Conspiration d’aristocrates

Ecrivain, Anne Perry, alias la reine du polar victorien, bénéficie d’une notoriété internationale due au succès de deux séries : les enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt (vingt-cinq titres) et celles de William Monk, qui comptent aujourd’hui seize titres. Elle est née à Londres en 1938. Signe particulier : esprit libre. A vécu une jeunesse perturbée en Nouvelle-Zélande par ce qu’elle conçoit aujourd’hui comme  » une énorme erreur de jeunesse « … A seize ans, la jeune fille est poursuivie et condamnée, pour le meurtre de la mère d’une amie très proche, accompli avec celle-ci. Mineure au moment du drame, elle bénéficie de mesures de clémence.

L’auteure venue récemment à Montpellier célébrer le 20e anniversaire des éditions 10/18, vit actuellement en Ecosse, et se contente d’assassiner les gens dans ses romans. Elle pèse 20 millions d’exemplaires, vendus dans le monde entier. Ce qui la libère d’un certain nombre de concessions. Cette grande dame de la littérature anglo-saxonne mène une démarche d’écriture ambitieuse en choisissant de faire évoluer ses personnages dans des environnements à la charnière de l’histoire.  » A l’ombre de la guillotine « , avait pour cadre le Paris de la Révolution française. L’intrigue de  » Les anges des ténèbres « , qui vient de sortir, se situe dans le contexte de la première guerre.

Avec  » Long Spoon Lane «  inédit en France, on retrouve l’enquêteur Thomas Pitt. Le chef de la Spécial Branch découvre le cadavre du fils d’un Lord influent, impliqué dans le mouvement anarchiste. L’enquête le conduit à l’intérieur d’un vaste réseau de corruption au sein de la police et s’ouvre sur une conspiration d’aristocrates qui cherchent à s’emparer du pouvoir. La dimension politique du livre n’est pas sans rapport avec les fondements de la démocratie sécuritaire qui nous menace. Resitué avec une précision croustillante de réalité et un suspens efficace, le climat délétère de l’époque victorienne fait bizarrement écho.

Long Spoon Lane éditions 10/18, 7,9 euros

leg  : Un nouveau Perry plus politique.
 

 

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Larry Beinhart: Le bibliothécaire

bibliothecaireLe dernier Larry Beinhart est un thriller politique qui se déroule en pleine campagne présidentielle. L’auteur explore les coulisses du parti républicain téléguidé par une poignée d’intérêts privés. Le candidat ressemble furieusement à Georges W Bush. En devenant par hasard le bibliothécaire privé d’un industriel multimillionnaire, David Goldberg va découvrir à son insu que rien n’arrête l’influence exagérée des intérêts privés surtout quand les bailleurs de fonds s’apprêtent à désigner leur candidat. L’ouvrage s’inscrit dans la lignée d’une œuvre qui décortique les ramifications complexes et les alliances de circonstance de la démocratie américaine. Selon la logique des joueurs de poker, le président paie sa dette à ceux qui l’on fait roi. Sous la plume de Larry Beinhart, l’ambiguïté et les étranges coalitions de la vie politique américaine se prêtent à merveille à l’univers du roman noir. « J’aime la politique, confie l’auteur, les hommes politiques sont des gens intéressants. Ils ont le pouvoir de tuer les gens. N’importe quel chef de gouvernement peut tuer beaucoup plus que les serial killers. » Le Bibliothécaire a été écrit juste avant la réélection de G W Bush en 2004. « Je me suis amusé à prédire le résultat. Finalement les républicains ont volé l’élection et cela a été très peu contesté dans les médias. Depuis cette élection Bush a tué beaucoup de monde. Je ne suis pas inquiété à cause de mon engagement. Je ne fais que mentionner ce qui se passe. » En attendant les élections de mi-mandat qui auront lieu en novembre aux Etats-Unis, Larry Beinhart a commencé son prochain livre. Il y sera question d’une affaire d’espionnage en Iran.

Jean-Marie Dinh


Le Bibliothécaire 24 série noire chez Gallimard

Voir aussi : Rubrique roman noir, L’évangile du billet vert,

William Bayer un as du clash psychologique

bayer-interview1Avec son dernier livre « Le rêve des chevaux brisés », l’enfant de Cleveland nous tient en haleine. D’un bout à l’autre le lecteur plonge sur la piste d’un parcours à double détente. Celui d’un couple improbable qui finit en clash. Et celui plus obsessionnel, d’une quête psychologique qui pousse le personnage principal sur les traces troublées de son enfance.William Bayer fait escale à Montpellier à l’occasion du Festival International du Roman noir qui se tient jusqu’à dimanche à Frontignan. Il a déjà commis une quinzaine de romans. Ce n’est pas le genre d’homme à laisser les choses au hasard. Ce qui ne veut pas dire qu’il soit maniaque. Il aime Hemingway, et comme lui, se fait adepte du style maigre, écriture concise, dépouillée… Mais là où l’auteur du Vieil homme et la mer fuit tant qu’il peut la psychologie, Bayer se délecte à tisser dans les méandres de l’inconscient. Dans Le rêve des chevaux brisés, David Weiss le narrateur, est témoin d’un acte criminel sans avoir vu la scène du meurtre, et il ne le réalise qu’à l’âge adulte. Le rythme du livre est assez lent comme celui de l’écriture « Plus j’avance dans l’âge plus je prends mon temps » confie l’auteur. La dimension du temps justement, est maniée avec finesse et dextérité. Bayer l’allie au lieu de l’action en jouant avec les allers-retours entre passé et présent.

Dans le livre tout commence par le retour de David dans sa ville natale Calista  ville fictive et espace physiquement et moralement vécu et parcouru par l’auteur lui-même. En réalité, Calista n’est rien d’autre que sa ville natale, Cleveland. « J’ai choisi un autre nom pour ne pas être prisonnier des détails. Je voulais faire un parallèle entre l’âge d’or de cette ville et ce qu’elle est aujourd’hui après le déclin économique. C’est pourquoi le meurtre a lieu 25 ans plus tôt. Je voulais aussi évoquer le fonctionnement de ces villes pleines de secrets et de non dits. »

reve-chevaux-brisesWilliam Bayer a un parcours plutôt atypique. Diplômé de Harvard et Cambridge en histoire de l’art, le sexagénaire affiche aujourd’hui les traits d’un bon vivant. Sous la présidence de Kennedy, il a travaillé aux affaires culturelles du Département d’Etat américain qu’il dit avoir quitté, même si certains de ses collègues de l’époque sont aujourd’hui nommés à des postes de pouvoir. « Je n’avais pas envie de passer ma vie à lécher des bottes pour ça.» Alors il a basculé dans le roman noir, pour trouver sa vraie place et pour notre plus grand plaisir.

Jean-Marie DINH

William Bayer Le rêve des chevaux brisés, éditions Rivages.

Voir aussi : Rubrique Roman noir,