Orpea: la mobilisation européenne des salariés s’organise

En se fédérant, les syndicats de différents pays européens tentent de contraindre Orpea, groupe français leader du service aux personnes âgées, d’améliorer les salaires et des conditions de travail souvent désastreuses. Illustration en France et à Berlin, alors que les salariés belges ont annoncé une grève à partir du 8 novembre.

La France peut fanfaronner, elle héberge les sièges des « leaders européens » de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées et, parmi eux, le groupe Orpea. Avec plus de 850 établissements, Ehpad ou cliniques, implantés dans treize pays d’Europe, Orpea est l’un des deux champions bleu, blanc, rouge des maisons de retraite et des centres de rééducation, presque à égalité avec le groupe Korian, lui aussi français.

Le groupe au taux de croissance à deux chiffres a cependant sa part d’ombre, accusé en 2015 d’avoir espionné ses salariés, en particulier ses représentants syndicaux (une affaire que Mediapart a révélée ici), ou encore de tirer sur les coûts, avec des conséquences parfois dramatiques pour les résidents ou les personnels. L’entreprise a même tenté récemment de faire interdire la diffusion d’une enquête de l’émission « Envoyé spécial » sur les Ehpad, dans laquelle son image est sévèrement écornée. Partout en Europe, le groupe est aujourd’hui contesté, et des mouvements de salariés se multiplient dans la jachère syndicale que constitue le secteur des services à la personne.

Une atmosphère de fête à la résidence ORPEA Château Notre Dame

Une atmosphère de fête à la résidence ORPEA Château Notre Dame

En France, Orpea s’est encore récemment illustré par sa conception toute particulière du dialogue social. Le 4 septembre, une partie du personnel de la clinique La Pinède, à Saint-Estève, dans les Pyrénées-Orientales, propriété de la filiale Clinea du groupe Orpea, s’est mise en grève pour protester contre le manque d’effectifs et de matériel. Leurs collègues de la clinique Clinea de Collioure leur ont emboîté le pas une semaine plus tard, pour les mêmes motifs.

Devant les deux établissements se sont rassemblés des aides-soignantes, des kinésithérapeutes, des secrétaires, des cuisiniers, pour un mouvement rassemblant les syndicats CGT et CDFT. Mais dès le début du conflit, les grévistes ont déchanté : « Nous avons vu, passant devant nous, des gens d’Auxerre, de Marseille, Paris, venus pour nous remplacer, raconte, encore ahurie, Magali Martinez, aide-soignante et déléguée syndicale CGT de la clinique La Pinède. Ces salariés arrivaient tous frais payés pour le déplacement, l’hôtel, et étaient rémunérés en heures supplémentaires… » Une pratique confirmée par cet article de L’Humanité.

À Collioure, même méthode pendant les quinze jours que va durer le conflit. « Ce n’est pas totalement illégal puisqu’il s’agit des salariés du même groupe, mais complètement amoral, remarque Philippe Gallais, ancien délégué central sur la branche Clinea du groupe Orpea. En clair, ça veut dire casser la grève. » De fait, au bout de deux semaines, les salariés cessent leur mouvement, sans rien avoir obtenu ni même signé un protocole d’accord. Orpea n’a répondu à aucune de nos questions sur ce conflit.

« Financièrement, vu le montant de nos salaires, ce n’est pas tenable plus longtemps, les gens ont commencé à rentrer petit à petit au boulot », explique Magali Martinez qui, avec 25 ans d’ancienneté et travaillant la nuit et deux dimanches par mois, gagne 1 400 euros mensuels. Depuis le mouvement et malgré son mandat, elle est désormais interdite d’accès au comité d’établissement de la clinique, ce qu’elle conteste devant le tribunal administratif.

En Allemagne, des grévistes interdits de remettre les pieds dans l’établissement

L’entreprise est bousculée bien au-delà des frontières du pays de son fondateur, le multimillionnaire français Jean-Claude Marian. Outre-Rhin, dans la clinique de réhabilitation de Bad Langensalza, en Thuringe, gérée par la société allemande Celenus, propriété du groupe Orpea, le conflit social sur les salaires est permanent depuis 2015, mais s’est enflammé ce printemps, avec une succession de grèves et de débrayages.

La physiothérapeute employée dans l’établissement Jacqueline Althaus, gréviste, n’a pas l’intention de baisser les bras. Mais le mutisme récurrent de la direction de la clinique commence à lui peser. « Cette semaine, nous leur avons encore proposé, comme preuve de notre bonne volonté, de reprendre le travail en échange de la reprise des négociations sur les salaires. Leur réponse a été d’exiger des entretiens individuels, tout en refusant une négociation collective. Et cinq d’entre nous se sont vu renouveler l’interdiction de mettre les pieds dans l’enceinte de l’établissement. »

Le problème des salaires existe presque depuis la création de la clinique, en 1998. La situation s’améliore en 2013 quand le gouvernement fédéral vote l’introduction d’un salaire minimum universel de 8,80 euros de l’heure. La clinique de Bad Langensalza est rachetée en 2015 par le groupe Celenus, constitué depuis 2010 à partir de multiples rachats par des investisseurs financiers allemands et internationaux, et qui compte alors une vingtaine d’établissements.

Mais à peine la clinique thuringienne a-t-elle intégré Celenus que celui-ci est vendu à son tour au français Orpea, qui détient aujourd’hui 124 établissements en Allemagne : « À part un accord-cadre sur les conditions de travail signé au niveau de Celenus en 2016, nous n’avons jamais rien pu obtenir sur les salaires », explique Jacqueline Althaus, également présidente du comité d’entreprise de la clinique et membre de Verdi, le syndicat des services.

Et les autres « chicaneries » ne manquent pas, à rebours de l’image du dialogue social à l’allemande, censément apaisé : « D’abord, l’employeur a essayé de faire interdire à plusieurs reprises nos mouvements de grève. Mais les tribunaux nous ont donné raison. Par ailleurs, deux collègues membres du CE ont été licenciés sans préavis au printemps dernier pour avoir distribué, en dehors de leurs heures de travail, des prospectus qui avertissaient nos patients qu’une grève allait avoir lieu et pourrait gêner certains services. Finalement, le tribunal régional du travail a décidé, le 17 octobre dernier, que ces licenciements étaient abusifs. Ils vont donc être réintégrés », raconte-t-elle.

« Nous connaissons ce type de réactions contre les salariés et les syndicats dans d’autres établissements et filiales du groupe Orpea. Mais il est difficile de mener un recensement systématique, d’abord parce que le nom même d’Orpea n’est pas toujours connu par les collègues eux-mêmes, mais aussi parce que ce sont souvent des conflits au niveau des établissements et que l’information ne remonte pas toujours », rapporte Astrid Sauermann, porte-parole du syndicat Verdi pour le domaine des cliniques et maisons de retraite.

Dans ce secteur où 70 % des coûts de fonctionnement sont des coûts de personnel, « la seule possibilité de faire monter la rentabilité est de réduire sérieusement ces coûts », explique Wilfried von Eiff, directeur du Centre pour le management des hôpitaux de l’université de Münster : « C’est donc ce que font les investisseurs financiers du secteur. Ils réduisent les salaires mais aussi l’offre de certains services à des niveaux rudimentaires, comme le soin des blessures, la prise quotidienne de médicaments ou le nombre des visites médicales. Il y a une multitude de possibilités, qui aboutissent toutes au même résultat : elles se font au détriment des salariés et de la santé des patients », explique-t-il.

Sur les quatre premiers opérateurs du marché allemand, qui affiche une croissance annuelle moyenne de 5 % avec un chiffre d’affaires d’environ 50 milliards d’euros, un seul groupe est allemand. C’est le numéro 3, Pro Seniore. Pour le reste, le leader est le groupe français Korian, suivi du Alloheim-Gruppe, détenu par le fonds d’investissement américain Carlyle et enfin, en quatrième position… le groupe Orpea. Actuellement, l’Agence fédérale des statistiques recense environ 2,9 millions de personnes âgées demandeuses de soins. Mais à l’horizon de 2030, ce groupe devrait grimper à 3,6 millions de personnes. D’où le calcul des statisticiens d’un besoin minimum d’environ 350 000 aides-soignants supplémentaires d’ici à 2030.

« Toutes les pièces du puzzle se mettent en place » pour une mobilisation européenne

Le problème est connu depuis des années en Allemagne. Avec le vieillissement démographique, les besoins en personnel ne cessent d’augmenter cependant que le salaire et les conditions de travail des aides-soignants stagnent ou régressent. Le nouveau ministre de la santé Jens Spahn a donc décidé de prendre le taureau par les cornes et de lutter contre le dumping salarial, en lançant un grand plan de revalorisation des conditions de travail et de rémunération des aides-soignants.

Pour les salaires, la méthode prévue est de négocier et d’imposer des minima salariaux pour toutes les entreprises du secteur. Mais dans un pays où la définition des salaires est uniquement du ressort des syndicats et des employeurs, la chose ne va pas de soi. Ainsi, pour appliquer la procédure souhaitée par Jens Spahn, encore faudrait-il que les principaux syndicats et fédérations du secteur participent à la discussion. Hélas, la Fédération des opérateurs privés de services sociaux (BPA) a annoncé qu’elle n’avait pas l’intention de s’asseoir à la table des négociations.

En Belgique, même méthode, même réponse : un préavis de grève a été déposé pour le 8 novembre 2018 au sein de trois résidences des trois plus grands groupes exerçant en Belgique, où Orpea et Korian font également office de leaders. Dès le 12 novembre, des grèves tournantes pourraient affecter l’ensemble des maisons de retraite bruxelloises, avertissent les syndicats.

Pour éviter le piège du face-à-face, des syndicalistes de plusieurs pays défendant les salariés d’Orpea commencent donc à s’organiser en tentant de subvertir l’échelon national. « En France, nous sommes totalement bloqués, d’où l’idée de passer par-dessus, souligne Guillaume Gobet, délégué syndical central CGT. Car Orpea a pour politique de ne pas répondre à qui que ce soit. Sur les mouvements de grève récents, j’ai voulu remettre une lettre à la direction des ressources humaines. Il a fallu envahir le siège pour aller dans le bureau de la DRH, pour voir quelqu’un qui a refusé de prendre mon document. Il n’y a aucun dialogue. »

Le 25 septembre, les Allemands et les Belges sont venus soutenir leurs collègues français devant le siège social du groupe, à Paris. Trois jours plus tard, c’est au tour des Français de la CGT de voyager jusqu’à Berlin pour protester contre le sort réservé aux salariés de Celenus et pour soutenir le syndicat Verdi devant le “Medef allemand”. Vendredi 26 octobre 2018, tout ce petit monde – mais aussi des syndicalistes italiens et espagnols – s’est retrouvé pour préparer la création d’un comité d’établissement européen, sorte de CE supranational. Si la négociation aboutit, tout comme le processus identique qui se déroule au sein du groupe Korian, ce serait une grande première pour le secteur, peu syndiqué, employant un important volant de personnel féminin à temps partiel et bas salaire.

L’enjeu ? « Avoir des liens avec les organisations syndicales d’un groupe désormais mondial, insiste Guillaume Gobet, en France. Et avoir une vision globale du groupe, des informations sur l’organigramme, le patrimoine immobilier, les données financières, sur lesquels nous, élus français, nous n’arrivons à avoir aucun regard. » En clair, s’associer pour peser.

Pablo Sànchez, attaché de presse de la European Federation of Public Service Unions (EPSU), assez circonspect sur les velléités de transparence des géants de la dépendance, y voit surtout une manière de se doter de structures représentatives pour ensuite peser sur les législations européennes : « On doit pouvoir créer une ligne minimum décente sur les conditions de travail, le ratio personnel/patient, une sorte d’harmonisation du secteur. Sinon, c’est la concurrence effrénée entre les pays qui s’applique, même au sein d’un même groupe. »

Les mobilisations, spectaculaires comme au printemps dernier en France dans les Ehpad, cet automne dans les cliniques lucratives, en Espagne, l’an dernier, en Italie, en Allemagne ou en Belgique, « montrent que c’est un secteur où les gens sont en train de dire basta ! », ce qui est « remarquable », souligne le représentant de l’EPSU. « Ces mouvements, un peu partout en Europe, en parallèle de la construction d’un comité d’établissement européen, font que toutes les pièces du puzzle se mettent en place sur le sens qu’il y a à lutter ensemble pour les mêmes droits en Europe », insiste Pablo Sànchez.

La dépendance, financée pour une large part par l’argent public mais soumise pour partie à la recherche de croissance des géants de l’or gris, est donc une sorte de laboratoire à ciel ouvert de l’Europe sociale. « À Orpea par exemple, sur le ratio, nous estimons être à 0,47 personnel pour un résident, quand les Ehpad publics sont à 0,6 [personnel], ce qui n’est déjà pas très haut, rappelle Philippe Gallais, ancien délégué central dans la branche Clinea d’Orpea. En Belgique, ils ont des normes ! Une mobilisation collective, à l’échelle européenne, c’est aussi pouvoir mettre en place des minima. Parce que aujourd’hui, la dépendance est devenue un commerce, donc il faut des règles communes pour l’encadrer. »

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Source Médiapart 07/11.2018

voir aussi : VIDEO. Maisons de retraite : derrière la façade

Dépendance : les nouveaux gisements des industriels de l’« or gris »

Voici venu le temps de l’« or gris », métaphore des profits juteux du marché de la dépendance. « Le business du cacochyme est devenu au fil des ans presque aussi juteux que le casino de Monte Carlo. Une fois les investissements immobiliers amortis, le taux de rentabilité dépasse facilement les 25% et c’est quand même pas mal » note à ce titre le journaliste Daniel Mermet [1]. Et ce n’est qu’un début. Dans les colonnes du Zinc, Julie Morange revient sur les nouveaux gisements des industriels de l’« or gris ».

Dépendance : les nouveaux gisements des industriels de l’« or gris »

La réforme de la dépendance, entamée par le gouvernement, devrait ouvrir des perspectives alléchantes pour un secteur déjà florissant. Et dont un mot d’ordre pourrait paraphraser la maxime d’Alphonse Allais : « Il faut prendre l’argent aux vieux pauvres. Certes, ils n’en ont pas beaucoup, mais ils sont si nombreux ! »

Mardi 4 janvier 2011, Roselyne Bachelot lançait la consultation préalable à la réforme de la « dépendance ». Plusieurs propositions devront être examinées d’ici cet été, afin de préparer l’introduction de mesures dans le budget 2012. Il s’agit de modifier la répartition actuelle de la prise en charge des personnes âgées : les dépenses publiques consacrées à la dépendance sont estimées à 22 milliards d’euros par an (principalement la sécurité sociale et les départements) ; les ménages y consacrent quant à eux environ 7 milliards d’euros [2].

Pour subvenir aux coûts supplémentaires qui devraient être occasionnés par le vieillissement de la population, plusieurs propositions de financement ont été mises sur la table : fiscalité, recours sur succession… mais la proposition la plus emblématique concerne la création d’une « cinquième branche » de la sécurité sociale, qui pourrait aller de pair avec un recours aux assurances privées. « La réforme doit donc alléger ce fardeau qui fragilise les départements et les familles modestes », explique l’Humanité [3]. Le quotidien omet de préciser que, si la « dépendance » se présente comme un fardeau pour le public et les familles, elle fait figure de véritable eldorado pour les industriels de l’« or gris », qui exploitent le filon prometteur… de la vieillesse.

Un marché porteur

Le marché de la « dépendance » (le « marché sénescent », comme disent les gens bien élevés) repose sur deux facteurs ; D’une part, le chiffre croissant des personnes âgées : « Ils sont 1,1 millions de personnes âgées de 85 ans et plus dans notre hexagone ; et dans dix ans ils seront près du double […] Selon l’INSEE, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait bondir de plus de 40% d’ici à 2020 et devrait quasiment avoir doublé en 2040. Quelle industrie peut se prévaloir d’une aussi réjouissante prévision de marché ?  [4] »

(NB : les chiffres mentionnés par Daniel Mermet correspondent à l’année de diffusion du reportage, c’est-à-dire 2008)

D’autre part, la prise en charge des personnes âgées dépendantes par les pouvoirs publics est largement insuffisante. Pour plus d’un million de plus de 85 ans, on compte seulement 600000 places dans les maisons de retraites publiques, dont le taux d’occupation est à son maximum [5]. Dès lors, les opportunités sont nombreuses pour les établissements privés, d’autant que les personnes âgées disposent souvent de ressources diverses : leurs propres patrimoine et biens, mais aussi… l’argent de leurs descendants. Qu’il s’agisse des maisons de retraites publiques (par manque de fonds) ou des privées (par quête de rentabilité), les personnels sont soumis à de véritables cadences fordistes.

Quant à l’« or gris », c’est peu dire qu’il rapporte : « Une demi-douzaine de grands groupes écument désormais le marché et alignent des bénéfices haut comme ça : ceux de Medidep 12,4 millions d’euros, ont été multipliés par 10 depuis 1998 ; et des cours de bourse sont dopés à la cortisone : les actions d’Orpéa, la société de Jean-Claude Marian n’ont-elles pas doublé en moins d’un an ? Pas étonnant que les investisseurs se précipitent dans le créneau comme des oursons sur un pot de miel ! »

Jean-Claude Marian, par ailleurs président du conseil de surveillance de Medidep jusqu’en 2005, n’est certes pas le seul à participer à cette ruée vers l’« or gris » : « Le fonds de pension britannique Bridgepoint n’a par exemple pas hésité à flamber 330 millions d’euros en 2003 pour mettre la main sur Medica-France, 5100 lits, et pas un matin ne se lève sans qu’un particulier monte un dossier de construction de résidence auprès de sa préfecture avec le fol espoir de faire la culbute. On appelle tout cela « l’or gris », le business des mouroirs. »

Le roi de la dépendance

Jean-Claude Marian est en quelque sorte le « roi de l’or gris ». En 1989, alors que la plupart des établissements privés s’adressent à une clientèle fortunée, il fonde Orpéa, un groupe de maisons de retraites qui propose une « offre » moyenne destinée à suppléer la prise en charge publique, de plus en plus défaillante. Après des débuts compliqués, dans le courant des années 90, le succès de ses maisons de retraite s’affirme… et se confirme dans la décennie 2000. Il s’est même lancé depuis quelques années à la conquête des marchés étrangers : Espagne, Italie, Belgique, Suisse… Aujourd’hui, Marian dispose de la 93ème fortune de France, qui est estimée par Challenge [6] à 401 million d’euros en 2010.

Depuis les années 1990, Jean-Claude Marian milite pour la mise en place d’un « 5ème risque pour la dépendance » de la Sécurité Sociale. Un dispositif qui aurait notamment le bon goût de permettre au plus grand nombre de bénéficier des services du bon « docteur » Marian… Au frais du contribuable. Il a semble-t-il été entendu par Roselyne Bachelot, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Il faut dire que la ministre, qui a déjà démontré sa solidarité à l’égard des industriels de la santé, pouvait compter notamment sur son nouveau directeur de cabinet, ancien administrateur délégué… chez Orpea de 2004 à 2006 [7].

Financiarisation de la dépendance

Bien sûr, il n’y aura pas que les groupes de maison de retraite qui sont susceptible de bénéficier de la réforme. En rendant obligatoire le recours à des assurances privées, va contribuer à financiariser la « dépendance ». Cela tombe bien ; car en France, le marché de l’assurance dépendance tarde à se développer : le taux d’équipement du marché de l’assurance dépendance se situe entre 10 et 15 %, alors qu’il est de plus de 86 % pour la complémentaire santé. De quoi rassurer Denis Kessler, par ailleurs administrateur de l’Union des Assurances de Paris et PDG d’une société de réassurance, qui avait remarqué en 2007 cette « énigme de l’assurance dépendance » [8]

« Pour les mutuelles et les assurances, l’opportunité est de taille : il s’agirait de collecter l’épargne individuelle de millions de salariés à partir d’un certain âge » note Le Monde [9]. La logique est poussée jusqu’au bout, puisque, si les assurances privées pourraient profiter de l’épargne des ménages solvables, le « cinquième pilier » devrait prendre en charge les coûts liés à la prise en charge des plus démunis. En d’autres termes, la « dépendance » représente elle aussi un bon prétexte pour privatiser les profits et socialiser les pertes.

« Le secteur de la santé, au sens large, est un gouffre financier quand il est public et devient, comme par miracle, le nouvel eldorado quand il est privé. Mais l’eldorado pour qui ? [10] » s’interroge un blogueur. Certainement pas pour les personnes âgées. Comme le rappelle Daniel Mermet, « Il y a des organismes qui luttent contre la maltraitance, il y a des promesses de lutter contre la maltraitance […] et différents types de maltraitance. Mais la première maltraitance évidemment est de considérer la personne âgée comme une marchandise au mieux, un déchet, au pire. »

Julie Morange

[1] A écouter sur le site d’archives de Là bas si j’y suis, émission du 16 novembre 2009 consacrée aux maisons de retraite / reportage de Charlotte Perry : http://www.la-bas.org/article.php3?…

[2] Lire sur le site de l’Humanité, « Réforme de la dépendance, les pistes sur la table » (4 février 2011) : http://humanite.fr/04_01_2011-r%C3%…

[3] Ibid.

[4] Les citations qui suivent sont tirées des interventions de Daniel Mermet, dans le reportage de Charlotte Perry : http://www.la-bas.org/article.php3?…

[5] Ministère des affaires sociales, DREES.

[6] Lire la notice qui lui est dédié sur le site de Challenge : http://www.challenges.fr/classement…

[7] Lire la notice d’Olivier Le Gall, sur le site de la Gazette Santé : http://www.gazette-sante-social.fr/…

[8] « Le marché de l’assurance dépendance », par Manuel Plisson : http://www.ffsa.fr/webffsa/risques….

[9] Dépendance : La réforme pourra-t-elle être faite avant 2012 (05/01/2011) : http://www.lemonde.fr/politique/art…

[10] Lire sur le blog de M’sieur Patrick : http://msieurpatrick.typepad.com/ms…

 

Voir aussi : Rubrique Société, rubrique Santé, rubrique Economie,