Essai. Rencontre avec Luc Boltanski et Franck Fischbach dans le cadre de la 19e rencontre de La Fabrique de philosophie jeudi 21 janvier à Montpellier Salle Pétrarque
Une rencontre débat à la frontière entre sociologie et philosophie sociale en présence du sociologue Luc Boltanski et du philosophe Franck Fischbach qui présenteront jeudi 21 janvier leur essai De la critique précis de sociologie de l’émancipation paru fin 2009 chez Gallimard.
Depuis l’invention de la sociologie et de la pensée marxiste au XIXe siècle, la question de l’articulation de la connaissance du monde social et de sa critique a été au cœur des débats concernant l’émancipation humaine, c’est-à-dire la libération des hommes vis-à-vis des conditions sociales de la domination et de l’aliénation. Sociologie critique et philosophie sociale ont développé parallèlement des modèles théoriques visant à dépasser le clivage des faits et des valeurs, de la connaissance de ce que nous sommes et de la mise en évidence de ce que nous devrions ou pourrions être. Un tel dépassement suppose d’éviter le double écueil d’une dénaturation du projet de connaissance par les exigences impérieuses de libération et d’une résorption de la dynamique émancipatrice dans un savoir abstrait et désincarné, coupé de ses racines historiques et sociales. La confrontation entre sociologie et philosophie sociale doit précisément permettre de clarifier les conditions auxquelles devra satisfaire un savoir critique authentique, qui ne veut renoncer ni à sa rigueur théorique, ni à son efficace pratique.
De la critique précis de sociologie de l’émancipation 19,9 euros chez Gallimard.
Le philosophe marxiste et théoricien de l’ancienne Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Daniel Bensaïd, est décédé hier à 63 ans. Il était gravement malade depuis plusieurs mois. Après avoir cofondé la JCR (Jeunesse Communiste Révolutionnaire) en 1966, puis compté comme l’un des principaux acteurs du mouvement de Mai 68, Daniel Bensaïd a participé à la création de la LCR, en avril 1969, dont il a longtemps été membre de la direction. En 2008 et 2009, il avait aussi contribué à la création du NPA. Philosophe, enseignant à l’Université de Paris VIII, il a publié de nombreux ouvrages de philosophie ou de débat politique, dont «Prenons parti pour un socialisme du XXIe siècle» (Editions Mille et une nuits, 2009). Nous publions un entretien réalisé lors d’une rencontre à Montpellier en février 2008 autour de la sortie de son livre Eloge d’une politique profane» (Editions Albin Michel 2009).
Votre dernier livre porte un regard global sur la politique bousculée par la mondialisation…
» Je porte en effet une réflexion sur les effets de la mondialisation qui bouleversent les bases de la politique moderne apparue au XVIIe siècle et effacent tout le vocabulaire sur lequel elle reposait, comme les mots » peuple « , » souveraineté « …
Le titre fait référence à la religion…
Oui, les récents discours du Président de la République à Latran, Ryad, et il y a deux jours devant le CRIF, confirment cette inversion de tendance dans les rapports entre le politique et le religieux, dont la séparation reste la grande caractéristique de la modernité. Au lendemain du 11 septembre, le discours de G.W Bush initiait déjà ce changement en utilisant le registre théologique. On constate le même basculement entre la première Intifada qui était un mouvement social et la seconde où apparaît la rhétorique religieuse.
Y voyez-vous une utilisation unilatérale du religieux par le politique ?
Le mouvement va dans les deux sens. Avec d’un côté l’utilisation de la religion pour donner un soubassement à une morale civique qui n’y parvient plus par ses propres moyens. Et de l’autre une offensive idéologique de l’épiscopat très manifeste chez Benoît XVI que l’on constate avec le mariage homosexuel ou l’avortement. Pour moi c’est une espèce d’aspiration par le vide qui déplace l’argumentation politique sur le terrain émotionnel.
D’où provient cette défaillance du politique ?
Elle est liée à plusieurs facteurs. La privatisation du monde entraîne une perte de substance de l’espace public qui pousse à baisser les bras. La politique, s’inscrit dans des espaces où les lieux de pouvoir dispersés deviennent insaisissables pour les citoyens. Enfin, le résultat des blessures du XXe siècle, qui se traduisent par la difficulté à se projeter dans l’avenir.
Comment porter de nouvelles stratégies de résistance ?
C’est toute la question après le diagnostic. Il importe de trouver l’espace des acteurs pour les luttes profanes.
Vous restez fidèle au concept de la lutte des classes dans une société où l’individualisme les décompose. Avec la disparition de lieux de socialisation, la classe ouvrière n’a plus guère d’expression politique …
La décomposition sociale est réelle mais elle est aussi relative. Le prolétariat que Marx décrivait en 1848 n’a rien à voir avec le milieu ouvrier. Les luttes d’aujourd’hui paraissent asymétriques. Mais ne rendent pas pour autant impensable le fait de changer le monde. Le problème c’est la course contre le temps. Les millions de Chinois qui sont aujourd’hui exploités trouveront inévitablement une forme d’organisation sociale pour défendre leurs droits.
Vous êtes membre dirigeant de la LCR, sur quelles bases votre parti envisage-t-il la mutation décidée lors de son dernier congrès ?
La décision de fonder un nouveau parti anticapitaliste est actée. Elle dépend maintenant du processus constituant. Cela devrait voir le jour fin 2008 ou lors du premier trimestre 2009. Le point de départ part de la nécessité d’actions face aux attaques brutales du gouvernement Sarkozy pour une mise aux normes néolibérales du pays. Mais aussi de l’absence de résistance de la gauche de gouvernement qui s’oppose sur la forme mais pas sur le fond. Il y a un espace pour un vrai parti de gauche qui n’efface pas son histoire sans pour autant l’imposer aux autres, ce qui permettra des alliances. «
recueilli par Jean-Marie Dinh
article publié dans L’Hérault du jour le 16 02 08
Eloge de la politique profane, 22 euros ed, Albin Michel
Si la menace d’attentats est réelle, certaines réactions n’en restent pas moins controversées. La presse européenne estime que la sécurité absolue n’existe pas, et qu’il ne sert à rien de collecter des données ou de supprimer les droits des citoyens.Extraits des publications suivantes: Der Standard – Autriche, El Mundo – Espagne, New Statesman – Royaume-Uni
Qu’apportent des mesures de sécurité renforcées comme les scanners corporels dans les aéroports, se demande Der Standard : « Même si l’on fait preuve de beaucoup de compréhension en faveur des mesures sécuritaires, il est intéressant de considérer les éléments dont ont été amputés nos droits personnels ces dernières années – et le mutisme croissant qui a gagné leurs défenseurs. En 1997, le flicage informatique et les mises sur écoute clandestines étaient encore considérés pratiquement comme des pratiques scandaleuses. Mais après les attentats du 11 septembre s’est progressivement imposée l’idée selon laquelle quelqu’un qui n’a rien à cacher n’a rien à craindre non plus. Qu’apporte cependant le renforcement des mesures de sécurité hormis d’absurdes collectes de données ? Dans le cas du terroriste nigérian intercepté : rien. Ses parents avaient prévenu les autorités, mais celles-ci cherchaient probablement une aiguille dans une botte de foin. » (08.01.2010)
La sécurité absolue n’existe pas face au terrorisme, même si l’on supprime tous les droits des citoyens, estime le quotidien conservateur El Mundo : « Si le monde démocratique se transformait en Etat Big-Brother de type orwellien, ce serait une victoire des fondamentalistes musulmans. C’est aux citoyens d’accepter le fait que ni la sécurité absolue ni le risque zéro ne peuvent exister. C’est ce qu’a montré l’expérience très critiquée menée par la police slovaque il y a quelques jours. Celle-ci avait dissimulé secrètement des explosifs dans la valise d’un de ses compatriotes qui avait pris l’avion pour Dublin, sans que ceux-ci ne soient détectés par les nombreux contrôles. Les Etats-Unis comme les Etats de l’UE doivent renforcer leurs mesures en vue de réduire les risques. La seule chose dont on est sûr, c’est qu’elles resteront insuffisantes tant qu’Al-Qaida ne sera pas complètement vaincu. » (08.01.2010)
La peur du terrorisme est irrationnelle et exagérée, estime Mehdi Hasan dans l’hebdomadaire New Statesman. Il serait préférable de garder la tête froide : « Il n’existe aucun scanner, aucune technologie, aucune mesure de sécurité qui nous protège complètement du terrorisme. Le problème du terrorisme ne peut pas non plus être résolu militairement. Ce dont nous avons besoin, c’est de patience, de persévérance et d’un sens de la perspective historique. Lors de mes rencontres avec les ministres et les fonctionnaires [dans le quartier du gouvernement] à Whiteall, je vois souvent des affiches de la Seconde Guerre mondiale derrière les portes, portant la devise : ‘Keep calm and carry on’ [Rester calme et continuer]. Nos dirigeants devraient se montrer suffisamment sages pour suivre ce conseil, peut-être même l’adopter comme résolution de nouvel an. Rester calme. Continuer. » (08.01.2010)
Soumeïla Koly se préoccupe de la question africaine. A Montpellier, il est délégué général des rencontres cinématographiques africaines Quilombo. En 2009, il a publié Kalachnikov Blue, une fiction qui retrace les rocambolesques aventures du commissaire Doré Dynamite dans l’arène politico-économique guinéenne. Interpellé par l’actualité en Guinée, il a suspendu la tournée de promotion de son livre pour ouvrir le débat. » Après la repression sanglante des manifestants en septembre à Conakry, les nouvelles de Guinée nous apprennent que le président Dadis a été blessé d’une balle dans la tête tirée par son aide de camp, soulignait Soumeïla Koly en décembre. Un chef d’État disparaît un autre arrive. Ce discours de conquête de pouvoir permanent ne suffit pas. Il faut trouver des logiques différentes pour venir à bout de cette faillite. » En d’autres termes, il est temps que les richesses stratégiques et minières qui guident les Occidentaux, cèdent le pas au dialogue des cultures.
De là, naît l’idée d’une série de rencontres-débats (1) avec le concours de représentants de la société civile. » Beaucoup d’universitaires sont porteurs de solutions mais le milieu décisionnel fonctionne en microcosme. Il faut faire émerger les savoirs et les traduire pour que les citoyens comprennent. » Ces débats permettront d’évoquer l’idée du pré-carré africain en tant qu’enjeu diplomatique hermétique à la situation sociale des pays concernés, mais aussi d’obstacle à la lutte contre le trafic de drogue. Nouvelle escale sur la route entre l’Amérique latine et l’Europe, l’Afrique de l’Ouest est devenue une plaque tournante du narco trafic. Et pour la première fois, elle se trouve interpellée face à la poussée de l’intégrisme et du terrorisme. » La paix sociale repose sur les classes moyennes. Il faut que le système politique cesse sa distribution de cadeaux au détriment de l’intérêt général. Aujourd’hui l’économie ouvre des brèches et le politique garantit les dégâts collatéraux. En Afrique de l’Ouest, on est aux avant-postes de ce qu’on va recevoir ici en terme d’immigration, de drogue et de terrorisme. «
Avant-poste du chaos
Soumeïla Koly rappelle le rôle central de la Guinée. » Le pays occupe une place stratégique entre le Sierra Léone, le Libéria et la Côte d’Ivoire. Avec le drame guinéen on peut appréhender le drame d’un pays à l’échelle d’une sous région. Le spectre de la guerre civile qui plane risque de produire une vague d’immigration dans le nord aux conséquences désastreuses. Le contribuable doit comprendre que les pôles de prospérité doivent se développer dans le monde. Que les endroits où il existe des ressources doivent prospérer localement pour que les choses se stabilisent. Face au délitement d’un Etat, l’armée française fait office de régulateur souvent avec des conséquences désastreuses pour l’équilibre. » Lorsque l’on souligne le peu d’intérêt porté par les Français à la question africaine, l’optimisme de Soumaïla Koly surgit. » Les gens sont capables de cet élan du cœur. On ne demande pas d’argent mais de l’attention. «
Jean-Marie Dinh
Le 13 janvier à l’Espace Martin Luther King à Montpellier à 20h, le 26 janvier à Béziers à la librairie Brasserie Le pas d’à côté le 28 au cinéma arc-en ciel à Ganges et le 3 février à 20h salle de rencontre de Lodève.
Voir aussi : Rubrique internationale : La Françafrique se porte bien
On ne présente plus Raymond Depardon dont l’œuvre plurielle avant tout photographique, touche aussi le court métrage, le documentaire et la fiction. L’artiste qui a fêté cette année, ses 67 ans a répondu à la sollicitation du Conseil régional pour offrir un regard photographique sur la Région Languedoc-Roussillon. L’exposition itinérante fait escale au Carré St Anne jusqu’au 31 janvier 2010.
Banalité du réel
Une succession d’images sans scénographie particulière se déploie un peu comme un chemin de croix dans le vaste espace d’exposition. On ne trouve pas de chef-d’œuvre de la photographie de paysage mais des clichés en prise avec le réel presque banals. L’artiste confie lui-même que sur la trentaine de photos présentées, deux ou trois présentent à ses yeux un intérêt. C’est en fait la vision partielle d’un travail en cours qui le conduit depuis 2004 à sillonner la France pour réaliser un état des lieux photographique. « Seules deux ou trois photos qui sont ici feront partie de la grande exposition que je présenterai à la BnF à la fin de mon périple. J’ai pris le parti d’exclure d’entrée les centres-villes où tout est franchisé ainsi que le patrimoine et les banlieues. »
Effet moderne
Nous sommes en arrêt devant une photo du café Maracana à Bédarieux. Avant d’acquérir une renommée internationale l’artiste s’est fait connaître à travers son approche sociologique, ce que confirme son commentaire. « Le café fait partie de la culture. Il faut avoir voyagé pour se rendre compte de son importance. C’est un lieu politique qui tend à disparaître au profil des sandwicheries. Désignant les chaises vertes pétard de la terrasse, Depardon souligne amusé, « on voit l’effet de modernisation recherché. » La relation intime que nous entretenons avec ces paysages connus masquerait-elle ce qu’ils peuvent nous transmettre ?
Errance
Espace déchu
Nous sommes maintenant devant la photographie d’une devanture de cinéma abandonnée. L’image fragmentée verticalement par un tronc d’arbre au premier plan donne le sentiment d’un espace déchu. « Pourquoi cette photo et pas une autre ? interroge Depardon. Ici je ne cherche pas à prendre parti contre la disparition des salles. J’ai pris cette photo simplement parce qu’elle rejoint mon histoire personnelle. Tout est là, la lumière, le platane arbre du Sud et le cinéma. » Le champ spécifique que nous offre le photographe à travers sa propre histoire est imperceptible pour le visiteur qui mystérieusement peut cependant capter l’empreinte humaine inscrite dans le cadre. Avec Depardon, rien n’est présent d’emblée. Tandis que ses paysages mettent en scène des espaces violents, les personnages qui y vivent n’apparaissent pas. Il faut les chercher dans l’exposition, s’approcher, entrer dans le cadre pour saisir leur présence fantomatique dans l’intimité des boutiques.
L’art du détachement
Nous emboîtons le pas à l’artiste qui s’arrête devant le cliché d’un monument aux morts lozérien. « Je ne prétends rien. Cette photo est faite. D’autres photographes pourraient la faire. Les monuments aux morts font partie de ce qui nous réunit d’un territoire à l’autre. » Il y a toujours une mise à distance chez Depardon qui cite le pionnier de la photographie documentaire Walker Evans : « Le détachement est la qualité première d’une photographie. » Café, route, monument, paysage, le parcours auquel nous convie le photographe nous mène d’une méditation sur ce qui se fond ou se détache de l’environnement à une réflexion sur le temps. Un temps qui n’est plus celui de l’instant mais de la durée.
Jean-Marie Dinh
Parallèlement à l’expo du Carré St Anne, Le pavillon populaire propose une autre exposition de l’artiste Errance ville et paysans.