Les exilés du monde maîtres de notre imaginaire collectif

Printemps des Comédiens. La Tempête – Le Songe d’une nuit d’été

 

Dans le cadre du Printemps des Comédiens, Interstices & La Bulle Bleue présentent au CDN de Montpellier un diptyque shakespearien revigorant. La mise en scène signée Marie Lamachère associe une équipe de comédiens fraîchement sortis du conservatoire à la troupe de La Bulle Bleue, pour nous entraîner dans une odyssée peuplée des personnages du Songe d’une nuit d’été et de La Tempête. Deux pièces où le dramaturge mine tout rapport « normal » ou « naturel » à la réalité. Fantastique occasion saisie pour ouvrir la voie à d’autres régimes de perception et venir sensiblement enrichir les mille et une versions du répertoire.

 

Le bal s’ouvre avec turbulence dans La Tempête. Qu’on se le dise, cette adaptation renouvelée emporte dans son tourbillon toute velléité du spectateur à suivre un déroulement linéaire. Une intension qui serait du reste parfaitement incongrue en plein déchaînement des éléments. Dans cette version tumultueuse, ce qui pique notre intérêt et embrasse l’ampleur de l’œuvre de Shakespeare, c’est justement la diversité de la vie que l’on peut y trouver. Un catalogue dans lequel le dramaturge intègre volontiers le comique et le grotesque.

Si la tempête était une allégorie de notre époque nous serions bien inspirés d’infléchir nos attentes, pour faire appel à tous nos sens et mieux nous adapter au contexte du moment…C’est dans cette nouvelle disposition d’intérêts que l’on glisse vers des contours mal identifiés, aux frontières du flou et pourtant reconnaissables dans le regard de l’autre.

Avec La Tempête, Marie Lamachère retranscrit l’univers des bannis, un peu à la manière de Didi et Gogo, les deux vagabonds d’En attendant Godot, de Beckett. L’univers de la marge que n’a pas choisi Prospero, et moins encore sa fille Miranda, est celui de l’errance. Ce sont aux exilés du monde malgré eux à qui il est donné de conquérir notre imaginaire collectif.

La scénographie joue sur une superposition de niveaux adaptée à une mise en scène en patchwork où les morceaux colorés dessinent un grand tout. À l’avant scène, l’île est symbolisée par un plateau carré avec une cabane, espace intime partagé par le Duc légitime de Milan et sa fille. Des captations vidéos nous transportent sur les rivages de la Méditerranée occidentale et l’arrière du plateau ouvre sur une sorte de hors-champ, espace de transition du troisième type qui achève la déconstruction de l’unité de temps. Ou du moins qui ouvre sur une poétique du temps où se rejoignent le temps qui est passé et le temps qu’il fait. Mais pour Marie Lamachère c’est le mouvement qui compte, celui qui sans cesse déplace les lignes et défait les contours.

Ce dispositif privilégie les registres de théâtralité d’une équipe de vingt comédiens occupant de très vastes territoires. Hier dispersés et invisibles, les comédiens brûlent les planches de la scène au sein d’une troupe où ils incarnent une solide figure collective. La force des liens qui les unissent emporte le spectateur. Quand Le Songe d’une nuit d’été succède à La Tempête, on réalise vraiment la qualité du travail mené par cette équipe. Le jeu est vigoureux. Les variations subtiles entre comédie et poésie, extravagance et contrôle, gravité et philosophie s’enchaînent et délivrent un récit qui s’abreuvent aux sources shakespeariennes, en donnant de grandes latitudes au jeu d’acteur.

Après s’être déplacée notre curiosité se ravive ; quelle nouvelle histoire a fait irruption sur la scène et qu’est-elle en train d’inscrire sous nos yeux, rejoignant même à certain moment la question que s’est longtemps posée Shakespeare : Qui suis je ?

On rit de bon cœur. Sur scène le comique de situation alterne avec l’angoisse comique qui s’exprime dans le sentiment des uns et des autres de n’avoir plus prise sur le réel, plus particulièrement dans Le Songe où l’amour est sorcellerie. La langue s’apprivoise à travers différentes approches se rattachant toujours à la loi commune de libération et respect de l’individu, et dans ce mouvement de recomposition l’œuvre du dramaturge trouve l’occasion d’un nouveau voyage qui pénètre les âmes.

Jean-Marie Dinh

 

Miranda dans l’orage, de John William Waterhouse.

La Tempête – Le Songe d’une nuit d’été jusqu’au 11 juin au Théâtre des treize vents, à Montpellier.

Source altermidi 10 juin 2023

 

Marie Lamachère évoque sa création
La Tempête – Le Songe d’une nuit d’été

 

« Shakespeare fait honneur à la capacité de métamorphose »

 

Le Songe d’une nuit d’été, mis en scène par Marie Lamachère dans le cadre du Printemps des Comédiens, au Théâtre des Treize Vents.

 

 

Shakespeare libère les instincts, notamment à travers les deux pièces que vous avez choisies. D’où provient ce choix ?

J’ai travaillé sur Shakespeare comme actrice à un moment donné et je sais que pour les acteurs, arpenter Shakespeare est un endroit où on trouve des ressources pour jouer parce que c’est une sorte de machinerie théâtrale, une machine à inventer. C’est très joueur, très libre et aussi une sacrée aventure de se plonger dans ce genre de texte qui a été mille fois jouer. Je souhaitais partager cela avec les acteurs de La Bulle Bleue qui n’avaient jamais monté de classiques. Arpenter les textes classiques du répertoire c’est aussi prendre pied dans l’histoire commune du théâtre. Avec Shakespeare on partage une culture théâtrale et on se dit humblement “qu’est ce que je vais apporter à cette histoire commune ?”. D’une certaine façon, pour moi c’est aussi une manière de dire : « Vous n’êtes pas juste à la marge, même si la marge peut avoir sa beauté, vous n’êtes pas juste tolérés dans le champ artistique, vous y prenez vraiment part et vous allez l’enrichir.

 

Qu’avez-vous privilégié dans le travail avec les acteurs ?

Des choses très différentes parce que c’est une équipe très hétérogène. Il y a dix acteurs de La Bulle Bleue et dix jeunes acteurs qui ont fait des écoles. J’ai un plateau très hétérogène, c’est précisément ce qui m’intéresse. J’ai privilégié un sentiment de liberté, quelque chose de très ludique dans le travail et l’hétérogénéité de plateau, c’est-à-dire des registres de théâtralité différents. Il y a les dimensions ludiques, le fait que les joueurs ne sont pas sérieux, et il y a des thématiques importantes qui sont celles de la pièce en termes de sujets traités, d’intensité émotionnelle, mais par contre du point de vue de la forme ce n’est pas sérieux.

 

Quelle place a pris l’imprévu ?

Il y a une part d’imprévu à certains endroits, sur certaines scènes. Dans son écriture j’ai toujours l’impression que Shakespeare rend hommage aux acteurs. Dans Le Songe on voit des comédiens en répétition, dans La Tempête il y a un personnage d’acteur ou metteur en scène. Il y a un jeu de théâtre dans le théâtre, comme ça, qui est permanent. Shakespeare fait honneur à la capacité de métamorphose et rend hommage aux acteurs et aux actrices. J’ai voulu ouvrir une sorte de possibilité pour les acteurs de se rendre visibles, d’exprimer des qualités de jeu et des possibilités de théâtre différentes. La pièce est une espèce de collage infernal, exactement comme dans un rêve.

 

Les rêves et les métamorphoses nous entraînent dans un monde aux lois différentes du nôtre. Quels repères avez-vous donnés à l’équipe dans ce corpus plein de résonance sur la condition humaine ?

C’est d’abord les acteurs et les actrices de La Bulle Bleue qui avaient envie de monter ces textes. En travaillant avec eux j’ai eu l’impression de pouvoir relire Shakespeare. C’est une espèce de métaphore d’allégories comme si on entrait dans le crâne de quelqu’un avec des images. J’ai l’impression d’arpenter ces pièces comme on arpente les idées dans un crâne. Les artistes de La Bulle Bleue ont une pratique théâtrale quotidienne profonde. En partie lié à leur trajectoire de vie, pour trouver des chemins ils ont dû s’accepter en tant qu’eux-même et être acceptés par la société. Ce sont des personnes qui vivent des aventures intenses. Je les vois un peu comme les Ulysse de notre époque. Je pense qu’il y a une densité d’expériences chez certains de ces artistes qui amène une intelligence d’acteur singulière.

 

Comment avez-vous travaillé l’intensité émotionnelle et dramatique ?

En ce moment je suis en discussion avec eux pour mesurer à quel point ils font de la comédie. Même si La Tempête est assez sombre à certains endroits, il y a une dimension de comédie. Il ne faut pas tirer vers le mélodrame, et en même temps la beauté de l’écriture de Shakespeare, c’est qu’il y a une intensité émotionnelle qu’il faut prendre, entre guillemets au sérieux, c’est-à-dire qu’il ne faut pas être sérieux dans la forme mais l’être dans l’intensité, dans le mouvement de vie, dans l’élan… notamment sur la question du désir ou de l’amour dans Le Songe. De même dans La Tempête, si on reste sur l’aspect magique de Prospero on peut manquer le silence qu’il a entretenu sur les origines de sa fille. Miranda apprend la vérité sur sa propre histoire douze ans après, c’est quand même un profond trauma’… et donc si on n’arrive pas à saisir un peu de cette intensité, quelque part on noie la vitalité de l’œuvre et sa capacité à transposer théâtralement les aventures humaines.

 

Pourquoi avoir choisi d’élargir la troupe de La Bulle Bleue en invitant d’autres jeunes comédiens ?

J’avais envie d’une expérience partagée avec des rencontres. Parce que m’étant moi-même extrêmement enrichie au contact des artistes de La Bulle Bleue1, je désirais que d’autres artistes les rencontrent, parce que cela en vaut vraiment la peine. Les acteurs de La Bulle Bleue sont d’une éthique professionnelle vraiment impressionnante, très pro’, très exigeants vis-à-vis d’eux-mêmes et très précis dans leur rapport à leur art. Cela fait des artistes immédiatement engagés dans ce qu’ils ont à faire, ce qui simplifie beaucoup de choses dans la rencontre avec des jeunes artistes qui commencent pour la plupart dans leur chemin de travail. Ce ne sont pas du tout les mêmes univers, et du coup ça apporte. C’est très complémentaire, certains sont dans un énorme appétit de théâtre parce qu’ils commencent et d’autres sont dans un énorme goût du théâtre parce que c’est un élément fondamental de leur existence. C’est très riche humainement et artistiquement.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

 

Source altermidi 10 juin 2023

Festival Montpellier. Cinemed temps court et temps long

Prima della rivoluzione de Bertolucci

Prima della rivoluzione de Bertolucci

L’édition 2018 du Festival Cinemed se tient actuellement à Montpellier. Retour sur l’histoire, les acteurs et les enjeux de cette 40ème édition.

Par sa taille et sa longévité, Cinemed figure aujourd’hui comme le plus grand festival de cinéma Méditerranéen du monde. Le festival a ouvert ses portes vendredi soir. Pendant neuf jours, Montpellier accueille au Corum des dizaines de réalisateurs et d’acteurs qui font le monde et l’actualité du cinéma méditerranéen. Plus de deux cents films courts et longs-métrages, documentaires, films d’animation, rétrospectives, hommages vont se succéder sur les écrans du Corum et de tous les cinémas de la ville qui sont associés à l’événement.

Les trois âges du Cinemed

Ce festival, qui vient de souffler ses quarante bougies, a vu le jour grâce à une équipe de passionnés de cinéma tout court et de films italiens en particulier, dont Henri Talvat, l’actuel président d’honneur. Créé en 1979, le Cinemed a connu trois grandes phases.

L’esprit cinéphile de la première heure impulsé par les membres du cinéclub Jean Vigo sous la houlette de Pierre Pitiot, un adepte de Braudel à qui Georges Frêche, le maire de l’époque, confia la mission d’en faire un festival. À la fin des années 1980 la construction du Corum fait décoller l’événement qui passe du statut de Rencontres du Cinéma de Méditerranée, à celui de Festival.

Au début des années 2000, le journaliste Jean-François Bourgeot prend la direction tout en conservant l’identité du festival, il consolide les liens du festival avec le monde du cinéma français. La programmation des avant-premières attire quelques stars et la programmation permet aux gens de voir davantage de films récents. Mais globalement, fidèle à la demande d’un public ouvert et exigeant, la sélection vise à se maintenir comme le rendez-vous des cinémas de toute la Méditerranée.

De part son rayonnement sur le bassin méditerranéen, comme de part l’attachement culturel qu’il suscite dans la population locale, un festival comme le Cinemed est un atout pour la ville de Montpellier. En renouvelant le soutien financier à cet événement, les différents maires élus à la tête de la cité l’ont bien compris. Au lendemain de son élection en 2014, le maire et président de la Métropole Philippe Saurel pousse vers la sortie Jean-François Bourgeot qu’il remplace par un tandem composé de l’ex-ministre de la culture Aurélie Filippetti et de Christophe Leparc, un pilier du festival, par ailleurs secrétaire général de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.

Le festival ne souffre pas d’incertitude identitaire

Si la Ville et la Métropole, les deux principales tutelles du festival, se gardent bien de se mêler de la programmation, dans cette troisième vie du festival la marque Cinemed semble de plus en plus appelée à valoriser le territoire. Certes, l’emblème de la Méditerranée à Montpellier via le Cinemed gagnera cette année en audience nationale grâce à un nouveau partenariat avec France Inter. Il y a toutes les raisons de s’en satisfaire même si les fondements du Cinemed repose bien moins sur la mise en récit publicisée par des acteurs publics que sur les passerelles qu’il a tissé sans relâche entre les cultures de la méditerranée. Le taux de fréquentation du festival par la population locale souligne l’appropriation de l’offre public par les montpelliérains. « La ville nous a apporté et nous avons apporté à la ville » indique Henri Talvat, ajoutant, « c’est une vraie réussite ».

À quarante ans, l’ambition du Cinemed doit-elle être plus large ? La programmation 2018 pourrait être un élément de réponse. Explicitement, par la circulation du récit méditerranéen, ce pilier de la culture montpelliéraine contribue toujours d’inscrire la ville et sa métropole dans une nouvelle phase de son histoire. Il participe aussi d’une dynamique économique relevant d’une industrie touristique culturelle pérenne. Cinemed ne s’est pour autant jamais rêvé en Festival de Cannes. Pour trouver des stars, il faut se tourner vers les avant-premières, et encore, dans les couloirs du festival, on verra davantage de personnes comme Pierre Salvadori ou José Luis Guérin… Bref, des gens qui comptent pou le cinéma par ce qu’ils réalisent. De même, les hommages rendus à Montpellier consacrent les œuvres et les engagements, à l’instar de l’actrice Clotilde Courau qui confiait en ouverture de cette quarantième édition « Je suis touchée, c’est le premier hommage que l’on me consacre ». l’ex-ministre de la culture Aurélie Fillipetti précisait d’ailleurs à propos de la comédienne : « Cinemed correspond à ce qu’elle aime défendre dans la culture : la transmission ». Cette année, Robert Guédiguian préside le jury de la compétition Antigone d’or. Il est à Montpellier avec une partie de sa grande famille que l’on retrouvera aussi sur grand écran.

Immense terrain de jeu

Le festival présente à la fois des œuvres récentes ou plus anciennes, permettant découvertes et rétrospectives du cinéma méditerranéen. Italien, égyptien, turc, ou encore espagnol tous les films témoignent d’une histoire très riche ! Les films les plus attendus cette année se logent pour certains dans la sélection des grands films du cinéma méditerranéen ayant marqué l’histoire du festival, pour d’autres dans les compétitions tout azimut qui offrent l’occasion de prendre le pouls de la création cinématographique contemporaine en Méditerranée. Ainsi, Cinemed assure la fonction d’un vrai festival et participe à l’émergence de nouveaux réalisateurs qui y signent souvent leur premier film. Une partie d’entre eux n’ont pas de distributeurs en France et ne passeront qu’à Montpellier.

Dans ce foisonnement culturel, c’est une vaste notion géographique qui fait l’identité et la singularité du Cinemed. De la mer noire au Portugal Cinemed concerne le cinéma de 25 pays. À l’heure où émerge une nouvelle industrie cinématographique libanaise, l’édition 2018 du Cinemed propose un focus sur le jeune cinéma libanais à travers une sélection de longs métrages, courts métrages et documentaires. Le festival entend notamment approfondir la réflexion autour de ce développement avec ses principaux acteurs et offre un espace de visibilité et de débat significatif dans sa programmation.

Comme chaque année, ces rapports à l’histoire et au présent se doublent d’un rapport à l’avenir avec Le festival de films lycéens qui présente une sélection d’une dizaine de courts métrages réalisés par les jeunes. Dans ce cadre, le Cinemed aide au développement de projets de courts-métrages. La présence d’un Jury étudiant qui a la charge de décerner le prix du meilleur premier film encourage également l’investissement des lycéens et des étudiants.

Pour sa troisième vie, le Cinemed continue d’innover et de découvrir mais il doit aussi trouver de nouveaux investissements privés dans un environnement professionnel en mutation. Contrairement à Cannes, boudé cette année par Netflix suite à la décision de Thierry Frémaux de fermer la compétition aux séries qui ne sont pas sortis en salles, en partenariat avec Arte, le Cinemed a pris la décision de programmer en ouverture du festival deux épisodes de la série italienne Il miracolo de Niccolo Ammanti, Francesco Munzi et Licio Pellegrini. Programmer un film qui n’est pas destiné au grand écran en ouverture d’un festival de cinéma pose question. Cela pourrait revenir à se tirer une balle dans le pied. Au-delà des polémiques et controverses, l’avenir seul dira si ce type de décision s’inscrit dans le temps court de l’attractivité qui dicte l’économie, ou s’enracine dans le temps long des récits cinématographiques pluriels.

Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise en Commun oct 2018

Montpellier. Arabesques : l’esprit d’une citoyenneté ouverte

Arabesques 13eme – 2018 – Montpellier

Festival Arabesques 13eme – 2018 – Montpellier

Le Festival pluridisplinaire dédié à la richesse et à la diversité des arts arabes crée du lien social en utilisant l’excellence artistique comme vecteur.

Avec cette 13e édition le précieux travail du Festival Arabesques porté par l’association Uni’sons confirme plus que jamais son utilité de part et d’autre des frontières. Même si sept ans après le « printemps arabe », toutes les cartes semblent brouillées dans cette partie du monde comme en Europe où la situation politique et sociale reste alarmante.

La tentative citoyenne de mettre un terme aux autocraties du monde arabe pour vivre dans un monde plus juste, a laissé croire un moment que les bouleversements allaient offrir de nouvelles perspectives à la jeunesse. Mais à l’instar du peuple syrien dont la vitalité de la société civile a porté les premières étincelles d’un changement non violent, le rêve s’est soldé par une des pires catastrophe de l’histoire, 500 000 morts, un pays dépecé par les grandes puissances et plus de 10 millions d’exilés. Un peu comme si les maîtres du monde avaient voulu donner un exemple…

Un instant ébranlés, les systèmes de pouvoir se sont reconstitués avec de nouvelles têtes pour reprendre le contrôle des sociétés d’une main de fer.

Le désordre le plus total s’est emparé du monde arabe avec des états laminés et d’autres un peu mieux lotis, où les bailleurs de fonds conditionnent leurs aides en fonction de leurs intérêts stratégique et politique. Partout, comme aux grandes heures de la guerre froide, les batailles se mènent par pays ou groupes rebelles interposés. Les rêves de citoyenneté se sont évanouis. Aujourd’hui, il est difficile de saisir une lueur d’espoir chez les jeunes, du Maghreb au Yémen. Mais les artistes de tous horizons que présente le festival contribuent à garder un œil vivant sur ce qui se joue dans cette partie du monde.

L’Europe et la Méditerranée

Pour rejoindre l’autre rive, des milliers de réfugiés traversent au péril de leur vie une mer qui pousse L’Europe au bord de l’abîme. La tectonique des plaques s’éveille. Le vieux continent dérive en se reconstituant selon des arrangements à courte vue au mépris de la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Dérogeant à ses principes fondateurs, l’Union Européenne se détache progressivement de ses valeurs culturelles socle.

La liberté des opinions, la libre circulation des personnes et des idées, la participation des peuples par l’intermédiaire de leurs représentants librement élus sont souvent réaffirmées de manière solennelle sans être défendues. La violation des droits aux quatre coins du monde ne mobilisent pas les chancelleries. Dans plusieurs pays, le vieux continent subit la pression organisée d’une extrême droite revigorée par la misère des classes laborieuses qui absorbent depuis 2008 la crise financière du système capitaliste néolibéral. Au prétexte de lutte contre le terrorisme la démocratie recule. Les citoyens de cette partie du monde cherchent à tromper le sombre destin qui limite chaque jour davantage leurs droits.

Les composantes malmenées de l’identité française

En France, sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’explosion des inégalités fait des ravages au sein des couches sociales les plus défavorisées. Le gouvernement s’efforce avec quelques loupés d’incarner le mythe d’un « pays-entreprise » imprimé par le nombriliste sans limite d’un premier de cordée. La feuille de route peut être claire, elle n’est pas nouvelle. Comme l’ont expérimenté ses prédécesseurs néolibéraux — Thatcher, Reagan, Schröder — on déconstruit mécaniquement le système social et les services publiques dont beaucoup de pays souhaiteraient disposer. Malmené par la réaction des Français, plutôt que de rassembler toutes les composantes de l’identité française, le jeune chef d’État joue sur les divisions et la séparation, ce qui ne fait que démontrer son incapacité en terme d’innovation.

C’est à l’aune de ce paysage chaotique que l’on peut mesurer l’élan constructif du festival Arabesques et de l’association Uni’sons dont le siège social demeure depuis 18 ans dans le quartier le plus déshérité de Montpellier. Avec des moyens sans commune mesure avec les grands festivals de la ville, Arabesques œuvre positivement pour l’ouverture des esprits et des cœurs en s’impliquant avec ténacité dans un projet interculturel d’une grande cohérence.

La réussite qui fait du festival un des plus importants rendez-vous d’Europe dédié aux arts du monde arabe, Arabesques la doit certainement à la qualité et à la diversité de sa programmation pluri-disiplinaire s’inscrivant dans une volonté permanente de dialogue entre les cultures.

Une démarche proprement citoyenne qui se garde d’être assimilée à une quelconque écurie politique. En s’arrimant à sa vocation et aux missions de solidarité et d’équité menées sur le territoire tout au long de l’année, l’association Uni’sons s’est tenue à distance des frictions occasionnées par le transfert des compétences culturelles entre le Conseil Départemental de l’Hérault et la Métropole de Montpellier. Sollicité par ses partenaires à l’étranger et par l’IMA pour la qualité de son travail, l’association a toujours souhaité maintenir son ancrage ; Il est heureux que le festival ait trouvé un soutien institutionnel local.

Le dosage subtil de la programmation

Une nouvelle fois, la programmation de l’édition 2018 équilibre un dosage subtil entre les cultures représentées, les mythes, comme l’incontournable Orchestre de l’Opéra du Caire invité à l’Opéra Comédie de Montpellier, les personnalités confirmées telles le chanteur oudiste tunisien Dhafer Youssef, la chanteuse algérienne kabyle Souad Massi. Arabesques contribue également à l’émergence de nouveau talents, assurant le succès public de groupes musicaux issue de la surprenante scène arabe qui propulse son énergie partout dans le monde. À l’instar d’un groupe comme N3rdistan, debout avant le printemps arabe, qui mêle samples électro, instruments traditionnels et poésie et s’invente son propre espace d’expression. Sans oublier la scène montante, la soirée Arabesques Sound System, à Saint-Jean-de-Védas a permis d’apprécier la diversité des musiques électroniques du monde arabe.

Sur l’affiche de cette 13e édition d’Arabesques, un ancien se tient debout les yeux perdu entre le passé et le futur, sur ses épaules, un enfant plein d’énergie et de curiosité semble défier l’avenir. Cette image rappelle s’il le fallait, que l’action sociale culturelle et artistique passe par la transmission culturelle et la reconnaissance du droit à la fraternité sur des territoires où cette liberté n’est pas toujours permise. Une affiche à l’image du festival en somme, non violent mais debout. L’action de l’association Uni’sons a toujours fait le lien entre les anciennes et les nouvelles générations pour lesquelles le combat reste le même. La réussite d’Arabesques ne se mesure pas qu’au nombre d’entrées. Elle repose aussi sur la confiance des publics fidèles au rendez-vous d’une année sur l’autre, à l’énergie de l’équipe et de ses bénévoles dont la nature de l’implication touche à certains endroits à la fierté d’affirmer la richesse culturelle des origines et le goût du partage. Dans un contexte hexagonale difficile pour la jeunesse issue de l’immigration, on ne doit pas manquer de souligner l’importance d’une valorisation extérieure au milieu familial.

Diasporas

Cette jeunesse se retrouve chaleureusement au festival pour faire la fête mais aussi pour échanger, découvrir la richesse et la diversité des arts du monde arabe, apprendre et comprendre le vécu des aînés, côtoyer des légendes vivantes, témoigner d’un vécu… La démarche et la qualité de la programmation sont unanimement reconnues sur la scène comme dans les quartiers. Les débats, l’action scolaire, les expositions, les contes, le cinéma, sont autant de vecteurs qui ont nourri le processus transmissionnel d’Arabesques. Dans ce domaine, Les artistes ont un rôle important à tenir ; en France, au Maghreb et au Moyen-Orient, ils ouvrent des voies. Cette année, la Caravane Syrienne déploiera une palette insoupçonnée autour de la création artistique contemporaine syrienne.

D’une année sur l’autre, le festival Arabesques permet de constater que la scène culturelle française s’est transformée de l’intérieur, en s’appropriant de nombreux éléments venus d’ailleurs. Le thème « Diasporas » choisi cette année rappelle que la culture française a su accueillir, vivre et se développer dans l’interculturalité. Arrivé en France à l’âge de six ans avec sa famille qui fuyait la guerre du Liban, le pianiste Bachar Mar Khalife qui a travaillé avec Lorin Maazel, l’ONF, et l’Ensemble Intercontemporain en est un des savoureux exemple. Que deviendrait la culture française sans cette ambition de partage d’expressions ? Cette question de la déperdition ne devrait pas se poser dans notre merveilleux monde de la culture mondialisée. Pourtant, en ce moment critique, il y a bien lieu de s’interroger sur une perte collective de la différence.

Toutes les raisons sont donc bonnes pour céder à l’ouverture et répondre à bien des endroits aux invitations imminentes que nous offre Arabesques !

JM DINH

Source La Marseillaise en commun Septembre 2008

Uzès. Les Nuits musicales d’Uzès. ” Faire vivre un objet culturel dans une ville qui en a besoin “

Rencontre.

Eric Desnoues

Eric Desnoues

Eric Desnoues, directeur artistique des nuits musicales d’Uzès, après une 48ème édition particulièrement suivie et réussie, répond  à quelques questions qui devraient préoccuper tout mélomane digne de ce nom.

Pensez-vous que la musique puisse s’inscrire dans la citoyenneté, soit porteuse de ce que l’on nomme bien public ? En quoi et comment ? Le public est-il en demande d’analyse, d’information en ce sens, questionne ce que cet art peut porter véhiculer, faire circuler entre les citoyens ?

Dans ce véritable marathon que représente un festival avec des concerts qui s’enchaîne et une responsabilité car tout remonte à moi surtout pour signaler des difficultés de tous ordre, il est sûr qu’un festival musical, dans ses multiples ramifications, crée du lien, de la communion même et plus profondément une dimension cathartique autour du beau, de l’art, de l’harmonie. On peut souligner différents niveaux dans l’utilité sociale. Force est de convenir que nous sommes des êtres sociaux et l’ensemble de ce que l’on fait à généralement pour but de se réunir. Mon objectif est de faire vivre un objet culturel dans une ville qui en a besoin. Il lui faut entre autre favoriser l’attractivité touristique. C’est le premier niveau, le plus pragmatique. IL y a environ 50 ans, naissait l’époque du phénomène festivalier. Uzès qui était culturellement à l’abandon a été classée par Malraux en secteur sauvegardé à la demande de la duchesse d’Uzès. Les premiers fondateurs du festival ont d’une certaine manière participé à ce que la ville se relève de ses ruines. Le deuxième objectif est économique, la musique en étant une porte d’entrée non négligeable. Je ne peux en juger que par les résultats depuis 25 ans pour ce qui est de la restauration, l’hôtellerie et autres commerces divers et variés.

Nous ne fabriquons pas des biens manufacturés, nous travaillons sur la fragilité de la vie, la magie de faire que se produise quelque chose d’unique qui ne peut se reproduire à l’identique dans l’espace temps.

Mais pour moi générer du plaisir, de la notoriété, de l’activité économique est aussi important que soigner la qualité artistique. Tout se tient, tout fait lien.

L’utilité se mesure à la rencontre public artiste et tout ce que l’on fait est en direction du public pour arriver à l’instant suprême de cette rencontre. Le festival est un medium dont les artistes ont besoin pour se produire dans les meilleures conditions. On porte une attention extrême à ceux qui ont travaillé dur avec beaucoup de rigueur, d’inspiration et d’amour de la musique pour risquer un moment souvent parfaitement magique. Respect également pour ceux qui s’occupent de maintenir les instruments et donc la qualité du son. L’utilité sociale joue de plus dans le domaine de l’artisanat d’art. Je pense aux luthiers, facteurs d’instruments, et autres accordeurs. Exemplaire, Martine Argellies à Montpellier qui a amené « en villégiature » lors d’un concert deux clavecins et deux épinettes aux sonorités parfaites.

Oui un festival c’est du lien entre à la fois des mélomanes exigeants qui échangent entre eux mais qui font entrer dans un large cercle les amateurs , les curieux, un public qui s’exprime et j’encourage cela. Oui, des rencontres se font, insoupçonnées, insoupçonnables, heureusement imprévisibles.

Le paysage des festivals « classiques » (à part ceux qui bénéficient de gros financements) est hélas en baisse surtout côté qualité et ce d’une manière alarmante. Tout comence à se ressembler pour ce qui est des petites formes. Je me bats pour maintenir les grandes formes que je vois disparaître au profit des formes chambriste (toujours la question d’argent). Je me bats également pour réserver une belle part au genre baroque injustement mal aimé ainsi que le soutien à la musique que l’on ne joue plus, ne diffuse plus et qui peut ainsi mourir de sa belle mort.

J ‘essaie, en dépit des frais élevés à honorer d’opter pour des tarifs accessibles. La subvention fléchée de la région (15000 euros) a un effet levier, le passage de la première marche pour monter en haut du projet. Et pour continuer à parler de lien social, la jolie académie campe pendant une semaine dans la ville composée de 28 stagiaires (âgés de 13 à 25 ans) de plusieurs nationalités. Durant la semaine ces artistes donnent des cours de musique et proposent un concert de restitution du stage tr ès apprécié d’un public des plus hétérogène. Victor Hugo a bien dit que « chaque fois qu’on ouvre une école, on ferme une prison » Dans le même esprit, la musique devrait permettre de fortifier le lien social, culturel, artistique entre les humains.

Recueillis par Marie-Josée Latorre

Source : La Marseillaise en Commun Aout 2018

Montpellier Danse 2018. Premier bilan

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LE 38e Festival Montpellier Danse se termine ce soir…

Il a accueilli 35 000 spectateurs.

27 spectacles différents
dont 16 sont des créations ou des 1ères en France
40 représentations payantes • 29 chorégraphes
12 pays représentés (Allemagne, Belgique, Brésil, Canada, Cap-Vert,
Espagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Iran, Israël, Pays-Bas)
19 conférences de presse
10 000 personnes ont assisté aux 47 événements gratuits
35 lieux dont 20 en plein air • 11 villes de la Métropole
450 000 € de recettes de billetterie pour 980 000 € de dépenses artistiques
130 emplois générés par le Festival
6 soli • 1 quintet • 48 danseurs de la Compañia Nacional de Danza pour Artifact Suite 1 corbeau-pie • 7 acrobates • 1 violoncelliste
340 danseurs et membres des compagnies
1520 projecteurs • 45 km de câbles électriques • 2438 nuits d’hôtel

Diffusion

LES CRÉATIONS PARTENT EN TOURNÉE
Après Montpellier, les 16 créations du Festival partent sur les routes
à la rencontre des publics du monde entier.
À l’heure où le 38e Festival prend fin, plus de 214 représentations
dans 78 villes de 11 pays sont déjà confirmées.

 

Dans la Presse

C’est le plus grand festival de danse de l’été
et il s’est ouvert ce week-end à Montpellier.
France Inter, Nicolas Demorand, Le journal de 7h40, 25 juin 2018

Montpellier Danse se donne en spectacle : La 38e édition du festival international jongle habilement entre grands noms et signatures pointues.

Rosita Boisseau, Le Monde, 21 juin 2017

De la création, de la longévité, de la résistance, des qualificatifs qui font du Festival Montpellier Danse un lieu sûr où se réfugier dans la tempête qui balaie corps et âmes sans laisser de traces.

Jean-Marie Dinh, La Marseillaise, 17 mars 2018

Montpellier Danse is to contemporary dance what the Avignon Festival is to theatre; now nearly in its fortieth year (it was founded at the height of the Nouvelle Danse explosion), it has always been in the capable hands of Jean Paul Montanari.

Danza&Danza Internationale (Italie), Mai-Juin 2018

Montpellier Danse programme ses créations les plus audacieuses devant un public averti.

Jean-Marie Gavalda, Midi Libre, 26 juin 2018

Montpellier Danse, un festival de références. La programmation reste fidèle à l’essence du festival : montrer les différentes facettes de la création contemporaine.

La Gazette de Montpellier, 22 mars

Il y aura bien des raisons d’être à Montpellier Danse l’été prochain, tant la 38e édition du festival est riche : grands noms, troupes foisonnantes et têtes chercheuses.

Emmanuelle Bouchez, Télérama, 20 mars 2018

Voir aussi : Rubrique Danse