Le Michael Jackson de Pierric Bailly

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« Montpellier propose une esthétique qui ne donne pas envie de souffrir, ni même de travailler. »

Pierric Bailly signe un étrange roman de jeunesse dont l’action qui se déroule à Montpellier n’a aucun rapport avec Michael Jackson. Débarqué de son Jura natal, Luc un jeune homme inadapté en tout atterrit en arts du spectacle à l’université Paul-Valéry. On se détourne vite de son cursus pour suivre ses pérégrinations amoureuses avec Maud. Celles-ci se fondent et se dégradent, en trois  étapes, entre 18 et 26 ans.

Michael Jackson  est un roman sur l’âge du désir et de l’ennui au sein d’une jeunesse sans souci matériel. Le rapport à l’argent est facile comme une soirée chanceuse au Casino de Palavas. Luc croise plein de « collègues » de son âge, Leonard, Suzy, Erwan, Eglantine et Ronan et Claire, seul couple vraiment actif qui projette de se lancer dans le porno. Leur expériences sexuelles assumées donnent le pendant au caractère réservé de Luc qui passe son temps entre abstinence et méditation. Premier ou second degré on ne sait pas toujours. D’ailleurs à cet âge on ne sait pas grand chose hormis le désir qui nous anime où au contraire nous repousse. Ce que l’on ne veut pas on apprend à le découvrir au contact des autres.

En quoi une chronique estudiantine ouvre t’elle sur la littérature ? Pierric Bailly use d’une expression stylistique objective voire, d’une pensée individuelle écrite, mais le « moi » éclate pour toucher le fond de l’être humain par la sensibilité.  Il décrit ces années, à peine pénibles, où la jeunesse, grande oubliée de la République, se construit sans rien faire. Au sein des répétitions quotidiennes, des codes générationnels et des questions identitaires s’immisce une analyse sociale.

L’auteur parle d’amour, de sexe et d’utopie, mais ce n’est pas parce qu’on a gommé la souffrance qu’elle a disparu. Tout l’art de Pierric Bailly est d’extraire l’essence parfois réjouissante de cette jeunesse condamnée à la banalité qui tente d’y échapper en 400 pages.


Jean-Marie Dinh

Michael Jackson, éditions P.O.L, 19,9 euros.

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Russie: l’Eglise orthodoxe censure un conte anticlérical de Pouchkine

conte-russeUn conte anticlérical du célèbre poète russe du XIXe siècle Alexandre Pouchkine a été censuré par l’Eglise orthodoxe, un synode régional ayant édité une version adaptée supprimant le personnage du « pope », a-t-on appris auprès du patriarcat. Le synode de la Sainte-Trinité d’Armavir, dans la région de Krasnodar (sud), a publié une version « historique » du « Conte du Pope et de son serviteur Balda », où le prêtre a été remplacé par le Marchand, a indiqué à l’AFP le porte-parole du Patriarcat, Vladimir Viguilanski. Le conte, écrit par Pouchkine en 1830, fut adapté trois ans après sa mort par son maître spirituel, le poète Vassili Joukovski, qui cherchait à contourner la censure religieuse en Russie impériale, a rappelé M. Viguilanski.

C’est la version de Pouchkine racontant les mésaventures d’un pope tourné en ridicule par son serviteur débrouillard qui était au programme scolaire sous le régime soviétique, farouchement athée. La version de Joukovski, importateur du romantisme dans la pensée russe, « ne contredit pas les idées de l’Eglise orthodoxe », a estimé sur la chaîne NTV le père Filip, à l’origine de la publication de la version de Joukovski tirée à 4.000 exemplaires. Pouchkine, dont l’attitude anticléricale se manifeste dans ses oeuvres de jeunesse, « a évolué pendant des années vers une réconciliation avec l’Eglise à la fin de sa vie », a souligné le porte-parole du patriarcat. Les enfants russes ont le droit de « connaître les deux versions » du conte, a-t-il estimé. En septembre 2006, le théâtre d’opéra et de ballet de la république russe de Komi, dans le Grand Nord, avait déjà annulé une première de l’opéra « Le conte du Pope et de son serviteur Balda », faute de bénédiction de l’Eglise. L’Eglise orthodoxe russe connaît une période de renaissance depuis la disparition de l’URSS fin 1991.

AFP

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Le théâtre de mensonge et de vérité

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« On ne sait comment » de Pirandello, mis en scène par Marie-José Malis, les masques tombent ce soir à l’Université Paul Valéry.

La trame de On ne sait comment est simple, voire banale. Elle évoque une histoire d’adultère au sein d’une communauté composée de deux couples liés par une amitié profonde. Mais la coucherie qui s’apparente au pneu increvable des pièces de Boulevard bascule pour nous entraîner vers un horizon bien plus incertain. C’est le choix du chemin miné que fait Marie-José Malis qui engage durant trois heures public et comédiens à tombeaux ouvert sur l’autoroute du chaos pirandellien. *

Pirandello (1867,1936) a débuté son œuvre théâtrale tardivement. Durant une bonne partie de sa vie, il fût en prise aux délires paranoïaques de sa femme follement jalouse. Il a perçu et sans doute connu, l’expérience angoissante du franchissement des limites. Suffisamment en tout cas, pour donner forme avant Brecht, à une réflexion critique des plus élaborées sur les conditions de la représentation. Le théâtre impose à ses yeux un conflit dialectique entre la vie et la forme. Conflit que l’on retrouve dans les illusions de ses personnages.

Dans cette pièce écrite en 1935, ce ne sont pas les anecdotes croustillantes qui font le plaisir des dialogues mais la densité de la pensée et l’angoisse. L’implacable logique de Roméo met totalement en question le rapport à la réalité d’autrui. Que se passe-t-il quand la construction de valeurs élémentaires qui fondent la vérité des gens disparaît ?

Expérience radicale

Non sans radicalité, Marie-José Malis suit l’intuition qui prend pour hypothèse possible  « que l’humanité soit une construction sans garantie. » Une voie qui révèle l’illusion de notre société sécurisée. La mise en espace déplace (dérange) le statut du spectateur en jouant sur la profondeur et les variations de lumière entre scène et salle. On pénètre dans une intrigue à clés où le sens se perd au profit d’un contenu primitif, sans concession aucune. C’est la rançon demandée aux spectateurs, otage de ce détournement vers l’infini qui se dessine entre raison et folie pour parvenir comme le capte Marie-José Malis : « vers le point noir de l’âme humaine. » Il faut du courage pour tenir ce qui manque à beaucoup de nous. Les masques ne tombent pas avant que l’on arrive à la vérité. C’est en effet seulement lorsqu’on est devant la plus petite des poupées russes que l’on voit les motivations de puissance et de plaisir surgir.

Dans la lignée du maître italien, Marie-José Malis souligne l’ambiguïté croissante entre la forme codifiée du théâtre et la vie. A sa façon, elle relève le défi du théâtre pirandellien qui n’est que la représentation d’une représentation impossible.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Théâtre, Le jeu spectral du spectateur,

4.48 Psychose : Désespoir, souffrance et lucidité

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Poline Marion incarne une belle impossibilité de vivre. Photo Christian Vinh.

On ne monte pas, 4.48  Psychose comme on monte Les femmes savantes. D’abord parce que l’œuvre posthume de Sarah Kane est considérée comme noire. Ce qui par les temps qui courent ne remplit pas les salles. Ensuite, parce que la pièce comme toute l’œuvre de Sarah Kane, qui en compte cinq, est basée sur le texte et fuit par essence la théâtralité. C’est donc une occasion de se frotter au répertoire contemporain déroutant de la dramaturge britannique que nous offre Sébastien Malmendier en montant cette pièce interprétée par la jeune comédienne Poline Marion.

L’œuvre parle lumineusement de la souffrance et du suicide. Sarah Kane s’est elle-même donnée la mort en février 1999 à l’âge de 28 ans. Elle livre une pièce qui semble s’être imposée à elle. Un personnage psychotique exprime un monologue poétique qui s’entrecoupe d’une conversation avec un psychiatre. La jeune femme projette de se suicider, à 4h 48.

L’espace réduit du Carré Rondelet s’avère propice à la proximité que requiert cette expérience. Evidemment, on part loin des fêtes publiques qui célèbrent les majorités politiques. On s’éloigne aussi des couleurs spectaculaires, comme des pages sans âme de faits divers qui alignent les trucidés. Ici, le noir qui nous est donné à voir est paradoxal.  « J’écris pour les morts, pour ceux qui ne sont pas nés. » On retrouve dans ces mots desséchés une forme d’humanité, presque rassurante. Un espace bien réel qui s’ouvre dans la fiction hors de la majorité morale.

La jeunesse du personnage qui cohabite avec la mort, est un aspect non négligeable de l’expérience qui emplit la scène et la salle. Le texte, qui traverse le corps de la comédienne, résonne avec justesse dans les moments de colère, quand le personnage interpelle sa mère, son père et finalement Dieu : « Je t’emmerde parce que tu me fais aimer quelqu’un qui n’existe pas. » Mais aussi, dans le regard lucide et tragique. « Je ne désire pas la mort, tous les suicidés ne désirent pas la mort. »

L’écriture dit l’impensable. Face à ce défi lancé à la représentation, le parti pris de mise en scène de Sébastien Malmendier est simple et efficace. Il s’agit de donner à voir les mots et sur scène, psychose et littérature font bon ménage.

Jean-Marie Dinh

4.48 Psychose, jusqu’au 13 février Carré Rondelet . 04 67 54 94 19

Voir aussi : Rubrique Théâtre

Entretien avec Dany Lafferière. Un jardin imaginaire nourri par la réalité

Dany Laferrière. Photo David Maugendre.

Tout bouge autour de moi n’est pas un livre de plus ni un retour sur la vision catastrophique d’un pays détruit par le séisme. Ce pourrait même être tout le contraire. Rencontre avec l’auteur haïtien Dany Laferrière Prix Médicis 2009, pour L’Enigme du retour.

Votre livre apporte un regard nouveau sur la catastrophe à laquelle vous avez assisté en direct. D’où vient cette distance qui imprègne votre récit ?
Au moment du tremblement de terre je me suis tenu à mon carnet de notes. Dès les premières secousses je me suis concentré sur l’écriture, par réflexe. L’homme est un animal. Je pensais maintenir la peur à distance cela a marché jusqu’à ce que la panique intérieure me rattrape. A cet instant, je me disais vraiment que la mort allait me surprendre. Ensuite j’ai pris de la distance en adoptant un ton au plus près de la réalité, là où se situe la dignité du peuple.

Votre livre regorge d’images proprement littéraires. Le séisme s’est attaqué au béton en laissant survivre la fleur dites-vous ?

Ces images me sont venues face à un événement spectaculaire, inattendu, dont la force efface le paysage et les hommes. Dès que j’ai pu retrouver un peu mes esprits, je suis allé dans le jardin de l’hôtel où je me trouvais pour voir l’état des fleurs à longues tiges. Je pensais qu’il n’en resterait rien mais elles étaient là indemnes. Le partage de ces émotions s’adresse au simple lecteur, que je considère comme le plus haut grade de la littérature.

Votre version se présente comme une antithèse de ce qui a été montré à la télé où les Haïtiens semblaient fixés dans leur statut de victimes…
Les médias ont beaucoup filmé les scènes de pillages alors que dans l’ensemble les gens se sont conduits avec beaucoup de sérénité et de pondération. On a focalisé sur les équipes de secours étrangères. Ils ont parlé d’eux-mêmes. Je pense que l’on aurait dû être beaucoup plus attentif à la vie quotidienne, parce que le quotidien dure plus longtemps qu’un tremblement de terre. Et il absorbera le séisme.

La télé transforme tout en fiction, est-ce en travaillant l’imaginaire que l’on parle du réel ?

La TV a filmé les décombres. Moi j’ai voulu mettre les hommes dans leur lumière naturelle. J’ai consacré les trois quart du texte aux gens pour ne pas nourrir le monstre. Le 12 janvier, des milliards ont été envoyés pour la reconstruction. Comment les Haïtiens faisaient-ils avant ? Voilà une question que personne ne pose.

Le séisme semble avoir ramené votre regard sur la force de la culture ?

Je montre un peuple qui souffre dont le vernis culturel n’a pas craqué. Ce n’est pas chaque jour que meurt 300 000 personnes. A Haïti la culture est tout ce qui structure l’individu. Quand on a rien il reste cela. C’est au nom de la culture et à travers elle que les gens vivent. Le confort n’est pas la mesure de toute chose. Toute analyse internationale se fait autour du confort. Je m’efforce de montrer tous ce que les gens ont pu faire sans cela.

Vous assimilez la catastrophe à un instant pivot pour le peuple haïtien…

Il y a une énergie nouvelle dans la jeunesse qui sent que nous sommes arrivés à un moment où les Haïtiens vont pouvoir se faire entendre. Tout le monde a été touché par cette histoire. Haïti a pénétré la conscience universelle. La catastrophe a permis que les gens se renseignent après avoir été touchés. Il y a un grain de tendresse chez les peuples du monde entier pour Haïti qui va se manifester. C’est le début d’une reconnaissance. Celui d’un autre regard.

Que vous évoque le retour de Duvalier ?

Je n’opine même pas sur son retour parce que le séisme l’a basculé dans le passé. Pour moi son dessein n’a aucune importance. Sa dictature fut un séisme, donc il a trouvé à qui parler.
Jean-Marie Dinh
Tout bouge autour de moi, Editrions Grasset, 15 euros