emirates. Photo Fethi Belaid. AFP

Des Tunisiennes lors d’une manifestation à Tunis lundi pour protester contre les mesures de sécurité prises par Emirates. Photo Fethi Belaid. AFP

La compagnie aérienne Emirates de Dubaï a décidé d’interdire aux femmes tunisiennes d’embarquer sur ses vols au motif d’«informations sécuritaires sérieuses chez les autorités émiraties sur la possibilité d’attentats terroristes».

 

Une chroniqueuse de la radio nationale tunisienne a bien averti les responsables émiratis : «Vous allez connaître une malédiction céleste dans les prochains jours car 5 millions de femmes tunisiennes vont vous crier « au diable ! »» C’est en effet un déchaînement de fureur qui se poursuit depuis jeudi en Tunisie après la décision de la compagnie aérienne Emirates de Dubaï d’interdire aux femmes tunisiennes d’embarquer sur ses vols.

La mesure, imposée sans explications dans un premier temps, a été justifiée par la suite par «des informations sécuritaires sérieuses chez les autorités émiraties sur la possibilité d’attentats terroristes», selon la porte-parole de la présidence tunisienne, Saïda Garrach. «Les données qu’elles ont, c’est que dans le cadre du retour des combattants [jihadistes] et leur sortie de Syrie essentiellement, et d’Irak, il existe une possibilité d’attentat terroriste dans lequel seraient impliquées des femmes soit Tunisiennes soit porteuses de passeports tunisiens.» Si la Tunisie a dit comprendre les préoccupations émiraties, elle ne peut «accepter la manière dont les femmes tunisiennes ont été traitées», a affirmé Saïda Garrach. Le gouvernement tunisien a annoncé la suspension des vols de la compagnie émirienne entre Tunis et Dubaï depuis lundi.

«Bédouins rétrogrades»

La mesure de rétorsion officielle tardive est venue sous la pression de l’opinion publique tunisienne. Quatre ONG, dont la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), ont dénoncé une «décision discriminatoire qui viole la dignité et les droits des femmes». Les principales associations de la société civile tunisienne ont appelé les autorités à se montrer fermes.

Mais rien ne semble pouvoir calmer les réactions d’une population qui a trouvé l’occasion de déverser son fiel contre les «Bédouins rétrogrades», selon l’expression qui revient dans les commentaires sur les réseaux sociaux. La page Facebook de la compagnie Emirates a été prise d’assaut par les Tunisiens. Des commentaires souvent condescendants, à la limite du racisme où les enfants du Tunisois Ibn Khaldoun, le grand philosophe du XIVe siècle, rappellent aux «Bédouins» que leurs pères à l’époque «faisaient sécher les crottes de chameaux pour le transformer en Khôl pour les yeux de leurs femmes». On retrouve d’autres perles d’une «guerre de civilisation» sous le hashtag «No woman no Fly» faisant écho à la campagne des Saoudiennes «No woman no drive» pour revendiquer le droit de conduire. «Les femmes tunisiennes sont plus respectables que vos cheikhs mercenaires qui nous rappellent tous les jours que vous êtes les déchets de l’humanité», lit-on dans un des tweets haineux.

«L’ignorance, le sous-développement et la bêtise relèvent de la génétique et ne peuvent être compensés par des gratte-ciel, des îles artificielles ou un Louvre dans le désert», lançait la chroniqueuse de la radio citée plus haut. «Interdire aux femmes tunisiennes de monter dans vos avions ou d’entrer dans vos villes est conforme à votre caractère buté. Parce que vous n’avez pas réussi à priver la femme tunisienne de sa fierté et de sa grandeur dont vous ne pouvez même pas avoir idée», poursuit celle qui met en garde les Emiratis contre la colère des Tunisiennes.

Hala Kodmani

Source Libération 26/12/2017

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