Suivi Fukushima juillet 2011: Il est plus important de limiter les radiations que l’information

L’ingénieur nucléaire américain Arnie Gundersen fait le point sur la contamination radioactive détectée autour de Fukushima et partout dans le Japon.

Les Réacteurs

Emanations radioactives visibles la nuit. Les réacteurs 1, 2, 3 et 4 continuent de relâcher des émissions radioactives. Nous ne les voyons pas durant la journée à cause de la chaleur et de l’humidité. Cependant, durant la nuit, vous pouvez les observer sur les images de la webcam. Les nuages blancs sont de la vapeur qui contiennent des particules et qui s’échappent des réacteurs. Certaines personnes m’ont écrit pour me demander s’il ne s’agissait pas de l’imminence d’une explosion ou d’incendies. Mais il s’agit bien de la vapeur radioactive qui s’échappent des réacteurs .

La plus grande partie des radiations a été relâchée durant les mois de mars et avril 2011. Actuellement, les radiations qui s’échappent sont bien moins importantes que durant les deux premiers mois. Durant les six premières semaines,  95 % des radiations se sont échappées de Fukushima. Cependant, Fukushima va relâcher des radiations pendant encore beaucoup de temps. Les Japonais sont en train de construire de larges tentes qui devraient recouvrir les réacteurs. La première tente est en construction et elle va recouvrir le Réacteur 1. Il en ira de même avec les Réacteurs 2, 3 et 4. Dès septembre, l’objectif de ces tentes est de récupérer la vapeur radioactive et de la traiter.

De plus en plus, l’opérateur doit faire face aux liquides contaminés qui s’infiltrent dans le sous-sol et qui se trouvent sur le site. Mais dans le futur immédiat, il n’y a aucune solution  pour les éliminer.

10 ans pour commencer à extraire le combustible Nucléaire !

Les Japonais annoncent qu’il faudra en tout cas 10 ans pour commencer à extraire le combustible nucléaire.  Actuellement il n’y a aucune technologie qui permet d’enlever ce combustible qui se trouve au fond des bacs de rétentions sous les réacteurs. Le combustible a percé la jupe des réacteurs et se trouve dans les bacs de rétentions. Aux États-Unis, à Three Miles Island, le combustible se trouvait dans le réacteur. Ici, il se trouve sur le sol, sous les réacteurs. Cette situation est totalement nouvelle. Il va falloir ramasser ce combustible liquide hautement radioactif et ce processus pourra durer 10 à 20 ans.

La Contamination Nucléaire

Pour moi, ce qui m’inquiète le plus, ce sont les informations qui proviennent du site. Certains de mes amis biologistes, qui ont travaillé à Tchernobyl, sont allés au Japon pour faire des tests scientifiques. Ils avaient imaginé et anticipé que la situation n’allait pas être bonne. Cette semaine, j’ai reçu un appel téléphonique qui me disait que la situation est vraiment, vraiment mauvaise. Ce sont des scientifiques qui ont l’habitude des radiations. Les conditions qu’ils ont trouvées à Fukushima sont bien pires que ce qu »ils avaient imaginé.

Il y a des évidences qui corroborent leurs recherches. Par exemples, les champignons, à plus de 60 km de la Centrale, contiennent des taux bien supérieurs aux limites fixées par les Japonais. Détail intéressant, ces champignons ont été cultivés à l’intérieur. Comment les champignons cultivés à l’intérieur peuvent-ils dépasser les limites légales de radiations extérieures fixées par le gouvernement?

Un autre exemple vient de la contamination du bétail dans la Préfecture de Fukushima. Tout avait débuté avec 8 vaches, ensuite 40 vaches et maintenant plus de 100 et je suis sûr qu’il va y en avoir encore plus dans le future. Un point intéressant est que les vaches ont été élevées entre 60 et 90 km de la Centrale. Elles montrent des taux de Césium bien au-delà de ce qui peut être approuvé pour la consommation. Quand ces vaches ont été commercialisées, le gouvernement japonais n’avait pas fait de test sur la viande.

La question la plus importante est: comment est-ce que ces vaches ont été contaminées?

Il se trouve que les vaches sont nourries avec du foin de riz. Ce foin, récolté au-delà de 60 km, a été apporté aux paysans qui se trouvaient dans la Préfecture de Fukushima. Cette paille a été contaminée à 500’000 Becquerels par kg. Il s’agit d’une contamination au Césium. Le césium a une demi-vie de 30 ans. Dans 30 ans, la contamination sera toujours de 250’000 Becquerels par kg et dans 60 ans 125’000 Becquerels par kg.

Cela c’est passé à plus de 65 km. Vous vous rappelez que la Commission nucléaire avait demandé une évacuation au-delà de 80 km. Cette situation indique que la NRC avait raison. Le gouvernement japonais aurait dû évacuer sa population à plus de 80 km au lieu des 20 km actuels.

La radiation a dépassé les frontières de la préfecture de Fukushima, mais le Gouvernement ne semble se soucier que des taux dans cette préfecture.

Black Rain – Les Pluies Noires

La dernière chose dont je voudrai parler aujourd’hui est ce qui se passe au-delà de 80 km. Il est très clair qu’avec les mesures radioactives et la paille qui ont été découvertes et relevées qu’il y a des endroits, même au-delà de 80 km qui sont autant contaminés qu’à Tchernobyl.

A Tokyo, j’ai ici une lettre d’un habitant qui a fait analyser le sol d’une cours pour jeux d’enfants. Les résultats montrent qu’il y a 53’000 becquerels par kg à cet endroit. Cette personne était tellement préoccupée qu’elle a été voir le maire de Kashiwa City qui lui a répondu de ne pas s’inquiéter. Nous avons un citoyen qui a payé une étude et qui l’a présentée aux autorités et qui ne peut aller nulle part avec ce gouvernement.

Il y a une autre information qui vient de National Cancer Center Hospital East. Elle se trouve sur leur site internet. Ce document montre que 11 jours après l’accident (mars 24), le niveau de radioactivité à l’extérieur du bâtiment était 30 fois plus élevé qu’à l’intérieur. Il y a eu une déposition sur le sol d’éléments radioactifs. Il s’agit d’un hôpital spécialisé et ils savent comment mesurer la radioactivité.

Le dernier rapport que je veux vous montrer provient d’un e-mail. Chaque jour je reçois un e-mail d’un éminent physicien, le Dr. Saji, ex secrétaire de la Commission de la sécurité nucléaire. Il y a deux jours, il m’a écrit ceci à propos du foin contaminé : Je crois que cela est dû au stockage de la paille à l’air libre lors du passage du panache, et particulièrement durant la première semaine de la «Pluie Noire ». (Black Rain).

« Black Rain »  « Pluie Noire » n’est pas un terme que le Dr. Saji utilise légèrement. Cependant, c’est ce qu’il s’est passé au Japon. Ce que Dr. Sagi mentionne, se sont des nuages de particules radioactives qui ont déposé un peu partout de la radioactivité dans le nord du Japon.

Au lieu de limiter l’information, Il est plus important de limiter les radiations.

Les japonais sont des personnes pleines de ressources et la victoire de l’équipe féminine de foot le montre. Mais ils ont le droit de connaître l’importance du problème auquel ils font face dans le but de faire face de manière correcte. Au lieu de limiter l’information, Il est plus important de limiter les radiations.

Traduit du  site officiel du Dr. Arnie Gundersen:

par Laurent Horvath pour le site 2000 Watts.Org

 

A suivre : La veille de Laurent Horvath l’ économiste spécialisé, fondateur du site 2000watts.org sur lequel il décrypte en continu la catastrophe nucléaire de Fukushima et la course-poursuite des «ouvriers kamikazes» pour éviter le pire. Fukushima fil de l’information

Voir aussi :  Rubrique Japon, Fukishima information et désinformation, Une légende à réinventer, L’accident nucléaire, Multiplication par 90 en trois jour du niveau de césium radioactif, Politique internationale, Fillon et Sarkozy misent sur l’aide de tokyo pour défendre le nucléair civil, rubrique Economie, Nucléair civil:  tour du monde des nouvelles puissances, Rubrique Santé, Manifeste pour l’indépendance de l’OMS, On Line «Areva au cœur du réacteur de Fukushima»

Etats-Unis : « Les plus pauvres vont faire les frais de la crise de la dette »

Au terme d’une âpre bataille entre démocrates et républicains, le relèvement du plafond de la dette américaine à été voté mardi 2 août par le Sénat. Le président Barack Obama a promulgué le texte dès son adoption par les deux chambres du Congrès. L’accord autorise le Trésor à relever de 2 100 milliards de dollars le plafond de la dette, repoussant ainsi le risque d’un défaut de paiement. Le plan de réduction des dépenses publiques de 2 500 milliards d’euros, approuvé par le Congrès, n’a pourtant pas rassuré les marchés.

Henri Sterdyniak est directeur du département « Economie de la mondialisation » à l’OFCE et professeur à l’université Paris-IX Dauphine. Il dénonce un texte qui « fait supporter l’ajustement aux plus pauvres ».

Le compromis trouvé entre républicains et démocrates est-il de nature à rassurer les marchés et les agences de notation ?

Il y a peu de risques pour que les agences de notation baissent la note (AAA, la plus élevée) attribuée aux Etats-Unis. Ces agences savent que le risque de défaut de paiement et de faillite est purement théorique : en cas de menace de faillite, la Fed (réserve fédérale) a les moyens d’intervenir pour financer la dette. En outre, le pays peut créer de la monnaie.

En réalité, le danger pourrait être politique : on peut imaginer qu’à l’avenir le mouvement conservateur du Tea Party paralyse le système en refusant tout compromis. Une agence pourrait prendre cette possibilité en compte pour dégrader la note américaine. Mais il y a peu de chances que cela arrive. Normalement, un pays qui crée sa propre monnaie a les moyens de rembourser sa dette.

Toutefois, une autre conclusion de ces quelques semaines de crise est que les Etats-Unis ont révélé leur fragilité à la face du monde : ils sont désormais moins fiables pour les investisseurs et auront du mal à encaisser un nouveau choc. Cet épisode a mis certains risques en évidence, accentués lorsque le Parlement et le président ne sont pas de la même couleur politique.

Sur le fond, l’accord vous paraît-il bon ?

Non, car il enferme la politique budgétaire américaine dans un carcan. Le texte ne prévoit pas de hausse d’impôt, ce qui enlève toute marge de manœuvre aux gouvernants pour soutenir l’économie, développer l’assurance maladie, lutter contre le chômage. Au final, ce sont les plus pauvres qui vont supporter l’ajustement, alors même que l’une des causes de la crise aux Etats-Unis, c’est la trop faible consommation, ou plutôt la trop forte consommation à crédit.

La tendance est même plus à la baisse de la protection sociale qu’à l’augmentation des impôts visant les plus riches. A court terme, il n’y a aucune chance pour que les impôts augmentent. C’est le point sur lequel la majorité des républicains ne céderont pas.

L’existence des aides sociales comme le programme Medicare peut-elle être menacée ?

La sécurité sociale américaine est fragile car elle ne suscite pas d’adhésion populaire massive. La crise a montré que ce système était protecteur et facteur de cohésion sociale, mais son poids sur les finances publiques l’affaiblit dans l’opinion.

Aux Etats-Unis, le système des aides sociales est remis en cause lors de chaque élection. Le pays n’est donc pas protégé contre un accident politique qui verrait la droite républicaine les supprimer. Les démocrates sont des défenseurs timides du système, ce qui rend l’équilibre fragile.

La solution de long terme face aux difficultés budgétaires serait une reprise de la croissance. En prend-on de le chemin ?

Les Etats-Unis sont dans une impasse. On l’a dit, l’économie américaine a besoin d’une plus grande consommation des plus pauvres, ce que ne va pas favoriser l’accord conclu sur la politique budgétaire.

Ils ont aussi besoin d’une croissance impulsée de l’extérieur, ce qui passe par une demande plus forte de la part de la Chine et des pays asiatiques. La seule marge de manœuvre des Etats-Unis pour être plus compétitifs en Asie est de faire baisser le dollar, de chercher un rééquilibrage des taux de change à l’échelle mondiale. Ils n’ont pas toutes les cartes en main.

Hugo Domenach (Le Monde)

 

Voir aussi : Rubrique USA Politique Dette Américaine : les scénarios,Obama retrouve les élus du Congrès,Obama annonce un plan de réduction de la dette à long terme, USA Société la réforme santé  passe le cap parlementaire , adoption de la réforme santé au sénat,   Oui aux cadeaux fiscaux pour les riches non à la  taxe bancaireRubrique Finance La spéculation attaque l’UE par le Sud, Les banquiers reprennent leurs mauvaises habitudes, La décision de la Fed suscite des critiques de toutes parts crise économique entretien avec Frédéric Lordon,

Fukushima, de mal en pis

 

Malaise au sommet de l’Etat japonais. Les effets de la catastrophe de Fukushima sont «plus graves que prévu et plus importants qu’annoncé». C’est l’une des conclusions alarmantes tirées en toute discrétion, la semaine passée, par un panel de professeurs et de scientifiques de la prestigieuse université de Tokyo, consulté par la commission nucléaire du Parlement et par un comité interministériel. Pour l’un de ces scientifiques, soucieux d’anonymat, il y a pire : «On ment aux Japonais. Les données du ministère de l’Education, des Sciences et de la Technologie [qui annonce les relevés de radiations autour de Fukushima, ndlr], qui sont reprises chaque jour par les médias de notre pays, semblent incorrectes. Les relevés de nombreux scientifiques et laboratoires indépendants diffèrent quasi systématiquement des siens. Y a-t-il manipulation des chiffres ?»

Ce week-end, dans le quartier de Shinjuku, à Tokyo, tandis que les autorités annonçaient une mesure de 0,064 microsieverts de l’heure, le compteur Geiger de Libération indiquait entre 0,16 et 0,23 microsievert de l’heure, selon les rues du quartier – des résultats ne posant pas de danger. Critiquant «l’autisme du pouvoir» et «les incapacités de Tepco [l’exploitant des réacteurs de Fukushima, ndlr]», un scientifique a quitté une réunion en larmes. Un autre a démissionné. Des éléments troublants corroborent l’idée qu’en haut lieu, dans les ministères, des hauts fonctionnaires cachent des faits et couvrent les intérêts du lobby nucléaire et du géant Tepco.

En annonçant la venue d’une vingtaine d’enquêteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), du 24 mai au 2 juin, le porte-parole du gouvernement nippon, Yukio Edano, a d’ailleurs gaffé avant-hier, en reconnaissant que le Japon faisait «tout son possible pour garantir la transparence» de l’information. Reconnaissant ainsi une certaine opacité…

Tétanisés. L’objectif est clair : éviter toute panique excessive des populations résidant autour des réacteurs. Soumis psychologiquement à rude épreuve depuis le 11 mars, des Japonais feignent d’y vivre normalement mais sont en vérité tétanisés. «Le problème est que les rejets radioactifs dans l’air, dans le sol et l’eau continuent. Or, plus ils se poursuivent, plus les rejets volatiles de césium menacent la santé des populations. Des centaines de milliers de personnes sont concernées dans un rayon de 100 kilomètres autour des réacteurs», assure-t-on à l’université de Tokyo. Quant aux risques posés par la contamination de la chaîne alimentaire, ils sont confirmés «dans un rayon de 300 kilomètres».

La semaine passée, les producteurs de thé de Kanagawa (à 270 km au sud de Fukushima) ont annoncé que leurs plantations étaient «contaminées» et impropres à la consommation. Pour Atsushi Kasai, un ancien membre de l’Institut de recherche de l’énergie atomique du Japon, «la catastrophe de Fukushima est plus grave que celle de Tchernobyl car cette fois, personne ne peut prédire comment la situation va évoluer». «Elle est aussi plus sérieuse, renchérit un expert, faisant allusion au million de personnes vivant à Sendai, à 80 km au nord des réacteurs. Or, nous constatons, ces jours-ci, de nouveaux dépôts de césium. Idéalement, pour un souci de santé publique, il faudrait pouvoir évacuer les enfants et les jeunes femmes de Sendai.»

Au même moment, Tepco, qui vient d’annoncer qu’il faudra encore «six à huit mois» pour sécuriser ses réacteurs, est une fois de plus montré du doigt pour sa gestion calamiteuse de la crise. «Le gouvernement et Tepco sont moins intéressés par le souci de protéger les gens que par celui de préserver le monopole de l’industrie nucléaire», dénonce le mensuel Sentaku, qui constate qu’on cherche à faire payer la facture au public. Tepco a en effet accepté six conditions menant à sa quasi-nationalisation. Les milieux d’affaires nippons et le Keidanren (le cercle du patronat) – dont le PDG de Tepco, Masataka Shimizu, est l’un des responsables – essaient quant à eux d’éviter la descente aux enfers du géant électrique.

Rescousse. Après avoir dévissé de 2 100 yens (18 euros) à 292 après le 11 mars, l’action Tepco vaut à peine 500 yens aujourd’hui. L’Etat nippon a décidé malgré tout de voler à sa rescousse, alors que ses avoirs sont estimés à 60 milliards d’euros. Surprenant ? A peine. Ils sont en effet détenus par les grandes compagnies d’assurance et institutions financières – privées ou publiques – du pays . Le premier financier de Tepco, la Banque de développement du Japon (propriété de l’Etat à 100%) lui a prêté, à ce jour, 300 milliards de yens. Après le 11 mars, les banques Sumitomo et Mitsui lui ont versé des lignes de crédit de 600 milliards de yens. Le capital de Tepco est détenu par 600 000 actionnaires, parmi lesquels de nombreux fonds de pension. 20% de ses avoirs sont détenus par des investisseurs étrangers. Jusqu’aux Etats-Unis, où certains se mordent les doigts d’avoir investi dans ce géant synonyme de fiasco.

Michel Temman (Libération)

Voir aussi :  Rubrique Japon, Fukushima désinformation, Comment vivre après Fukushima ?, Une légende à réinventer, L’accident nucléaire, On Line, Adieu Japon, Ça va bien aller

Guerre des étiquettes : les lobbys avancent, pas la transparence

Viande empaquetée (Joost-ijmuiden/Flickr/CC).

Au nom de la compétitivité, et de « l’intérêt supérieur du consommateur » bien sûr, le lobby européen de l’agro-alimentaire mène une lutte acharnée pour contrôler le contenu et l’apparence des étiquettes. L’idée : maintenir une bonne dose d’opacité.

Vous vous souvenez peut-être de la bataille perdue l’an dernier par les associations de défense des consommateurs à Bruxelles. Le parlement européen avait refusé en première lecture le système d’étiquetage dit « des feux de signalisation » :

* le feu vert désignait un produit bon d’un point de vue nutritionnel,
* le feu orange, un produit moyen,
* le feu rouge, de la « junk food ».

C’était certainement trop clair pour les consommateurs, et donc trop menaçant pour les industriels. Comme les meilleures histoires ont toujours une suite, voici le deuxième chapitre : à partir de juillet, les emballages les plus petits devraient être exemptés d’étiquetage nutritionnel. Une exemption d’autant plus réjouissante que les portions individuelles se multiplient.

Dans un regain d’enthousiasme, la Confédération des industriels de l’agroalimentaire (CIAA), chargée de représenter leurs intérêts à Bruxelles et dans les institutions internationales, s’en félicite. Des caractères hauts d’1,2 mm, c’est trop Mais le lobby aimerait bien qu’on fasse encore quelques efforts. Il trouve par exemple scandaleux que la loi impose une taille minimum pour les mentions nutritionnelles obligatoires.

Aujourd’hui, les caractères doivent mesurer au moins 1,2 mm de haut. Pour le CIAA, vraiment, si un minima devait être retenu, « il ne devrait pas excéder 1 mm ». Des lettres d’un millimètre de haut pour un continent peuplé de presbytes (l’âge médian en Europe est de 40,6 ans), voilà qui réduit l’efficacité de la mesure, non ?

Préciser la quantité d’acides gras trans ? Inutile ! Autre point soulevé par le CIAA : l’inutilité de préciser la quantité d’acides gras trans. C’est vrai, à quoi ça sert ? Il n’y en a pas beaucoup… Suivons l’argumentation du lobby : « Les députés européens ont demandé à ce que les acides gras trans soient listés, demande que les industriels de l’agroalimentaire jugent excessive.

D’après des données scientifiques révélées par l’EFSA [l’agence européenne de sécurité des aliments, ndlr], la consommation totale d’acides gras trans dans la plupart des états membres est aujourd’hui sous le seuil recommandé par l’OMS [Organisation mondiale de la santé, ndlr], soit 1% de l’apport calorique quotidien total.

L’EFSA confirme donc que les acides gras trans ne posent pas de problème de santé publique. Le CIAA soutient le point de vue du Conseil européen, qui pense [contrairement aux eurodéputés, ndlr] que l’affichage des acides gras trans devrait être une démarche volontaire. »

Reformulons ce très bel argument en langage naturel, et non en novlangue de lobbyiste : « Vous nous avez mis la pression avec les “trans fats” ces dernières années, on a été contraint de changer la composition de nos produits. Alors ayez confiance, comme dirait le serpent Ka dans “Le Livre de la jungle”, on ne changera jamais nos compositions. Du coup, pas besoin de préciser quoi que ce soit sur les emballages, n’est-ce pas ? » Une fois cette liberté accordée, c’est sûr, les compositions resteront irréprochables « ad vitam aeternam ». Trop d’étiquetage tuerait la compétitivité

Un dernier point gêne le CIAA : pourquoi diable indiquer les quantités des nutriments aux 100 g/100 ml ET par portion ? Ça doublonne, ça trouble les braves consommateurs qui n’ont vraiment pas besoin qu’on les perturbe pendant qu’ils font gentiment leurs courses au supermarché. D’ailleurs : « Comme le prouve une étude récente de la FSAI [Food Safety Authority of Ireland, ndlr], les consommateurs trouvent que les informations nutritionnelles “par portion” sont plus pertinentes, et qu’elles les aident davantage à faire un choix éclairé. »

Ce que le CIAA oublie de préciser, c’est que ces mêmes consommateurs se demandent ce qu’est exactement une « portion » : ce que l’on engloutit, ou ce que l’on est censé manger ?

Etonnamment, ce que le CIAA ne cite pas, dans la même enquête de l’autorité irlandaise, c’est le désir massif des consommateurs européens de connaître l’origine géographique de ce qu’ils avalent (74% d’entre eux y sont favorables). L’origine arrive juste derrière la date limite de consommation dans les informations qu’ils veulent pouvoir trouver sur un emballage alimentaire. Le CIAA, lui, s’y oppose, évidemment. Mais n’allez pas croire que c’est pour pouvoir donner une plus grande marge de manœuvre aux industriels, pas du tout. S’il s’oppose à un étiquetage trop compliqué, c’est pour défendre la compétitivité des entreprises qu’il représente, et pour porter bien haut l’idéal du marché unique.

Qu’est-ce que vous êtes mesquins, à voir le mal partout !

Colette Roos (Rue89)

 

Voir aussi : Rubrique Consommation, rubrique UE Parlement européen et corruption, rubrique Santé,

Dépendance : les nouveaux gisements des industriels de l’« or gris »

Voici venu le temps de l’« or gris », métaphore des profits juteux du marché de la dépendance. « Le business du cacochyme est devenu au fil des ans presque aussi juteux que le casino de Monte Carlo. Une fois les investissements immobiliers amortis, le taux de rentabilité dépasse facilement les 25% et c’est quand même pas mal » note à ce titre le journaliste Daniel Mermet [1]. Et ce n’est qu’un début. Dans les colonnes du Zinc, Julie Morange revient sur les nouveaux gisements des industriels de l’« or gris ».

Dépendance : les nouveaux gisements des industriels de l’« or gris »

La réforme de la dépendance, entamée par le gouvernement, devrait ouvrir des perspectives alléchantes pour un secteur déjà florissant. Et dont un mot d’ordre pourrait paraphraser la maxime d’Alphonse Allais : « Il faut prendre l’argent aux vieux pauvres. Certes, ils n’en ont pas beaucoup, mais ils sont si nombreux ! »

Mardi 4 janvier 2011, Roselyne Bachelot lançait la consultation préalable à la réforme de la « dépendance ». Plusieurs propositions devront être examinées d’ici cet été, afin de préparer l’introduction de mesures dans le budget 2012. Il s’agit de modifier la répartition actuelle de la prise en charge des personnes âgées : les dépenses publiques consacrées à la dépendance sont estimées à 22 milliards d’euros par an (principalement la sécurité sociale et les départements) ; les ménages y consacrent quant à eux environ 7 milliards d’euros [2].

Pour subvenir aux coûts supplémentaires qui devraient être occasionnés par le vieillissement de la population, plusieurs propositions de financement ont été mises sur la table : fiscalité, recours sur succession… mais la proposition la plus emblématique concerne la création d’une « cinquième branche » de la sécurité sociale, qui pourrait aller de pair avec un recours aux assurances privées. « La réforme doit donc alléger ce fardeau qui fragilise les départements et les familles modestes », explique l’Humanité [3]. Le quotidien omet de préciser que, si la « dépendance » se présente comme un fardeau pour le public et les familles, elle fait figure de véritable eldorado pour les industriels de l’« or gris », qui exploitent le filon prometteur… de la vieillesse.

Un marché porteur

Le marché de la « dépendance » (le « marché sénescent », comme disent les gens bien élevés) repose sur deux facteurs ; D’une part, le chiffre croissant des personnes âgées : « Ils sont 1,1 millions de personnes âgées de 85 ans et plus dans notre hexagone ; et dans dix ans ils seront près du double […] Selon l’INSEE, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait bondir de plus de 40% d’ici à 2020 et devrait quasiment avoir doublé en 2040. Quelle industrie peut se prévaloir d’une aussi réjouissante prévision de marché ?  [4] »

(NB : les chiffres mentionnés par Daniel Mermet correspondent à l’année de diffusion du reportage, c’est-à-dire 2008)

D’autre part, la prise en charge des personnes âgées dépendantes par les pouvoirs publics est largement insuffisante. Pour plus d’un million de plus de 85 ans, on compte seulement 600000 places dans les maisons de retraites publiques, dont le taux d’occupation est à son maximum [5]. Dès lors, les opportunités sont nombreuses pour les établissements privés, d’autant que les personnes âgées disposent souvent de ressources diverses : leurs propres patrimoine et biens, mais aussi… l’argent de leurs descendants. Qu’il s’agisse des maisons de retraites publiques (par manque de fonds) ou des privées (par quête de rentabilité), les personnels sont soumis à de véritables cadences fordistes.

Quant à l’« or gris », c’est peu dire qu’il rapporte : « Une demi-douzaine de grands groupes écument désormais le marché et alignent des bénéfices haut comme ça : ceux de Medidep 12,4 millions d’euros, ont été multipliés par 10 depuis 1998 ; et des cours de bourse sont dopés à la cortisone : les actions d’Orpéa, la société de Jean-Claude Marian n’ont-elles pas doublé en moins d’un an ? Pas étonnant que les investisseurs se précipitent dans le créneau comme des oursons sur un pot de miel ! »

Jean-Claude Marian, par ailleurs président du conseil de surveillance de Medidep jusqu’en 2005, n’est certes pas le seul à participer à cette ruée vers l’« or gris » : « Le fonds de pension britannique Bridgepoint n’a par exemple pas hésité à flamber 330 millions d’euros en 2003 pour mettre la main sur Medica-France, 5100 lits, et pas un matin ne se lève sans qu’un particulier monte un dossier de construction de résidence auprès de sa préfecture avec le fol espoir de faire la culbute. On appelle tout cela « l’or gris », le business des mouroirs. »

Le roi de la dépendance

Jean-Claude Marian est en quelque sorte le « roi de l’or gris ». En 1989, alors que la plupart des établissements privés s’adressent à une clientèle fortunée, il fonde Orpéa, un groupe de maisons de retraites qui propose une « offre » moyenne destinée à suppléer la prise en charge publique, de plus en plus défaillante. Après des débuts compliqués, dans le courant des années 90, le succès de ses maisons de retraite s’affirme… et se confirme dans la décennie 2000. Il s’est même lancé depuis quelques années à la conquête des marchés étrangers : Espagne, Italie, Belgique, Suisse… Aujourd’hui, Marian dispose de la 93ème fortune de France, qui est estimée par Challenge [6] à 401 million d’euros en 2010.

Depuis les années 1990, Jean-Claude Marian milite pour la mise en place d’un « 5ème risque pour la dépendance » de la Sécurité Sociale. Un dispositif qui aurait notamment le bon goût de permettre au plus grand nombre de bénéficier des services du bon « docteur » Marian… Au frais du contribuable. Il a semble-t-il été entendu par Roselyne Bachelot, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Il faut dire que la ministre, qui a déjà démontré sa solidarité à l’égard des industriels de la santé, pouvait compter notamment sur son nouveau directeur de cabinet, ancien administrateur délégué… chez Orpea de 2004 à 2006 [7].

Financiarisation de la dépendance

Bien sûr, il n’y aura pas que les groupes de maison de retraite qui sont susceptible de bénéficier de la réforme. En rendant obligatoire le recours à des assurances privées, va contribuer à financiariser la « dépendance ». Cela tombe bien ; car en France, le marché de l’assurance dépendance tarde à se développer : le taux d’équipement du marché de l’assurance dépendance se situe entre 10 et 15 %, alors qu’il est de plus de 86 % pour la complémentaire santé. De quoi rassurer Denis Kessler, par ailleurs administrateur de l’Union des Assurances de Paris et PDG d’une société de réassurance, qui avait remarqué en 2007 cette « énigme de l’assurance dépendance » [8]

« Pour les mutuelles et les assurances, l’opportunité est de taille : il s’agirait de collecter l’épargne individuelle de millions de salariés à partir d’un certain âge » note Le Monde [9]. La logique est poussée jusqu’au bout, puisque, si les assurances privées pourraient profiter de l’épargne des ménages solvables, le « cinquième pilier » devrait prendre en charge les coûts liés à la prise en charge des plus démunis. En d’autres termes, la « dépendance » représente elle aussi un bon prétexte pour privatiser les profits et socialiser les pertes.

« Le secteur de la santé, au sens large, est un gouffre financier quand il est public et devient, comme par miracle, le nouvel eldorado quand il est privé. Mais l’eldorado pour qui ? [10] » s’interroge un blogueur. Certainement pas pour les personnes âgées. Comme le rappelle Daniel Mermet, « Il y a des organismes qui luttent contre la maltraitance, il y a des promesses de lutter contre la maltraitance […] et différents types de maltraitance. Mais la première maltraitance évidemment est de considérer la personne âgée comme une marchandise au mieux, un déchet, au pire. »

Julie Morange

[1] A écouter sur le site d’archives de Là bas si j’y suis, émission du 16 novembre 2009 consacrée aux maisons de retraite / reportage de Charlotte Perry : http://www.la-bas.org/article.php3?…

[2] Lire sur le site de l’Humanité, « Réforme de la dépendance, les pistes sur la table » (4 février 2011) : http://humanite.fr/04_01_2011-r%C3%…

[3] Ibid.

[4] Les citations qui suivent sont tirées des interventions de Daniel Mermet, dans le reportage de Charlotte Perry : http://www.la-bas.org/article.php3?…

[5] Ministère des affaires sociales, DREES.

[6] Lire la notice qui lui est dédié sur le site de Challenge : http://www.challenges.fr/classement…

[7] Lire la notice d’Olivier Le Gall, sur le site de la Gazette Santé : http://www.gazette-sante-social.fr/…

[8] « Le marché de l’assurance dépendance », par Manuel Plisson : http://www.ffsa.fr/webffsa/risques….

[9] Dépendance : La réforme pourra-t-elle être faite avant 2012 (05/01/2011) : http://www.lemonde.fr/politique/art…

[10] Lire sur le blog de M’sieur Patrick : http://msieurpatrick.typepad.com/ms…

 

Voir aussi : Rubrique Société, rubrique Santé, rubrique Economie,