Craintes d’Amnesty International France sur le projet de loi relatif au Défenseur des droits

Après un premier examen du projet de loi, AIF s’inquiète de certaines dispositions qui vont à l’encontre d’une véritable indépendance de sa mission et d’une réelle transparence de son fonctionnement concernant notamment le traitement des réclamations relatives à la déontologie de la sécurité. La saisine du Défenseur est annoncée comme directe mais, telle qu’elle est notamment présentée dans les articles 6, 8, 11 et 20, elle fait l’objet de mesures restrictives. 

En matière de déontologie et de sécurité, la collégialité actuelle des 14 membres de la CNDS venant d’horizons divers serait remplacée par une simple « consultation » par le Défenseur de trois personnalités avec un risque en termes d’indépendance si ces personnes sont nommées en raison de leurs compétences « dans le domaine de la sécurité » par le Président de la République et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat (article 11). 

Dans certains cas, la saisine du Défenseur serait subordonnée à l’accomplissement de démarches « préalables » auprès des personnes publiques ou organismes mis en cause (article 6) et, en cas de saisine par une tierce personne, son intervention serait conditionnée par l’accord express de la personne concernée (article 8). En outre, le Défenseur apprécierait « souverainement » si les faits signalés « méritent » une intervention de sa part et il ne serait pas tenu de motiver sa décision de classement de la demande (article 20). 

Ces dispositions sont contraires aux recommandations déjà formulées par AI en faveur du renforcement des pouvoirs et attributions de la CNDS à l’occasion de cette fusion avec le Défenseur et du maintien de son indépendance, seule garante d’un traitement impartial et exhaustif des réclamations qui mettent en cause des organes chargés du maintien de l’ordre public. 

Informations complémentaires 
En février 2009, AIF s’était adressée à Madame Rachida Dati et lui avait adressé le rapport « France – la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et le Défenseur des droits » en lui faisant part de sa crainte que les attributions spécifiques de la CNDS ne soient remises en cause ou diluées à cette occasion. 

AIF formulait alors des recommandations allant dans le sens d’un renforcement des pouvoirs de contrôle et d’enquête du Défenseur des droits qui se retrouvera en charge du respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité. AIF demandait notamment des garanties en termes d’indépendance, de pouvoirs, et de moyens humains et financiers, pour que sa mission soit efficace. 

AIF demandait que la fusion de la CNDS dans une autre structure n’entraîne pas pour cette activité une perte de spécialisation et de compétence, la diminution des moyens qui sont actuellement affectés à la CNDS et même la réduction de ses capacités, ce qui aurait des répercussions négatives sur le contrôle indépendant efficace des organes chargés du maintien de l’ordre public. 

De plus, AIF demandait que la réforme en cours soit l’occasion de mettre en conformité avec les normes internationales les dispositions relatives à l’examen des allégations de violations des droits humains par des agents de la force publique. Au lieu de se limiter à investir le Défenseur des droits du mandat et des pouvoirs dont dispose actuellement la CNDS, il s’agirait d’étendre leur portée afin de remédier aux faiblesses qui ont pesé sur le travail de cet organe. 

Enfin, AIF rappelait que, pour être efficace, l’organe chargé d’examiner les réclamations concernant des faits commis par des responsables de l’application des lois doit être habilité à examiner toutes les allégations de violations des droits humains, voire à se substituer dans certaines affaires aux mécanismes de surveillance internes des services concernés. Cet organe doit être habilité à ordonner l’ouverture d’une procédure disciplinaire et, lorsqu’il l’estime opportun, à saisir directement le ministère public afin de déclencher l’ouverture de poursuites judiciaires. Pour s’acquitter de son mandat avec efficacité, il doit disposer d’un personnel et d’un financement suffisants, être connu du grand public et pouvoir être saisi directement par les particuliers. 

Communiqué de presse d’Amnesty International France
Paris, le 10 septembre 2009

L’État italien condamné dans l’affaire Giuliani

Gênes . La Cour européenne des droits de l’homme a condamné Rome pour son enquête bâclée sur la mort du jeune Carlo Giuliani, lors du G8 de 2001.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu, mardi, son arrêt concernant l’affaire de la mort de Carlo Giuliani. L’État italien a été condamné à verser 40 000 euros à la famille. Il a bâclé l’enquête sur les circonstances de l’homicide, selon la Cour. C’est à la suite de heurts entre manifestants et policiers, au cours de manifestations contre le G8, qui se tenait à Gênes du 19 au 21 juillet 2001, que Carlo Giuliani, vingt-trois ans, a été abattu par un carabinier de vingt ans. Alors qu’un peloton des forces de l’ordre se retirait, deux véhicules avaient été laissés sur une place. Dans l’un d’eux, trois carabiniers dont un jeune gendarme de vingt ans, blessé au cours de précédents heurts. Il tire après sommation, dira l’enquête. Giuliani s’effondre. Pour se dégager, le véhicule des forces de l’ordre roule sur le corps du jeune homme.

Cet arrêt de la Cour signifie l’arrêt des poursuites pour le carabinier. La juridiction européenne estime que celui-ci n’a pas fait « un usage excessif de la force », et n’aurait fait que réagir à ce qu’il a « honnêtement perçu comme un danger réel et imminent, menaçant sa vie et celle de ses collègues ». Les manifestants, qui entouraient la voiture se montraient menaçants.

Si le carabinier est mis hors de cause, la Cour pointe en revanche les insuffisances de l’État italien dans sa gestion de l’enquête. Ainsi, entre la notification de l’autopsie et l’autopsie elle-même ne s’écoulent que trois heures, empêchant ainsi que la famille puisse y envoyer un représentant. En outre, le parquet a autorisé la crémation du corps avant même que soit rendu le rapport d’autopsie. Cela laisse planer un doute sur la cause de la mort.

Outre ces erreurs dans la menée de l’enquête, la Cour pointe le fait que toutes les circonstances n’ont pas été établies. Pourquoi un carabinier blessé a-t-il été laissé en possession d’une arme, alors que ses supérieurs avaient estimé qu’il n’était plus en état physique, ni psychique d’assurer son service ? Est-ce que l’organisation des forces de l’ordre était adéquate au type d’événement, ce qui revient à pointer les responsabilités dans la chaîne de commandement et les responsabilités propres aux politiques ?

Car à côté de cet événement tragique, tout semble avoir été mis en oeuvre pour que la situation dégénère, à commencer par les raids des « forces de l’ordre » dans les stades, ou dans l’école Diaz, où une centaine de militants avaient été brutalisés, voire torturés. Le procès, en novembre dernier, s’était soldé par des condamnations à quelques mois de prison – de toute façon couvertes par une amnistie. Condamnations qui ne concernaient que les policiers. Leurs supérieurs ou la droite au pouvoir lors des événements de Gênes n’avaient pas été inquiétés.

Gaël De Santis

Le mal-être carcéral en partage

Des CRS évacuent les surveillants qui bloquaient la maison d'arrêt de Caen, le 4 mai 2009

Au troisième jour du bras de fer entre l’intersyndicale des surveillants et l’administration pénitentiaire, le mouvement de blocage des prisons se poursuit. Les forces de l’ordre ont délogé hier matin, sans incident, l’entrée de plusieurs établissements pénitentiaires bloqués par les surveillants dans la région. A Villeneuve lès Maguelone comme dans tout le pays, les gardiens de prison ont voté la reconduction du mouvement jugeant les propositions fournies par la Chancellerie mardi, très insuffisantes.

Mercredi matin devant les portes de la Maison d’arrêt, les grévistes ont enflammé des pneus. Après s’être fait repousser par les forces de police, une cinquantaine de surveillants a repris position devant les grilles d’entrée. Depuis lundi, les livraisons n’entrent plus, les ateliers sont interrompus, le centre scolaire arrêté et la pharmacie tourne en service minimum. Pour l’instant les détenus restent dans la neutralité. L’établissement disposant de stocks, le blocage du ravitaillement ne se fait pas encore sentir et surtout l’accès aux familles n’étant pas filtré, le parloir continue de fonctionner.

Les raisons de la colère tiennent aux sous-effectifs, aux violences chroniques et à l’abandon de l’administration. La Maison d’Arrêt de Villeneuve compte actuellement 137 surveillants pour 710 détenus. La population atteignant parfois des pics à 800 pour un établissement de 600 places.  « L’administration connaît la pénibilité de nos conditions de travail, explique le délégué FO Erienne De Sinno. Au lieu d’alléger pour favoriser la qualité du service, elle écrase les surveillants en appliquant des mesures aveugles et hypocrites. »

La tension est montée en novembre dernier, depuis que Rachida Dati a imposé les rondes de nuit toutes les deux heures sans attribution de postes supplémentaires. Une directive lancée par la ministre après le suicide d’un mineur en prison, sans s’interroger un instant sur le choix politique d’emprisonner un maximum de mineurs pour un maximum de temps. « Le protocole du ministère nous dit que l’on va redéfinir les modalités des rondes. C’est du vent », fustige Etienne De Sinno qui rappelle que suite à un préavis de grève déposé en novembre, les groupes de travail hebdomadaire impliquant les organisations syndicales n’ont abouti à rien. Le mouvement pourrait encore se durcir dans les prochains jours.

Jean-Marie Dinh


Accès internet : les eurodéputés maintiennent la pression sur la France

UE-France-télécoms-internet

Le Parlement européen a confirmé  son opposition à toute coupure d’accès internet sans décision de justice préalable, dans une nouvelle attaque contre un projet français visant à lutter contre les téléchargements illégaux. A une large majorité (407 voix pour, 57 contre et 101 abstentions), les eurodéputés ont réintroduit en deuxième lecture un amendement stipulant que les droits fondamentaux des internautes ne pouvaient être restreints « sans décision préalable des autorités judiciaires ».

Cet amendement est clairement dirigé contre le mécanisme français de « riposte graduée » contre le piratage, cher au président Nicolas Sarkozy. Celui-ci doit permettre à une autorité administrative –et non judiciaire–, baptisée Hadopi, de suspendre l’accès internet des internautes qui téléchargent illégalement des contenus culturels, après deux avertissements.

« C’est une nouvelle claque pour Sarkozy et le gouvernement français », a immédiatement réagi l’un des initiateurs de l’amendement, le socialiste français Guy Bono. Un autre artisan de l’amendement, le vert Daniel Cohn-Bendit, a également salué « une défaite pour Nicolas Sarkozy, qui ne peut désormais plus ignorer cette position très majoritaire du Parlement européen à l’occasion du débat à l’Assemblée nationale sur la loi Hadopi ». Ce faisant, les eurodéputés hypothèquent toutefois une vaste réforme censée améliorer la concurrence et renforcer les droits des consommateurs sur le marché européen des télécoms, dite « paquet télécoms ».

Ils sont en effet revenus sur un compromis pour cette réforme négocié par les rapporteurs parlementaires et les représentants des Etats de l’UE et qui retenait une formulation adoucie. Le compromis stipulait certes que toute mesure touchant à l’accès internet devrait respecter « le droit à un jugement par un tribunal indépendant et impartial », mais sans affirmer la nécessité que ce jugement soit préalable. L’un des rapporteurs parlementaires qui avait négocié le compromis, la socialiste française Catherine Trautmann, avait évoqué mardi un « choix cornélien ». Elle a finalement appelé au moment du vote à soutenir l’amendement litigieux.

Elle a ensuite souligné qu’une partie du compromis ayant été rejetée, « l’ensemble du paquet (télécoms) va en conciliation », des négociations de la dernière chance de quelques semaines entre députés et Etats membres. Pour les consommateurs, toute une série de droits, comme la possibilité de changer d’opérateur téléphonique en moins de 24 heures sans perdre son numéro, se retrouvent dans la balance. Leur association au niveau européen, le Beuc, a pourtant salué « une victoire ».

Couper l’accès internet des personnes suspectées de télécharger illégalement est « une sanction injustifiée et disproportionnée et nous demandons au Parlement d’interdire explicitement ce genre de règles extrêmistes », a noté la directrice générale du Beuc, Monique Goyens. De nombreux eurodéputés ont souligné la trop grande marge d’interprétation laissée par le compromis.

La France avait estimé qu’il ne compromettait plus la riposte graduée. « Démontrer qu’Hadopi serait un tribunal indépendant et impartial reviendrait à imposer à cette haute autorité toutes les obligations qu’un juge doit respecter : droit de la défense, droit à une procédure contradictoire, publicité », avait en revanche fait valoir Mme Trautmann, estimant que cela suffirait à « faire imploser le système ».     L’Hadopi, très controversée également en France, est censée envoyer 10.000 courriels d’avertissement et prononcer 1.000 coupures d’accès à internet quotidiennement. Le projet est toujours censé être voté le 12 mai par l’Assemblée nationale.

AFP

Voir aussi : Rubrique Internet Les effets négatifs d’Hadopi,

Affaire Kieffer: les juges français à Abidjan pour entendre Simone Gbagbo

Les juges français chargés de l’enquête sur la disparition du journaliste Guy-André Kieffer en Côte d’Ivoire en 2004 sont actuellement à Abidjan pour entendre cette semaine comme témoin Simone Gbagbo, l’épouse du président ivoirien.

Les juges d’instruction Patrick Ramaël et Nicolas Blot sont arrivés dimanche soir en Côte d’Ivoire, ont indiqué ces sources.

Ils doivent auditionner jeudi Mme Gbagbo, ainsi que le ministre d’Etat ivoirien chargé du Plan et du Développement, Paul-Antoine Bohoun Bouabré, selon des sources proches du dossier.

Mme Gbagbo et M. Bohoun Bouabré, qui ont par deux fois refusé de déférer à une convocation des magistrats à Paris, ont accepté d’être entendus à Abidjan, en présence de leurs avocats français, Georges Kiejman et Pierre Cornut-Gentille.

Ces auditions, auxquelles assisteront également des magistrats ivoiriens, sont toutefois conditionnées à trois autres auditions qui doivent se dérouler dans les jours précédents.

Les juges souhaitent notamment entendre Patrice Baï, à l’époque chef de la sécurité de la présidence, mis en cause notamment par le beau-frère de Simone Gbagbo, Michel Legré, qui est depuis revenu sur ses déclarations.

Les enquêteurs français ne soupçonnent pas le couple présidentiel ivoirien d’être impliqué directement dans cette affaire, mais certains cadres du régime liés aux milieux d’affaires.

Journaliste franco-canadien indépendant enquêtant sur diverses malversations en Côte d’Ivoire, notamment dans la filière cacao, Guy-André Kieffer a été enlevé le 16 avril 2004 à Abidjan. Il aurait été assassiné par ses ravisseurs. Son corps n’a jamais été retrouvé.

Voir aussi : Rubrique Françafrique : Elections