Nouveau regard sur une œuvre visionnaire

Tunnel du Malpas. Photo Philippe Fourcadier.

Un livre qui sera suivi d’expositions, un regard, celui de Philippe Fourcadier et une plume celle de Jean-Claude Feuillarade se lancent sur les traces de Pierre-Paul Riquet. « Un personnage intéressant. Contemporain du roi Soleil, Riquet est un visionnaire qui a su désobéir à Colbert et finalement démontrer que son idée était la bonne  » explique Philippe Fourcadier. Né à Béziers en 1609, Pierre Paul Riquet voulait relier l’Atlantique à la Méditerranée. Il y parvient en trouvant dans la Montagne noire la solution au problème d’approvisionnement en eau du canal. Appliquant les théories d’Adam et Craponne, il positionne le point culminant du canal, à 48 mètres au-dessus du niveau de la Garonne.

Le photographe partage cette aventure sensible avec un ami sétois. A travers ses commentaires, l’expert maritime Jean-Claude Feuillarade répond au regard et ouvre l’espace temps :  » J’entends les bavardages des lavoirs, ceux de Montgiscard sont mêlés du rire lumineux des femmes. L’odeur des linges lavés sous les coups de battoirs transperce l’été d’une fraîcheur surprenante. « 

L’association s’avère féconde,  » Jean-Claude a un rapport à l’eau extraordinaire. Nous nous sommes répondus naturellement au fil du projet « , confie Philippe Fourcadier. A d’autres moments, l’auteur pénètre de manière imaginaire la mémoire que Riquet voulait emporter en ne laissant derrière lui que l’œuvre achevée.

Les images sont le fruit de vagabondages de part et d’autre du canal du Midi. Les prises de vue sont en noir et blanc, mais les photos donnent aux paysages familiers une couleur poétique. Les sujets s’alignent suivant les circonstances. Si ce n’est la volonté quasi spectrale de Riquet, aucun personnage ne vient troubler le cours de cette réflexion sur la force de l’eau, de la nature et de la pierre. Philippe Fourcadier explore les ressources esthétiques de la lumière.

Une balade agréable au bord du Canal du Midi qui fixe les instants lorsqu’on prend le temps d’observer et nous parle de l’histoire à travers le ciel, la pierre et l’eau.

Jean-Marie Dinh

 

 Sur les traces de Pierre-Paul Riquet, 18 euros, info@edition-flam.com

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique Art, rubrique Photo

Grand écran sur l’Algérie contemporaine

La Chine est encore loin de Malek Bensmaïl, un des films projetés

7e art.  Regards sur le cinéma algérien s’ouvre à Montpellier. La manifestation offre un panorama sur les films du XXIe siècle dans toute la région jusqu’au 12 avril.

Ce n’est pas un festival mais un panorama sur ce qui se fait aujourd’hui en matière de 7ème art en Algérie. A l’initiative du collectif * Regards sur le cinéma algérien, la manifestation du même nom ne cherche pas à faire recette comme elle le pourrait en se concentrant sur un festival. « Nous voulons faire connaître la culture algérienne et favoriser le dialogue entre les cultures », confirme le vice-président Jacques Choukroun.

En 2010 Regards sur le cinéma a rassemblé 2 700 spectateurs, chiffres liés à la billetterie des salles de cinéma associées à la manifestation. Ce partenariat figure aussi comme une des particularités de cette initiative qui travaille avec les exploitants de salles. « C’est un vrai casse-tête au niveau de la logistique, mais nous laissons aux salles la liberté de choisir les films qui seront projetés », témoigne Pauline Richard en charge de la programmation.

La grande majorité des films proposés cette année sont nés au XXIe. Parmi les longs métrages, on pourra découvrir en avant-première La place, de Dahmane Ouzid qui viendra présenter la première comédie musicale algérienne, ou encore Guerre sans images, un film poignant et une réflexion sur les usages de l’image. Le documentaire de Mohammed Soudanni (invité de la manifestation) retrace le retour en Algérie trente ans plus tard, d’un photographe suisse ayant couvert la période de la terreur, qui va à la rencontre des victimes.

La série de courts métrages s’ouvre largement à la jeune création qui décline les problèmes de la jeunesse, notamment celui de vivre sa vie sexuelle. L’édition 2011 rend aussi hommage au cinéma berbère avec trois réalisateurs invités : Belkacem Hadjads (Machaho), Djamel Bendeddouche (Areski l’indigène) et Ali Mouzaoui (Mouloud Ferraoun).

Une cinématographie qui reste à découvrir y compris en Algérie. Avec les années noires, le pays a perdu son réseau de cinémas et en dix ans, le gouvernement n’a pas réussi à ouvrir une seule salle. S’ajoute le problème de la production. Il sort en Algérie 2 à 3 films par an, contre 200 en France. Les vingt films visibles sur les écrans de la région jusqu’au 12 avril permettent de parcourir l’essentiel de la production cinématographique algérienne actuelle. Une chance !

*Le collectif se compose notamment de Identités et Partage, France Algérie Méditerranée, MRAP, Pêcheurs d’images, la Fédération des cinés clubs, l’Institut Jean-Vigo, les Films des deux rives, ainsi que l’Association des réalisateurs professionnels algériens. Rens : 09 54 82 57 60.

Le cinéma vecteur d’expression : Ce que disent les films algériens de la société et de la vie est-il politique ?

La révolution tunisienne pose l’inévitable question de la situation politique algérienne. On sait que le pouvoir algérien a réagi très vite. Dès les premières manifestations de rue liées à l’augmentation des prix des aliments de bases, il a suspendu la hausse pour faire baisser la tension. Il en a les moyens. En matière de liberté d’expression le pouvoir adopte peu ou prou la même stratégie. La relative liberté laissée aux réalisateurs consiste à soulever la soupape.

Avec ses problèmes de diffusion, l’expression cinématographique algérienne se retrouve dans une situation où les films qui sont produits peinent à trouver leur public. C’est actuellement le cas avec le film de Dahmane Ouzid, La place. A première vue, cette comédie musicale est un film joyeux divertissant avec de jolies filles… qui met en scène une bande de jeunes artistes qui galèrent et souhaitent partir en tournée à l’étranger. La sortie du film était prévue cette semaine en Algérie. Elle aurait permis de rire comme les Algériens savent le faire d’eux-mêmes quand ils inventent les hittistes* un synonyme du mot chômeurs. Mais au regard de l’actualité, la sortie a été reportée. Tout se passe comme si les événements du pays voisin avaient modifié l’angle de lecture du film devenu soudainement subversif avec ses propos sur le désœuvrement, et la volonté manifestée de s’exiler à l’étranger. Il est intéressant de noter que la sortie de La Place n’est pas non plus à l’ordre du jour en France.

Les problèmes sociaux comme celui de l’éducation sont abordés de biais comme dans La Chine est encore loin, de Malek Bensmaïl. Le film raconte une enfance dans un village des Aurès et cherche « à comprendre les enjeux du nationalisme et de l’intégrisme à travers le prisme de la transmission des savoirs.

Quand on sait que les autorités ont absolument tenu à bloquer les bus de manifestants en provenance de Kabylie pour que leurs occupants ne rejoignent pas les autres manifestants, on comprend que le film Machalo, tourné totalement en berbère de Belkacem Hadjadj, se pose d’emblée comme une revendication culturelle. De même, il faudrait être aveugle pour ne pas voir dans les courts métrages réalisés par la nouvelle génération, que la société algérienne manque de respiration.

« Les jeunes réalisateurs n’usent plus du discours universaliste de leurs aînés. Et globalement, les scénaristes algériens ont abandonné l’idée qu’ils pourraient être des profs d’idéologie. Mais on n’imagine pas là-bas que la sortie d’un film ne fasse pas débat  » souligne Jacques Choukroun.

Ce qui laisse un avant goût des messages transmis par les cinéastes. Les films que propose Regards sur le cinéma Algérien sont à cet égard passionnants. On peut en découvrir la portée éminemment politique, en demi teinte.

Jean-Marie Dinh

*Hittistes : celui qui tient le mur, expression qui fait référence aux jeunes qui tuent le temps adossés au mur.

Voir aussi :  Rubrique Cinéma, rencontre avec Ali Mouzaoui, Polémique autour du film de Bouchareb , Les Hors-la-loi, de Tewfilk Farès, rubrique Algérie, rubrique livre La colonie Française en Algérie, 200 ans d’inavouable, Laurent Mauvignier Des hommes,

Entretien avec Dany Lafferière. Un jardin imaginaire nourri par la réalité

Dany Laferrière. Photo David Maugendre.

Tout bouge autour de moi n’est pas un livre de plus ni un retour sur la vision catastrophique d’un pays détruit par le séisme. Ce pourrait même être tout le contraire. Rencontre avec l’auteur haïtien Dany Laferrière Prix Médicis 2009, pour L’Enigme du retour.

Votre livre apporte un regard nouveau sur la catastrophe à laquelle vous avez assisté en direct. D’où vient cette distance qui imprègne votre récit ?
Au moment du tremblement de terre je me suis tenu à mon carnet de notes. Dès les premières secousses je me suis concentré sur l’écriture, par réflexe. L’homme est un animal. Je pensais maintenir la peur à distance cela a marché jusqu’à ce que la panique intérieure me rattrape. A cet instant, je me disais vraiment que la mort allait me surprendre. Ensuite j’ai pris de la distance en adoptant un ton au plus près de la réalité, là où se situe la dignité du peuple.

Votre livre regorge d’images proprement littéraires. Le séisme s’est attaqué au béton en laissant survivre la fleur dites-vous ?

Ces images me sont venues face à un événement spectaculaire, inattendu, dont la force efface le paysage et les hommes. Dès que j’ai pu retrouver un peu mes esprits, je suis allé dans le jardin de l’hôtel où je me trouvais pour voir l’état des fleurs à longues tiges. Je pensais qu’il n’en resterait rien mais elles étaient là indemnes. Le partage de ces émotions s’adresse au simple lecteur, que je considère comme le plus haut grade de la littérature.

Votre version se présente comme une antithèse de ce qui a été montré à la télé où les Haïtiens semblaient fixés dans leur statut de victimes…
Les médias ont beaucoup filmé les scènes de pillages alors que dans l’ensemble les gens se sont conduits avec beaucoup de sérénité et de pondération. On a focalisé sur les équipes de secours étrangères. Ils ont parlé d’eux-mêmes. Je pense que l’on aurait dû être beaucoup plus attentif à la vie quotidienne, parce que le quotidien dure plus longtemps qu’un tremblement de terre. Et il absorbera le séisme.

La télé transforme tout en fiction, est-ce en travaillant l’imaginaire que l’on parle du réel ?

La TV a filmé les décombres. Moi j’ai voulu mettre les hommes dans leur lumière naturelle. J’ai consacré les trois quart du texte aux gens pour ne pas nourrir le monstre. Le 12 janvier, des milliards ont été envoyés pour la reconstruction. Comment les Haïtiens faisaient-ils avant ? Voilà une question que personne ne pose.

Le séisme semble avoir ramené votre regard sur la force de la culture ?

Je montre un peuple qui souffre dont le vernis culturel n’a pas craqué. Ce n’est pas chaque jour que meurt 300 000 personnes. A Haïti la culture est tout ce qui structure l’individu. Quand on a rien il reste cela. C’est au nom de la culture et à travers elle que les gens vivent. Le confort n’est pas la mesure de toute chose. Toute analyse internationale se fait autour du confort. Je m’efforce de montrer tous ce que les gens ont pu faire sans cela.

Vous assimilez la catastrophe à un instant pivot pour le peuple haïtien…

Il y a une énergie nouvelle dans la jeunesse qui sent que nous sommes arrivés à un moment où les Haïtiens vont pouvoir se faire entendre. Tout le monde a été touché par cette histoire. Haïti a pénétré la conscience universelle. La catastrophe a permis que les gens se renseignent après avoir été touchés. Il y a un grain de tendresse chez les peuples du monde entier pour Haïti qui va se manifester. C’est le début d’une reconnaissance. Celui d’un autre regard.

Que vous évoque le retour de Duvalier ?

Je n’opine même pas sur son retour parce que le séisme l’a basculé dans le passé. Pour moi son dessein n’a aucune importance. Sa dictature fut un séisme, donc il a trouvé à qui parler.
Jean-Marie Dinh
Tout bouge autour de moi, Editrions Grasset, 15 euros

Ce si paisible bonheur du divertissement

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Le dernier Dany Boon Rien à déclarer

Ambiance au Domaine de Verchant à Montpellier où Benoît Poelvoorde, Laurent Gamelon, Julie Bernard … et une joyeuse équipe ont débarqué pour la promo de Rien à déclarer, le dernier film de Dany Boon présenté en avant-première au Gaumont Multiplexe.

Très attendu après le triomphe de Bienvenue chez les Ch’tis (plus de 20 millions d’entrées en France) cette nouvelle comédie est promise à un avenir en or. Sujet sur lequel, hormis les producteurs, personne n’a le mauvais goût d’escompter un succès anticipé. « J’ai refusé de me lancer dans un Bienvenue chez les Ch’tis 2 », indique le réalisateur décontracté. Dany balance entre délire et sagesse: « Il est bien votre micro, vous avez l’air d’y tenir, lance t-il à une journaliste en lui saisissant des mains, il fait aussi rasoir ? » poursuit-il alliant les gestes à la parole. Sur des sujets plus sérieux comme la difficulté d’aborder le thème du racisme dans un film grand public,  il adopte une attitude moins légère : « Avec mes origines ch’timie et kabyle, j’ai connu des gens racistes. En discutant avec eux on parvient à leur faire admettre la stupidité de leurs préjugés. Ils acceptent mais ils ne changent pas dans le fond. Souvent, ils finissent par vous dire je ne les aime pas sauf toi. Il faudrait qu’ils rencontrent tous les étrangers un par un. »


Images léchées

L’histoire met en prise un couple franco-belge de douaniers au moment où la douane physique est supprimée entre les deux pays. Ruben Vandevoorde (Benoît Poelvoorde) souffre d’un racisme primaire à l’égard des Français. Son ennemi intime, Mathias Ducatel (Dany Boon), souffre lui aussi mais d’un amour impossible pour sa sœur (Julie Bernard). Les deux protagonistes se retrouvent coéquipiers à bord d’une 4L de la douane volante… Les images léchées restituent fort bien l’atmosphère du poste de douane. Le soin minutieux apporté aux détails nous ramène au 1er janvier 1993, date à laquelle le territoire douanier limité jusqu’alors au territoire national, s’est étendu à toute l’Europe. Date de passage entre un monde et un autre.

C’est certainement ce monde qui n’existe plus qui fera le succès cinématographique du film en diffusant son charme de régression historique. Sans reprocher au spectateur de vouloir se divertir, on peut s’interroger sur la matière de son divertissement voire de sa diversion. Un peu comme quand Frêche dissertait sur la composition de l’équipe de France, on est censés sourire et se situer très loin de la question du racisme et du nationalisme telles qu’elles se posent aujourd’hui en Europe. Malgré l’heureux dénouement du film, la scène finale indique que le racisme a la peau dure. Est-elle censée être drôle ? C’est aux spectateurs d’en décider…


Pas dans la dentelle

On pense au film de Gérard Oury pour la bonne tenue du scénario et le type de comédie efficace et hyper lisible. Dany Boon reprend les mêmes ingrédients que pour son film précédent, un récit linéaire, un monde partagé entre gentils et méchants avec des personnages bien stéréotypés où les femmes sont aimantes ou tutrices, et les hommes d’irresponsables petits garçons.

Les amateurs du genre passeront un bon moment même s’ils attendront en vain les scènes d’anthologie du type Galabru décrivant les habitants du Nord. « Le film a beaucoup intéressé les acheteurs étrangers mais je ne pense pas qu’il fera autant d’entrées que Bienvenue chez les Ch’tis, » confie Dany Boon. On s’attend quand même à un très bon score comme en témoigne la circulaire qu’a fait passer le ministère du budget à l’attention des douaniers qui leur conseille de ne pas aller voir le film en uniforme.

Jean-Marie DINH

Rien a déclarer : Sortie française le 2 février

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En attendant le Révizor : Corrosif, drôle et bien culotté

 En attendant le Révizor par la Cie Faux Magnifico

Un choix judicieux opéré  par Toni Cafiero, en résidence à Lattes, il vient de monter En attendant le Révisor au théâtre Jacques Cœur. La pièce s’inspire d’une comédie de Gogol, Le Révisor, crée en 1836 d’après une idée de Pouchkine. Les lignes de ce textes n’ont pas vieilli. L’action prend cœur dans une tranquille petite ville de province russe. Elle dépeint sur le ton comique les viles pratiques et les arrangements « entre amis » des notables locaux.

A l’occasion d’une visite surprise d’inspection du Révisor, qui incarne l’autorité du pouvoir national, les administrateurs de la petite ville tentent de se montrer sous leurs meilleurs jours. Mais faire mains propres se révèle une tâche bien ardue quand on les sort à peine du pot de confiture, d’autant que le Révisor est un curieux personnage.

L’adaptation soignée de Toni Cafiero, qui signe aussi les décors, joue sur l’abondance des jeux de scène et la gestuel comique. La mise en scène renforce le jeu en portant un soin particulier à la musique et au rythme. Le travail de Vladimir Granov sur les déplacements dans l’espace est remarquable.

La petitesse d’esprit que  dévoile cette comédie de caractère fait rire. Sans doute parce que ce monde de déférences et de mesquinerie, ne nous apparaît pas si étranger, et qu’au final, la visite du Révisor nous ramène sur le chemin de l’intérêt général.


Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Littérature russe,