La vie du livre n’est pas un long fleuve tranquille

FRANCE BOOK FAIRSalon du livre 2010. Vitalité de la diversité éditoriale et tendance mutante au premier rendez-vous de l’édition en France.

Le Salon du livre de Paris qui s’est tenu du 26 au 31 mars fêtait cette année sa trentième édition. Commencée sur fond de crise et d’inquiétudes diverses relatives à son avenir, la manifestation s’est achevée sur un bilan assez mitigé. 190 000 visiteurs ont été accueillis cette année soit un recul de 7% par rapport aux 204 000 de l’année 2009. Les vives critiques de certains éditeurs sur le prix de location des stands rejoints par plusieurs conseils régionaux – c’est notamment le cas du Languedoc-Roussillon qui préfère depuis deux ans adapter son soutien à la demande plus spécifique des éditeurs – ne sont sans doute pas étrangères à ce recul.

Plusieurs éditeurs se sont abstenus dont Bayard et le groupe Hachette (Fayard, Grasset, Stock…). Un vent de fronde s’est levé pour un retour au Grand Palais, lieu de naissance de la manifestation qui fut conçue peu avant l’adoption du prix du livre unique en 1981 pour rassembler les acteurs du livre et faire de ce rendez-vous public une manifestation culturelle de première importance.

On peut regretter l’absence cette année d’un pays invité d’honneur, remplacé par un triple hommage, à la littérature turque, russe et africaine autour de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance dans quatorze pays africains. Cet éclatement thématique dissipe la force d’un thème central. Comme le souligne Arnaud Laporte, animateur de l’émission Tout arrive sur France Culture : « La pertinence de la formule un « Pays invité » permettait de mettre en lumière des écrivains dont nous n’aurions jamais entendu parler et soulignait le travail remarquable souvent entrepris par des petites maisons d’édition qui ont le goût et l’envie de nous faire découvrir d’autres horizons littéraires, par le biais de la traduction. »

Si en 2008 l’invitation de la littérature israélienne avait entraîné un mouvement de boycott, le coup de projecteur sur la littérature mexicaine, invitée d’honneur l’année dernière, s’était soldé par une vraie découverte avec plus de 20 000 livres vendus.

Le Salon du livre reste, quoiqu’on en dise, une occasion de prendre la température auprès de l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre. Avec 63 690 nouveautés parues cette année, malgré la crise, le secteur maintient une stabilité de la production (+ 0,1%) après avoir cru de 62% en dix ans. La tendance se révèle dans les ajustements par genre. En baisse, les ouvrages de loisirs créatifs (- 23%) l’ésotérisme (-11%), la gestion (-13%), on observe en revanche une hausse des romans fantastiques (+20%), des livres de cuisine (+13%) et leur pendant avec les livres de santé et de diététique (+11%). Les romans français accusent une légère baisse de 2% et les romans étrangers de 3%.

L’édition 2010 a tenté de développer la professionnalisation avec l’ouverture d’un centre de droits et du licensing qui a reçu les agents littéraires et les responsables de droits étrangers ainsi qu’un marché des droits audiovisuels ouvert aux producteurs. Mais le salon parisien privilégie toujours la rencontre des écrivains et des lecteurs. Toutes les mouvances esthétiques et les écoles d’écriture s’y retrouvent pour étancher la soif de curiosité du public. Et les interminables files d’attente des lecteurs de Paul Auster, Salman Rushdie ou Amélie Nothom démontrent que les dédicaces convoitées n’ont pas de prix.

Jean-Marie Dinh

Le salon de conversations

Place des Livres, au fond du salon, les débats se succèdent. « Avec ses impératifs liés aux maquettes, la presse offre un espace de plus en plus réduit à la critique, constate Jean-Claude Lebrun qui pratique le genre depuis plus de vingt cinq ans pour l’Humanité. On est obligés d’écarter beaucoup des aspects de l’approche pour restituer un rendu global. C’est aux lecteurs de fournir la part complémentaire… »


Air du temps et du livre numérique qui pose la mort du papier comme un thème littéraire. La presse semble de plus en plus contournable pour les éditeurs qui misent désormais sur les libraires pour assurer le bouche à oreille essentiel pour vendre un livre. Problème, les libraires indépendants sont aussi en danger face au développement des grandes surfaces culturelles ou pas.

Au salon, il y a aussi de petits éditeurs qui remontent leurs manches pour défendre eux-mêmes leurs poulains. C’est le cas des Editions montpelliéraines Le Chèvre feuille étoilé qui, depuis dix ans, publient des femmes méditerranéennes (Wassyla Tamzali, Claude Ber, Maïssa Bey, Peggy Inès Sultan, Catherine Rossi, Najia Mehadji, Leïla Sebbar). Elles sont montées à Paris pour fêter leur dixième anniversaire.

Marion Mazauric

Marion Mazauric

Au diable Vauvert qui a le même âge, a eu la même idée. Eux aussi sont arrivés en famille avec Pierre Bordage, Régis de Sa Moreira, Ménéas Marphil, Nicolas Ray et Catherine Fradier la petite dernière venue présenter son dernier livre Cristal défense qui est sorti la veille. Ce bouquin écrit comme une série TV tombe comme un pavé dans la marre des spécialistes du renseignement économique, du contre-espionnage et de l’info-guerre au cœur des entreprises. Le catalogue du Diable est impressionnant. « Nous sommes nés adultes, précise Marion Mazauric qui dirigeait la collection J’ai lu, avant de créer sa propre structure, La maison est née pour des auteurs traduits qui ne disposaient pas de lisibilité. Notre créneau ce sont des écrivains hors genre pour la plupart issus de la génération née dans les années 60. Je publie ce qui me dérange. Ce qui modifie mon paysage. » la lucidité frappe toujours deux fois !

JMDH

Lecture politique

Les quatorze travaux de Frédéric

mitterrand-lectureLa princesse de Clèves fut la star du salon 2009 après la sortie de Sarkozy qui l’avait rendue si populaire. Alors que le salon fermait ses portes, c’est sans doute pour lui voler la vedette que le ministre de la Culture a présenté quatorze propositions visant à redonner aux Français l’envie de lire. Pour mettre fin «  à la lente érosion de la lecture et à son déclin en tant que pratique culturelle de référence depuis les années 1980 », Frédéric Mitterrand promet de débloquer tous les ans une enveloppe de près de 100 millions d’euros. Dans une société où la lecture ne passe plus uniquement par le support papier, l’ensemble des bibliothèques et médiathèques des communes de plus de 20 000 habitants passeront toutes d’ici à 2015 à l’ère du numérique, avec un accès à Internet et leur propre site web.

Le ministère souhaite également que les 50 bibliothèques des agglomérations les plus densément peuplées après Paris soient ouvertes « 50 heures » par semaine, contre 38 en moyenne actuellement. Enfin, la tradition qui consistait à offrir une anthologie de poésie aux jeunes mariés sera remise au goût du jour, de même que l’opération « Premières pages » qui consiste à offrir un livre à chaque nouveau-né. Frédéric Mitterrand lance A vous de lire ! anciennement Lire en fête . Les festivités sont d’ores et déjà prévues dans toute la France du 27 au 30 mai. Et le bilan des effets concrets de ces annonces un peu plus tard…

Voir aussi : Rubrique Politique culturelle, Elections régionales 2010 l’enjeu culturel,   model culturel français et perspectives,

Rapport pour avis du député Marcel Rogemont sur les crédits création; transmission des savoirs et démocratisation de la culture du Ministère de la Culture et de la Communication présenté au nom de la commission  des affaires culturelles et de l’éducation.

Le phénomène Ellroy dépasse le mur du crime

underworld-usaOn imagine Ellroy à Roissy Charles de Gaulle soutenant froidement le regard des douaniers, après avoir fait sonner le détecteur de métaux. On pourrait aussi le croiser au fin fond des terres désertiques du conté de Los-Angeles faisant causette avec une bigote WASP*, ou scrutant le plafond dans le noir d’une chambre d’hôtel. Autant dire que le passage de l’écrivain américain à Montpellier mercredi n’est pas passé inaperçu. Trente minutes avec la presse, une heure trente chez Sauramps où il a dédicacé une rafale de 200 livres, pour conclure sur une heure de rencontre avec ses lecteurs salle Pétrarque. Carton plein. Sold out à tous les étages.

En tournée pour la sortie de Underworld USA (Rivages)**, l’homme avance sur du papier millimétré. Ses écarts laissent souvent des tâches rouge sombre. Le style, jamais innocent, d’Ellroy a quelque chose d’un Céline américain, qui ne saurait pourtant se résumer au populisme basique de droite. Il y a un phénomène Ellroy.  » Depuis l’assassinat non élucidé de ma mère en 1958, j’ai deux versions de l’histoire. La version officielle et l’autre.  » On pourrait souffler à l’auteur le conseil qu’il met dans la bouche d’un de ses personnages :  » Prends bien garde au but que tu poursuis car il te poursuit aussi.  » Sorti le 6 janvier, le volume 3 de Underworld USA vient clore la trilogie sur l’Amérique obscure des années 1958-1972, de la montée des mouvements noirs comme les Black Panthers, à la réélection de Richard Nixon en 1972 en passant par les assassinats de John F. Kennedy et Martin Luther King.

Le livre cartonne en tête, toutes ventes confondues. On a déjà dépassé les 120 000 exemplaires confirmait il y a peu son éditeur François Guérif. Pourtant, l’écrivain ne fait aucune concession à ses lecteurs. Il amoncelle les faits autour de destinées multiples. Les 840 pages de Underworld USA ne constituent pas un livre facile.   » C’est un succès inexplicable, confirme le directeur du FIRN, Michel Gueorguieff, le livre est excellent, le style est vif, la violence extrême, et la construction complexe mais habituellement cela ne suffit pas. L’homme est abrupt, il peut être odieux même s’il faut tenir compte du clivage d’expression qui existe entre la France et les Etats-Unis. La fresque politico-criminelle de l’histoire américaine que nous livre l’écrivain ne l’empêche pas de défendre une vision religieuse du monde. En prenant soin de donner une âme à ses criminels endurcis. C’est typiquement du Ellroy. Ca sent le souffre.

Jean-Marie Dinh

*Underworld USA, Editions Rivages 24,5 euros


Rencontre avec James Ellroy à Montpellier :

 » Je suis de droite et je crois au pouvoir des idées  »


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Vous laissez le lecteur démêler les fils entre réalité et fiction, entre l’histoire d’un pays et celle des hommes qui y vivent. Où trouvez-vous l’enseignement le plus fécond, dans l’observation politique ou dans l’approche humaine ?

Mon objectif était de mêler, sans que cela soit perceptible, des personnages de fiction avec des personnages réels et des faits imaginés avec d’autres faits qui font vraiment partie de l’histoire des Etats-Unis. En fait, j’ai tenté de réécrire l’histoire. Si je parviens à un degré de réalisme où le lecteur peine à faire la distinction, on peut penser que j’ai réussi.

Votre trilogie se termine à la fin de la première guerre froide, un moment où le business prend les commandes. Vous décrivez la lutte pour le pouvoir, qui voit la confluence entre les racistes et les anticommunistes. Etait-ce un rapprochement d’intérêts ou idéologique ?

Le racisme est mauvais et le communisme aussi. Pour moi, la guerre froide ne se termine pas dans les années 70 mais en 1989, quand Ronald Reagan met définitivement fin à cette guerre avec la chute du mur de Berlin. Cela dit, je pense qu’on ne peut pas faire un lien direct entre l’horreur du racisme et l’anticommunisme. Les idées ne sont pas liées.

Vous êtes perçu en France comme un auteur de droite bien que beaucoup de lecteurs de gauche vous apprécient. Croyez-vous au pouvoir des idées ?

Je suis de droite et je crois aux pouvoir des idées.

La véritable histoire des Etats-Unis que vous dévoilez est celle du crime. Pensez-vous que cela changera un jour ?

Je crois que l’histoire du monde va s’améliorer. Parce que c’est la volonté de Dieu. Si nous nous considérons comme ses créatures c’est aussi la nôtre d’œuvrer vers le bien. Donc on devrait pouvoir améliorer cette merde.

La libre relation entre Karen et Dwight est magnifique. Les histoires d’amour sont-elles plus belles quand elles sont vécues par des assassins ?

Je n’ai rien vécu de mieux dans toute ma carrière que de décrire les histoires d’amour de ce roman. J’ai voulu rendre un hommage aux femmes qui ont vécu leur existence auprès d’eux… « 

Recueilli par JMDH

Voir aussi : Rubrique Roman noir, Rencontre David Peace,

Un coup de fusil dans le champ

Ron Rash photo DR

Un pied au Paradis, le premier roman traduit en français de l’auteur américain Ron Rash, est arrivé dans la chaleur de l’été. Ce qui tombe plutôt bien parce qu’il sent la poussière et le climat lourd du Sud des États-Unis. L’auteur est un enfant du pays qui a grandi en Caroline du Nord. Sa famille vit depuis plus de deux siècles dans les montagnes Appalaches. Il commence par écrire des nouvelles et de la poésie avant de venir au roman. Ron Rash se définit lui-même comme un poète descriptif. L’impact du paysage, celui de la mort et de l’effacement d’une culture, sont les traits caractéristiques de son œuvre qui rencontre un succès tardif mais certain outre-atlantique.

Deux termes gouvernent ce récit à cinq voix : la mort et le paysage. L’action se situe au début des années 50 dans un coin montagneux de la Caroline du Sud. Là où l’esprit du lieu côtoie obstinément celui des hommes. On baigne dans la culture obsessionnelle de cet état réputé conservateur. Dans ce coin d’Amérique qui instigua la guerre de Sécession après avoir arraché sa terre aux Indiens Cherokee et qui vient récemment de créer la surprise en assurant une large majorité au candidat démocrate lors des dernières élections.

La sécheresse règne dans cette petite vallée. Maïs et tabac grillent sur place sous les yeux des agriculteurs. Un jour, l’un d’eux a disparu. On a cherché le cadavre, en vain. Il se pourrait qu’il ne soit pas mort… Mais tout cela n’a plus d’importance. Peu importe le résultat des récoltes et le reste. Comme le dit grossièrement l’employé de Carolina Power : « Peu importe que vous soyez vivants ou morts. Votre place n’est plus ici. Vous autres les péquenauds, vous serez chassés de cette vallée jusqu’au dernier comme de la merde d’une cuvette de chiottes. » En amont, la compagnie d’électricité à construit un énorme barrage dont les vannes sont encore fermées. Bientôt les eaux recouvriront tout. C’est une certitude. L’employé discipliné se trompe bien sûr, car les rares personnes qui vivent encore ici sont toujours hantées par les ombres que ni l’eau, ni le temps, ne sauraient faire oublier.

Le pied au paradis ne se sépare pas de son alter ego qui marche en enfer. Un peu comme ce livre qui pourrait bien refuser le divorce entre littérature blanche et roman noir.


Un pied au Paradis, éditions du Masque, 21,5 euros, Parution le 26 août.

L’élégance engagée de Don Winslow

Don Winslow : « Je m

Ancien détective privé, Don Winslow figure parmi les grands auteurs de roman noir américain. Il était accueilli au FIRN pour la première fois cette année.

« Vous répondez au précepte « Ecrit à partir de ce que tu sais » et avez écrit un livre* de référence sur le monde de la drogue. D »où provenaient vos connaissances sur le sujet ?

J »ai grandi dans un quartier près de New York où il y avait énormément de drogue. Ca trafiquait et ça consommait partout. J »avais un ami proche qui se déplaçait tout le temps avec sa seringue. Plus tard, j »ai habité San Diego près du Mexique où les barons de la drogue utilisent les gangs de jeunes, de part et d »autre de la frontière, pour faire leur sale boulot. Le roman dont vous parlez, je l »ai écrit après que 19 hommes et femmes se soient fait massacrer pour une affaire de drogue dans un village près de chez moi.

Que vous évoque l »idée de frontière ?

Les frontières ne sont pas fixes. Lorsque vous avez d »un côté de la frontière une marchandise et que de l »autre côté de cette frontière, le prix de cette marchandise est multiplié par 100, le produit n »est plus la drogue mais la frontière qu »il faut traverser.

Vos personnages sont souvent borderline ?

Pour ce livre, un personnage principal ne pouvait à lui seul décrire l »univers complexe de la drogue. [Il montre une tasse de café sur la table]. C »est une banale tasse de café [la déplace au bord de la table en laissant une partie suspendue dans le vide]. Maintenant la situation est devenue intéressante…

On connaît les implications économiques et politiques du trafic de drogue, vous mettez aussi le doigt sur les implications sociales…

Plus j »ai exploré l »aspect social du phénomène, plus j »ai été attristé et plus ma colère à augmenté. J »ai même senti le poids de la responsabilité sur mes épaules. En tant que romancier, je devais parler de ce que je voyais. Ne le prenez pas pour vous, mais je crois qu »un romancier est plus à même d »approcher certaines réalités qu »un journaliste. Le journaliste rend compte au lecteur qui lit une information. L »écrivain travaille sur la pensée intérieure de son lecteur. Il rend compte d »une situation qui le pousse à une réflexion.

Vous avez été détective, quelle différence faites-vous entre votre ancien travail et celui casino autorizzati de l »auteur, lorsque vous cherchez votre matière première ?

Il y a beaucoup de points communs dans les méthodes de recherche. On interroge les gens, on consulte les déclarations dans les dossiers judiciaires, les interrogatoires de police. Avec l »expérience, on développe un détecteur de connerie qui provient le plus souvent du pouvoir légal.

Concernant les problèmes de drogue, l »arrivée d »Obama est-elle porteuse d »espoir  ?

J »ai rarement désiré une chose si forte en matière politique que la victoire d »Obama. L »assassinat de Kennedy m »a brisé le cœur. J »ai eu très peur pour Obama. C »est un type vraiment intelligent qui avance pas à pas. On observe un début de changement dans la politique de lutte antidrogue qui, pour l »instant, réduit l »aide aux victimes à la portion congrue. Obama a écrit sur le fait qu »il avait consommé lui-même de la drogue. Ce qui était il y a peu une chose impensable. Malgré l »image qu »il donne, Obama est un homme qui garde la tête froide. Il pratique sa politique comme s »il jouait aux échecs. Il calcule et finit par réussir. Les républicains tentent de le diaboliser mais ils paniquent devant sa tactique progressive.

Sur quoi travaillez-vous ?

Comme beaucoup d »écrivains, j »alterne dans mes sujets les phases de restriction d »espace avec celles d »élargissement. J »ai fini un livre sur le monde du surf et je voudrais m »attaquer à un sujet beaucoup plus vaste sur les changements du langage. J »expérimente et transporte cela dans le roman noir autour de la question des mots, de leur tempo, de ce que disent les silences. Je m »intéresse au vide. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

La griffe du chien éditions Fayard Noir


Le roman noir au féminin

Anne Secret « Le récit ne donne pas les clés ». Photo Hermance Triay

Intéressant autant que vaste, le thème « La frontière » du Festival international de Roman noir, permet d’aborder la question du genre dans le polar. Un aspect transversal que l’on retrouve chez les auteures invitées quelques soient leurs origines.

Dans son premier roman l’iranienne, Naïri Nahapetian ausculte les arcanes du pouvoir autant que la société iranienne. La jeune auteure se plait à dévoiler l’envers du décor, en pointant les espaces de liberté des femmes. Un de ses personnages principaux s’inspire de la vie réelle d’une politicienne qui a tenté à deux reprises de présenter sa candidature aux présidentielles. « En Iran, les femmes sont en première ligne, y compris dans la politique où elles mènent campagne au grand jour et exercent une réelle influence sur l’électorat, » indique-t-elle.

Plus à l’Est, Than-Van Tran-Nhut fait revivre la civilisation vietnamienne du XVIIe siècle à travers les enquêtes du mandarin Tân (Philippe Picquier) et laisse percevoir le rôle prépondérant des femmes qui transcendent la notion de devoir héritée du confucianisme. « Dans mes livres, les femmes apparaissent souvent en tant que personnages secondaires mais elles tiennent une place très importante dans l’organisation familiale et la gestion des affaires. Le Vietnam du XVIIe siècle, qui voit l’apparition de l’économie localisée, est marqué par l’apport de nouvelles techniques en provenance de l’Occident ou du Japon. Techniques à l’origine d’un changement profond de la société dans laquel les femmes ont joué un rôle majeur.

French Touch

Côté français, une nouvelle génération émerge. Jean-Christophe Brochier, responsable de la collection Roman noir au Seuil, observe que « les postures nouvelles occupées par les romancières se retrouvent en rapport de force avec les représentants masculins. On sait que les femmes lisent davantage que les hommes. Ce sont généralement elles qui achètent les livres. Et elles représentent, en France, 70% du monde de l’édition. »

Invitée du Firn, Karine Giebel met en scène un huis clos où un homme se retrouve, dans une cave, le prisonnier d’une femme assez perturbée. « Au départ il n’y avait pas de volonté féministe dans cette trame, confie Giebel, j’avais juste envie d’inverser le schéma classique : l’homme bourreau, la femme victime. C’est le suspens qui domine. J’essaie de faire en sorte que le lecteur s’attache aux personnages. Comme le prisonnier est un homme, on se demande comment il va s’en sortir parce qu’en général les hommes s’en sortent toujours… Mais les lecteurs ont aussi éprouvé une forme d’empathie pour la geôlière qui est plus pathétique qu’autre chose. »

Avec Les villas rouges (Seuil), Anne Secret ouvre une fenêtre sur la baie de la Somme et les paysage d’Ostende mais aussi sur la géographie intime de Kyra, personnage principal qui se retrouve lâchée en pleine cavale par son amant Udo. « Le récit ne donne pas les clés. Il évoque le côté opaque chez les gens. Kyra évolue dans un monde où beaucoup de choses lui échappent. Udo la manipule mais il est lui-même pris dans un cercle qui le dépasse. J’aime les personnages féminins des tragédies Grecques qui vont vers la mort les yeux ouverts.

Loin des habituelles images de femmes pulpeuses ou mystérieuses qu’ont pu nous renvoyer les polars d’autrefois, la nouvelle génération qui pointe écrit des livres porteurs d’absolu. Et ouvre sur une forme d’altérité féminine qu’il s’agit moins de s’approprier que d’accueillir.

Jean-Marie Dinh