De la déviance à la créativité

En abordant la problématique de la vieillesse sous l’angle du vieillir mieux, le dernier numéro du sociographe nous transporte au cœur d’un questionnement social de première importance. Il adjoint en outre à la problématique de la prise en charge de la vieillesse, la notion de qualité, qui tend à disparaître dans les discours politiques insérés dans le carcan idéologique budgétaire et comptable. « Le vieux », c’est toujours l’autre dans une façon d’exclure celui qui pourrait apparaître comme « en trop » dans un monde où l’autre est toujours envahissant, suspecté de puiser des ressources qui ne seraient pas inépuisables. Face à la pression démographique, à la finitude des ressources, à l’ampleur des dettes, au nombre de chômeurs, à la pression immobilière, à l’encombrement des routes… », souligne l’éditorialiste de ce numéro qui rappelle qu’on est toujours le vieux de quelqu’un.

Figure de repoussoir
Passé un certain âge, il est devenu bien difficile d’identifier le lieu où l’on est par rapport au lieu d’où l’on vient. Cette interrogation conduit à  convoquer les concepts philosophiques de lieu, de temps, et de sens pour parler juste, à propos de la place sociale des personnes âgées tant celle-ci fait figure de repoussoir. Dans un monde qui porte la compétitivité comme valeur cardinale, les gens âgés sont socialement perçus comme déviants par rapport à des normes sociales basées sur la productivité, la jeunesse et l’autonomie. « Ces figures sont ainsi intériorisées, incorporées par les individus qui les subissent. Certains vont « préférer » le suicide tandis que  d’autres s’enfuient dans la démence sénile alimentée par la perte de tout attribut identitaire positif », indique Laurence Hardy qui a coordonné le numéro.

En attendant la remise du rapport sur la dépendance en juin, Roselyne Bachelot confiait il y a peu son intime conviction en ces termes : « J’ai 62 ans, et j’ai toujours espéré avoir le droit de déposer chez un notaire un écrit autorisant mon médecin à mettre fin à ma vie si je devenais dépendante physiquement ou encore pire, cérébrale. » Loin de décourager les candidats au suicide, la ministre lance aussi quelques pistes afin d’améliorer la recherche d’une maison de retraite. Avec le prix comme principal indicateur. Et dans la foulée fleurissent dans la presse les palmarès des maisons de retraite sans évaluations fiables.

A contrario les travailleurs sociaux qui s’expriment dans le sociographe bousculent les représentations sociales négatives. C’est par la créativité que se jouent aussi la reconnaissance et la prise en considération des vieilles personnes, font valoir leurs regards croisés. Il s’agit de retrouver les traces laissées en soi par le passé, transformées par le temps, l’imagination.

Jean-Marie Dinh

Le sociographe n° 35 Vieillir vieux, vieillir mieux ? 10 euros, publié par L’IRTS du Languedoc-Roussillon.

Voir aussi : Rubrique SociétéGisements des industriels de « l’or gris », rubrique Santé rubrique Revue, la question religieuse dans le travail social le travail social est-il de gauche ?

Malek Bensmail : Le regard qui parle

 

Alliénations liées au désordre

Perle rare du documentaire d’auteur Malek Bensmail, rend avec Aliénations un hommage à son père psychiatre à l’origine de l’hôpital psychiatrique de Constantine. Après s’être exilé durant les années de terreur, le réalisateur algérien revient dans son pays en 2004 pour suivre le quotidien des médecins et des malades de l’hôpital de son père.

Le film montre le quotidien de l’établissement en plongeant en profondeur dans la culture du pays, de ses croyances et de ses maux. Avec une grande sobriété, Malek Bensmail, livre des images dont la force du sens embrasse la réalité bouleversée et bouleversante d’une histoire nationale tragique. Tout en affirmant son appartenance de cœur et de sang à son pays, il pénètre dans l’intimité d’une population qui souffre. De l’incompréhension familiale aux conditions de précarité insupportables en passant par la corruption et les traumatismes liés à la violence religieuse et politique, les pathologies disent mieux que tous les sujets d’actualité la crise que traverse l’Algérie. Le travail du personnel médicale en charge de cette souffrance semble infini…

Le titre Aliénations est pluriel. On l’entend comme une certaine incapacité à s’incérer dans la société algérienne. Mais aussi et peut-être surtout dans le sens marxiste du terme. Celui de la dépossession de l’individu et de la perte de maîtrise de ses forces propres au profit de la puissance du pouvoir.

Jean-Marie Dinh

On peut voir le film Aliénations dans la région jusqu’à fin mars et découvrir prochainement au Diagonal  » La Chine est encore loin « , un autre très bon documentaire de Malek Bensmaïl. Rens : 09 54 82 57 60.

Voir aussi : Rubrique Cinéma Grand écran sur l’Algérie, rubrique  Algérie,

 

Les talibans afghans ne sont pas des alliés d’Al-Qaïda

Les Etats-Unis risquent de rendre un accord de paix en Afghanistan encore plus difficile à atteindre en mettant dans le même panier talibans afghans et Al-Qaïda, estiment lundi des universitaires américains pour qui des frictions existent entre les deux groupes.

Les Etats-Unis risquent de rendre un accord de paix en Afghanistan encore plus difficile à atteindre en mettant dans le même panier talibans afghans et Al-Qaïda, estiment  des universitaires américains pour qui des frictions existent entre les deux groupes.

« Les talibans et Al-Qaïda sont toujours des groupes distincts avec des objectifs, des idéologies et des moyens de recrutement différents; des frictions considérables existaient entre eux avant le 11 septembre 2001 et aujourd’hui ces frictions persistent », indiquent-ils dans un rapport.

Intitulé « Separating the Taliban from Al Qaeda: The Core of Success in Afghanistan » (Séparer les talibans d’Al-Qaïda: la clé du succès en Afghanistan), le rapport avait été mentionné dans un premier temps par le New York Times dans son édition de lundi.
Alex Strick van Linschoten et Felix Kuehn, du Centre de Coopération internationale de l’université de New York, assurent que l’intensification des opérations militaires contre les talibans pourrait rendre plus difficile la conclusion d’un accord avec eux.

Les deux universitaires, qui ont travaillé pendant des années en Afghanistan, ajoutent que les attaques menées contre les chefs talibans se traduisent par l’arrivée à la tête du mouvement de nouveaux combattants plus jeunes et radicaux, ce qui permet à Al-Qaïda d’augmenter son influence.

Ils suggèrent que les Etats-Unis engagent un dialogue avec les talibans les plus âgés avant que ces derniers ne perdent le contrôle de leur mouvement. « Il est possible de faire en sorte que les talibans renoncent à Al-Qaïda et qu’ils donnent des garanties contre l’utilisation de l’Afghanistan par des groupes terroristes internationaux de telle manière que cela remplisse les objectifs clés des Etats-Unis », estiment-ils.

Ils ne s’opposent pas à la guerre menée par l’Otan dans le pays, mais ils estiment que des négociations doivent être menées parallèlement aux combats. Un accord politique est nécessaire, écrivent-ils, autrement le conflit va s’intensifier. « La façon dont le combat est mené est importante. Si ce que l’on cherche à obtenir c’est vraiment un accord politique, il n’y a alors pas beaucoup de sens à essayer de détruire les organisations avec lesquelles on essaie de discuter », assurent-ils.

La force internationale Isaf dirigée par l’Otan doit transférer aux soldats afghans la responsabilité des combats en première ligne à une date encore indéterminée, ce printemps, une phase qui doit s’achever en 2014 avec la prise de contrôle totale du théâtre des opérations par l’armée afghane. L’objectif de l’Otan est d’aider à constituer une armée et une police afghane fortes au total de 306.000 hommes d’ici la fin 2011, afin de faciliter le transfert des responsabilités actuellement exercées par les quelque 140.000 soldats de l’Isaf.

Voir aussi : Rubrique Afghanistan, L’enlisement total,  L’exemple russe pour la sortie, rubrique Pakistan, rubrique Méditerranée, Al-Quaida totalement dépassée par la lame de fond arabe,

Qu’il y a-t-il sous la burqa ?

Sous la burqua l'érotisme. Magritte 1934.

Puisque le Président de la République a décidé, pour séduire l’électorat FN, de faire de la loi sur la burqa un des éléments majeurs de l’année écoulée (ce qui n’est pas le cas), essayons d’aller un peu plus loin, pour voir ce qu’il y a sous elle (en tout bien tout honneur).

Toutes les sociétés ont essayé de réglementer la sexualité des femmes, et l’origine de cette obsession réside dans le fait que l’association « virginité avant le mariage/fidélité après le mariage » constitue une garantie de la paternité non adultérine des enfants, avec les conséquences que cela impliquait sur les transmissions des patrimoines –d’où la tolérance bien plus grande envers la sexualité des hommes, et une exigence sociale bien plus grande envers la pudeur des femmes qu’envers celle des hommes.

Remarquons d’abord que la seule virginité vérifiable (mais aussi la seule susceptible de garantir l’origine de la paternité des enfants) est la virginité vaginale, et que les femmes, musulmanes ou pas, ont toujours fait preuve d’assez d’imagination pour contourner cet interdit par d’autres pratiques sexuelles, qui se trouvent ainsi encouragées.

Notons aussi que si la religion a toujours été l’outil essentiel du contrôle de la sexualité féminine, elle n’en a pas été la seule : dans la société laïque française d’une bonne partie du XXe siècle, l’adultère était jugé comme une faute pénale (jusqu’en 1975), mais l’homme n’était puni que si sa maîtresse habitait au domicile conjugal, et la peine encourue était la prison pour la femme, et une simple amende pour l’homme.

On peut émettre l’hypothèse que le succès et la pérennisation de ce qui n’était, à son origine, qu’un système de sécurisation du patrimoine familial ne sont dus qu’au fait qu’ils ont rencontré un ressort psychologique profond, tout aussi universel, des hommes et jamais avoué : la hantise de la performance sexuelle peu brillante, ne permettant pas aux femmes d’atteindre l’orgasme.

Et si l’on considère que le but de toutes les « normes » sexuelles, c’est de nier le droit féminin au plaisir sexuel et à l’orgasme, qui serait l’apanage des hommes, bien de choses s’éclairent.

L’association « virginité avant le mariage/fidélité après le mariage » constitue une garantie de l’inexpérience sexuelle de la femme, et de son incapacité à faire des comparaisons qui risqueraient d’être peu flatteuses : comment se plaindre de l’absence de ce dont on ignore la possibilité et l’existence ? Quelle meilleure garantie, pour les hommes aux performances modestes, que le fait que leur femme s’imaginera que c’est ce qu’on peut faire de mieux ?

Comment expliquer la pratique de l’excision clitoridienne autrement que comme une tentative de supprimer la possibilité et le droit des femmes à l’orgasme, et son acceptation par les mères par leur refus inconscient que leurs filles connaissent ce qui leur a été interdit, ce qui serait perçu comme trop injuste ?

Comment comprendre autrement la promesse faite aux kamikazes musulmans des « 72 vierges qui les attendent au paradis » (notons, au passage, qu’on a l’air de batifoler davantage dans le paradis coranique que dans le paradis chrétien…), alors que l’homme sûr de lui préfèrerait sans doute des femmes sexuellement expérimentées à des vierges novices ? Et l’absence de promesse équivalente pour les femmes kamikazes ? Et qui ne voit que si, par extraordinaire, l’Islam décidait d’accorder aux femmes l’égalité des droits au plaisir sexuel, ce ne serait pas la promesse de « 72 puceaux » qui serait la plus enthousiasmante ?

Et l’on touche ici au point faible du « système » : en préférant l’inexpérience sexuelle féminine aux plaisirs plus risqués, mais plus riches de l’expérience sexuelle féminine, l’homme ampute aussi sa propre sexualité, préférant la sécurité à l’exploration et l’innovation : plutôt la burqa que le Kama-Soutra.

Lutter contre les limitations imposées à la sexualité féminine, c’est aussi lutter pour une sexualité masculine moins frileuse : la burqa n’est que la manifestation extrême de la peur que les femmes inspirent aux hommes, et sa disparition traduirait davantage l’émancipation sexuelle de l’homme qui l’impose que celle de la femme qui la subit.

Par ailleurs, la nature fait bien les choses : tout interdit sur la sexualité se transforme automatiquement en source de sensualité supplémentaire (au point que certains ont pu soutenir que le charme suprême de la sexualité — d’autres diraient de la perversion sexuelle — consiste à braver des interdits). On connaît des tas de romans du début du XXe siècle, où des hommes décrivent l’état de pâmoison dans lequel les avait plongés une cheville entr’aperçue d’une femme lorsqu’elle montait dans un tram… Il y a dans la burqa un côté sensuel un peu cérébral (mais, dans l’espèce humaine, l’érotisme, c’est le cerveau, et rien que le cerveau) de pochette-surprise : que va-t-on découvrir en la retirant ?

Elie Arié

Voir aussi : Rubrique Sciences Humaines Sarkozy anatomie d’un passage à l’acte, Psychanalyse un douteux discrédit, rubrique Société La question religieuse dans l’espace social, La position de LDH dans le débat sur la burqua, rubrique Rencontre Bernard Noël je n’ai jamais séparé le politique de l’érotique ou de la poésie

Sarkozy et la notion du pire. Anatomie d’un passage à l’acte

pervers-pepere-1Vendredi 19 novembre, alors qu’il assiste à Lisbonne au sommet de l’Otan, le président de la République discute en off avec quelques journalistes. A lire dans Libération la transcription des échanges, on éprouve le malaise d’assister en direct à une désorganisation psychique croissante de Nicolas Sarkozy. Le débat tourne autour de son éventuelle implication dans l’affaire de Karachi. Le Président nie farouchement. Un journaliste persiste : «Il semblerait qu’il y ait votre nom, que vous avez donné votre aval à la création de deux sociétés au Luxembourg…» Le Président l’interrompt, s’énerve, s’embrouille quelque peu, puis contre-attaque en revenant à l’insinuation initiale : «Il semblerait, c’est quoi ?», demande-t-il au journaliste. Puis choisit, pour démontrer la supposée vacuité d’une telle notion, d’imaginer le contre-exemple, qui sans doute se voulait drôle : «Et vous – je n’ai rien du tout contre vous – il semblerait que vous soyez pédophile… Qui me l’a dit ? J’en ai l’intime conviction… Pouvez-vous vous justifier ?» Cette référence à la pédophilie n’est pas un lapsus mais relève d’un choix délibéré.

Nicolas Sarkozy immédiatement va au pire et entraîne l’imaginaire des uns et des autres dans ses régions les plus troubles. Qu’est-ce en effet qu’un pédophile ? Quelqu’un qui s’attaque aux enfants pour les souiller, les violer souvent, les tuer parfois. Qui plus est, les pédophiles sont généralement des hommes dont les victimes sont des petits garçons. Ainsi Nicolas Sarkozy, par le détour d’un tout sauf innocent parallèle, accusera d’un mot ce journaliste à la fois de relever d’une sexualité infantile semi-châtrée (n’être qu’un adulte qui ne peut entretenir comme objet de désir que des enfants), d’être un pervers homosexuel (les petits garçons) et potentiellement un assassin. Accusation «pour rire» bien entendu. Mais plaisanterie qui s’effondre immédiatement sous le poids de sa propre transgression et de la répulsion des images qu’elle convoque.

«Je ne suis pas du tout agressif [dénégation, nda], d’abord je ne vous en veux pas, mais attends [passage intrusif du vouvoiement au tutoiement intempestif], vous me trouvez fâché ? D’abord, le pauvre, il n’est pas pédophile» (rires). Pirouette séductrice : mais non, je plaisantais, je ne suis pas fâché. Sous-texte : mais vous avez vu ce que ça pourrait donner, si fâché je l’étais vraiment… «D’abord, le pauvre, il n’est pas pédophile.» Curieux énoncé : «le pauvre» n’est pas pédophile, c’est-à-dire même pas pédophile, sinon pourquoi pauvre ? Deux possibilités : soit il est «le pauvre» parce que sa sexualité n’est même pas pédophile (castration), soit il est «le pauvre» parce que je viens de le ridiculiser (castration). Pile, je gagne. Face, tu perds. Délire interprétatif ? Oh que non, parce que ce n’est pas fini. Et que le dossier s’alourdit. Et que les preuves s’accumulent. Un peu plus tard : «C’est sans rancune, hein, le pédophile ?» (Rires collectifs) Et voilà l’ex-pédophile de tout à l’heure qui d’un coup le redevient. Enfin, en guise, d’adieu au groupe : «Amis pédophiles, à demain !» Nicolas Sarkozy persiste et signe. Quel boute-en-train, que cet homme !

Crescendo en quatre étapes de la pulsion non maîtrisée : de «prenons l’absurde exemple de votre supposée pédophilie» à «vous êtes tous des pédophiles», en passant par «le pauvre n’est (même) pas pédophile» et «pédophile tout de même, hein le pédophile ?» Du parallèle rhétorique initial, on passe à l’injure individuelle et, enfin, à l’injure collective. Confronté à un danger possible, le fonctionnement psychique du Président rapidement se désorganise. Du contre-exemple qui se voulait une aide à la démonstration, il passe presque immédiatement aux insultes. Il n’est plus tout à fait maître de son discours et c’est rapidement le thème de la pédophilie qui le tient, et non l’inverse. Qui le tient et ne le lâche plus. Et à ces insultes, il reviendra trois fois. Or une insulte, chacun le sait, n’est plus tout à fait une simple verbalisation, c’est déjà un acte. Un passage à l’acte qui, comme toujours, a pour fonction de décharger l’excitation et l’agressivité d’un sujet incapable de se maintenir à un niveau supérieur de fonctionnement cognitif, verbal, et moteur. Un acte régressif qui tient lieu de métabolisation psychique à ceux qui, dans l’instant ou pour longtemps, n’en sont plus capables.

Une péripétie ? Si l’on veut. Quelques plaisanteries qui tombent à plat ? Peut-être. Mais que de saleté véhiculée dans ces escarmouches. Et de mépris à peine déguisé… Non, décidément nous ne rirons pas. Entre autre parce que le populisme le plus répugnant, en s’adressant aux processus et représentations primaires, est toujours gros de l’insidieuse séduction du laisser-aller pulsionnel. C’est précisément en cela qu’il est dangereux. Le pire, toujours, trouve à parler au pire. Et Nicolas Sarkozy ainsi de faire carrière.

Patrick Declerck,

Membre de la Société psychanalytique de Paris et écrivain

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