Festival Arabesques. Rabah Mezouane : « Le mouvement de l’histoire s’est accéléré « 

 

Rabah Mezouane est journaliste, critique musical spécialisé dans les musiques du monde. Il est aussi conférencier et chargé  de programmation pour l’Institut du Monde arabe. Fidèle du festival Arabesques, il anime aujourd’hui salle Pétrarque une table ronde sur le thème « Réinventer l’esprit andalou ».

On ne peut parler de la culture arabe sans évoquer le vent de démocratie qui souffle sur l’autre rive de la Méditerranée. Quelle y est la place des artistes ?

Elle est prédominante. Du raï au rap en passant par les folksong, les chansons contestatrices sont en prise avec le réel. Comme le festival Arabesques qui a toujours laissé une large place aux artistes engagés dans sa programmation. Avec ce qui s’est passé, on peut dire que le mouvement hip hop en total osmose avec la jeunesse network est entré dans l’histoire de la musique.

Qu’est ce qui a changé ces derniers mois au sein du couple aspiration démocratique/ expression artistique ?

Le mouvement s’est globalisé. Il ne concerne pas seulement l’Egypte et la Tunisie. Il secoue tout le bassin méditerranéen l’Algérie, la Lybie, Bahreïn, la Jordanie… Dans tous ces pays on trouve des artistes qui affirment de façon plus ou moins virulente les attentes légitimes de la jeunesse, souvent au péril de leur vie. Les jeunes ont déjoué la censure. Leur parole s’est libérée. Les luttes anciennes de l’indépendance ne sont plus d’actualité. Elle représentaient l’idéologie du pouvoir qui était de se replacer dans le passé sans jamais considérer l’avenir.

On évoque le rôle d’Internet et la force de la jeunesse. Mais à quel type d’acteurs cela correspond-il ? De quels  leviers d’action les jeunes disposent-ils pour construire l’avenir ?

En Tunisie, la classe moyenne est assez cultivée, ce qui a facilité la prise de conscience. Le problème vient du fait que la jeunesse est numériquement majoritaire mais socialement minoritaire. L’anti-jeunisme est un phénomène assez commun dans les pays de la zone méditerranéenne où l’on trouve beaucoup de jeunes diplômés sous-employés. On a assisté à un mouvement sans leader. En Egypte, les Frères musulmans apparaissent comme la seule force organisée qui peut tenir les rênes. La jeunesse a réussi à déboulonner l’autoritarisme réfractaire mais le chemin de la reconstruction promet d’être long.

L’autre constat de taille de ces soulèvements populaires, c’est le postulat d’échec de l’islamisme…

C’est en effet un élément marquant. En Egypte et en Tunisie, les mouvements populaires reflètent en grande partie des conditions de vie où la pauvreté est écrasante, mais le peuple luttait clairement pour la démocratie et pas pour un Etat islamique. C’est un camouflet de plus pour les pouvoirs en place qui ont toujours brandi l’arme extérieur de l’impérialisme, de  l’islamiste, du néo-colonialisme ou du sionisme.

Dans le cadre du festival, vous animez la rencontre « Réinventer l’esprit andalou » dont l’intitulé invite à partager une nouvelle aventure culturelle …

A l’aube des révoltes que nous venons de connaître, la question de renouer ou de réinventer cet esprit mérite d’être posée. L’histoire de cette brillante civilisation qui a fleuri aux portes de l’Europe moyenâgeuse comporte quelques imperfections. Il y a eu des relations conflictuelles, mais il existait un modus vivendi entre les trois religions monothéistes. Et les foyers multiculturels de Grenade, Séville ou Cordoue ont permis aux  universités, aux savants et aux artistes d’enrichir et de transmettre leur savoir-faire. A l’heure où l’Europe se replie sur elle même, où la montée de l’extrême droite est palpable, il n’est pas inutile de s’interroger sur les manières de vivre ensemble en nous nourrissant de nos différences.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

« Réinventer l’esprit andalou » à 16 h salle Pétrarque, entrée libre.

Voir aussi : Rubrique Méditerranée, rubrique Festival, Arabesques 2011,

Israël politique : L’homme qui gêne

Par Denis Sieffert

Chose assez rare en Israël, le principal problème auquel se heurte le probable
futur Premier ministre n’est pas arithmétique. Il s’agit ici de la nature politique du gouvernement.

 

Avigdor Lieberman

L’humour, entre autres vertus, sert parfois à dire l’indicible. Rompu à la realpolitik, le négociateur palestinien Saëb Erekat s’est récemment interrogé sur l’attitude que la communauté internationale adopterait à l’encontre d’un gouvernement israélien comprenant dans ses rangs l’extrémiste Avigdor Lieberman. « L’Europe et les États-Unis ont boycotté un gouvernement palestinien où siégeaient des ministres du Hamas, nul doute qu’une décision semblable sera prise avec le prochain gouvernement israélien », a-t-il dit en substance. On objectera que ce propos ne devrait pas prêter à sourire.

D’abord, parce que le personnage en question, qui veut des états juif et arabe ethniquement purs, et qui promet à Gaza le sort d’Hiroshima, n’ incite guère à la plaisanterie ; ensuite, parce que la pression de la communauté internationale devrait en effet s’exercer sur les deux parties au conflit. Mais ce n’est, hélas, que de l’humour, parce que personne n’y croit. Tout le monde sait que ce M. Lieberman, une fois installé dans son ministère, serrera les mains de nos ministres et autres dirigeants occidentaux qui lui conféreront une honorabilité rien de moins qu’usurpée. Il n’empêche que la présence de cet ultra dans le futur gouvernement de Benyamin Netanyahou est embarrassante pour tout le monde.

Elle l’est parce qu’elle prend à contre-pied la diplomatie que l’on prête à Barack Obama (que l’on « prête », parce que, pour l’instant, on ne l’a pas encore trop vue). Elle l’est parce qu’elle dit la vérité de ce gouvernement, et la vérité de la classe politique israélienne.

Même Benyamin Netanyahou entrevoit les inconvénients de la cohabitation avec ce personnage. C’est la raison pour laquelle, le chef de file du Likoud faisait le forcing au cours de ces derniers jours pour convaincre au minimum Tzipi Livni, leader du parti centriste Kadima, et si possible le travailliste Ehoud Barak, de former avec lui une coalition. Qu’on ne se méprenne pas : cela ne changerait pas grand-chose à la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens. Faut-il le rappeler, ce n’est pas Avigdor Lieberman qui a bombardé Gaza et tué mille trois cents personnes. Dans cette tragédie, Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères, et Ehoud Barak, ministre de la Défense, ont des responsabilités autrement accablantes. Netanyahou ne se soucie dans cette affaire que de son image et de celle de son pays, déjà sérieusement écornée aux yeux du monde.

Chose assez rare en Israël, le principal problème auquel se heurte le probable futur Premier ministre n’est pas arithmétique. La droite, l’extrême droite et les partis religieux disposeraient à eux seuls de 65 sièges sur les 120 de la Knesset. On a déjà connu majorité plus fragile. Il s’agit ici de la nature politique du gouvernement. Après avoir eu un discours ultra- droitier et avoir tiré vers l’extrême droite toute la vie politique israélienne, les principaux responsables de ce déplacement font tout pour masquer la réalité.

Pour mesurer ce déplacement,il suffit de se souvenir que Mme Livni, qui fait
aujourd’hui figure de centriste, et presque de caution morale, est l’héritière politique d’Ariel Sharon, l’homme qui en 2002 était considéré comme le partisan des solutions les plus radicales, d’ailleurs en partie mises en œuvre à Jénine et à Naplouse. Quant aux travaillistes, ils se sont fondus dans la droite depuis février 2001, et n’ont plus guère d’expression autonome. « À quoi servent-ils ? », s’interrogeait la semaine dernière dans nos colonnes l’historien Zeev Sternhell, suggérant la plus pathétique des réponses.

Comme toujours (ou comme souvent) dans ce pays, les politiques instrumentalisent la peur. Une peur qu’ils font naître, qu’ils cultivent et qu’ils
répandent. La technique est connue. Il s’agit de renvoyer l’ennemi palestinien à ce qu’il a de pire. On assimile les Palestiniens au Hamas, et le Hamas à sa charte de 1988 et à Al-Qaïda. Il s’agit de figer les mouvements dans leur passé,
dans leurs proclamations les plus bellicistes, et de dissimuler ou de nier tout ce qui procède d’une évolution politique. À toute force, il faut masquer à l’opinion israélienne les signes de politisation du Hamas, son adhésion au plan de paix arabe qui suppose le retour aux frontières de 1967, c’est-à-dire une reconnaissance implicite d’Israël. Vingt ans après l’offensive diplomatique de Yasser Arafat et la « politisation » de l’OLP, Israël rejoue le même scénario.

Le Hamas n’étant pas assez crédible dans le rôle de la menace existentielle, il faut évidemment le réduire à un bras armé de l’Iran. Ce qui revient également à nier la véritable implantation, tout à fait « palestinienne », du Hamas, et l’importance de la dégradation des conditions de vie des Gazaouis dans la montée du Hamas. Des conditions de vie sur lesquelles Israël conserve un pouvoir total. Le tout ayant pour seule finalité de gagner du temps pour poursuivre la colonisation de la Cisjordanie, et continuer de pourrir une société palestinienne toujours sous le joug (1).

Politis

(1) En témoignent les règlements de comptes auxquels se livrent actuellement des hommes de main du Hamas dans ce qui rappelle chez nous l’épuration à la Libération. Ces événements sordides peuvent être analysés comme le produit
de la nature intrinsèque du Hamas. Ils peuvent aussi être comparés, hélas, à toutes les situations d’après-guerre.

Voir aussi : Rubrique Israël, rubrique Palestine,